Déclaration de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé, sur le progrès économique social et environnemental, Paris le 6 septembre 2011.

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Monsieur le Président, Monsieur le Président du Comité économique et social européen, Monsieur le Président du conseil économique et social espagnol, Monsieur le Président de la section des affaires européennes et internationales à qui j’ai présenté mes excuses de n’avoir pu l’entendre tout à l’heure, mais je lui ai demandé si le discours qu’il a tenu devant vous était à peu de choses près celui qu’il a tenu ce matin devant le comité du dialogue social européen au ministère. Il m’a avoué que son propos était de la même tonalité mais dans un cadre différent.
J’en profite pour vous présenter, M. le Président, Mesdames, Messieurs, mes excuses pour ces quelques minutes de retard.
Je voudrais dire à messieurs les rapporteurs, comme à vous tous, qu’il est important pour moi d’être ici, au-delà de la formule qui peut sembler protocolaire, mais comme vous, j’ai conscience que nous devons avoir une réappropriation publique, politique (je le dis devant Mme le sénateur et M. le député) au sens le plus large du terme ; gestion de la cité mais une cité qui prend un caractère planétaire.
Dans ce cadre, l’avis du CESE sur les enjeux de la présidence française du G20 est à mes yeux une contribution importante à nos travaux. Je suis heureux également que la saisine du Premier ministre nous donne l’occasion d’échanger ensemble sur ce sujet.
Il faut bien s’entendre sur ce qu’est le G20. Mon propos sera centré sur les sujets qui relèvent de ma responsabilité ministérielle ; les rapporteurs ont eux embrassé l’ensemble des sujets, mais sur la question de la régulation sociale de la mondialisation, je suis intimement persuadé qu’une enceinte comme celle-ci permet d’avoir une véritable résonance pour ces discussions et pour cette approche car il nous faut (c’était la volonté du Président de la République) veiller en permanence à associer les partenaires sociaux à chacune des étapes de ce G20. C’est ce que nous avons voulu faire car cela permet de créer un véritable dialogue social au niveau du G20.
Ces échanges avec le CESE s’inscrivent parfaitement dans cette dimension. Le G20 n’a pas vocation à rentrer en concurrence avec l’Organisation des nations unies. Moi-même, à New York, j’ai porté ce message : il n’y a pas de concurrence. De la même façon, il n’y a pas de concurrence avec l’Organisation internationale du travail. J’ai porté le même discours dans cette enceinte à Genève car le G20 a une place à part mais le rôle d’impulsion qu’il peut tenir nous devons absolument le tenir. C’est aussi une façon de faire bouger les choses.
Il est vrai qu’au moment où je prends la parole devant vous, au moment où vous présentez ce projet d’avis, tout le monde a forcément à l’esprit ce qui est en train de se passer au niveau international. Contrairement à ce que beaucoup pouvaient penser, la crise n’est pas terminée. Nous avons été très nombreux – je dis bien nous - à penser que commençait à se dessiner la sortie de crise, mais force est de reconnaître que ce sont nos concitoyens qui ont la lecture dont nous devons nous inspirer : nous ne sommes pas encore complètement sortis de cette crise.
Les réflexions sur le temps plus utile dans la perspective de la réunion des ministres du travail de l’emploi du G20, que je présiderai les 26 et 27 septembre prochain, nous seront également utiles pour préparer des propositions à soumettre aux chefs d’État et de gouvernements pour le sommet de Cannes au début du mois de novembre prochain.
Je vais bien sûr évoquer différents sujets que vous avez abordés dans votre projet d’avis. Je sais aussi que vous avez auditionné Xavier Muscat qui vous a parlé des enjeux économiques et financiers de ce G20. Permettez-moi donc d’insister sur les enjeux sociaux.
Vous le savez, l’objectif de la présidence française du G20 est de faire progresser la dimension sociale de la mondialisation. Comme votre projet d’avis le montre, la mondialisation telle qu’elle fonctionne aujourd’hui conduit à des déséquilibres. Cette crise économique en a été un puissant révélateur. Elle a eu des conséquences désastreuses en termes d’emplois : trente millions d’emplois ont été perdus de par le monde en deux années.
Elle a aussi révélé des inégalités criantes. L’écart entre les revenus des plus pauvres et des plus riches n’a jamais été aussi important. Il n’y a aucune fatalité à cela. Bien évidemment parler de régulation sociale de la mondialisation n’est pas une incongruité, bien au contraire. C’est une nécessité sinon nous le savons et nous le voyons, il y aura la tentation du repli sur soi. Il y aura la tentation pour certains dans la sphère politique, même dans la sphère économique, de penser que le protectionnisme est la solution. Certainement pas. En contrepartie, il nous faut « pousser les feux » de la régulation sociale de la mondialisation.
Le Président de la République l’a rappelé devant l’OIT : nous ne pouvons plus nous contenter de réguler la mondialisation uniquement sur le plan économique et financier. Nous ne pouvons plus nous contenter également qu’il y ait dans un communiqué commun quelques phrases bien senties, des mots très forts sur ces questions. Il nous faut progresser en la matière.
Je voudrais reprendre votre formule : nous avons tous à coeur que la croissance économique soit au service du bien-être économique des femmes et des hommes. Le G20 est une enceinte appropriée pour cela. Le G20, c’est 85 % du PIB mondial et deux tiers de la population. Il a une forte légitimité à mon avis pour donner les impulsions nécessaires avec l’ensemble de la communauté internationale et des acteurs internationaux.
Messieurs les rapporteurs, vous avez fait des propositions ambitieuses pour avancer en ce sens en cohérence avec les quatre priorités sociales de notre présidence.
Vous formulez un ensemble de préconisations qui s’inscrivent dans trois axes : la cohérence des politiques, la justice sociale et la confiance des citoyens vis-à-vis des acteurs économiques et financiers. Vous faites preuve d’ambition dans vos propositions, disons-le très clairement. Tant mieux ! Parce que je suis persuadé que nous devons forcément être à la hauteur des attentes de nos concitoyens. Pourrons-nous aller aussi loin que vous l’évoquez ? Je le souhaite très franchement.
Je sais aussi que les discussions avec nos partenaires doivent reposer sur un consensus, doivent aboutir à un consensus. Mais nous avançons très clairement dans la même direction.
Je voudrais revenir sur les priorités de ce G20 en matière sociale.
Premièrement l’emploi, en particulier l’emploi des jeunes et des plus vulnérables, ceux pour lesquels le maintien dans l’emploi a été rendu plus difficile avec la crise ou ceux pour lesquels l’accès à l’emploi ou le retour dans l’emploi ont été rendus beaucoup plus difficiles par la crise. Nous le voyons bien en France, mais ce problème n’est pas franco-français, c’est un problème que l’on rencontre partout dans le monde. Lors d’un déplacement aux États-Unis il y a quelques semaines, l’on m’a parlé des questions d’emploi ; l’on observe qu’aux États-Unis aussi, l’actualité n’a pas changé de registre en matière d’emploi. En Chine, l’emploi des jeunes est aussi un impératif. Ce n’est pas un sujet franco-français ni européen, mais bel et bien un sujet mondial.
Voilà pourquoi ces questions, tout comme la protection sociale, le respect des normes fondamentales du travail et la cohérence des politiques, reposent en premier lieu sur la question de l’emploi.
Nous avons donc repris une proposition que vous faites et qui émanait aussi de la CSI, en proposant qu’un groupe de travail du G20 soit constitué sur ces questions. Au delà du focus que met la présidence française, chacun doit avoir la garantie et l’assurance que l’on continuera à parler de l’emploi, que l’on continuera à travailler sur l’emploi après ce G20 et entre deux G20.
Voilà pourquoi il faut s’assurer que les sujets sociaux resteront bien à l’agenda du G20 après 2011. Ce n’était pas un sujet facile, les choses ne sont pas encore terminées, mais il a fallu montrer que cela ne serait pas une charge de travail gratuite, que c’était un enjeu important, notamment pour les partenaires sociaux. Il a fallu aussi démontrer encore une fois que sans occulter quoi que ce soit de l’importance de l’enjeu multilatéral des organisations internationales, le G20 pouvait jouer un rôle d’impulsion important.
Parler de l’emploi n’est pas suffisant, constituer un groupe de travail, échanger sur les bonnes pratiques et permettre que certains s’approprient celles d’autres pays peut nous permettre de faire reculer le chômage.
Sur ce sujet, nous avons pu nous inspirer de vos travaux, mais je voudrais également rendre hommage aux travaux de Lionel Stoléru sur le G20, car les interactions entre emploi et mondialisation seront au coeur des échanges avec nos partenaires.
Deuxièmement, le soutien et le développement de socles de protection sociale adaptés à la situation de chaque pays. Lorsque je dis « socles de protection sociale », je sais que beaucoup d’interlocuteurs attendent que l’on dise dans la même phrase « adaptés à la situation de chaque pays ». Vos propositions sont particulièrement intéressantes, vous recommandez en particulier d’arrêter une feuille de route pour ces socles de protection sociale. Cette idée de la feuille de route peut nous permettre d’avancer. Elle permet d’insister sur la nécessité de s’assurer de la faisabilité et de la soutenabilité budgétaire d’une telle initiative – il faut bien aussi en parler. Nous partageons cet objectif.
Je ne connais aucun pays, aucun de mes interlocuteurs ministériels dans les pays du G20 qui n’ait pas conscience du fait que le développement de la protection sociale est un impératif. La seule chose, c’est que peu veulent se voir imposer un calendrier. Il faut bien comprendre qu’à partir du moment où la direction, où la vision, où l’ambition est commune, il nous faut bien définir les choses. Je n’ai pas perçu de réticences sur le principe. Cette idée d’une feuille de route permet de démontrer que nous ne sommes pas arrivés au bout du chemin, mais que nous sommes d’accord au moins sur une méthode. Sur ce point, je sens qu’un consensus est possible.
Le travail du groupe de haut niveau sur le socle de protection sociale, présidé par Mme Bachelet, l’ancienne Présidente du Chili, qui va rendre prochainement son rapport au Président de la République, nous sera évidemment très utile, mais l’idée de la feuille de route nous le sera également, particulièrement.
Le troisième objectif de la présidence française du G20 vise à promouvoir le respect des droits sociaux et du travail. Je sais que vous partagez aussi cette priorité. L’enjeu est simple s’agissant des conventions de l’OIT : signer, c’est bien, ratifier et appliquer, c’est mieux. De plus, il existe pour les membres du G20 une obligation d’exemplarité. Mais il ne s’agit pas seulement de la question des ratifications des conventions de l’OIT ; plus largement, c’est l’application effective et universelle des principes et droits fondamentaux qui importe, ainsi que des législations sociales et du travail dans les pays. Je sais que l’OIT est engagée sur ces questions, mais je pense que le G20 peut jouer un rôle. Le sommet qui aura lieu à la fois pour les représentants des employeurs et des syndicats de salariés peut aussi nous aider dans ce sens. Peut-être que pour certains pays, des questions de principe sont posées (ou alors il ne fallait pas signer). Ce sont parfois des questions de méthode de ratification ; il n’empêche que si tout le monde pousse dans le même sens, les membres du G20, les représentants des employeurs et des salariés, je suis persuadé que nous n’en resterons pas au statu quo.
Quatrièmement, nous devrons améliorer la coordination et la cohérence entre les différentes organisations internationales. Vous proposez notamment dans votre rapport, la définition de procédures de consultation réciproques entre instances internationales, sociales et alimentaires (OIT, OMS, FAO) et les institutions financières internationales (Banque mondiale, FMI et l’OMC). Vous préconisez de confier à l’OIT un statut d’observateur auprès de l’OMC. La France soutient ces propositions ambitieuses, comme le Président de la République a déjà eu l’occasion de le dire devant la Conférence internationale du travail en juin 2009, comme il l’a rappelé à Paris en ouvrant la Conférence sur la cohérence, que nous avons organisée le 23 mai dernier dans le cadre du G20.
Je sais bien qu’il y a déjà des organisations internationales qui évoluent ; je pense notamment à la Banque mondiale. Cette dernière a d’ores et déjà décidé que 12 % de ses prêts seraient destinés à financer des actions de protection sociale, soit quatre fois plus que par le passé. Vous allez me dire « On part de bas ! », je le sais. Toujours est-il qu’une voie est ouverte et qu’il faut maintenant progresser dans cette voie.
Sur toutes ces questions, disons-le très clairement, certains pays ont des réticences. Certains pays ont des réticences car ils pensent que l’on voudra à terme dire que pour la liberté économique, il faudra qu’il y ait le respect des normes sociales. Ils pensent que l’on veut arriver à une certaine forme de protectionnisme. Là n’est pas l’enjeu pour nous, mais tout simplement cette cohérence qui est élémentaire et qui touche à l’essence des travaux du G20 et qui se trouve au coeur du travail qui a été fourni par les rapporteurs.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, Messieurs les rapporteurs, ces points de convergence montrent que nous avons une ambition commune. La croissance économique doit être au service du bien-être humain, en donnant la primauté à cette dimension sociale, à la création de l’emploi, à la lutte contre les inégalités ainsi qu’à la préservation de l’environnement.
Sur cette question du partage des richesses, il ne faut pas oublier un aspect élémentaire. Il faut créer des richesses, mais des richesses solidaires, des richesses durables et des richesses qui ont du sens.
J’ai bien conscience que ce sont des sujets difficiles et que la réunion, en septembre, avec mes homologues du G20 et le sommet des chefs d’État, début novembre, ouvriront une voie. Ce ne sera certainement pas un point d’arrivée, nous le savons bien, mais si nous ne partions pas d’une feuille blanche, cela y ressemblait furieusement.
Nos concitoyens sont confrontés à la crise au quotidien, certains se demandent s’ils garderont leur emploi, d’autres s’ils en retrouveront un, mais surtout, bien souvent, si leurs enfants trouveront un emploi. Sur toutes ces questions, je crois qu’il existe des solutions et si les solutions sont partagées, elles seront plus fortes. Vous avez insisté, Monsieur le rapporteur, sur cette question de la pédagogie : elle est essentielle.
Il y a dix jours, je sortais du bureau de mon homologue chinois. Nous avions eu une discussion qui, même si elle était diplomatique, avait été intense et avait duré une heure et demie. J’avais le sentiment que nous avions franchi des étapes par rapport aux travaux préparatoires. En sortant, je me suis posé la question suivante : si un de nos concitoyens écoutait les résultats de notre discussion devant son poste de télévision, aurait-il, lui aussi, conscience que nous avions progressé ? Je n’en suis pas encore persuadé !
Voilà pourquoi je crois que cette oeuvre de pédagogie est essentielle. Votre rapport y contribue. Nous devons toutes et tous bien montrer dans quel sens nous agissons et ce pourquoi nous agissons. Quelles que soient les difficultés, même si l’on croit parfois, surtout en période de crise, que le repli sur soi est une évidence (je ne le crois pas), nous ne devons pas baisser les bras. Bien au contraire. Grâce à votre contribution, nous saurons avancer dans la bonne direction, faire en sorte que ces questions d’emploi, de protection sociale, de respect du droit du travail figurent désormais en haut de l’agenda mondial, au même plan et au même niveau que les questions financières, environnementales et d’alimentation.
Je pense que c’était la volonté du Président de la République et que cette volonté, aujourd’hui, peut se trouver exaucée dans la façon dont nous avançons sur ce sujet. Ce ne sera pas un progrès seulement pour la France, une satisfaction pour la présidence française, je pense que c’est source de progrès pour les citoyens de l’ensemble de nos pays. Sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, c’est notre responsabilité avec vous, avec les partenaires sociaux, qui ont un rôle indispensable, de tout faire pour que cette ambition ne soit pas un voeu pieux, mais qu’elle sache devenir une réalité.
Vous l’avez dit, le contexte permet de qualifier ce G20 de « G20 de crise » et je pense comme vous et comme vous l’avez écrit, que c’est un G20 de construction, de construction d’une mondialisation beaucoup plus équilibrée.
Je vous remercie.
source http://www.lecese.fr, le 9 septembre 2011