Déclaration de M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, sur le bilan énergétique de la France pour 1998, Paris, le 6 avril 1999.

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Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
J'ai le plaisir de vous annoncer les résultats de l'année 1998 sur l'offre et la demande d'énergie en France.
Ce bilan annuel est l'occasion de faire le point sur l'évolution de la disponibilité et de l'usage d'une ressource rare mais indispensable au développement économique et à la vie quotidienne de chacun d'entre nous ;
L'année dernière, le Commissariat Général du Plan a publié les travaux du groupe " Énergie 2010-2020 " avec des projections à 2010 et 2020 en fonction de différents scénarios. Un tel horizon est évidemment trop éloigné pour que les résultats d'une seule année puissent être utilisés pour déterminer quel " sentier de croissance " se trouve emprunté, parmi ceux envisagés par ce groupe ; néanmoins, les évolutions de 1997 à 1998 permettent d'avoir une première image des difficultés qui nous attendent.
La politique énergétique française doit s'appuyer sur des données statistiques qui éclairent de façon impartiale les principaux enjeux et les défis de l'avenir. À cet effet, au sein de la DGEMP, l'Observatoire de l'énergie publie tout au long de l'année différents ouvrages, dépliants, notes de synthèse, sans oublier sa contribution au site Internet du Secrétariat d'État. Nous allons nous attacher aujourd'hui à l'examen de deux de ses notes sur le bilan et la facture énergétique de la France.
1.Une consommation d'énergie qui a crû globalement de façon modérée
1.1.Deuxième année consécutive de hausse modérée
Bien que la croissance économique ait été relativement forte en 1997 et 1998, avec, respectivement, +2,3 % et +3,2 % pour le PIB total, ces deux années ont été modérées, s'agissant de la consommation totale d'énergie primaire. En 1997, l'augmentation avait été de seulement +0,9 % et en 1998 elle a été de +1,5 %, après correction climatique, pour atteindre 249 Mtep.
On peut noter que cette progression de +1,5 %, entre 1997 et 1998, est exactement égale au taux de croissance annuel moyen de la consommation d'énergie depuis le deuxième choc pétrolier en 1979. Le climat de l'année 1998 ayant été légèrement plus clément que la normale, bien que plus froid qu'en 1997, l'Observatoire de l'énergie a apporté une correction climatique de près de 2 Mtep, de sorte qu'en réalité la consommation d'énergie s'élève à 247 Mtep, en croissance de +2,8 %.
1.2.Le charbon et le gaz en forte croissance
Par type d'énergie, la consommation d'énergie primaire a évolué de la façon suivante, après correction climatique :
- forte hausse pour le charbon, à 15,8 Mtep, soit +15 % ;
- croissance maintenue pour le pétrole, à 99,1 Mtep, soit +1,9 % ;
- forte hausse pour le gaz, à 34,1 Mtep (ce qui équivaut à 442 TWh), soit +4,8 % ;
- baisse sensible pour l'électricité primaire c'est-à-dire l'électricité d'origine nucléaire et hydraulique, déduction faite du solde des échanges avec l'étranger, à 88,6 Mtep (ce qui équivaut à 399 TWh), soit -1,3 % ;
- forte baisse des énergies renouvelables, autres que l'hydraulique, en fait essentiellement du bois énergie, à 11,7 Mtep, soit -4,3 %.
Comme je vous l'avais annoncé l'année dernière, la comptabilité des énergies renouvelables autres que l'hydraulique, que l'on désigne couramment par l'acronyme ENR, a été modifiée pour se rapprocher de celles utilisées par Eurostat et l'Agence Internationale de l'Énergie. Ainsi, la consommation de 4,2 Mtep en 1997 a-t-elle été réévaluée à 12,3 Mtep de façon à prendre en compte, par exemple, le bois non commercialisé, ramassé ou distribué en dehors des circuits officiels de vente. La part des énergies renouvelables, ENR et électricité hydraulique, dans la consommation totale d'énergie primaire de la France, s'élève à 11 %.
2.Une production nationale en baisse
La production nationale d'énergie primaire a connu de nouveau une forte baisse, avec -2,6 %, à 120 Mtep. Comme en 1997, toutes les énergies primaires ont été concernées et il faut remonter à 1976, qui était une année climatiquement exceptionnelle, une année de " sécheresse ", pour trouver une baisse d'une telle ampleur. En particulier, s'agissant de l'électricité, la baisse est de -1,9 %, à la fois pour l'hydraulique et pour le nucléaire.
Par contre, contrairement à 1997, cette baisse du nucléaire n'est pas liée à une diminution de la demande en raison du climat. Elle résulte de l'indisponibilité de certaines centrales, même si, globalement, le coefficient de disponibilité reste relativement élevé, à 81,1 %, alors qu'il était inférieur de plus de 5 points entre 1986 et 1992. Néanmoins, la croissance de la demande intérieure d'électricité étant de +2,0 %, à 425 TWh, il a fallu recourir aux centrales classiques, ce qui explique notamment la croissance exceptionnelle de la consommation de charbon. En conséquence, le taux d'indépendance énergétique baisse sensiblement, à 48,5 %, alors qu'il était supérieur à 51 % depuis 1993.
À ce propos, permettez-moi de faire une incidente sur cette question de l'indépendance énergétique dont on a pu lire, ici ou là, qu'elle pourrait devenir moins pertinente au regard de l'évolution des marchés et de l'interconnexion des réseaux en Europe. Ce serait à mon avis une grande erreur de baisser la garde au motif que l'énergie est provisoirement abondante et bon marché. Alors que le territoire français est pauvre en réserves d'énergies fossiles, notre pays joue un rôle particulier pour la sécurité énergétique de l'Europe : géographiquement situé au cur de l'Europe de l'Ouest, il constitue un nud de communication pour l'approvisionnement de ses voisins, tant par les réseaux de gaz et d'électricité que par les réseaux autoroutiers, ferroviaires et fluviaux qui permettent de transporter et distribuer les produits pétroliers et les combustibles minéraux solides ; en outre, sa politique énergétique, stable et équilibrée, compatible avec l'existence d'un parc nucléaire important et fiable, diminue la vulnérabilité de l'ensemble du système énergétique européen. Dans un monde incertain, où la volatilité des prix des énergies est forte, la France s'efforce de promouvoir et d'appliquer un " principe de précaution " dans sa politique de sécurité énergétique. Le maintien d'un taux d'indépendance énergétique proche de 50 % est le garant de cette politique.
3.Une efficacité énergétique qui s'améliore sensiblement
L'intensité énergétique de l'économie française, c'est-à-dire le ratio de la consommation d'énergie primaire corrigée du climat sur le PIB en volume, diminue de -1,9 %. Il faut remonter à 1989, soit dix années, pour trouver une baisse d'une telle ampleur. Ceci semble conforter, bien que toute prévision soit difficile sur cette question, la tendance à la baisse observée sur la période 1982-1998, c'est-à-dire depuis le second choc pétrolier, d'environ -0,5 % par an.
Un tel résultat peut paraître paradoxal alors que les prix des énergies ont fortement baissé sur 1997-1998 ; ainsi le Brent a-t-il perdu un tiers de sa valeur en moyenne annuelle, passant de 17,2 dollars par baril en décembre 1997 à 9,8 dollars par baril en décembre 1998. Cette baisse a été progressive, ce qui explique que les consommateurs industriels et les ménages n'ont pas, de façon générale, relâché leurs efforts de maîtrise de l'énergie, dans un contexte de faible inflation et de hausse de pouvoir d'achat.
4.Une facture énergétique en forte baisse
La chute d'environ -33 % des cours du pétrole brut de 1997 à 1998, à 12,8 dollars par baril pour le Brent, contre 19,1 en 1997, alors que le taux de change du dollar a peu varié, avec 5,90 F, a permis une baisse de 29 % de la facture énergétique de la France. Celle-ci s'est élevée à 61 milliards de francs, soit 9,3 milliards d'euros. Il faut remonter à 1970 pour trouver une facture plus faible exprimée en francs constants. Elle correspond à une part du PIB marchand de la France inférieure à 0,9 %, c'est-à-dire moins de la moitié du pourcentage qui prévalait avant le premier choc pétrolier et qui atteignait un maximum de 6,1 % en 1981. La hausse des importations en quantité, d'environ +28 % pour le charbon et +5 % pour le pétrole brut, et la baisse d'environ 12 % des exportations nettes d'électricité ont ainsi été masquées par la chute des prix des énergies importées.
5.Des résultats sectoriels contrastés
La production d'électricité thermique classique fait un bond de +38 %. L'industrie et le résidentiel-tertiaire voient leur demande d'énergie progresser de façon similaire, mais à un rythme inférieur de moitié à celui des transports.
5.1.Production d'électricité thermique classique : bond de +37 %
La hausse de production d'électricité thermique classique est exceptionnelle, avec +37 %, mais le niveau atteint, soit 55 TWh, ne représente que 11 % de la production d'électricité totale, contre 8 % en 1997, le nucléaire en représentant 76 % et l'hydraulique 13 %. Le charbon et le pétrole ont été les énergies les plus mises à contribution, accroissant d'autant les émissions de CO2.
5.2.ndustrie : progression contenue
Un environnement économique international incertain et des économies d'échelle liées à une meilleure utilisation des capacités de production peuvent être invoqués pour la relative modération de la demande d'énergie d'origine industrielle qui, sidérurgie comprise, ne croît que de +1,8 %, après +3,5 % en 1997, malgré une croissance du PIB marchand sensiblement supérieure. L'indice de la production manufacturière ayant progressé de +5,5 %, après +5,2 % en 1997, il apparaît que les entreprises françaises continuent à améliorer leur efficacité énergétique.
5.3.Résidentiel Tertiaire : progression contenue, similaire à l'industrie
La pénétration de produits moins voraces en énergie et un maintien des économies d'énergie se révèlent à travers la croissance, limitée à +1,7 % comme en 1997, de la consommation d'énergie du résidentiel-tertiaire. Tous produits et services confondus, la consommation des ménages a pourtant progressé de +3,8 %, après +0,9 % en 1997, mais cette demande a été fortement orientée vers les services.
5.4.Transports : forte hausse
Par contre, la consommation énergétique des transports s'intensifie, avec une croissance de +3,5 %, après +2,4 % en 1997, l'évolution étant, pour ces deux années, quasiment identique à celle du PIB marchand. On se rapproche ainsi de l'emballement de la période 1986-1990 faisant suite au contre-choc pétrolier. Les Français semblent avoir manifesté une " euphorie " routière qui s'est manifestée par plus d'achats de voitures et davantage de kilomètres parcourus.
La diésélisation du parc des voitures particulières se poursuit avec, fin 1998, 32 % du parc qui roule au gazole, contre 31 % un an plus tôt. Néanmoins, un ralentissement se perçoit sur les immatriculations neuves, avec " seulement " 40 % de voitures " diesel ", en baisse de près de deux points sur 1997. Ajoutée à la croissance du trafic des ménages et à la progression du transport routier de marchandises, il s'ensuit une toujours forte croissance de la consommation de gazole, à +4,5 % après +4,6 % en 1997.
Les autres évolutions les plus remarquables concernent le trafic voyageur de la SNCF, en hausse de +5 % en passagers-km, et le transport aérien (le trafic total d'Air France croissant de +7 %).
Le secteur des transports demeure celui dont l'évolution des consommations d'énergie est la plus préoccupante au regard de nos émissions de CO2 puisque l'essentiel (95 %) de l'énergie utilisée est constituée de produits pétroliers.
6.Enseignements : vigilance et persistance des efforts
Une forte hausse, de +4,7 %, des émissions de CO2 dues à la consommation d'énergie, résulte des évolutions exceptionnelles concernant les carburants pour les transports et les combustibles fossiles utilisés pour produire de l'électricité. Il faut observer, en le regrettant, que le niveau atteint dépasse celui de 1990 que la France s'est engagée à ne pas dépasser en 2010. Le taux de croissance annuel moyen est d'environ +0,5 % depuis 1990, ce qui est trop élevé.
La hausse des importations de charbon et de pétrole brut ainsi que la baisse de la production nationale, même si, s'agissant du nucléaire, elle est conjoncturelle, nous rappellent notre forte dépendance vis-à-vis des importations d'énergies fossiles. La préoccupation de sécurité d'approvisionnement doit rester présente, en particulier dans une perspective de moyen et long terme qui verra inéluctablement croître notre dépendance vis-à-vis des pays du Moyen-Orient.
Ces résultats témoignent de la nécessité pour notre pays d'une politique énergétique équilibrée et ambitieuse. L'abondance actuelle de l'énergie et son faible prix, même si la chute des prix du brut semble s'enrayer, ne doivent pas faire illusion : la France doit veiller à diversifier son approvisionnement en énergie (notamment en développant les énergies renouvelables) et à maîtriser ses consommations d'énergie.
Le bilan énergétique de 1998 nous montre que, si l'industrie et le résidentiel-tertiaire ont été relativement sobres, en comparaison des fortes hausses de la production manufacturière et de la consommation des ménages, il convient d'orienter les efforts vers les transports dont la consommation de produits pétroliers croît inexorablement d'environ 1,7 % par an depuis 1990.
Signalons, pour conclure, que le choix du nucléaire apparaît comme incontournable pour répondre aux défis que révèle ce bilan énergétique.
À cet égard, je trouve rassurants les résultats du " baromètre d'opinion " sur l'énergie que le CREDOC réalise pour l'Observatoire de l'énergie et qui montre que, début 1999, 51,4 % des Français considère " que le choix du nucléaire pour produire les trois quarts de l'électricité en France présente plutôt des avantages ", soit une hausse de près de quatre points sur un an.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.industrie.gouv.fr, le 09 avril 1999)