Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
En promulguant, il y a cinquante ans, la loi, qui institue le Centre National des Etudes Spatiales, le général de Gaulle accomplissait certainement lun des gestes les plus symboliques et les plus forts de sa politique de souveraineté et de grandeur. Lenjeu était détablir et daffirmer notre indépendance et notre ambition, dans le sillage des deux Grands de la Guerre Froide, qui étaient lancés dans une véritable course à lespace.
En 1957 la mise en orbite du satellite Spoutnik avait pris de court le monde libre. Les Américains répliquaient en lançant Explorer et tentaient de mettre les bouchées doubles pour rattraper leur retard.
Lannée 1961 est une année historique dans la conquête de lespace. En avril, Gagarine est le premier homme à voler dans lespace. Et un mois et demi plus tard, Kennedy prononce le grand discours qui donne le coup denvoi du programme lunaire des Etats-Unis. Et cest dans ce contexte que la France choisit de se doter, avec le Cnes, dune structure à la hauteur de ses propres ambitions, cest-à-dire dune véritable Agence nationale spatiale inspirée du modèle de la Nasa. Dès le début de lannée 1959, soit seulement quelques mois après son arrivée au pouvoir, le général de Gaulle avait déjà montré toute limportance quil accordait à ce thème en créant le Comité des Recherches spatiales. Mais il prend vite conscience de la nécessité de passer à la vitesse supérieure et de redoubler limpulsion déjà donnée. La France avait des compétences techniques. Elle avait des ingénieurs et des chercheurs visionnaires, courageux, qui sétaient mis au travail à la fin de la Seconde Guerre Mondiale ; certains avaient commencé à réfléchir à une fusée française dès le début des années 30. Elle disposait depuis 1949 du lanceur Véronique qui fut une base déterminante pour le développement de son programme spatial sous la Ve République.
Il fallait pourtant aller plus loin. Michel Debré dira plus tard : "cétait des balbutiements, ce nétait pas une politique". Michel Debré qui a joué un rôle décisif dans la création du Cnes. Il fallait que les volontés individuelles isolées, insuffisamment soutenues, soient portées par une volonté politique définie au plus haut niveau et capable de démultiplier les efforts entrepris au nom de lintérêt national. Il fallait des moyens, une organisation, un programme, au service dun objectif clair et audacieux : faire de la France la troisième puissance spatiale au monde.
Un objectif qui sera tenu et réalisé moins de quatre ans après la création du Cnes, avec la mise sur orbite du satellite Astérix lancé par une fusée Diamant. Vingt ans après Yalta, cela sonnait comme une revanche sur ce sommet où de Gaulle navait pas été convié.
Rétrospectivement, on ne peut quêtre frappé par la fermeté des engagements pris et par la rapidité des succès enregistrés. On ne peut quêtre frappé aussi par la hardiesse que représentait cette volonté de hisser notre pays au rang des nations les plus impliquées dans laventure spatiale.
En 1961 en effet, la France traversait une période extrêmement difficile. Il avait fallu surmonter une crise de régime historique ; Il avait fallu mettre en uvre une politique de redressement économique et financier sans précédent. Il avait fallu négocier au bénéfice de toutes les parties la décolonisation en Afrique. La tragédie algérienne allait bientôt connaître son dénouement, mais elle minait encore la société française au moment même où notre pays définissait ses ambitions dans le secteur de lespace.
Le lancement dun programme spatial français illustre très bien lambiguïté de ce moment de crise qui est aussi en même temps, un moment de renouveau. Et je crois que nous pouvons en tirer des leçons pour les difficultés auxquelles nous faisons face aujourdhui même. Ca nest pas en baissant pavillon quon surmonte une crise. Ce nest pas en renonçant à toute ambition que lon relève les défis dune conjoncture troublée. Cest au contraire en misant sur les domaines les plus innovants, que lon crée à long terme les conditions de lactivité, de la croissance, de la puissance dune nation et aujourdhui de lEurope.
La création du Cnes était un pari. Cétait un investissement sur lavenir, dont nous pouvons mesurer toute la pertinence et la fécondité à la multitude des étapes franchies. Cétait un investissement dont linfluence française et européenne est à lheure actuelle encore très largement redevable.
Lexposition que nous inaugurons au Musée des Arts et Métiers fait revivre les grandes heures de cette aventure et je voudrais profiter de loccasion qui mest donnée pour saluer très sincèrement tous ceux qui ont contribué à la mettre sur pied.
1962 et la première transmission en direct dimages de télévision par satellite, au-dessus de lAtlantique, entre lAmérique et la station de Pleumeur-Bodou en Bretagne.
1964 et la mise en chantier de la base de Kourou, avec la visite du général de Gaulle en Guyane.
1965 et la mise en orbite du satellite Astérix, cinq ans avant le premier satellite de la Chine et du Japon, six ans avant celui du Royaume-Uni, vingt ans avant celui de lInde.
1979 et le lancement de la première fusée Ariane.
1982 et le premier vol dun Français dans lespace, Jean-Loup Chrétien.
1986 et le lancement de Spot 1, le premier satellite français dobservation de la Terre.
1992 et la mise sur orbite avec Ariane du satellite franco-américain dobservation des océans Topex-Poseidon.
1996 avec la participation de Claudie Haigneré à la mission Cassiopée, à bord de la station MIR. Evènement qui mest particulièrement cher, non pas parce que Claudie Haigneré a fait partie dun Gouvernement avec moi, mais parce quelle portait dans la station, un tee-shirt qui avait été dessiné par les élèves du lycée de Sablé-sur-Sarthe. Et dailleurs, vous feriez mieux de lexposer, plutôt que la combinaison
2005 et larrivée sur Titan de la sonde européenne Huygens.
2009 et lenvoi dans lespace des télescopes Herschel et Planck.
Au fur et à mesure que les dates ségrènent et je nen ai pris que quelques-unes de grandes évolutions apparaissent nettement. Dabord les coopérations bilatérales qui se sont peu à peu développées, et lintégration européenne qui approfondie. Et si lon compare lépoque des commencements au point où nous sommes arrivés aujourdhui, on perçoit aussi quen cinquante ans les choses ont profondément changé.
En 1961, les imaginaires étaient dominés par les vols habités et par lidée de coloniser lespace, en installant des bases humaines sur la Lune ou plus loin encore. Cinquante ans plus tard, nous avons mis lespace au service de la vie sur la Terre plutôt quau service du désir de quitter notre Planète.
En 1961, le thème de lespace était marqué du sceau de laventure et du rêve. Cinquante ans plus tard, le temps des pionniers est derrière nous. La recherche spatiale a quitté le domaine du mythe pour entrer dans celle du quotidien. Les applications qui relèvent directement ou indirectement de la technologie spatiales sont devenues innombrables. Notre vie courante passe à chaque instant par lespace. Les images fugitives et tremblantes qui étaient apparues un soir dété sur les écrans de Pleumeur-Bodou sont désormais un lointain souvenir. Ceux qui travaillaient à lépoque sur lespace et ceux qui avaient pris la décision politique de miser sur ce secteur nimaginaient sans doute pas toutes les utilisations que nous en faisons aujourdhui et pour ainsi dire cette intimité que nous avons avec les satellites qui tournent autour de la Terre. On mesure dautant plus le retentissement que peut avoir sur la longue durée un choix stratégique comme celui que nous célébrons ce soir.
En 1961, lespace utile qui entoure notre planète semblait vide, immense et inépuisable. Cinquante ans plus tard, il encombré. La rareté se fait sentir sur lorbite géostationnaire, les fréquences nécessaires aux communications se disputent âprement. Il y a au fond une sorte de paradoxe qui veut que ce qui apparaissait infini montre sa finitude, après seulement quelques décennies.
En 1961, le contexte de la Guerre Froide et des fiertés nationales y compris du point de vue de la France dictait pour une large part les orientations de la politique spatiale. Les Etats-Unis et lUnion Soviétique cherchaient tour à tour à se rattraper et à se dépasser. Lobjectif cétait de conquérir des records, des trophées, dêtre les premiers à réaliser une prouesse ou à planter son drapeau. On sentait bien dailleurs quil y avait dans cette compétition quelque chose qui dépassait le cadre dun affrontement militaire classique, quelque chose qui était plus haut, plus noble, quelque chose qui était une aventure de lHumanité dont les deux camps pouvaient se sentir ensemble les acteurs.
Cinquante ans après la création du Cnes, cet aspect-là est devenu toujours plus prépondérant. La donne nest plus celle de la Guerre Froide. Cest celle de la mondialisation. Et lespace a contribué à dessiner cette mondialisation, en unifiant la Terre sous lil des satellites, en démultipliant les possibilités de télécommunication, en réduisant lisolement des zones les plus reculées. Du point de vue de la connaissance scientifique de lunivers et de notre planète, les coopérations internationales nont cessé de saccroître. On le voit bien au fil de la chronologie que déroulent les cinquante ans du Cnes.
La France a dailleurs été pionnière à cet égard, en signant en 1966 avec les Soviétiques un traité de coopération très important qui portait notamment sur lexploration scientifique de lespace. Une coopération qui sest poursuivie en 1982 avec le vol de Jean-Loup Chrétien à bord de la station Saliout 7. Une coopération qui na cessé de se poursuivre jusquà nos jours à travers les très nombreuses actions que nous menons en commun avec la Russie dans le secteur spatial.
Et vous me confiez à linstant que vous aviez pleuré au moment du décollage de Soyouz, de Guyane. Je vous avoue que, moi aussi, jai eu une larme à lil ; parce que je trouve que cest un évènement qui dabord marque vraiment quon a tourné la page du XXe siècle : qui aurait pu imaginer il y a quarante ans, Soyouz en Guyane ? Et puis parce que cela me rappelait les difficultés pour nouer le premier accord de coopération commerciale entre la Russie et la France Starscem. En France, javais dû affronter à lépoque, des résistances considérables de gens qui considéraient que nous étions en train de nous allier avec nos adversaires, avec nos concurrents. Et lorsquil a fallu signer laccord à Moscou, nous sommes restés près dune heure dans une situation que je nai jamais heureusement connue depuis, avec le père de Soyouz qui refusait de signer cet accord, en disant que vraiment, on navait pas besoin des Français pour aller dans lespace. Et il a fallu plus dune heure pour le convaincre finalement, dapposer sa signature en bas de cet accord qui aujourdhui, se traduit par cette formidable coopération que nous évoquions tous les deux à linstant.
Pourtant la mondialisation ne signifie en aucune manière la fin des enjeux stratégiques qui entourent la question de laccès à lespace. Disons plutôt quelle leur donne une nouvelle tournure. Au fond, ce quil y a toujours eu de spécifique et grand dans la conquête spatiale et déjà au temps de la guerre froide, cest la conjugaison entre la part des ambitions nationales ou régionales et la part dune épopée qui elle concerne lhumanité tout entière. Et cette conjugaison continue dexister à lère de la mondialisation, avec des points communs et avec des différences par rapport à lépoque précédente. On le voit bien avec limportance que les pays émergents accordent à la définition dune politique spatiale quils considèrent comme un gage de souveraineté, dinfluence et de prestige.
Au moment où ces nouvelles puissances sactivent pour détenir, outre des satellites de télécommunication, des lanceurs et des systèmes de positionnement qui leur soient propres, on ne peut concevoir que lEurope cède du terrain dans ce secteur de lespace. Parce quil a pris une part déterminante, structurante, à lédification de son idéal politique et de sa puissance concrète. Dune certaine manière, on peut dire que lespace a fait lEurope. Lespace a fait lEurope, parce que les nations européennes ont compris très tôt quelles devaient se rassembler pour élever le niveau de leurs ambitions dans un domaine où leurs capacités auraient rapidement trouvé leurs limites si elles étaient restées isolées.
Les développements de laventure spatiale font apparaître dune façon qui est au fond exemplaire la manière dont les ambitions nationales fusionnent avec les ambitions européennes, sans les contredire. Les 50 ans du Cnes retracent une histoire qui est celle dune volonté au départ française, mais qui na cessé de sélargir à léchelle dune dimension européenne dans laquelle notre pays et nos institutions ont constamment joué un rôle directeur.
Le programme spatial défini à lépoque du général de Gaulle a fourni les bases de la réalisation dAriane. La France a mis au service de cette grande réussite les méthodes et la maîtrise duvre quelle avait pu développer de la sorte. Linitiative nationale que représente la création du CNES sest prolongée en droite ligne dans lacte de naissance du lanceur européen en 1973, sous limpulsion de Georges Pomoidou, et dans la création de lAgence spatiale européenne en 1975, à laquelle nous devons tous les grands projets qui ont fait de lEurope un des acteurs mondiaux du spatial.
La France continuera à jouer ce rôle directeur aux côtés de ses partenaires. Le Président de la République lavait affirmé à Kourou en 2008. Il la réaffirmé devant vous il y a quelques jours à Toulouse. Dans le grand programme dinvestissements davenir que nous avons lancé, un demi-milliard deuros est consacré à notre ambition de maintenir lEurope au rang des grandes puissances spatiales, aujourdhui et dans les décennies à venir. La préservation de laccès autonome de lEurope à lespace conditionne celle de son importance économique et politique dans la mondialisation. Et cest la raison pour laquelle nous engageons les moyens nécessaires à la mise au point du lanceur Ariane 6 que nous voulons voir opérationnel en 2025.
Mais il faut que nous soyons lucides. Le modèle économique qui a permis lindépendance de lEurope spatiale est aujourdhui un modèle qui est bousculé par la crise et par la nécessité de maîtriser nos dépenses publiques de façon prolongée.
Dès lors, nous devons réfléchir à une stratégie collective, réunissant les états, lAgence Spatiale Européenne, les constructeurs et les opérateurs de satellites de communication. Nous devons avoir conscience de la communauté dintérêts qui lie tous les acteurs de lespace. Cest lintérêt de tous de veiller à la pérennité et au développement de lanceurs européens autonomes et performants.
LEurope traverse actuellement lune des phases les plus difficiles de son Histoire. Je crois que nous devons avoir dautant plus conscience de tout ce quelle nous a apporté et de la grandeur quelle incarne. Et laventure spatiale en est lun des plus beaux exemples. Toutes les nations européennes doivent aujourdhui faire des efforts courageux pour établir de manière solidaire leur souveraineté financière. Mais cela ne veut certainement pas dire que nous devons cesser dinvestir pour notre avenir et en particulier dans un domaine aussi crucial que celui de lespace. Parce que lenjeu de cette crise cest de rétablir lambition européenne. Ce nest pas le moment de la renier.
Voilà les réflexions que minspire cet anniversaire du Cnes nous encouragent aussi à vouloir écrire une histoire qui est lune des plus belles qui soit. Vous avez tous ici pris part à cette aventure. Beaucoup dentre vous y prennent toujours part à lheure actuelle. Je veux vous dire que vous pouvez être fiers de ce que vous avez accompli. Vous pouvez être fiers de votre mission, vous pouvez être fiers de votre vocation, parce quelles associent au service exigeant de la France, cette part de rêve et didéal qui grandit les hommes lorsquils lèvent les yeux vers les étoiles.
Vous incarnez les talents et les idéaux de notre pays et de lEurope et je voulais solennellement, au nom du Gouvernement, et donc au nom de notre pays tout entier, vous en rendre hommage.
Source http://www.gouvernement.fr, le 1er décembre 2011
En promulguant, il y a cinquante ans, la loi, qui institue le Centre National des Etudes Spatiales, le général de Gaulle accomplissait certainement lun des gestes les plus symboliques et les plus forts de sa politique de souveraineté et de grandeur. Lenjeu était détablir et daffirmer notre indépendance et notre ambition, dans le sillage des deux Grands de la Guerre Froide, qui étaient lancés dans une véritable course à lespace.
En 1957 la mise en orbite du satellite Spoutnik avait pris de court le monde libre. Les Américains répliquaient en lançant Explorer et tentaient de mettre les bouchées doubles pour rattraper leur retard.
Lannée 1961 est une année historique dans la conquête de lespace. En avril, Gagarine est le premier homme à voler dans lespace. Et un mois et demi plus tard, Kennedy prononce le grand discours qui donne le coup denvoi du programme lunaire des Etats-Unis. Et cest dans ce contexte que la France choisit de se doter, avec le Cnes, dune structure à la hauteur de ses propres ambitions, cest-à-dire dune véritable Agence nationale spatiale inspirée du modèle de la Nasa. Dès le début de lannée 1959, soit seulement quelques mois après son arrivée au pouvoir, le général de Gaulle avait déjà montré toute limportance quil accordait à ce thème en créant le Comité des Recherches spatiales. Mais il prend vite conscience de la nécessité de passer à la vitesse supérieure et de redoubler limpulsion déjà donnée. La France avait des compétences techniques. Elle avait des ingénieurs et des chercheurs visionnaires, courageux, qui sétaient mis au travail à la fin de la Seconde Guerre Mondiale ; certains avaient commencé à réfléchir à une fusée française dès le début des années 30. Elle disposait depuis 1949 du lanceur Véronique qui fut une base déterminante pour le développement de son programme spatial sous la Ve République.
Il fallait pourtant aller plus loin. Michel Debré dira plus tard : "cétait des balbutiements, ce nétait pas une politique". Michel Debré qui a joué un rôle décisif dans la création du Cnes. Il fallait que les volontés individuelles isolées, insuffisamment soutenues, soient portées par une volonté politique définie au plus haut niveau et capable de démultiplier les efforts entrepris au nom de lintérêt national. Il fallait des moyens, une organisation, un programme, au service dun objectif clair et audacieux : faire de la France la troisième puissance spatiale au monde.
Un objectif qui sera tenu et réalisé moins de quatre ans après la création du Cnes, avec la mise sur orbite du satellite Astérix lancé par une fusée Diamant. Vingt ans après Yalta, cela sonnait comme une revanche sur ce sommet où de Gaulle navait pas été convié.
Rétrospectivement, on ne peut quêtre frappé par la fermeté des engagements pris et par la rapidité des succès enregistrés. On ne peut quêtre frappé aussi par la hardiesse que représentait cette volonté de hisser notre pays au rang des nations les plus impliquées dans laventure spatiale.
En 1961 en effet, la France traversait une période extrêmement difficile. Il avait fallu surmonter une crise de régime historique ; Il avait fallu mettre en uvre une politique de redressement économique et financier sans précédent. Il avait fallu négocier au bénéfice de toutes les parties la décolonisation en Afrique. La tragédie algérienne allait bientôt connaître son dénouement, mais elle minait encore la société française au moment même où notre pays définissait ses ambitions dans le secteur de lespace.
Le lancement dun programme spatial français illustre très bien lambiguïté de ce moment de crise qui est aussi en même temps, un moment de renouveau. Et je crois que nous pouvons en tirer des leçons pour les difficultés auxquelles nous faisons face aujourdhui même. Ca nest pas en baissant pavillon quon surmonte une crise. Ce nest pas en renonçant à toute ambition que lon relève les défis dune conjoncture troublée. Cest au contraire en misant sur les domaines les plus innovants, que lon crée à long terme les conditions de lactivité, de la croissance, de la puissance dune nation et aujourdhui de lEurope.
La création du Cnes était un pari. Cétait un investissement sur lavenir, dont nous pouvons mesurer toute la pertinence et la fécondité à la multitude des étapes franchies. Cétait un investissement dont linfluence française et européenne est à lheure actuelle encore très largement redevable.
Lexposition que nous inaugurons au Musée des Arts et Métiers fait revivre les grandes heures de cette aventure et je voudrais profiter de loccasion qui mest donnée pour saluer très sincèrement tous ceux qui ont contribué à la mettre sur pied.
1962 et la première transmission en direct dimages de télévision par satellite, au-dessus de lAtlantique, entre lAmérique et la station de Pleumeur-Bodou en Bretagne.
1964 et la mise en chantier de la base de Kourou, avec la visite du général de Gaulle en Guyane.
1965 et la mise en orbite du satellite Astérix, cinq ans avant le premier satellite de la Chine et du Japon, six ans avant celui du Royaume-Uni, vingt ans avant celui de lInde.
1979 et le lancement de la première fusée Ariane.
1982 et le premier vol dun Français dans lespace, Jean-Loup Chrétien.
1986 et le lancement de Spot 1, le premier satellite français dobservation de la Terre.
1992 et la mise sur orbite avec Ariane du satellite franco-américain dobservation des océans Topex-Poseidon.
1996 avec la participation de Claudie Haigneré à la mission Cassiopée, à bord de la station MIR. Evènement qui mest particulièrement cher, non pas parce que Claudie Haigneré a fait partie dun Gouvernement avec moi, mais parce quelle portait dans la station, un tee-shirt qui avait été dessiné par les élèves du lycée de Sablé-sur-Sarthe. Et dailleurs, vous feriez mieux de lexposer, plutôt que la combinaison
2005 et larrivée sur Titan de la sonde européenne Huygens.
2009 et lenvoi dans lespace des télescopes Herschel et Planck.
Au fur et à mesure que les dates ségrènent et je nen ai pris que quelques-unes de grandes évolutions apparaissent nettement. Dabord les coopérations bilatérales qui se sont peu à peu développées, et lintégration européenne qui approfondie. Et si lon compare lépoque des commencements au point où nous sommes arrivés aujourdhui, on perçoit aussi quen cinquante ans les choses ont profondément changé.
En 1961, les imaginaires étaient dominés par les vols habités et par lidée de coloniser lespace, en installant des bases humaines sur la Lune ou plus loin encore. Cinquante ans plus tard, nous avons mis lespace au service de la vie sur la Terre plutôt quau service du désir de quitter notre Planète.
En 1961, le thème de lespace était marqué du sceau de laventure et du rêve. Cinquante ans plus tard, le temps des pionniers est derrière nous. La recherche spatiale a quitté le domaine du mythe pour entrer dans celle du quotidien. Les applications qui relèvent directement ou indirectement de la technologie spatiales sont devenues innombrables. Notre vie courante passe à chaque instant par lespace. Les images fugitives et tremblantes qui étaient apparues un soir dété sur les écrans de Pleumeur-Bodou sont désormais un lointain souvenir. Ceux qui travaillaient à lépoque sur lespace et ceux qui avaient pris la décision politique de miser sur ce secteur nimaginaient sans doute pas toutes les utilisations que nous en faisons aujourdhui et pour ainsi dire cette intimité que nous avons avec les satellites qui tournent autour de la Terre. On mesure dautant plus le retentissement que peut avoir sur la longue durée un choix stratégique comme celui que nous célébrons ce soir.
En 1961, lespace utile qui entoure notre planète semblait vide, immense et inépuisable. Cinquante ans plus tard, il encombré. La rareté se fait sentir sur lorbite géostationnaire, les fréquences nécessaires aux communications se disputent âprement. Il y a au fond une sorte de paradoxe qui veut que ce qui apparaissait infini montre sa finitude, après seulement quelques décennies.
En 1961, le contexte de la Guerre Froide et des fiertés nationales y compris du point de vue de la France dictait pour une large part les orientations de la politique spatiale. Les Etats-Unis et lUnion Soviétique cherchaient tour à tour à se rattraper et à se dépasser. Lobjectif cétait de conquérir des records, des trophées, dêtre les premiers à réaliser une prouesse ou à planter son drapeau. On sentait bien dailleurs quil y avait dans cette compétition quelque chose qui dépassait le cadre dun affrontement militaire classique, quelque chose qui était plus haut, plus noble, quelque chose qui était une aventure de lHumanité dont les deux camps pouvaient se sentir ensemble les acteurs.
Cinquante ans après la création du Cnes, cet aspect-là est devenu toujours plus prépondérant. La donne nest plus celle de la Guerre Froide. Cest celle de la mondialisation. Et lespace a contribué à dessiner cette mondialisation, en unifiant la Terre sous lil des satellites, en démultipliant les possibilités de télécommunication, en réduisant lisolement des zones les plus reculées. Du point de vue de la connaissance scientifique de lunivers et de notre planète, les coopérations internationales nont cessé de saccroître. On le voit bien au fil de la chronologie que déroulent les cinquante ans du Cnes.
La France a dailleurs été pionnière à cet égard, en signant en 1966 avec les Soviétiques un traité de coopération très important qui portait notamment sur lexploration scientifique de lespace. Une coopération qui sest poursuivie en 1982 avec le vol de Jean-Loup Chrétien à bord de la station Saliout 7. Une coopération qui na cessé de se poursuivre jusquà nos jours à travers les très nombreuses actions que nous menons en commun avec la Russie dans le secteur spatial.
Et vous me confiez à linstant que vous aviez pleuré au moment du décollage de Soyouz, de Guyane. Je vous avoue que, moi aussi, jai eu une larme à lil ; parce que je trouve que cest un évènement qui dabord marque vraiment quon a tourné la page du XXe siècle : qui aurait pu imaginer il y a quarante ans, Soyouz en Guyane ? Et puis parce que cela me rappelait les difficultés pour nouer le premier accord de coopération commerciale entre la Russie et la France Starscem. En France, javais dû affronter à lépoque, des résistances considérables de gens qui considéraient que nous étions en train de nous allier avec nos adversaires, avec nos concurrents. Et lorsquil a fallu signer laccord à Moscou, nous sommes restés près dune heure dans une situation que je nai jamais heureusement connue depuis, avec le père de Soyouz qui refusait de signer cet accord, en disant que vraiment, on navait pas besoin des Français pour aller dans lespace. Et il a fallu plus dune heure pour le convaincre finalement, dapposer sa signature en bas de cet accord qui aujourdhui, se traduit par cette formidable coopération que nous évoquions tous les deux à linstant.
Pourtant la mondialisation ne signifie en aucune manière la fin des enjeux stratégiques qui entourent la question de laccès à lespace. Disons plutôt quelle leur donne une nouvelle tournure. Au fond, ce quil y a toujours eu de spécifique et grand dans la conquête spatiale et déjà au temps de la guerre froide, cest la conjugaison entre la part des ambitions nationales ou régionales et la part dune épopée qui elle concerne lhumanité tout entière. Et cette conjugaison continue dexister à lère de la mondialisation, avec des points communs et avec des différences par rapport à lépoque précédente. On le voit bien avec limportance que les pays émergents accordent à la définition dune politique spatiale quils considèrent comme un gage de souveraineté, dinfluence et de prestige.
Au moment où ces nouvelles puissances sactivent pour détenir, outre des satellites de télécommunication, des lanceurs et des systèmes de positionnement qui leur soient propres, on ne peut concevoir que lEurope cède du terrain dans ce secteur de lespace. Parce quil a pris une part déterminante, structurante, à lédification de son idéal politique et de sa puissance concrète. Dune certaine manière, on peut dire que lespace a fait lEurope. Lespace a fait lEurope, parce que les nations européennes ont compris très tôt quelles devaient se rassembler pour élever le niveau de leurs ambitions dans un domaine où leurs capacités auraient rapidement trouvé leurs limites si elles étaient restées isolées.
Les développements de laventure spatiale font apparaître dune façon qui est au fond exemplaire la manière dont les ambitions nationales fusionnent avec les ambitions européennes, sans les contredire. Les 50 ans du Cnes retracent une histoire qui est celle dune volonté au départ française, mais qui na cessé de sélargir à léchelle dune dimension européenne dans laquelle notre pays et nos institutions ont constamment joué un rôle directeur.
Le programme spatial défini à lépoque du général de Gaulle a fourni les bases de la réalisation dAriane. La France a mis au service de cette grande réussite les méthodes et la maîtrise duvre quelle avait pu développer de la sorte. Linitiative nationale que représente la création du CNES sest prolongée en droite ligne dans lacte de naissance du lanceur européen en 1973, sous limpulsion de Georges Pomoidou, et dans la création de lAgence spatiale européenne en 1975, à laquelle nous devons tous les grands projets qui ont fait de lEurope un des acteurs mondiaux du spatial.
La France continuera à jouer ce rôle directeur aux côtés de ses partenaires. Le Président de la République lavait affirmé à Kourou en 2008. Il la réaffirmé devant vous il y a quelques jours à Toulouse. Dans le grand programme dinvestissements davenir que nous avons lancé, un demi-milliard deuros est consacré à notre ambition de maintenir lEurope au rang des grandes puissances spatiales, aujourdhui et dans les décennies à venir. La préservation de laccès autonome de lEurope à lespace conditionne celle de son importance économique et politique dans la mondialisation. Et cest la raison pour laquelle nous engageons les moyens nécessaires à la mise au point du lanceur Ariane 6 que nous voulons voir opérationnel en 2025.
Mais il faut que nous soyons lucides. Le modèle économique qui a permis lindépendance de lEurope spatiale est aujourdhui un modèle qui est bousculé par la crise et par la nécessité de maîtriser nos dépenses publiques de façon prolongée.
Dès lors, nous devons réfléchir à une stratégie collective, réunissant les états, lAgence Spatiale Européenne, les constructeurs et les opérateurs de satellites de communication. Nous devons avoir conscience de la communauté dintérêts qui lie tous les acteurs de lespace. Cest lintérêt de tous de veiller à la pérennité et au développement de lanceurs européens autonomes et performants.
LEurope traverse actuellement lune des phases les plus difficiles de son Histoire. Je crois que nous devons avoir dautant plus conscience de tout ce quelle nous a apporté et de la grandeur quelle incarne. Et laventure spatiale en est lun des plus beaux exemples. Toutes les nations européennes doivent aujourdhui faire des efforts courageux pour établir de manière solidaire leur souveraineté financière. Mais cela ne veut certainement pas dire que nous devons cesser dinvestir pour notre avenir et en particulier dans un domaine aussi crucial que celui de lespace. Parce que lenjeu de cette crise cest de rétablir lambition européenne. Ce nest pas le moment de la renier.
Voilà les réflexions que minspire cet anniversaire du Cnes nous encouragent aussi à vouloir écrire une histoire qui est lune des plus belles qui soit. Vous avez tous ici pris part à cette aventure. Beaucoup dentre vous y prennent toujours part à lheure actuelle. Je veux vous dire que vous pouvez être fiers de ce que vous avez accompli. Vous pouvez être fiers de votre mission, vous pouvez être fiers de votre vocation, parce quelles associent au service exigeant de la France, cette part de rêve et didéal qui grandit les hommes lorsquils lèvent les yeux vers les étoiles.
Vous incarnez les talents et les idéaux de notre pays et de lEurope et je voulais solennellement, au nom du Gouvernement, et donc au nom de notre pays tout entier, vous en rendre hommage.
Source http://www.gouvernement.fr, le 1er décembre 2011