Intervention de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, sur le rôle de la Conférence ministérielle de la francophonie dans le contexte international en mouvement ("Printemps arabe", Côte d'Ivoire, Guinée...) dans la construction d'une nouvelle gouvernance mondiale, Paris le 2 décembre 2011.

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Circonstance : Conférence ministérielle de la francophonie, à Paris les 1er et 2 décembre 2011

Texte intégral

Madame la Présidente,
Monsieur le Secrétaire général,
Messieurs, Mesdames les Ministres,
En raison du Conseil Affaires étrangères qui s’est tenu hier à Bruxelles, je n’ai malheureusement pas pu assister à l’ouverture de vos travaux. C’est donc un grand plaisir pour moi de vous rejoindre ce matin.
Deux mois après la réunion de concertation que vous aviez organisée à New York en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, Madame la Présidente, cette conférence ministérielle est l’occasion de faire un nouveau point d’étape sur les engagements du Sommet de Montreux d’octobre 2010. C’est aussi l’occasion de nous projeter vers l’avenir, et notamment vers le prochain Sommet qui se tiendra à Kinshasa en octobre 2012. Ma conviction, c’est que l’action que nous menons ensemble est plus indispensable que jamais.
Notre action est indispensable pour encourager les progrès de la démocratie partout sur la planète.
Avec le «Printemps arabe», qui - faut-il le rappeler ? - a débuté dans un pays francophone, un vent d’espoir et de liberté s’est levé en 2011 sur la Rive Sud de la Méditerranée. La Tunisie et le Maroc viennent de connaître des élections réussies et se dotent de nouveaux gouvernements auxquels nous souhaitons bonne chance. En Égypte, les opérations de vote sont en cours et se déroulent dans de bonnes conditions.
Mais nous le savons, le processus de transition sera long et incertain. Nous devons ensemble soutenir cette évolution historique, qui s’accompagne de nombreux défis à relever. Nous devons agir dans un esprit de confiance, mais aussi de vigilance, pour que les aspirations des populations au respect des principes démocratiques et des droits de l’Homme, et de la femme, ne soient pas déçues.
Notre organisation s’est engagée très fortement en ce sens. Il y a 10 jours à Koweït, j’ai accueilli officiellement l’Organisation internationale de la Francophonie au sein du partenariat de Deauville. Je vous remercie, Monsieur le Secrétaire général, d’avoir pris l’initiative de cette adhésion, fidèle à la vocation de la Francophonie de soutenir et d’aider concrètement les pays qui s’engagent sur la voie de réformes économiques et politiques profondes. La Francophonie a toute sa place dans le Partenariat de Deauville. Elle peut y jouer un rôle essentiel grâce aux instruments dont elle dispose, notamment par la voie de ses programmes de coopération en matière d’approfondissement de l’État de droit. Nous avons pu à Koweït franchir un pas significatif en définissant des plans d’action. Je souhaite que nous restions mobilisés et que nous fassions preuve de persévérance. L’action que nous menons est parfois peu visible. Mais c’est une action de fond, qui portera tous ses fruits à moyen et long terme.
Au-delà du Printemps arabe, notre organisation aura encore beaucoup à faire sur le continent africain dans les mois qui viennent.
Je pense notamment à la Côte d’Ivoire et à la Guinée, où nous devons accompagner les autorités dans les processus de reconstruction et de réconciliation.
Je pense aussi à Madagascar, où la signature de la feuille de route et la constitution d’un gouvernement inclusif ont constitué deux étapes majeures vers l’organisation des élections l’année prochaine. Je me réjouis de l’adoption avant-hier par le Conseil permanent de la Francophonie d’une résolution qui ouvre une perspective à l’égard des autorités de la transition. Il est essentiel que Madagascar et son peuple soient assurés de notre soutien dans cette phase délicate. Je remercie l’Organisation internationale de la Francophonie pour les actions qu’elle met en place dans ce pays afin d’accompagner le processus électoral. Nous avons décidé de verser une contribution exceptionnelle de 300 000 euros pour vous aider dans cette tâche.
En République démocratique du Congo, la France est vivement préoccupée par les incidents et les nombreuses irrégularités qui ont émaillé le scrutin au début de cette semaine. Les missions d’observation électorale internationale ont commencé à rendre leurs conclusions et nous attendons les résultats provisoires des élections pour le début de la semaine prochaine. Quels que soient ces résultats, tout devra être mis en œuvre pour éviter les violences et assurer la sécurité de la population. C’est la responsabilité première des autorités et des forces de l’ordre congolaises. C’est également celle de l’ensemble des responsables politiques. La communauté internationale doit rester vigilante. À cet égard, l’Organisation internationale de la Francophonie a une responsabilité particulière, notamment dans la perspective du prochain Sommet des chefs d’État, en octobre 2012, à Kinshasa.
L’action que nous menons est également indispensable pour contribuer à la construction d’une gouvernance mondiale plus juste et plus efficace. Dans le cadre de la Présidence du G8 et du G20, la France a pris toute sa part à cet effort cours de l’année écoulée.
J’ai eu l’occasion de le dire à plusieurs d’entre vous à New York en septembre dernier : dans un monde en plein bouleversement, la Francophonie ne doit pas se tenir à l’écart de la réflexion sur l’évolution de la gouvernance mondiale. Bien au contraire. Nous sommes riches de nos diversités. Nous transcendons les groupements et les organisations. Mobilisons-nous ensemble. Soyons force de proposition pour nourrir les débats. Agissons concrètement en faveur d’une gouvernance mondiale renouvelée.
Je pense en particulier à la gouvernance de l’environnement, aujourd’hui fragmentée, insuffisante, peu efficace. Jusqu’au 9 décembre se tient la Conférence de Durban. Dans quelques mois se tiendra la conférence de «Rio + 20». Pourquoi ne déciderions-nous pas de promouvoir ensemble la création d’une organisation mondiale de l’environnement, basée à Nairobi, capable d’agir au bénéfice des pays en développement ? Voilà une ambition politique que nous pourrions porter dans les prochains mois. Cela nous permettrait de jouer un rôle pilote et de contribuer pleinement au succès de «Rio+20».
Enfin, notre action est bien évidemment indispensable pour promouvoir la langue française dans le monde. Promouvoir la langue française, c’est porter nos valeurs et notre vision du monde, c’est défendre la diversité culturelle, c’est encourager le dialogue entre les peuples et les cultures.
Vous connaissez l’engagement de la France dans ce domaine. En octobre dernier, j’ai souhaité l’organisation au ministère des Affaires étrangères et européennes d’États généraux de la promotion de la langue française dans le monde. Cette rencontre a réuni 500 participants, acteurs de l’enseignement et de la diffusion de la langue française, et leurs partenaires locaux, provenant de 95 pays.
Au cours de cette réunion, j’ai proposé cinq grandes priorités à nos efforts en faveur de la langue française :
- D’abord les institutions européennes et multilatérales, d’abord, où se décide l’avenir du monde et où notre langue est l’une des rares langues de travail reconnues à condition que nous en défendions l’usage ;
- Les pays francophones, et notamment les pays d’Afrique et de Méditerranée, où nous devons renforcer notre action et améliorer la qualité de nos enseignements ;
- Les pays non francophones, au premier rang desquels l’Europe et les pays émergents, en particulier nos partenaires au sein du G20 ;
- La vie des affaires aussi, où nous devons faire du français un atout pour les jeunes qui entrent sur le marché du travail ;
- Enfin, Internet et les médias, enfin, où nous devons donner au français la place qui lui revient.
Je voudrais donc saluer l’organisation, en juillet 2012, à Québec, du Forum de la langue française, qui sera tourné en priorité vers la jeunesse et auquel la France apporte toute sa contribution. L’avenir de la langue française, ce sont évidemment les jeunes. Donnons-nous les moyens de les convaincre que le français est une langue universelle, une langue moderne, une langue qui est vivante, une langue d’avenir.
Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 décembre 2011