Extraits de l'entretien de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "Radio France Internationale" le 9 novembre 2011, sur les dossiers internationaux, notamment le nucléaire iranien et la reconnaissance de l'Etat palestinien, européens avec la crise de la zone euro, et son voyage en Afrique du Sud et au Nigeria.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q - L’Agence internationale de l’énergie atomique exprime de sérieuses inquiétudes sur le programme nucléaire iranien. Dans un nouveau rapport très détaillé qui doit être publié aujourd’hui, l’AIEA affirme disposer d’informations selon lesquelles Téhéran aurait bien cherché et pourrait continuer actuellement à se doter de l’arme atomique. Si ces informations se confirment, que faut-il faire ?
R - Vous avez raison de le dire, ce rapport est très détaillé. Il est accablant. Il montre que, dans toutes les technologies qui permettent de fabriquer une arme nucléaire, l’Iran poursuit ses activités, et continue à refuser de dialoguer de façon transparente avec l’Agence internationale de l’énergie atomique.
Cette situation est inacceptable parce que la détention de l’arme nucléaire par l’Iran est d’abord une violation de toutes les résolutions du Conseil de sécurité, du Traité de non prolifération. Nous ne pouvons pas accepter cette situation qui serait une menace d’ailleurs sur la stabilité et la paix de la région et au-delà.
Nous sommes donc décidés à réagir. Nous pensons d’abord que le Conseil des gouverneurs de l’Agence doit condamner explicitement la conduite de l’Iran. Je pense que la saisine du Conseil de sécurité s’impose aussi. En tout cas, la France est prête, avec ceux qui le voudront, à aller un coup plus loin dans des sanctions, qui existent déjà mais qui doivent être renforcées pour faire plier l’Iran.
Q - Le ministre israélien des Affaires étrangères a souhaité des «sanctions paralysantes». Est-ce que cela existe ? Est-ce une option dont vous disposez ?
R - Je ne sais pas si le mot «paralysant» convient, mais il faut des sanctions dures, qui empêchent l’Iran de continuer à se procurer des ressources lui permettant de poursuivre ses activités, je le répète, en violation de toutes les règles internationales.
Q - Le président israélien, Shimon Peres, disait dimanche que la possibilité d’une attaque militaire contre l’Iran était «plus proche qu’une option diplomatique». Que pensez-vous de cette analyse ?
R - J’ai eu l’occasion de dire qu’il nous faut renforcer la pression sur l’Iran, la nature des sanctions actuellement en vigueur qui peuvent être durcies pour éviter ce qu’aurait d’irréparable une intervention militaire.
Q - Le site Internet «arrêt sur images» a révélé hier que Nicolas Sarkozy, à l’occasion du G20, dans une conversation en principe privée avec Barack Obama, avait dit, en parlant du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu, la phrase suivante : «Je ne peux plus le voir, c’est un menteur». Ce à quoi Barack Obama a répondu : «Tu en as marre de lui, mais moi je dois travailler avec lui tous les jours». Est-ce que le Premier ministre israélien, à votre connaissance, est un menteur ?
R - Je n’ai pas de commentaire à faire sur cette opération de piratage sur les ondes.
Q - Oui ! Cela dit, les propos semblent avoir été confirmés pas de nombreux journalistes. C’est un interlocuteur difficile le Premier ministre israélien ?
R - Il défend sa vision des choses, qui n’est pas la nôtre aujourd’hui, parce que nous sommes dans l’impasse. Les négociations ne reprennent pas, les propositions du Quartet ne sont pas suivies d’effet. Et la seule alternative à ce blocage, c’est la proposition faite par la France de saisir l’Assemblée générale des Nations unies pour permettre à l’Autorité palestinienne de franchir un pas dans la voie de la reconnaissance de son statut d’État.
Q - Alors, justement, le Conseil de sécurité de l’ONU n’a pas réussi à se mettre d’accord sur la demande d’admission des Palestiniens. L’État de Palestine ne sera donc sans doute pas reconnu comme un État à part entière. Quelle est votre réaction ce matin ?
R - Nous avons toujours dit aux Palestiniens que la saisine du Conseil de sécurité conduisait à l’impasse. On sait très bien que soit il n’y aura pas de majorité pour adopter une telle résolution, soit les États-Unis ont annoncé qu’ils opposeraient leur veto. Il n’y a donc rien à attendre de ce processus.
En revanche, nous pensons qu’une résolution équilibrée à l’Assemblée générale permettant, comme je l’ai dit, de franchir une première étape - la reconnaissance d’un État non membre des Nations unies mais observateur - permettrait de progresser. C’est d’ailleurs dans cet esprit que nous avons voté à l’UNESCO l’entrée de la Palestine, car je ne vois pas comment la France aurait pu refuser la présence de l’Autorité palestinienne dans une organisation dont le but est l’éducation, la culture et la science au service de la paix.
Q - Le Premier ministre italien Silvio Berlusconi va démissionner dans quelques jours, dès que le Parlement italien aura adopté les mesures d’austérité qui ont été promises à l’Union européenne. Est-ce que l’annonce de son départ est une bonne nouvelle pour l’Europe ?
R - Je n’ai pas de jugement à porter. C’est aux Italiens de décider qui doit être le président de leur Conseil des ministres. Ce que je sais, en revanche, c’est que lorsque l’on est membre de la zone euro, cela entraîne des droits, cela permet de disposer d’une monnaie forte - je voudrais le signaler et le rappeler -, mais cela comporte aussi des devoirs, notamment le devoir de mettre en œuvre les réformes qui sont absolument nécessaires.
Ce qui m’importe, c’est de savoir si oui ou non l’Italie va pouvoir mettre en œuvre le plan de réformes qu’elle a fait approuver par le Conseil européen. Elle a accepté à Cannes, vous le savez, de se placer sous la surveillance, à la fois de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international ; le respect de ce plan c’est ce que nous attendons de tout gouvernement italien.
Q - Si les évènements se précipitaient en Italie, si la crise s’aggravait, est-ce que l’Union européenne aurait les moyens de mettre en place un plan d’aide pour un pays de cette importance ?
R - Nous sommes en train de construire ce qu’on appelle maintenant dans le langage financier un pare-feu. Les ministres des Finances de la zone euro en ont discuté hier et avant-hier à Bruxelles. Nous nous donnerons les moyens de faire face à toute nouvelle turbulence. Pour nous, l’objectif est très clair : il n’est pas question d’abandonner ni la zone euro, ni l’euro, qui est pour nous un facteur de progrès et de stabilité dans un monde qui en manque beaucoup.
Q - Et une zone euro plus restreinte, avec moins de pays membres, ce ne serait pas aujourd’hui plus fort et plus efficace ?
R - Je pense que par solidarité, et aussi pour éviter tout effet de contagion, il faut continuer à rester à dix-sept dans la zone euro. J’espère que le nouveau gouvernement grec, le Parlement grec, valideront très rapidement, là aussi, les engagements de la Grèce pour que nous puissions stabiliser la situation.
Q - Vous partez ce soir pour un voyage de deux jours, d’abord en Afrique du Sud, puis au Nigeria. Ce sont les deux grandes puissances du continent africain qui, toutes les deux d’ailleurs, revendiquent un siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. Sachant qu’ils ne pourront pas en avoir un tous les deux, qui la France soutient-elle le plus ?
R - La France soutient la réforme du Conseil de sécurité qui n’est plus aujourd’hui à l’image du monde contemporain. Il n’est pas acceptable qu’un continent comme le continent africain, qui va compter deux milliards d’êtres humains en 2050, dont la croissance dans certains pays est tout à fait brillante, ne dispose pas de siège de membre permanent au Conseil de sécurité.
Q - Cela ne peut pas être un siège continental, ce sera le siège d’un pays ?
R - Il faudra que les pays africains puissent se mettre d’accord entre eux. Ce n’est pas à nous d’arbitrer entre les deux. Le Nigeria, comme l’Afrique du Sud, sont de grands pays ; tous deux siègent aujourd’hui en tant que membre non permanent au Conseil de sécurité. Le Nigeria a été invité au G8 à Deauville et l’Afrique du Sud était présente à Cannes au G20. Le président Zuma s’est exprimé à plusieurs reprises avec beaucoup de force. Ce sont donc pour nous des partenaires tout à fait essentiels et c’est la signification du voyage que je vais faire dans les trois prochains jours.
Q - Le président sud-africain Jacob Zuma, que vous allez rencontrer demain soir, a soutenu l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo et le colonel Kadhafi jusqu’au bout. N’est-ce pas un problème pour vous ?
R - Nous avons eu des divergences. Je n’ai pas le souvenir que le président Zuma ait soutenu Gbagbo jusqu’au bout.
Q - Il l’a soutenu jusqu’où il pouvait le soutenir, c’est à dire assez loin…
R - J’ai même le souvenir d’un entretien avec le président Nicolas Sarkozy où les choses avaient beaucoup évolué dans la bonne direction. Il est vrai que, sur la Libye, nous avons eu des divergences d’appréciation, mais nous en parlons. Ce qui est important, c’est de maintenir le dialogue. Pour nous, l’Afrique du Sud est bien évidemment un partenaire stratégique en Afrique et au-delà.
Q - Vous vous attendez malgré tout à un climat chaleureux avec le président sud-africain ?
R - J’y vais dans un état d’esprit très chaleureux et, pour connaître le président Zuma que j’ai déjà rencontré à plusieurs reprises, je ne doute pas que nous aurons un dialogue constructif.
Q - Le Nigeria est confronté à de graves problèmes de terrorisme islamiste. Vous allez évoquer cette question avec votre homologue nigérian et avec le président Goodluck Jonathan. Que peut proposer la France au Nigeria dans ce domaine ?
R - La France peut proposer bien sûr sa solidarité au Nigeria. La secte Boko Haram, dans le nord du Nigeria, perpétue des attentats sanglants ; 150 morts encore récemment. Nous avons condamné ces attentats et nous sommes prêts à coopérer, notamment en matière de renseignement. Je me rendrai d’ailleurs symboliquement dans la ville de Kano, au nord du Nigeria, pour bien montrer la solidarité de la France.
(…)source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 novembre 2011