Extraits de l'entretien de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "RMC" le 17 novembre 2011, sur la répression en Syrie et l'action de la France à l'ONU, les raids israéliens à Gaza, l'intervention en Afghanistan et l'audiovisuel extérieur de la France.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

Q - Parlons de la Syrie. Vous avez rappelé notre ambassadeur, là-bas, en Syrie. Que dites-vous ce matin au pouvoir syrien ?
R - Ca suffit ! La répression brutale, sauvage, qui est exercée depuis des mois et des mois ne peut plus continuer. Il y a eu plus de 3.500 morts. 20.000 prisonniers ; la torture est pratiquée, y compris sur des jeunes, voire sur des adolescents.
Cela ne peut plus durer ; nous le disons depuis longtemps. Nous avons demandé d’abord au régime syrien de faire des réformes ; nous n’avons jamais été entendus et, ce qui est important - c’est un véritable tournant dans la situation en Syrie -, c’est que les pays voisins ont pris conscience qu’on ne pouvait plus faire confiance à Bachar el-Assad. La Ligue arabe s’est prononcée en suspendant la Syrie de son organisation. Hier encore, à Rabat, on a donné trois jours à Bachar el-Assad pour appliquer le programme qu’il avait accepté, sinon des sanctions seront prises par la Ligue arabe. Je crois que ce tournant est très important. La Turquie a aussi considérablement durci…
Q - …oui, vous partez en Turquie d’ailleurs tout à l’heure pour parler de cela…
R - …exactement.
Q - …évidement, avec le Premier ministre turc, entre autres.
R - Exactement. Cette pression des pays de la région est extrêmement importante et je pense qu’elle est de nature à faire bouger le régime.
Q - Allez-vous reconnaître officiellement le Conseil national syrien ?
R - Il faut qu’il s’organise d’abord. Pour l’instant, c’est une institution qui n’en est pas vraiment une.
Q - C’est trop tôt ?
R - On nous a reproché de reconnaître le Conseil national de transition en Libye un peu trop tôt. On a des contacts avec le Conseil national syrien. J’ai rencontré, à Paris, M. Ghalioune qui est le président, entre guillemets, de ce Conseil national syrien. En tout cas, nous les aidons, nous avons des contacts avec eux, et nous les encourageons à s’organiser.
Q - Est-ce qu’une intervention internationale militaire est possible aujourd’hui en Syrie ?
R - Je ne crois pas. Je sais qu’on nous le reproche parfois ; on nous a dit : «pourquoi ne faites-vous pas en Syrie ce que vous avez fait en Libye ?»…
Q - Ce que vous avez fait en Libye.
R - La situation est différente, l’environnement international est différent ; et puis, surtout, il est hors de question de s’engager dans une intervention militaire sans mandat des Nations unies. Nous respectons le droit international. Et on n’aura pas ce mandat car la Russie continue à s’y opposer. En revanche, nous allons…
Q - …vous préparez un projet de résolution à l’ONU.
R - Oui, vous avez raison, mais à l’Assemblée générale.
Q - Que contient ce projet de résolution ?
R - Eh bien, c’est un projet de résolution qui demande l’arrêt de la répression et un processus de réformes. L’Assemblée générale ne peut pas décider de sanctions, mais je crois que si elle est adoptée à une large majorité, cette résolution aura un poids politique considérable vis-à-vis du régime.
(…)
Q - Parlons de ce qui s’est passé à Gaza avec le Consul de France qui a été blessé, ainsi que sa femme et sa fille. Les observateurs trouvent que la France a tardé un petit peu à réagir…
R - Non. Nous avons réagi immédiatement auprès du gouvernement israélien.
Q - Ce sont des raids israéliens qui ont blessé le Consul et sa famille.
R - Absolument, ce sont les raids israéliens. Nous avons exprimé notre condamnation et nous avons demandé que la protection de nos représentants à Gaza soit respectée. Vous savez que la France est présente à Gaza et qu’elle procure aux Palestiniens une aide humanitaire et culturelle. Nous tenons à ce que nos représentants soient respectés à Gaza et nous l’avons dit aux autorités de Jérusalem.
Q - L’Afghanistan. Combien de morts inutiles encore en Afghanistan ?
R - «Inutiles», est-ce que c’est vraiment inutile ?
Q - Oui, est-ce que c’est inutile ?
R - D’abord, je voudrais saluer le courage et le professionnalisme de nos soldats. Ils assument la mission que leur a donnée le chef de l’État, et le gouvernement. Et je pense que le devoir de la Nation, c’est de les soutenir. Je ne pense pas que ce qu’ils font soit inutile, parce qu’ils défendent un certain nombre de valeurs qui sont les nôtres, ainsi que nos intérêts. Nous n’avons pas intérêt à ce que l’Afghanistan devienne ou redevienne un nid de terroristes ; c’est cela qui est en jeu en Afghanistan. Nous avons donc une stratégie très cohérente en Afghanistan. Nous avons annoncé que peu à peu nous allons nous retirer en passant le flambeau à l’armée afghane. Nous avons déjà retiré 400 hommes, il y a quelques semaines. Nous allons continuer dans certaines régions d’Afghanistan.
Q - Et pourquoi ne pas accélérer ce retrait ?
R - Parce que ce serait un signe de panique, et je crois qu’il faut garder son sang-froid.
Q - D’autres pays l’ont fait.
R - D’autres pays l’ont fait, mais selon un plan que nous avons adopté. L’objectif c’est de retirer la totalité du dispositif en 2014 ; c’est ce que nous ferons au moment où l’armée afghane sera véritablement prête. Si nous le faisons de façon précipitée, à un moment où les Afghans n’ont pas encore la capacité de prendre le relais, nous risquons de provoquer le chaos.
Q - Pensez-vous que tous les insurgés en Afghanistan sont des terroristes ?
R - Je ne sais pas répondre à cette question. Je sais qu’il y a des terroristes parmi eux en tout cas.
(…)
Q - Qu’est-ce qui vous inquiète aujourd’hui ? L’écart de taux d’emprunt entre la France et l’Allemagne, par exemple, qui se creuse ?
R - Ils se sont creusés, c’est un mauvais signe. Il faut donc réagir et c’est la raison pour laquelle le gouvernement, à deux reprises, a pris des mesures pour stopper…
Q - Il y a urgence là ?
R - Bien sûr qu’il y a urgence. Il y a urgence française, mais il y a urgence européenne. La France a fait ce qu’elle devait faire ; nous avons très clairement indiqué que nous prendrions toutes les mesures pour ne pas déraper. Nous avons un objectif - ce sont des chiffres qui ne disent pas grand chose à l’imagination mais qui sont importants - 3% de la richesse nationale en 2013 et 0% en 2016. Sur le plan européen, il y a aujourd’hui un risque grave et c’est la raison pour laquelle il faut que nous arrivions à construire ce qu’on appelle maintenant un pare-feu, ou un mur de protection, pour éviter la contagion ; nous y travaillons d’arrache-pied avec l’Allemagne.
(…).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 novembre 2011