Interview de M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants, à France Inter le 16 janvier 2012, sur la perte du triple A de la France, l'élection présidentielle et la politique économique à mener.

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Média : France Inter

Texte intégral

PATRICK COHEN La perte du triple A pour la France à moins de cent jours du premier tour, c’est un tournant de la campagne ?
 
GERARD LONGUET Ce n’est pas une bonne nouvelle mais c’est un approfondissement de cette campagne. La France a un exercice de vérité sur elle-même. La campagne électorale, c’est regarder ce que nous sommes, ce que nous pouvons, ce que nous avons fait et peut-être aussi les chances que nous avons gâchées depuis trente ans. Je dis bien depuis trente ans.
 
PATRICK COHEN Mais pourquoi depuis trente ans ? Parce que ça englobe les législatures socialistes ?
 
GERARD LONGUET Non. C’est parce que c’est la dernière date du dernier budget en équilibre. Je crois que c’était en 74 ou en 75. Et peut-être aussi parce que la comparaison de notre productivité qui se traduit par le déficit du commerce extérieur est un rappel à l’ordre extrêmement fort. Voilà. Donc nous avons une épreuve de vérité française.
 
PATRICK COHEN Enfin, c’est quand même sur ces cinq dernières années que l’endettement s’est accru de 600 milliards d’euros.
 
GERARD LONGUET L’endettement s’est accru de 600 milliards d’euros ces cinq dernières années parce qu’il y a eu un effort de résister à la crise en tablant sur une croissance plus forte. Aujourd'hui la crise financière ne permet pas cette croissance et donc toute la question est de savoir au fond comment vont réagir les marchés qui avaient en partie anticipé cette situation et vont-ils sur-réagir ? Je crois que le premier devoir, c’est un devoir de sang-froid. Sur trois agences, deux nous conservent le triple A ; les marchés ont anticipé – je le pense profondément – cette évolution. Si l’État n’est pas confronté à un renchérissement de sa dette, nous sommes en mesure d’apporter des réponses à condition naturellement – et je reviens sur l’essentiel – de nous poser la double question : trop de dette, donc trop de dépenses publiques ; et d’autre part pas assez de productivité ; ça se traduit par un déficit du commerce extérieur.
 
PATRICK COHEN On va revenir dans un instant sur les réponses mais je voudrais qu’on reste quelques instants encore, Gérard LONGUET, sur le constat politique. Je vous parlais de tournant tout à l'heure parce que Nicolas SARKOZY va rester comme le président qui a perdu le triple A après avoir proclamé qu’il en était le gardien. Quand vous parlez d’un devoir de vérité, il y aurait de quoi faire une forme de mea culpa même si vous faites porter la responsabilité aussi aux socialistes qui ont géré il y a plus de dix ans.
 
GERARD LONGUET Le devoir de vérité s’impose à tous et tout le temps. Ce qui est formidable dans cette campagne présidentielle, c’est que nous sommes obligés de nous mesurer pour ce que nous sommes, nous Français, avec de formidables atouts et de vraies faiblesses. C’est une campagne qui est placée sous le jugement – ça peut paraître surprenant, en effet – d’un regard extérieur. D’habitude, la campagne présidentielle c’est une affaire franco-française ; aujourd'hui, c’est le jugement que le monde porte (et l’Europe), porte sur la France qui nous rappelle à l’ordre et d’une certaine façon, je trouve que la démarche de Nicolas SARKOZY, qui est une démarche d’acceptation de l’Europe, d’ouverture sur l’Europe, d’acceptation de la réforme, de devoir de réforme, le met dans une position de réactivité forte, là où nous avons au fond deux types de concurrents : ceux qui récusent l’ouverture. Ils sont minoritaires mais ça représente, additionné de MÉLENCHON à LE PEN, des voix ; et d’autre part, une forme d’ignorance de la pression de l’actualité, ce qu’exprime François HOLLANDE. François HOLLANDE connaît l’Europe, je ne lui fais pas le procès d’être fermé sur lui-même. En revanche il se tait et ce silence devient extraordinairement préoccupant. Parce que son silence est au fond l’aveu que son programme est décalé.
 
PATRICK COHEN Eh bien attendez dimanche, dimanche prochain.
 
GERARD LONGUET Attendons, vous avez tout à fait raison : attendons.
 
PATRICK COHEN Enfin sur le PS…
 
ERARD LONGUET Mais on attend beaucoup depuis… On attend, on attend. En attendant Hollande, pour paraphraser la pièce de BECKETT.
 
PATRICK COHEN Enfin admettez, Gérard LONGUET, c’est plus compliqué aujourd'hui de prétendre qu’avec le programme du PS le pays est menacé de faillite.
 
GERARD LONGUET Il n’est… Non, mais je veux dire le programme du Parti socialiste, c’est de la dépense publique. Ça a toujours été de la dépense publique et si on rajoute 97-2002, c’est de la perte de productivité. Pour l’avoir vécu en Franco-allemand, je puis vous dire que les années 97-2002 ont plombé notre productivité relative et en 2002 nous avions encore un petit excédent commercial de 3 milliards : aujourd'hui nous avons 70 milliards de déficit là où les Allemands ont 140 milliards d’excédent.
 
PATRICK COHEN L’investissement dans l’éducation, dans la recherche, c’est aussi ce que propose François HOLLANDE et c’est ce que recommandent les agences de notation.
 
GERARD LONGUET Non mais ça c’est très bien. L’investissement dans l’éducation, dans la recherche, dans le développement durable, dans les infrastructures, dans la qualité de la vie, c’est formidable l’investissement, à une seule condition : c’est de pouvoir le financer. Et pour financer de l’investissement, il faut dégager de la marge et ne pas payer des dettes de fonctionnement. Or, de quoi parlons-nous ? Nous parlons de dettes de fonctionnement et ce que nous propose François HOLLANDE, c’est d’accentuer ces dettes de fonctionnement à court terme. Quand on s’endette pour investir, okay. On s’endette pour le TGV, parfait. On s’endette pour un programme industriel, excellent. Mais quand on s’endette pour le déficit de la sécurité sociale, le déficit du chômage ou pour la dépense publique de fonctionnement parce qu’on a embauché trop de fonctionnaires à une certaine période de notre vie, eh bien cela paralyse l’avenir même du pays.
 
PATRICK COHEN Bon. Ça c’est pour François HOLLANDE que vous venez de comparer au capitaine du Costa Concordia qui s’est vautré sur les cotes italiennes.
 
GERARD LONGUET Non ! Non, non ! Je ne l’ai pas comparé… Non, ça ce serait un procès d’intention. Je dis simplement qu’il faut être extraordinairement prudent…
 
PATRICK COHEN Eh bien attendez ! Il y a des capitaines qui frôlent trop les cotes et qui conduisent leurs bateaux sur les récifs et : « Je trouve que François HOLLANDE côtoie et tutoie les déficits publics avec beaucoup de complaisance. »
 
GERARD LONGUET Il ne faut pas… Il côtoie les déficits publics jusqu’à présent.
 
PATRICK COHEN Sauf que l’homme qui est à la barre aujourd'hui, c’est Nicolas SARKOZY et pas François HOLLANDE.
 
GERARD LONGUET Oui. Bon. La formule n’était peut-être pas la meilleure : il côtoie les déficits.
 
PATRICK COHEN Bon ! Donc vous revenez sur la formule que vous avez tenue sur une autre antenne il y a quelques minutes.
 
GERARD LONGUET Non, parce qu’il y a la gravité de l’accident, je le concède. Il y a la gravité de l’accident mais annoncer tranquillement que 60 000 emplois supplémentaires dans l’enseignement, ça ne crée pas – ça peut se faire par redéploiement, c’est une plaisanterie.
 
PATRICK COHEN Alors, compétitivité disiez-vous dans la période 97-2002, même si vous n’avez pas cité la mesure je pense que vous faisiez allusion aux 35 heures.
 
GERARD LONGUET Je faisais allusion aux 35 heures, mais absolument. Et c’est globalement la durée du travail parce que…
 
PATRICK COHEN Alors le temps de travail, 35 heures, et même cinquième semaine de congés payés puisque Luc CHATEL, votre collègue, y a fait allusion ce week-end ; est-ce que ça fait partie de vos réflexions aujourd'hui, à deux jours d’un sommet social ?
 
GERARD LONGUET Si vous voulez, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le pays qui a des excédents travaille chaque année en moyenne par salarié 225 heures de plus que nous par an.
 
PATRICK COHEN Pour les temps pleins.
 
GERARD LONGUET Pour les temps pleins, absolument. Ce qui veut dire d’ailleurs qu’il faut différentes formules de travail. Moi je ne suis pas pour le… Je pense que c’est dans le débat professionnel, dans le débat par branche, dans le débat dans l’entreprise que l’on s’adapte et que l’on s’organise. Il y a des métiers qui exigent plus de présence, d’autres métiers dont la mécanisation permet un certain allègement : c’est dans le débat par branche que l’on peut trouver des solutions. Aujourd'hui, dans le sommet du 18 janvier qui vient…
 
PATRICK COHEN Mercredi.
 
GERARD LONGUET Mercredi, moi ce que j’attends personnellement, ce sont les analyses et les diagnostics des partenaires sociaux, des syndicats et du patronat. Ils ont les mêmes informations que nous, ils connaissent l’entreprise, ils connaissent l’économie, ils savent quelle est la situation de notre pays. On ne peut pas se mentir : ont-ils des choses à dire à cet instant qui puissent faire bouger la France dans une bonne direction autrement que dire faire payer les riches ?
 
PATRICK COHEN Non, mais ils n’iront sûrement pas dans le sens des pistes qu’évoque l’UMP depuis plusieurs semaines, c'est-à-dire TVA sociale ou temps de travail/
 
GERARD LONGUET En tous les cas, alors sur la TVA sociale, ce n’est absolument pas – le problème du coût du travail est directement posé. La TVA sociale est une chance qui est d’alléger le coût du travail et donc de redonner plus d’espérance d’emploi à plus de salariés. Ce n’est pas immédiatement évidemment une amélioration du pouvoir d’achat pour chacun, ce n’était pas à l’ordre du jour. C’est une amélioration du pouvoir d’achat collectif puisqu’il y aurait plus de Français au travail dans la mesure où le travail français se vendrait mieux parce qu’il serait simplement un peu plus productif.
 
PATRICK COHEN Sur le temps de travail, j’y reviens pardon. Ça fait partie de vos réflexions ?
 
GERARD LONGUET Ah oui, totalement. Mais totalement, le temps de travail global c'est-à-dire la capacité des Français à produire de la richesse depuis le départ, c'est-à-dire lorsqu’ils commencent à travailler jusqu’au moment où ils arrêtent en passant par la durée hebdomadaire.
 
PATRICK COHEN Faut-il modifier la durée légale du travail ?
 
GERARD LONGUET Le débat est il est absolument indispensable d’avoir un débat d’adaptation de la durée du travail par branche et par entreprise. Toutes les entreprises qui l’ont fait, il y a eu des expériences en France, il y a eu des votes de salariés. Lorsqu’il y a engagement d’emploi, lorsqu’il y a engagement d’investissement de la part de l’entreprise, les salariés acceptent de s’adapter pour donner plus de chance à l’entreprise.
 
Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 16 janvier 2012