Déclaration de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, sur le poids de la coopération au développement dans la politique étrangère de la France et les priorités pour 2012 de l'Agence française de développement, Paris le 10 janvier 2012.

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Intervenant(s) : 
  • Alain Juppé - Ministre des affaires étrangères et européennes

Circonstance : Journées du réseau de l'Agence française de développement les 9 et 10 janvier 2012 : intervention d'Alain Juppé le 10

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Directeur général,
Mesdames, Messieurs les Directeurs,
Mesdames, Messieurs,

Je suis très heureux de me trouver parmi vous aujourd’hui pour ouvrir votre journée de travail.
Cette rencontre est d’abord pour moi l’occasion de vous présenter, à vous ainsi qu’à tous ceux qui vous sont chers, mes voeux les meilleurs pour cette année qui commence.
C’est également pour moi l’occasion de réaffirmer mon attachement à la politique de coopération au développement de la France.
Comme l’ensemble des Français, j’accorde une très grande importance au principe de solidarité internationale. Avec l’aide d’Henri de Raincourt, dont vous connaissez l’engagement, la France y consacre des moyens considérables. À titre d’exemple, en 2011, l’Agence française de développement a engagé 7 milliards d’euros en aide publique au développement. C’est un effort significatif, qui nous place au 2e rang du G8.
Mais je suis également convaincu qu’aujourd’hui, la coopération au développement ne peut plus être seulement une politique «à part» au sein de nos politiques publiques. Elle est au coeur des enjeux économiques, sociaux et environnementaux contemporains. Elle est également au coeur des réponses politiques que nous devons apporter aux crises et aux bouleversements du monde. Elle doit donc être au coeur de notre politique étrangère.

C’est le message que nous avons porté dans le cadre du G20 développement. Ce combat n’était pas gagné d’avance. Nous l’avons mené avec quatre convictions.

La première, c’est qu’investir dans le développement, c’est agir en faveur de la croissance mondiale future. N’oublions pas que les pays pauvres d’aujourd’hui - je pense en particulier à l’Afrique - seront les moteurs de la croissance de demain. C’est dans cet esprit qu’au Sommet du G20, à Cannes, nous avons adopté des mesures ambitieuses pour relever les défis alimentaires de court et de long terme. Nous avons en particulier obtenu le lancement d’un projet-pilote de réserves alimentaires humanitaires d’urgence pour venir en aide à la Corne de l’Afrique. Dans le domaine des infrastructures, les pays du G20 ont également validé un plan d’action sur les instruments de financement, qui doit permettre d’attirer les investisseurs publics et privés et assurer plus de cohérence et de transparence. Sur les 11 projets emblématiques retenus, 5 se situent en Afrique.

Deuxième conviction : la lutte contre les inégalités et la réduction des grands déséquilibres supposent le développement de socles de protection sociale efficaces. C’est indispensable si nous voulons éviter que les populations les plus vulnérables ne basculent dans la pauvreté absolue et favoriser dans les pays émergents une croissance économique plus largement assise sur la demande domestique. La lutte contre les inégalités et la réduction des grands déséquilibres passent aussi par l’accès à l’emploi. Je l’ai affirmé à plusieurs reprises, notamment lors de mes récentes visites en Libye et en Tunisie : la meilleure garantie du succès des transitions démocratiques, c’est de faciliter l’accès à l’éducation et d’offrir à chaque jeune des perspectives à la hauteur de ses compétences, de ses talents et de ses aspirations.

Troisième conviction : le développement doit reposer sur un modèle de croissance écologiquement soutenable. C’est le message que nous porterons lors de la Conférence de «Rio + 20». Je me félicite de l’attention que porte l’Agence depuis plusieurs années à la question de la lutte contre le réchauffement climatique : c’est là un avantage comparatif qu’il vous faut maintenir et développer.

Quatrième conviction : pour encourager le développement, il est indispensable de mobiliser toutes les sources de financement. Les chefs d’État du G20 ont envisagé plusieurs solutions concrètes, parmi lesquelles l’adoption d’une taxe sur les transactions financières. Plusieurs pays ont exprimé leur intérêt pour un tel mécanisme. La France, qui le soutient dans le cadre de l’Union européenne, entend d’ailleurs le mettre en place dès que possible. Nous devrons très vite nous mettre d’accord sur les priorités auxquelles affecter le bénéfice de cette taxe. Pour notre part, nous souhaitons qu’elle contribue à la lutte contre le réchauffement climatique, à la coopération au développement et au financement de l’Union européenne.
Notre rencontre est enfin pour moi l’occasion de vous rappeler succinctement les priorités de la diplomatie française à l’aube de cette nouvelle année. Vous le savez, 2012 s’annonce comme une année particulièrement exigeante.
Il nous faudra d’abord franchir une nouvelle étape dans le processus d’intégration européenne, pour permettre à l’Europe de répondre à la crise de la dette, mais aussi de peser davantage dans les affaires du monde.
Cela suppose de promouvoir l’adoption des nouveaux traités européens - je pense notamment au traité «à 17 +» sur l’union économique renforcée et au traité établissant le mécanisme européen de stabilité. L’adoption de ces traités est indispensable pour permettre à l’Union européenne de surmonter la crise. Elle est donc également essentielle pour l’avenir du développement, dont le financement repose largement sur la prospérité de notre continent.
Cela suppose aussi de redoubler d’efforts pour mieux coordonner notre action. C’est notamment vrai en matière d’aide au développement. Je note que l’Union européenne reprend en grande partie nos stratégies de différenciation de l’aide. L’expérimentation en matière de programmation conjointe européenne qui a été annoncée dans plusieurs pays sera un test important pour la crédibilité de nos coopérations. L’Agence est en pointe sur ses sujets. Je pense aux accords qu’elle a passés avec la banque européenne d’investissement et avec l’agence allemande de développement sur la reconnaissance mutuelle des procédures permettant de n’avoir qu’un chef de file par projet. C’est une procédure innovante et je vous encourage à persévérer pour mettre en application ces accords.
Il nous faudra aussi poursuivre les efforts engagés pour encourager le développement économique et social du monde arabe, à titre bilatéral, mais aussi multilatéral, dans le cadre de la politique de voisinage de l’Union européenne, de l’Union pour la Méditerranée et du Partenariat de Deauville. Je voudrais rendre un hommage particulier à l’action exemplaire de l’Agence en Tunisie, où elle a su se mobiliser rapidement en réponse aux besoins du gouvernement de transition et où elle s’est affirmée comme un partenaire majeur au sein de la coalition des bailleurs de fonds en faveur de la transition démocratique de ce pays.
En 2012, il nous faudra également encourager les progrès de la démocratie et de l’État de droit sur le continent africain. Qu’il s’agisse de la République du Congo, où la situation est préoccupante, du Sénégal, où les élections présidentielles auront lieu dans deux mois, ou du Soudan et de la Somalie, en proie à de nombreux troubles, notre pays devra faire preuve de la plus grande vigilance.
Il nous faudra agir en faveur de la sécurité et de la stabilité du monde, en redoublant de fermeté sur le dossier iranien, en faisant progresser la politique de sécurité et de défense européenne et en préparant la transition en Afghanistan, avec lequel un traité d’amitié et de coopération sera signé le 27 janvier, à l’occasion de la visite à Paris du président Karzaï.
Enfin, nous devrons être au rendez-vous des grandes échéances des mois à venir, au premier rang desquels la Conférence de «Rio + 20». Je l’ai dit, cette conférence doit être l’occasion pour la France d’appeler la communauté internationale à s’engager en faveur d’un nouveau paradigme de croissance verte et de développement durable. Cela passera notamment par la création de l’Organisation mondiale de l’environnement, que la France et l’Union européenne appellent de leurs voeux. Dans le même esprit, la France accueillera en mars à Marseille le 6e Forum mondial de l’eau, qui a vocation à être «le forum des solutions».

À travers les priorités qui lui ont été fixées par ses tutelles, l’Agence française de développement sera pour nous un atout majeur pour nous aider à atteindre ces objectifs - je voudrais rendre hommage à l’engagement dont le président du Conseil d’administration de l’Agence, M. Pierre-André Périssol, fait preuve en sa faveur et auprès de ses pays partenaires. Ces priorités, vous les connaissez.

La première, c’est l’évidence, c’est l’aide aux pays pauvres. 40% de l’aide engagée par l’Agence en 2011 ont ainsi été consacrés à l’Afrique subsaharienne. Cet effort repose largement sur le soutien aux secteurs sociaux, qui sont souvent les parents pauvres de la coopération.

Deuxième priorité de l’Agence : les pays de la zone méditerranéenne qui, dans le contexte du «printemps arabe», bénéficieront de 20% de l’effort financier de l’État en matière de développement. Notre objectif, c’est de favoriser le succès des transitions démocratiques, et notamment de tenir les engagements pris lors du sommet du G8 à Deauville. Je tiens à saluer le travail accompli en 2011 sous la conduite du directeur général de l’Agence, M. Dov Zerah. Je me félicite également des bonnes relations que l’Agence française de développement entretient avec la Banque africaine de développement, l’Union européenne et la Banque mondiale.

Troisième priorité : les pays émergents, qui bénéficieront de 10% de notre effort financier total. Cet élargissement du champ d’intervention de l’Agence est nécessaire, car ces pays prennent une part croissante dans les affaires du monde, notamment en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Cette coopération est également un point d’entrée essentiel pour la promotion de l’expertise, du savoir-faire et des technologies françaises, et ce pour un coût limité.
Enfin, l’Agence française de développement continuera d’agir dans les pays en sortie de crise : en Haïti, dans les Territoires autonomes palestiniens ou en Afghanistan. Je sais que les interventions dans ces pays s’éloignent de votre métier et de vos savoir-faire traditionnels. Mais vous savez à quel point l’aide publique au développement est essentielle au succès des processus de sortie de crise. Je tiens à remercier tout particulièrement les agents de l’Agence qui servent dans ces pays dans des conditions difficiles.
Pour relever ces défis, l’Agence française de développement dispose aujourd’hui de tous les moyens nécessaires.
Son dispositif institutionnel de pilotage, dont la rénovation avait été engagée avec la création de la direction générale de la Mondialisation, est désormais stabilisé.
Sous l’égide du Conseil d’orientation stratégique, que je préside, l’Agence française de développement et l’État ont préparé ensemble un Contrat d’objectifs et de moyens pour la période 2011-2013. Ce document s’articule naturellement avec le document cadre de coopération, mais aussi avec l’actuel triennum budgétaire - je me réjouis de l’implication des parlementaires sur ces sujets. L’Agence française de développement dispose donc d’une feuille de route claire fixée par l’État, qui sera prochainement complétée par le Plan d’orientation stratégique, qui devrait être achevé rapidement. Elle dispose également des ressources financières et humaines nécessaires pour atteindre les objectifs qui lui sont fixés.

Mesdames, Messieurs,
Avant de conclure, je tiens à rendre hommage à la qualité de votre travail quotidien. Je connais votre engagement au service de la France et du développement de l’Homme. Vous êtes en première ligne pour évaluer les projets, piloter nos initiatives et coordonner les services français sous l’égide de l’ambassadeur de votre pays de résidence. Je sais aussi que les mois passés ne vous ont pas épargnés.
C’est grâce à votre dévouement que nos valeurs de fraternité, de générosité et d’humanité rayonnent sur la scène internationale. C’est grâce à votre professionnalisme que la France peut contribuer à la construction d’un monde plus prospère, plus solidaire et plus juste.

Je vous remercie.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 janvier 2011