Interview de M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, à "LCI" le 16 janvier 2012, sur la dégradation de la note de la France par l'agence Standard & Poor's (perte du triple A), ses conséquences éventuelles dans la campagne présidentielle et les mesures à prendre en matière de politique économique, budgétaire et sociale.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Chaîne Info

Texte intégral

 CHRISTOPHE BARBIER La perte du triple A, vous dites dans votre livre : « Mondialisez-vous », c’est une épée de Damoclès suspendue au-dessus des Etats, l’épée est tombée sur la France vendredi. Qu’est-ce que ça change pour la campagne, est-ce que ça ne ruine pas toute chance pour le président sortant ?
 
PIERRE LELLOUCHE Je ne crois pas. Je crois que cette épée, elle est tombée sur un tas de gens, elle est tombée sur les Etats-Unis, elle est tombée sur le Japon, elle est tombée sur beaucoup de pays en Europe, treize sur dix-sept de la zone euro. Elle montre quoi, elle montre que l’arrivée de deux milliards de personnes sur le marché de la production mondiale a changé la donne mondiale. Nous sommes devenus les anciens riches face au monde émergent. Et notre solution aux émergents, ça a été de nous endetter depuis trente ans, les Américains, les Japonais et les Européens. En Europe, ajoutez une autre crise, c’est la gouvernance de la zone euro, pas de gouvernance économique et des différences entre ceux qui réussissent parce qu’ils se sont réformés, ceux qui ne se sont pas réformés du tout, c’est le Sud de l’Europe qui a basculé dans la dette et dans la crise, et presque dans la faillite, et au milieu, la France, qui doit absolument amplifier ses réformes.
 
CHRISTOPHE BARBIER On n’est plus au milieu, on est décroché des Allemands, on tombe du côté du Sud.
 
PIERRE LELLOUCHE On est décroché un peu, il faut relativiser, c’est pour ça qu’il faut aussi relativiser. Deux agences sur trois conservent le triple A, le AAA, et STANDARD & POOR’S AA+, donc on est juste en dessous, ça veut dire quoi, ça veut dire que, il faut que nous prenions conscience qu’on ne peut plus continuer avec le stock de dettes, avec cette façon de gouverner depuis trente ans, qui consiste à présenter des budgets en déséquilibre. Nous sommes, hélas, Nicolas SARKOZY, on peut critiquer, naturellement la gauche essaie de polémiquer en lui faisant porter, comme s’il était, lui, le patron de toute l’Europe et des treize autres pays qui sont dégradés, c’est absurde, on ne peut pas dire : c’est que la faute de Nicolas SARKOZY, simplement, on ne peut pas continuer à trimbaler des dettes comme ça, si on ne veut pas dépendre des agences de notation, il faut arrêter de s’endetter. Et donc il faut…
 
CHRISTOPHE BARBIER Pourquoi ne pas…
 
PIERRE LELLOUCHE Il faut continuer à réduire, c’est ce que nous avons fait, nous avons… nous sommes le premier gouvernement depuis trente ans, quarante ans, à avoir réduit le nombre de fonctionnaires, donc la charge financière sur l’Etat, nous sommes le premier à avoir pris des réformes structurelles, à revenir sur des cadeaux donnés jadis par François MITTERRAND, mais les retraites, c’était quoi…
 
CHRISTOPHE BARBIER Est-ce qu’il faut aller plus loin, est-ce qu’il faut par exemple remettre en cause la cinquième semaine de congés payés ?
 
PIERRE LELLOUCHE Oui, je pense que, inévitablement, il faudra aller plus loin, dans mon livre, je parle d’amplification, d’amplification de la rupture, le slogan de 2007, je pense qu’il faut aller encore plus loin…
 
CHRISTOPHE BARBIER Concrètement, cinquième semaine de congés payés…
 
PIERRE LELLOUCHE Je ne sais pas…
 
CHRISTOPHE BARBIER Remonter à 37 heures ?
 
PIERRE LELLOUCHE Remonter la durée du travail, ça me semble inévitable, mais inévitable, on ne peut pas être le seul pays au monde à travailler beaucoup moins que nos principaux concurrents, ce n’est pas possible. Pourquoi est-ce que, d’un côté du Rhin, c’est ça la… au fond, la question que pose ce livre, et je dis, il ne suffit pas de s’indigner devant le fait qu’il y a deux milliards de personnes en concurrence avec nous, il y a les nouveaux riches, les anciens riches, on ne peut pas dire : indignez-vous, ou bien, fermons les frontières, ce qui est la formule proposée de l’extrême droite, de Marine LE PEN jusqu’à MONTEBOURG, fermez les frontières…
 
CHRISTOPHE BARBIER Ça monte dans les sondages en tout cas…
 
PIERRE LELLOUCHE Mais oui, mais naturellement, parce que ces gens, ce que j’appelle les charlatans dans le livre, utilisent les peurs, comme ils ont utilisé les peurs dans les années 30, on retrouve le même langage, que, à chaque crise, on voit surgir les mêmes tentations du protectionnisme, du nationalisme, du claque-murage de la France, ce n’est pas la solution. La solution pour les Français, c’est de se réveiller, c’est de comprendre la mondialisation, c’est ce que je m’efforce de faire dans ce livre, pourquoi d’un côté du Rhin, on est à plus 120 milliards d’exportations, au plein emploi et un budget en équilibre, ou quasiment, il y a même un pays en Europe, la Suède, qui est en excédent budgétaire. Pourquoi les uns réussissent dans la mondialisation, et les autres plongent, comme la Grèce, le Portugal ; le Portugal emprunte à plus 13 d’intérêt, ils ont réduit les salaires de 25% dans la Fonction publique. La France doit rester le pivot avec l’Allemagne de l’Europe. Pour ça, elle doit faire le même type de réformes, qui ont été mises en oeuvre en Allemagne depuis dix ans, et qui permettent aujourd’hui à l’Allemagne de s’en sortir. C’est ça la solution, ce n’est pas de se claquemurer…
 
CHRISTOPHE BARBIER Vous dites dans « Mondialisez-vous, vous dites : la France redistribue des revenus d’assistance financés à crédit…
 
PIERRE LELLOUCHE Mais oui.
 
CHRISTOPHE BARBIER Le sommet social du 18, ça doit être ça, on remet à plat les revenus d’assistance ?
 
PIERRE LELLOUCHE Il faut absolument qu’on soit capable de regarder nos revenus d’assistance, et surtout, comment financer notre système de protection sociale – qui est en effet le plus généreux du monde – autrement qu’en punissant nos entreprises, pourquoi est-ce que vous croyez que les gens n’embauchent pas, vous demandez à un artisan menuisier, à qui vous voulez : pourquoi vous n’embauchez pas ? Parce que les charges sont trop élevées. D’où la nécessité, bien sûr, de développer la recherche, c’est ce que nous faisons, l’apprentissage, mais surtout, de baisser les charges sur l’employeur, sinon, les gens ne sont pas employés.
 
CHRISTOPHE BARBIER Alors les charges, eh bien…
 
PIERRE LELLOUCHE Et donc vous accumulez des revenus d’assistance, c’est-à-dire les allocations chômage et autres que, comme nous ne les produisons pas, nous allons les chercher sur les marchés qui aujourd’hui nous disent : eh ben, on n’a plus envie de vous prêter au même prix.
 
CHRISTOPHE BARBIER Alors, plus de marchés, et si on veut baisser les cotisations sociales, ben, ça veut dire qu’il faudra baisser les revenus d’assistance, par exemple, baisser l’allocation chômage, baisser les retraites ?
 
PIERRE LELLOUCHE Je crois que les Français ne pourront pas faire l’économie d’un débat de fond sur ce que la collectivité doit continuer à payer, et qui va payer. Alors, bien sûr, il faut de la justice sociale, mais les idées que j’entends venant de la gauche, si je peux appeler ça des idées, qui sont les vieilles recettes du passé, qui consistent à employer, engager davantage de fonctionnaires dans l’Education, des emplois jeunes, redonner des cadeaux…
 
CHRISTOPHE BARBIER Ça relance la croissance par la consommation…
 
PIERRE LELLOUCHE Mais non, la seule façon de relancer la croissance, je vais vous dire, c’est très simple, c’est l’export, les nouveaux emplois sont dans les nouveaux marchés, comment fait l’Allemagne, elle ancre sa croissance, bien sûr, sur le marché européen, mais de plus en plus sur les marchés émergents. Moi, mon job, qu’est-ce que je vois, là, je reviens du Mexique, l’écart entre nous et les Allemands au Mexique, en Chine, au Brésil, c’est de 1 à 4, les Allemands arrivent à être plus forts que nous, même dans l’agriculture, nous avons perdu le tiers de nos parts de marché là où, théoriquement, nous sommes les meilleurs. Ça veut dire qu’il faut remettre à plat nos filières de production, nos filières d’exportation, c’est la politique industrielle que nous n’avons pas depuis De GAULLE et POMPIDOU, et que ces trois dernières années, avec Nicolas SARKOZY, c’est vrai depuis trois ans, on a commencé à mettre en place les systèmes qui vont faire une politique industrielle pour la France.
 
CHRISTOPHE BARBIER Pourquoi ne pas faire un peu de protectionnisme au niveau européen ?
 
PIERRE LELLOUCHE Mais bien sûr, il en faut, mais je n’appellerais pas ça du protectionnisme, simplement, de la réciprocité, faire aux autres ce qu’ils nous font, quand la Chine interdit par exemple tel produit ou bloque tel produit à l’export, ce qu’ils font, ou le Brésil, il faut que l’Europe soit capable de prendre la décision, mais là, on touche à un autre problème, c’est que l’Europe à vingt-sept, ça ne marche pas. La vérité, c’est celle-là, l’Europe à vingt-sept ne prend pas les décisions politiques à temps, il y a un vrai sujet, je dis dans le livre que l’Europe qui sortira de la crise ne sera pas celle qui y est entrée. Parce que nous avons besoin de processus de décisions qui soient beaucoup plus efficaces.
 
CHRISTOPHE BARBIER Pour l’élection présidentielle, c’est quand même LE PEN, MELENCHON, et un peu BAYROU qui profitent de tout ça.
 
PIERRE LELLOUCHE Inévitablement.
 
CHRISTOPHE BARBIER Ça vous inquiète ?
 
PIERRE LELLOUCHE Mais bien sûr, mais à chaque fois, BAYROU, non, parce que BAYROU est fondamentalement dans notre famille d’idées…
 
CHRISTOPHE BARBIER Il a été le premier à dire tout ça, donc…
 
PIERRE LELLOUCHE Eh bien, le premier, il n’y a pas que lui, moi, je dis cela, je parle de désindustrialisation de la France, la clef de notre pays, c’est de produire chez nous à nouveau. Donc il faut rendre possible la production, pas le claque-murage de la France, pas… le pire service qu’on peut donner aux Français aujourd’hui, c’est d’écouter ces charlatans qui vous expliquent, soit que la solution… soit que c’est la faute des autres, c’est la faute des marchés, c’est la faute des Chinois, c’est la faute… et donc la solution, c’est de fermer le pays, ça, c’est le pire service, soit d’écouter les gens qui vous disent : les recettes du passé sont les meilleures, on va dépenser plus, avec quel argent ? Aujourd’hui, les anciens pays riches doivent se remettre en question, y compris la France, sinon, on ne sortira pas de cette crise, sauf en étant extrêmement appauvri ou alors dans des conflits, parce qu’il y aura des tensions très fortes entre les différents pôles de puissance économique.
 
CHRISTOPHE BARBIER Un mot sur la politique, à Paris, il y a encore une place pour Rachida DATI aux législatives ?
 
PIERRE LELLOUCHE Eh bien écoutez, la Commission d’investiture, elle s’est prononcée, alors, sauf à s’asseoir…
 
CHRISTOPHE BARBIER C’est fini ?
 
PIERRE LELLOUCHE Sauf à s’asseoir sur les procédures de notre mouvement qui ont investi les candidats, je ne vois pas très bien où est la solution dans Paris.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 16 janvier 2012