Déclaration de M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants, sur la politique de défense de la France, à Paris le 27 octobre 2011.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Soirée de débat organisée par la "Revue des deux mondes", à Paris le 27 octobre 2011

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Je voudrais te remercier de m’avoir invité à participer à cette soirée de débat et d’échanges. En prenant place à côté du représentant de la plus grande puissance du nouveau continent, l’ambassadeur Rivkin, je retrouve le sens même de la Revue des deux mondes : l’Europe et les Etats-Unis rassemblés.
La défense de la France et, à travers elle, son engagement que tu as bien voulu rappeler, est une très belle démonstration de ce pays qui n’est pas banal dans un monde qui reste profondément tragique et imprévisible.
Vous le rappeliez à l’instant Monsieur l’Ambassadeur, la défense de la France la met dans une position forte et singulière dans le monde. Naturellement, les Etats-Unis ont des moyens considérablement supérieurs aux nôtres mais cela n’a aucune importance, parce que nous sommes leurs alliés, et que leurs moyens et nos moyens sont en général solidaires, ils s’ajoutent ; ils s’additionnent et parfois même ils se multiplient. Notre faiblesse, si l’on peut la qualifier comme telle, n’est pas ressentie comme une forme de minorité mais comme un partenariat, et nous avons parfois le sentiment qu’avec moins de moyens nous arrivons à être au niveau de nos responsabilités. Mais ailleurs, dans l’autre de ces deux mondes rassemblés par Marc dans sa revue, c'est-à-dire dans le vieux continent européen, nous pensons très honnêtement qu’avec les Britanniques nous sommes les seuls à disposer d’une défense complète et à accepter un effort financier à la hauteur de nos responsabilités. Dans le monde, si l’on regarde bien, il y a des armées plus nombreuses en apparence mieux équipées , mais lorsque le conseil de sécurité des Nations Unies adopte une résolution qui implique un engagement de moyens sur le terrain, le nombre de pays sur lesquels on peut compter est relativement réduit : il y a, d’abord et avant tout, les Etats-Unis mais très vite après on trouve la Grande Bretagne et la France, et s’il y a des contingents baroques dans des théâtres extérieurs , les îles Fidji, ou Tonga qui était présente en Côte d’Ivoire, lorsqu’il faut passer à l’action on préfère encore les vieilles troupes de l’infanterie de marine ou les pilotes d’hélicoptères de combat de nos régiments.
C’est là la singularité française et je voudrais, ainsi souligner certaines différences évidentes.
La première différence et non la moindre, est qu’il y a dans notre pays, sur le thème de la défense, une vision assez largement partagée. La majorité a adopté un livre blanc de défense et de sécurité, elle le met en œuvre et j’ai la chance pour 2012 de présenter un budget qui s’inscrit dans la droite ligne de ce que nous avions retenu. C’est un avantage considérable que de ne pas remettre en question, chaque année, cette ligne de conduite et cette conception.
La seconde différence qui fonde notre singularité est la réalité constitutionnelle qui me rend gaulliste. La cinquième République a fait du chef de l’Etat le chef des Armées. C’est une différence considérable d’avec tous les autres pays. Il y a des pays beaucoup plus riches que nous par exemple qui pourtant n’ont pas cet avantage - je songe par exemple à l’Allemagne qui a des moyens établis, qui a une présence significative en Afghanistan et qui en a, pourtant, eu la volonté avec Helmut Kohl. Quelle est la différence fondamentale entre nos deux pays ? Pour répondre, je paraphraserai le maréchal FOCH qui commandait une coalition et qui en avait tiré la conclusion que, pour décider à plusieurs, il fallait être en nombre impair et que trois était déjà un nombre élevé ! C’est précisément ce qui explique pourquoi mon collègue, le ministre Thomas De MAIZIERE, m’a récemment expliqué qu’il dirigeait « une armée parlementaire ». Qu’est-ce qu’une armée parlementaire ? C’est une armée dont tous les engagements sont soumis au vote d’un parlement. Moi-même qui suis profondément libéral et qui, en matière d’institution, a écrit des pages inoubliables et d’ailleurs oubliées dans la Revue des Deux Mondes en faveur du renforcement de la présence parlementaire, je dois constater qu’une armée parlementaire favorise tout sauf l’action. La force des institutions de notre République, et c’est dans ce sens que la France n’est pas banale, est qu’il y a une unité de commandement. Si le président de la République a modifié la constitution pour que le parlement s’exprime sur l’engagement des troupes à l’extérieur au bout de quatre mois et si le parlement a le droit d’en être informé immédiatement, le Président a les mains libres pendant quatre mois, ce qui donne une autorité considérable lorsqu’il faut, dans une situation de crise, mettre en œuvre une décision qui est nécessairement collective.
C’est pourquoi, en effet, la France n’est pas un pays banal : elle a une armée, elle y consacre des moyens, elle a un système de décision qui permet de l’engager, elle a respecté son programme à la fois de capacité et de modernisation et, dans une Europe qui n’est pas directement menacée, elle est en mesure d’assumer sa part de responsabilité.
Le ministère de la défense est un ministère passionnant parce qu’au-delà de cette singularité française, la gestion de la défense nous renvoie à la fois toutes les forces et toutes les faiblesses de notre pays. Je voudrais évoquer deux sujets qui me viennent à l’esprit comme ministre de la défense, mais qui ne sont, en réalité, deux illustrations des forces et des faiblesses de notre pays. J’évoquais tout à l’heure ce sens de l’indépendance, cela suppose d’en avoir les moyens. Au fond, dans une armée, il faut des effectifs, naturellement, il faut des équipements assurément, il faut d’abord et avant tout une stratégie et les moyens de la mettre en œuvre et nous avons cette réflexion stratégique , nous avons les moyens politiques de la mettre en œuvre, revenons sur les deux derniers aspects : les équipements et les hommes.
En matière d’équipement, nous avons des industries d’armement de très grande qualité où l’Etat est actionnaire de la plupart d’entre elles et n’a pas imposé de politique industrielle aux dirigeants. Cela permet à ces entreprises progressivement d’être des entreprises de dimension au minimum européenne et souvent mondiale qui gardent une culture française pour les centres de décision mais qui sont multi nationales partout où elles interviennent. C’est une situation assez étonnante qui nous permet d’être présents dans des secteurs de très hautes technologies et qui ont essentiellement regard au contrôle et à la surveillance du théâtre d’opération ou qui ont trait aux moyens qui sont employés sur ces mêmes théâtres. Et en même temps, ces sociétés sont en situation de challenger , et ont une véritable interrogation sur leur capacité à être durablement des challengers . Pourquoi ? Je vais vous donner un ordre de grandeur : l’industrie américaine représente près de 54% du commerce mondial des biens d’armement, le 2ème acteur doit être la Grande Bretagne avec 12,5%, la Russie, 3ème , représente 8% du marché mondial, la France 6% et Israël est 5ème avec 5,3%. Ce sont les grands acteurs et derrière il n’y a presque personne. Quelle est cette singularité de l’industrie française ? Nous sommes mondiaux et technologiquement en pointe, mais nous sommes dans une sorte de situation de bascule où être 4ème n’est pas satisfaisant. Dans les stratégies d’entreprise, en général, il faut être sur le podium - or, argent, bronze éventuellement - mais pas au-delà. Et nous sommes dans une situation à la fois de talent, de patrimoine technologique, de présence commerciale, de réalisation industrielle mais dans une position quelque peu limite dans la pérennité, ce qui évidemment implique la réflexion sur la dimension européenne qui est au cœur des sujets de l’actualité de ce jour.
Le deuxième reflet de la société française, ce sont les hommes. Les effectifs sont suffisants. Une armée, c’est une culture, je veux dire par là qu’il ne s’agit pas d’aligner simplement des combattants, de les équiper, de les entraîner, encore faut-il qu’à tous les niveaux de responsabilités, depuis le chef d’état-major jusqu’au caporal de chambrée, qu’il y ait des convictions, des comportements, des valeurs et des réflexes partagés. C’est bien là que l’idée de culture est importante. Qu’est-ce qu’une culture militaire ? Et bien, c’est la certitude que celui avec qui vous allez au combat, aura l’attitude, le comportement que vous attendez de lui au moment où vous allez combattre, au péril de votre vie. Ça a l’air banal mais c’est décisif.
Les théâtres d’opérations de nos forces viennent d’être évoqués. Je souhaiterais revenir sur l’un d’entre eux : l’opération Licorne. Nous y avons, en effet, parfaitement démontré ces qualités : l’unité de commandement, d’abord, au travers du Président de la République qui savait exactement ce qu’il voulait et qui n’a à aucun moment changé de cap. Lorsque l’ancien président Gbagbo a été en situation de faire basculer Abidjan dans une guerre civile, qui, à l’intérieur de cette grande capitale aurait été sans contrôle possible, la décision a été prise en moins d’une matinée de frapper, de le faire avec le matériel adapté et uniquement le matériel adapté, c’est-à-dire sans dommages collatéraux , avec une force maîtrisée et de le faire aussi avec la culture qui nous est propre, celle des marsouins, fantassins de l’infanterie de marine ont fait en sorte que ceux qui devaient intervenir, interviennent là où il fallait au bon moment lorsqu’on avait besoin d’eux. Avec moins de 250 hommes, et moins de 10 pilotes d’hélicoptère, en soutien de l’ONUCI, cette opération a été réglée. La décision a été prise rapidement au moment où l’adversaire s’était mis dans une situation à la fois absurde et provocatrice. Provocatrice car il pouvait déclencher la guerre civile dans la ville d’Abidjan et absurde parce qu’il avait regroupé toutes ses forces en un seul site et que rien n’est plus facile de détruire des forces que lorsqu’elles sont regroupées sur un seul site. C’est la culture de nos exécutants qui donnaient la certitude au chef d’état- major qu’il pouvait dire au Président de la république : « la mission sera accomplie », avec cette finesse d’adaptation aux circonstances à tous les niveaux. A côté, les contingents que les Nations Unies avaient mis à disposition du représentant permanent de M. Ban Ki Moon n’étaient pas capables de gérer une situation de ce type.
Une armée est bien le reflet d’une société. Or nous avons à maintenir la cohérence de cette société, la culture de cette société, les traditions de cette société. C’est la raison pour laquelle dans le lien armée-Nation se trouve l’interrogation de la France sur elle-même et sur son rôle, qui est un sujet majeur d’un ministre de la défense. Reflet de la France à travers des stratégies industrielles qui font de nous un acteur mondial aux limites de la démondialisation pour prendre une formule, et qui doit s’interroger en permanence sur les moyens de revenir dans la mondialisation en plein exercice, et seule la mondialisation peut permettre à nos entreprises de tenir le choc des investissements lourds de développement et d’études qu’il faut dans ce secteur-là. Cette vérité pour l’industrie de l’armement, elle l’est pour toutes les entreprises ici rassemblées, dont vous avez les uns et les autres la charge. Le lien armée nation, c’est exactement le même lien de la vie collective dans notre pays de la coexistence pacifique et de valeurs partagées qui sont les fondements d’une République.
Il y a un troisième reflet, enfin, ce sont les moyens financiers. Pour les engagements que nous avons à assumer, nous sommes au rendez-vous capacitaire. Si j’ai pu préserver à cet instant le budget 2012, il est absolument évident que les circonstances actuelles vont remettre en question la certitude de pouvoir prolonger ces programmes en toute sérénité. Lorsque nous nous retrouvons en réunion de l’union européenne où nous avons des pays qui parlent mais qui sont incapables de faire quoique ce soit, pour certains parce qu’ils n’en n’ont pas la taille, pour d’autres parce qu’ils n’en n’ont pas la volonté, nous sommes à un carrefour d’interrogations complets, mais la France est au rendez-vous de sa parole et de son rang. La France, sous l’autorité du Président de la République, a démontré depuis 4 ans une confiance retrouvée en elle-même et en sa capacité à être un acteur responsable sur la scène internationale, notamment grâce à sa puissance militaire. Et je peux vous dire à tous ici ce soir que cette expérience militaire me donne très envie de m’engager dans le combat politique pour expliquer à nos compatriotes qu’aucune des solutions qui sont préconisées ailleurs, ne sont d’ailleurs crues par ceux qui les évoquent, et qu’en tout état de cause elles ne sont pas en mesure d’aider notre pays à surmonter les épreuves qu’il affronte.
Alors que nous sommes encore au cœur d’une période difficile mais aussi riche d’opportunités, je veux vous dire ma fierté d’appartenir à un pays qui dispose de tels atouts, ma confiance dans la solidité de l'esprit de défense partagé par la Nation, le Président de la République, le Gouvernement et le Parlement et ma vigilance pour que notre défense continue, malgré les difficultés économiques, financières et budgétaires, de disposer des moyens qui correspondent à notre place en Europe et dans le monde.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 24 janvier 2012