Texte intégral
Q - A peine rentré de Washington - bonjour, Hubert Védrine. Merci dêtre là...
R - Bonjour.
Q - A Belgrade, les premiers craquements et fissures du système Milosevic seraient en train dapparaître. Est-ce que vous le confirmez ?
R - Il faut être prudent. Malgré tout, je crois que lon peut y voir un premier signe. Nous avons le devoir de lexaminer avec beaucoup dattention. Cest un premier signe parce que les termes de M. Draskovic sont quand même assez précis quand il parle dun respect, à la fois par lOTAN et par la République Fédérale de Yougoslavie, dune résolution du Conseil de sécurité, et quand il dit ensuite, après la première déclaration, quil sest exprimé au nom du gouvernement fédéral, après avoir rencontré le président Milosevic. Donc, nous avons le devoir dexaminer cela de plus près. En même temps, il faut être prudent parce que M. Draskovic a fait, à plusieurs reprises, des déclarations qui nétaient pas dans la ligne du président Milosevic, même depuis quil est devenu vice-Premier ministre. Cest un ancien opposant. Donc, il faut examiner cela de près. On na pas le droit de le balayer dun revers de main, mais on ne peut pas non plus se fier comme cela à cette déclaration...
Q - Mais il y a des signes dans larmée, dit-on. Est-ce quil y a un début dopposition de politiques et de militaires qui se font entendre à Belgrade ?
R - Non, qui se font entendre, non. La seule chose que lon peut noter, cest cette déclaration dont nous parlions il y a un instant.
Q - LOTAN promettait de casser la capacité de répression de MILOSEVIC, les activités liées à la guerre. Cest pratiquement fait. Aujourdhui, quel est le but de la guerre ?
R - Non, ce nest pas encore fait, ce nest pas encore complètement fait. Cest dailleurs pour cela que les dirigeants qui étaient à Washington, lensemble des chefs dEtat et de gouvernement des 19 pays de lAlliance ont décidé, à lunanimité, de persévérer dans la stratégie qui a été adoptée, en considérant que cétait la plus adaptée à la situation et à lobjectif. Il faut donc persévérer. Ce résultat nest pas complètement atteint.
Q - Vous voulez dire que cest un conflit qui est interminable, qui est sans fin prévue ? On attend que les résultats viennent du ciel et puis, on attend ?
R - Non, je nai pas dit que cétait interminable. Cest vrai que, à lorigine, la plupart des analyses et des experts militaires avaient annoncé, notamment, sagissant de la phase 1, quelque chose dassez bref. Analyse qui avait, dailleurs, été reprise et répercutée par le secrétaire général de lOTAN. Javais eu moi-même loccasion de dire à votre micro que cétait lanalyse la plus répandue...
Q - ... Des jours, pas des semaines, cest cela ?
R - Cétait le débat de la première phase, à lépoque. Après, un certain nombre de difficultés sont apparues : la météorologie, les précautions à prendre pour éviter les dommages collatéraux, un certain nombre de choses, même sur le plan technique...
Q - Non, soyons clairs là-dessus.
R - Mais, aujourdhui, il ne faut pas tomber dans lexcès inverse ...
Q - Non, attendez, sil y a eu erreur dinterprétation, etc, au début, cétait une erreur des militaires qui rêvaient peut-être daller trop vite ?
R - Cétait, je crois, une réponse trop simplement technologique aux questions qui étaient posées sur les opérations dites de la phase 1, sur les premières frappes, fondée sur lidée que cétait facile à faire, que les cibles étaient facilement identifiées, peut-être une sous-estimation de la capacité à dissimuler le matériel du mobile. Tout cela est apparu quand on est passé à la phase 2, puis 2 et demi. Tout cela est apparu comme plus compliqué que prévu. Donc, les différents responsables, reprenant les avis des comités militaires de lOTAN, ont évolué dans cette analyse. Ils ont dû prendre ces faits en considération, à commencer par le secrétaire général de lOTAN lui-même. Mais ce nest pas parce quil y a eu cette erreur dévaluation initiale sur la durée, quil faut tomber dans lexcès inverse en parlant de quelque chose dinterminable. Il faut simplement se dire que ce nest pas une question de durée en soi, cest une question dobjectif, et lobjectif de casser et de désorganiser complètement la machine de répression de larmée yougoslave est en cours. Ce nest pas complètement atteint et cest pour cela que, à Washington, il a été décidé de persévérer.
Q - Persévérer, persévérer. Mais est-ce que cest avec Milosevic quon négociera ?
R - Cela, cest autre chose. Quand on parle de persévérer, cest dabord à propos des actions militaires mais cest peut-être encore plus, je dirais, à propos de la volonté de trouver une sortie de crise politique par des moyens diplomatiques. Nous en avons déjà circonscrit les contours à propos des 5 principes, des 5 questions adressées aux autorités de Belgrade...
Q - Auxquelles Milosevic a toujours répondu négativement...
R - Jusquici complètement négativement. Cest pour cela que ce serait intéressant, si la déclaration de monsieur Draskovic était confirmée dans les jours prochains par dautres déclarations et, surtout, surtout, dans les faits.
Q - Mais est-ce que, en fait, lOTAN nattend pas plutôt le successeur de Milosevic, que les Serbes finiront bien par lui donner un jour ou lautre ?
R - Vous savez, lOTAN, cest une organisation dans laquelle il se passe ce que les gouvernements membres ont décidé. Il ny a pas de décision autonome de lOTAN, par rapport aux gouvernements membres. Ce qui est, pour le moment, lobjectif de lOTAN, cest daller plus loin encore dans la désorganisation de cette machine militaire. Pendant ce temps-là, nous préparons déjà, entre alliés, au sein du Conseil de sécurité, avec nos partenaires russes, la sortie politique et, là aussi, il faut être persévérant parce que nous avons les grandes lignes du schéma, mais nous navons pas encore tous les éléments fondamentaux de cette solution, notamment en ce qui concerne la future phase de sécurité. Nous faisons les deux en même temps...
Q - Vous direz, tout à lheure, quelles sont les grandes lignes du schéma. En attendant, hier, on a noté que, à Luxembourg, les 15 de lEurope ont alourdi des sanctions contre Belgrade, lune dentre elles étant linterdiction de visa pour Milosevic, sa famille, ses ministres, ses proches. Cela revient à dire quil ne sort pas de son pays et que si un jour, il sortait pour négocier, il serait arrêté et peut-être jugé. Cest cela ?
R - Laffaire des visas, cest pour exercer une pression sur les dirigeants et cest pour préciser largument qui est répété sans arrêt, à savoir que nous ne sommes pas en guerre avec un peuple ou avec un pays dans son ensemble, mais avec une politique précise, avec des dirigeants particuliers...
Q - Mais on ne négociera pas avec eux ?
R - Ladoption dune résolution au sein du Conseil de sécurité permet dédicter une solution, sans être obligé de négocier. Par cette voie, la solution et les cinq principes deviennent contraignantes. Cest pour cela que nous travaillons à la mettre au point avec nos partenaires occidentaux et avec les Russes, tout simplement parce que cela permet de ne pas se poser, en tout cas à ce stade, la question que vous posez, ce qui ne nous empêche pas, aujourdhui, davancer sur les deux plans dont nous parlions, militaire et politique.
Q - A Washington, une action militaire au sol na pas été jugée dactualité. Alors, où se prépare-t-elle, si ce nest pas à Washington, à Bruxelles ? Dans les bureaux des généraux, des militaires du général Clark ?
R - Attendez, votre question est contradictoire puisque vous notez vous-même que, à Washington, les dirigeants de lAlliance nont pas retenu cette stratégie. Ils ont tous considéré que la stratégie retenue était la bonne, en tout cas adaptée à la situation et quil ny avait pas lieu den changer. Alors, il y a évidemment toujours dans les cartons de toutes les armées, des scénarios pour toutes les hypothèses possibles et imaginables et lOTAN, périodiquement, comme cela a été dit la semaine dernière dailleurs, met à jour ces différents plans. Mais ce nest pas la stratégie retenue, ce nest pas ce qui a été décidé à Washington.
Q - Oui, ce nest pas contradictoire, ce que je veux dire...
R - Cétait dailleurs un élément frappant parce que, au sommet, ce nétait pas ce qui était dit, ni décidé.
Q - Daccord, mais les responsables de lOTAN ont pu se mettre daccord avant pour ne pas en parler là, mais pour quon en parle ailleurs, que les techniciens préparent cette offensive ou cette intervention terrestre ?
R - Non, il ny a pas de stratégie cachée. LOTAN est une alliance de pays démocratiques dans lequel on débat très ouvertement, très largement. On explique pourquoi on adopte une stratégie et pas une autre. A chaque étape, lexplication est confirmée, elle est précisée et je crois quil faut accepter la bonne foi et la conviction des dirigeants de lAlliance, quand ils disent quil faut persévérer dans cette stratégie-là et quelle nen cache pas une autre.
Q - Depuis Washington, lOTAN connaît sa stratégie pour le XXIème siècle. Il paraît que la France a discuté fermement, quelle sest fait entendre. Est-ce que cela veut dire que la France du président Chirac, de M. Jospin et de ses ministres ne sest pas alignée, comme on le lui a reproché quelquefois, sur la politique américaine ?
R - Dabord, dans laffaire du Kosovo, il y a vraiment eu une gestion en commun par les Européens et les Américains qui sont arrivés aux mêmes décisions, en même temps, sans que personne nait à saligner sur qui que ce soit. Mais le sommet de lOTAN était loccasion dun débat plus large. Pour le XXIème siècle - il faut être prudent, cela dure longtemps, un siècle -, et en tout cas, pour les années qui viennent, il sagissait de savoir si lOTAN peut, ou non, sauto-mandater pour traiter de telle ou telle crise, en dehors de la défense, de ses membres. Cest la base même : est-ce que lOTAN peut sauto-mandater ? Ou est-ce quon réaffirme lautorité du Conseil de sécurité ? Le travail diplomatique français, mené depuis 18 mois de façon tenace et méthodique, malgré certaines difficultés, a abouti au fait que, dans les textes concluant le sommet, indépendamment du Kosovo, aucune phrase prévoyant que lOTAN peut agir de son propre chef sans le Conseil de sécurité, na été admise. Cela est très important pour la suite. Et nous avons pu rappeler le rôle central du Conseil de sécurité dans 7 ou 8 articles des 4 communiqués issus du sommet. Cest donc un résultat important pour nous.
Q - Est-ce que je peux vous demander pourquoi la France tient-elle autant au Conseil de sécurité de lONU dont les décisions peuvent être analysées ou paralysées par le veto de la Chine, qui nest pas un modèle en matière de Droits de lHomme ? Pourquoi se coincer au Conseil de sécurité dans certains cas ?
R - Non, on ne peut pas avoir un pur argument defficacité quand on parle de légalité, ou quand on parle de légitimité internationale. Pourquoi ? Dabord parce que le Conseil de sécurité est la seule source incontestable de légalité internationale et que même si lAlliance atlantique, est composée de pays démocratiques, il ne suffit pas quils disent ensemble « Nous allons faire ça, nous avons raison de le faire », pour que ce soit la légalité qui sapplique à lensemble du monde. Ensuite parce que nous ne voulons pas non plus que cela fasse précédent par rapport à dautres puissances, dautres groupes, dautres alliances dans le monde qui sen prévaudraient pour agir à leur tour librement. Il y a beaucoup dexemples qui montrent que lon peut arriver à un accord des membres permanents au sein du Conseil de sécurité. Cela a été le cas à lépoque de la guerre du Golfe. Lan dernier, sur le Kosovo, il y a eu trois résolutions, pas tout à fait aussi détaillées...
Q - Oui mais alors, à quel moment vous ferez intervenir les Nations unies ? Vous avez rencontré Kofi Annan à New York...
R - Oui, absolument. On a parlé de lavenir et de la sortie de la crise. Je suis allé le voir avant daller à Washington.
Q - Pour le moment, il na pas droit à une initiative de lONU. Vous le gardez au chaud, monsieur Kofi Annan ?
R - Cest plutôt lui, car on ne le garde pas à sa place, qui, parlant avec les partenaires clés du Conseil de sécurité, examine et attend le moment où il pourra jouer un rôle utile. Mais le travail au sein du Conseil de sécurité a déjà commencé puisque, comme je vous le disais il y a un instant, avec les partenaires membres permanents, nous travaillons à une résolution qui, le moment venu, fixera le cadre de la solution pour le Kosovo : autonomie très importante sous surveillance internationale, sous contrôle du Conseil de sécurité, avec une administration provisoire quil faudra organiser et une force de sécurité internationale qui devra comprendre des représentants des uns et des autres, et dont il faut organiser le bon fonctionnement parce que, sinon, il ny aura pas de sécurité au Kosovo, et les réfugiés ne reviendront pas, etc. On est assez avancé sur ce plan... Dans les jours qui viennent le travail avec les Russes, va être très important.
Q - Et qui chez les Russes ?
R - Ce sont les représentants du président Eltsine, cest M. Ivanov, le ministre, cest Tchernomyrdine, lenvoyé spécial du président Eltsine.
Q - Donc, sur le plan diplomatique - cest la dernière question - vous serez bientôt prêts, mais est-ce que la solution, on la verra avant lhiver ?
R - Je ne veux pas faire des commentaires de date. Le plus tôt sera le mieux naturellement. Il sagit daller le plus vite possible, grâce à lemploi des moyens militaires, à la solution politique à partir de laquelle on essayera de régler la question du Kosovo. On sattaquera à la réintégration de la Yougoslavie dans la communauté mondiale, il faudra quelle se démocratise, et on soccupera de lensemble des Balkans, puisque tout cela forme un tout.
Q - Tout dépend du maintien ou du départ de Milosevic, finalement ?
R - Oui, mais la résolution au Conseil de sécurité entre partenaires permet davancer sans avoir à se poser cette question. Il y a un chapitre 7 sur lemploi de la force, il y a une autorité du Conseil de sécurité, il y a des pouvoirs particuliers des membres permanents. Cest tout ce qui différencie lONU daujourdhui de la SDN dautrefois, et cest pour cela que le Conseil demeure important, cela permet davancer vers la solution sans avoir à se demander tous les matins : est-ce quon négocie ou pas, puisque nous sommes en train dédicter une solution et pas nécessairement de la négocier. Maintenant, si les signaux apparus à travers les phrases de M. Draskovic se confirment, tant mieux.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 avril 1999)
R - Bonjour.
Q - A Belgrade, les premiers craquements et fissures du système Milosevic seraient en train dapparaître. Est-ce que vous le confirmez ?
R - Il faut être prudent. Malgré tout, je crois que lon peut y voir un premier signe. Nous avons le devoir de lexaminer avec beaucoup dattention. Cest un premier signe parce que les termes de M. Draskovic sont quand même assez précis quand il parle dun respect, à la fois par lOTAN et par la République Fédérale de Yougoslavie, dune résolution du Conseil de sécurité, et quand il dit ensuite, après la première déclaration, quil sest exprimé au nom du gouvernement fédéral, après avoir rencontré le président Milosevic. Donc, nous avons le devoir dexaminer cela de plus près. En même temps, il faut être prudent parce que M. Draskovic a fait, à plusieurs reprises, des déclarations qui nétaient pas dans la ligne du président Milosevic, même depuis quil est devenu vice-Premier ministre. Cest un ancien opposant. Donc, il faut examiner cela de près. On na pas le droit de le balayer dun revers de main, mais on ne peut pas non plus se fier comme cela à cette déclaration...
Q - Mais il y a des signes dans larmée, dit-on. Est-ce quil y a un début dopposition de politiques et de militaires qui se font entendre à Belgrade ?
R - Non, qui se font entendre, non. La seule chose que lon peut noter, cest cette déclaration dont nous parlions il y a un instant.
Q - LOTAN promettait de casser la capacité de répression de MILOSEVIC, les activités liées à la guerre. Cest pratiquement fait. Aujourdhui, quel est le but de la guerre ?
R - Non, ce nest pas encore fait, ce nest pas encore complètement fait. Cest dailleurs pour cela que les dirigeants qui étaient à Washington, lensemble des chefs dEtat et de gouvernement des 19 pays de lAlliance ont décidé, à lunanimité, de persévérer dans la stratégie qui a été adoptée, en considérant que cétait la plus adaptée à la situation et à lobjectif. Il faut donc persévérer. Ce résultat nest pas complètement atteint.
Q - Vous voulez dire que cest un conflit qui est interminable, qui est sans fin prévue ? On attend que les résultats viennent du ciel et puis, on attend ?
R - Non, je nai pas dit que cétait interminable. Cest vrai que, à lorigine, la plupart des analyses et des experts militaires avaient annoncé, notamment, sagissant de la phase 1, quelque chose dassez bref. Analyse qui avait, dailleurs, été reprise et répercutée par le secrétaire général de lOTAN. Javais eu moi-même loccasion de dire à votre micro que cétait lanalyse la plus répandue...
Q - ... Des jours, pas des semaines, cest cela ?
R - Cétait le débat de la première phase, à lépoque. Après, un certain nombre de difficultés sont apparues : la météorologie, les précautions à prendre pour éviter les dommages collatéraux, un certain nombre de choses, même sur le plan technique...
Q - Non, soyons clairs là-dessus.
R - Mais, aujourdhui, il ne faut pas tomber dans lexcès inverse ...
Q - Non, attendez, sil y a eu erreur dinterprétation, etc, au début, cétait une erreur des militaires qui rêvaient peut-être daller trop vite ?
R - Cétait, je crois, une réponse trop simplement technologique aux questions qui étaient posées sur les opérations dites de la phase 1, sur les premières frappes, fondée sur lidée que cétait facile à faire, que les cibles étaient facilement identifiées, peut-être une sous-estimation de la capacité à dissimuler le matériel du mobile. Tout cela est apparu quand on est passé à la phase 2, puis 2 et demi. Tout cela est apparu comme plus compliqué que prévu. Donc, les différents responsables, reprenant les avis des comités militaires de lOTAN, ont évolué dans cette analyse. Ils ont dû prendre ces faits en considération, à commencer par le secrétaire général de lOTAN lui-même. Mais ce nest pas parce quil y a eu cette erreur dévaluation initiale sur la durée, quil faut tomber dans lexcès inverse en parlant de quelque chose dinterminable. Il faut simplement se dire que ce nest pas une question de durée en soi, cest une question dobjectif, et lobjectif de casser et de désorganiser complètement la machine de répression de larmée yougoslave est en cours. Ce nest pas complètement atteint et cest pour cela que, à Washington, il a été décidé de persévérer.
Q - Persévérer, persévérer. Mais est-ce que cest avec Milosevic quon négociera ?
R - Cela, cest autre chose. Quand on parle de persévérer, cest dabord à propos des actions militaires mais cest peut-être encore plus, je dirais, à propos de la volonté de trouver une sortie de crise politique par des moyens diplomatiques. Nous en avons déjà circonscrit les contours à propos des 5 principes, des 5 questions adressées aux autorités de Belgrade...
Q - Auxquelles Milosevic a toujours répondu négativement...
R - Jusquici complètement négativement. Cest pour cela que ce serait intéressant, si la déclaration de monsieur Draskovic était confirmée dans les jours prochains par dautres déclarations et, surtout, surtout, dans les faits.
Q - Mais est-ce que, en fait, lOTAN nattend pas plutôt le successeur de Milosevic, que les Serbes finiront bien par lui donner un jour ou lautre ?
R - Vous savez, lOTAN, cest une organisation dans laquelle il se passe ce que les gouvernements membres ont décidé. Il ny a pas de décision autonome de lOTAN, par rapport aux gouvernements membres. Ce qui est, pour le moment, lobjectif de lOTAN, cest daller plus loin encore dans la désorganisation de cette machine militaire. Pendant ce temps-là, nous préparons déjà, entre alliés, au sein du Conseil de sécurité, avec nos partenaires russes, la sortie politique et, là aussi, il faut être persévérant parce que nous avons les grandes lignes du schéma, mais nous navons pas encore tous les éléments fondamentaux de cette solution, notamment en ce qui concerne la future phase de sécurité. Nous faisons les deux en même temps...
Q - Vous direz, tout à lheure, quelles sont les grandes lignes du schéma. En attendant, hier, on a noté que, à Luxembourg, les 15 de lEurope ont alourdi des sanctions contre Belgrade, lune dentre elles étant linterdiction de visa pour Milosevic, sa famille, ses ministres, ses proches. Cela revient à dire quil ne sort pas de son pays et que si un jour, il sortait pour négocier, il serait arrêté et peut-être jugé. Cest cela ?
R - Laffaire des visas, cest pour exercer une pression sur les dirigeants et cest pour préciser largument qui est répété sans arrêt, à savoir que nous ne sommes pas en guerre avec un peuple ou avec un pays dans son ensemble, mais avec une politique précise, avec des dirigeants particuliers...
Q - Mais on ne négociera pas avec eux ?
R - Ladoption dune résolution au sein du Conseil de sécurité permet dédicter une solution, sans être obligé de négocier. Par cette voie, la solution et les cinq principes deviennent contraignantes. Cest pour cela que nous travaillons à la mettre au point avec nos partenaires occidentaux et avec les Russes, tout simplement parce que cela permet de ne pas se poser, en tout cas à ce stade, la question que vous posez, ce qui ne nous empêche pas, aujourdhui, davancer sur les deux plans dont nous parlions, militaire et politique.
Q - A Washington, une action militaire au sol na pas été jugée dactualité. Alors, où se prépare-t-elle, si ce nest pas à Washington, à Bruxelles ? Dans les bureaux des généraux, des militaires du général Clark ?
R - Attendez, votre question est contradictoire puisque vous notez vous-même que, à Washington, les dirigeants de lAlliance nont pas retenu cette stratégie. Ils ont tous considéré que la stratégie retenue était la bonne, en tout cas adaptée à la situation et quil ny avait pas lieu den changer. Alors, il y a évidemment toujours dans les cartons de toutes les armées, des scénarios pour toutes les hypothèses possibles et imaginables et lOTAN, périodiquement, comme cela a été dit la semaine dernière dailleurs, met à jour ces différents plans. Mais ce nest pas la stratégie retenue, ce nest pas ce qui a été décidé à Washington.
Q - Oui, ce nest pas contradictoire, ce que je veux dire...
R - Cétait dailleurs un élément frappant parce que, au sommet, ce nétait pas ce qui était dit, ni décidé.
Q - Daccord, mais les responsables de lOTAN ont pu se mettre daccord avant pour ne pas en parler là, mais pour quon en parle ailleurs, que les techniciens préparent cette offensive ou cette intervention terrestre ?
R - Non, il ny a pas de stratégie cachée. LOTAN est une alliance de pays démocratiques dans lequel on débat très ouvertement, très largement. On explique pourquoi on adopte une stratégie et pas une autre. A chaque étape, lexplication est confirmée, elle est précisée et je crois quil faut accepter la bonne foi et la conviction des dirigeants de lAlliance, quand ils disent quil faut persévérer dans cette stratégie-là et quelle nen cache pas une autre.
Q - Depuis Washington, lOTAN connaît sa stratégie pour le XXIème siècle. Il paraît que la France a discuté fermement, quelle sest fait entendre. Est-ce que cela veut dire que la France du président Chirac, de M. Jospin et de ses ministres ne sest pas alignée, comme on le lui a reproché quelquefois, sur la politique américaine ?
R - Dabord, dans laffaire du Kosovo, il y a vraiment eu une gestion en commun par les Européens et les Américains qui sont arrivés aux mêmes décisions, en même temps, sans que personne nait à saligner sur qui que ce soit. Mais le sommet de lOTAN était loccasion dun débat plus large. Pour le XXIème siècle - il faut être prudent, cela dure longtemps, un siècle -, et en tout cas, pour les années qui viennent, il sagissait de savoir si lOTAN peut, ou non, sauto-mandater pour traiter de telle ou telle crise, en dehors de la défense, de ses membres. Cest la base même : est-ce que lOTAN peut sauto-mandater ? Ou est-ce quon réaffirme lautorité du Conseil de sécurité ? Le travail diplomatique français, mené depuis 18 mois de façon tenace et méthodique, malgré certaines difficultés, a abouti au fait que, dans les textes concluant le sommet, indépendamment du Kosovo, aucune phrase prévoyant que lOTAN peut agir de son propre chef sans le Conseil de sécurité, na été admise. Cela est très important pour la suite. Et nous avons pu rappeler le rôle central du Conseil de sécurité dans 7 ou 8 articles des 4 communiqués issus du sommet. Cest donc un résultat important pour nous.
Q - Est-ce que je peux vous demander pourquoi la France tient-elle autant au Conseil de sécurité de lONU dont les décisions peuvent être analysées ou paralysées par le veto de la Chine, qui nest pas un modèle en matière de Droits de lHomme ? Pourquoi se coincer au Conseil de sécurité dans certains cas ?
R - Non, on ne peut pas avoir un pur argument defficacité quand on parle de légalité, ou quand on parle de légitimité internationale. Pourquoi ? Dabord parce que le Conseil de sécurité est la seule source incontestable de légalité internationale et que même si lAlliance atlantique, est composée de pays démocratiques, il ne suffit pas quils disent ensemble « Nous allons faire ça, nous avons raison de le faire », pour que ce soit la légalité qui sapplique à lensemble du monde. Ensuite parce que nous ne voulons pas non plus que cela fasse précédent par rapport à dautres puissances, dautres groupes, dautres alliances dans le monde qui sen prévaudraient pour agir à leur tour librement. Il y a beaucoup dexemples qui montrent que lon peut arriver à un accord des membres permanents au sein du Conseil de sécurité. Cela a été le cas à lépoque de la guerre du Golfe. Lan dernier, sur le Kosovo, il y a eu trois résolutions, pas tout à fait aussi détaillées...
Q - Oui mais alors, à quel moment vous ferez intervenir les Nations unies ? Vous avez rencontré Kofi Annan à New York...
R - Oui, absolument. On a parlé de lavenir et de la sortie de la crise. Je suis allé le voir avant daller à Washington.
Q - Pour le moment, il na pas droit à une initiative de lONU. Vous le gardez au chaud, monsieur Kofi Annan ?
R - Cest plutôt lui, car on ne le garde pas à sa place, qui, parlant avec les partenaires clés du Conseil de sécurité, examine et attend le moment où il pourra jouer un rôle utile. Mais le travail au sein du Conseil de sécurité a déjà commencé puisque, comme je vous le disais il y a un instant, avec les partenaires membres permanents, nous travaillons à une résolution qui, le moment venu, fixera le cadre de la solution pour le Kosovo : autonomie très importante sous surveillance internationale, sous contrôle du Conseil de sécurité, avec une administration provisoire quil faudra organiser et une force de sécurité internationale qui devra comprendre des représentants des uns et des autres, et dont il faut organiser le bon fonctionnement parce que, sinon, il ny aura pas de sécurité au Kosovo, et les réfugiés ne reviendront pas, etc. On est assez avancé sur ce plan... Dans les jours qui viennent le travail avec les Russes, va être très important.
Q - Et qui chez les Russes ?
R - Ce sont les représentants du président Eltsine, cest M. Ivanov, le ministre, cest Tchernomyrdine, lenvoyé spécial du président Eltsine.
Q - Donc, sur le plan diplomatique - cest la dernière question - vous serez bientôt prêts, mais est-ce que la solution, on la verra avant lhiver ?
R - Je ne veux pas faire des commentaires de date. Le plus tôt sera le mieux naturellement. Il sagit daller le plus vite possible, grâce à lemploi des moyens militaires, à la solution politique à partir de laquelle on essayera de régler la question du Kosovo. On sattaquera à la réintégration de la Yougoslavie dans la communauté mondiale, il faudra quelle se démocratise, et on soccupera de lensemble des Balkans, puisque tout cela forme un tout.
Q - Tout dépend du maintien ou du départ de Milosevic, finalement ?
R - Oui, mais la résolution au Conseil de sécurité entre partenaires permet davancer sans avoir à se poser cette question. Il y a un chapitre 7 sur lemploi de la force, il y a une autorité du Conseil de sécurité, il y a des pouvoirs particuliers des membres permanents. Cest tout ce qui différencie lONU daujourdhui de la SDN dautrefois, et cest pour cela que le Conseil demeure important, cela permet davancer vers la solution sans avoir à se demander tous les matins : est-ce quon négocie ou pas, puisque nous sommes en train dédicter une solution et pas nécessairement de la négocier. Maintenant, si les signaux apparus à travers les phrases de M. Draskovic se confirment, tant mieux.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 avril 1999)