Interview de M. Philippe Douste-Blazy, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, à France 2 le 29 août 2001, sur l'intervention télévisée de L. Jospin, la situation économique, la réduction du temps de travail dans la fonction publique hospitalière et la violence en Corse.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. David Vous avez regardé probablement, vous avez entendu la prestation du Premier ministre hier. Il a fait une sorte de bilan global, il a posé un petit peu le cadre de son action à venir, pour les huit mois qui viennent, pour l'instant on ignore une chose : s'il sera candidat ou pas. Est-ce qu'il vous a convaincu ?
- "Il a fait beaucoup d'analyses de commentateur. Il est apparu, pour moi, comme très enfermé dans ses certitudes, comme s'il ne se passait rien de nouveau en France et pourtant, la croissance baisse, on a un budget qui a été fait l'année dernière à partir de 3 % de croissance. On nous parle maintenant de 2,2 - 2,3, peut-être 2. L'insécurité monte terriblement dans l'esprit des Français, il y a un sentiment d'insécurité terrible, dans les grandes villes en particulier, et en même temps, l'autorité de l'Etat est bafouée en Corse et malgré cela on n'a pas entendu de nouveaux grands axes de gouvernement. On continue. Il a analysé ce qu'il appelle plutôt le bon fonctionnement de son gouvernement et puis il a en effet reconnu quelques erreurs, en particulier les 35 heures dans les PME."
On a quand même le sentiment que le Premier ministre a essayé d'infléchir. Il reconnaît qu'effectivement la croissance sera moins importante que prévue et que le chômage peut éventuellement reconnaître une petite recrudescence ; il prône toujours la reprise de la consommation
- "Pardonnez-moi de vous couper, s'il reconnaît que la croissance baisse comme vous venez de le dire"
... Que la croissance sera moins forte que prévue.
- "Voilà, qu'est-ce qu'il fait alors ? Parce qu'il ne change absolument rien, il continue à embaucher énormément de fonctionnaires ; les dépenses publiques continuent à augmenter, à exploser ; il continue à diminuer ses recettes et il continue à augmenter ses dépenses. C'est exactement ce qui s'est passé en 1992 lorsque M. Bérégovoy a été Premier ministre, que la croissance baissait. Je veux bien que ce soit la croissance américaine qui fait baisser la croissance française, peut-être, mais en tout cas elle baisse. Malgré cela, en 1992, on avait continué à augmenter les dépenses. Qu'est-ce qui s'est passé ? Les déficits publics ont explosé et on s'est retrouvé ensuite - nous, nous étions au pouvoir entre temps - dans une situation économique épouvantable. Je n'aimerais pas que cela recommence. Hier, il n'y a pas eu de prise de conscience, comme d'habitude, lorsque quand même souvent les socialistes sont au pouvoir, d'amodier une situation économique lorsqu'on voit que la croissance baisse. "
Ce que le Premier ministre reproche en partie à l'opposition dans cette situation économique qui effectivement est moins florissante qu'elle ne l'a été il y a quelques mois, c'est d'avoir un comportement à ce qu'il dit " anxiogène ", c'est-à-dire que plutôt que d'essayer de faire avancer les choses, c'est de tirer un petit peu là où ça fait mal, c'est une critique que vous prenez pour vous ?
- "Ne rentrons pas dans la polémique. Moi, je dis, lorsque les recettes baissent, les dépenses doivent baisser. Un peu comme chez vous ou comme chez moi ou comme chez ceux qui nous regardent ce matin. Voilà, c'est tout, ce n'est pas anxiogène, mais c'est vrai qu'il vaut mieux toujours expliquer qu'on peut dépenser plus qu'on ne peut dépenser moins. Mais ce n'est pas être anxiogène que de dire "attention ! ", si on dépense trop, on va se retrouver dans un déficit important. Ce qu'il n'a pas dit et ce que M. Fabius ne dit pas non plus depuis trois ou quatre jours, c'est que les déficits vont augmenter. Pour la première fois depuis très longtemps dans ce pays, le budget n'arrive pas à être bouclé."
Le déficit est un peu chronique quand même, ça fait des années qu'il y a un déficit budgétaire.
- "Oui, mais quand on a une croissance comme celle-là, on peut en profiter pour diminuer petit à petit, ce que font les Allemands, ce que font les Anglais, ce que font les Espagnols. Nous pourrions aussi un petit peu le faire, diminuer le déficit. Là, on va avoir des déficits qui augmentent. Vous savez, le pouvoir d'achat - ceux qui nous regardent ont un pouvoir d'achat - le pouvoir d'achat des Français est celui qui a le moins augmenté par rapport aux Anglais, aux Espagnols, aux Italiens depuis trois quatre ans. Pourquoi ne pas baisser alors les charges sociales sur les salaires entre 1 et 1,5 Smic de manière importante pour augmenter le salaire direct des Français ? C'est cela qu'il aurait fallu faire."
La solution choisie visiblement, c'est plutôt effectivement la baisse de l'impôt et cela, effectivement, ne vous semble pas la bonne solution. Vous vous prôneriez une réduction des charges sociales ?
- "On est pour qu'il y ait une baisse d'impôts, mais on est pour aussi qu'il y ait en même temps, une diminution des dépenses. Parce que si vous diminuez les impôts d'un côté, si vous augmentez le nombre de fonctionnaires et en particulier dans la fonction hospitalière de l'autre, et si en même temps vous avez des recettes qui baissent, comment vous faites pour faire le budget ? Je sais comment on fait : on augmente le déficit. Cela n'est pas sérieux."
Quand vous parlez de la fonction publique hospitalière, c'est quand même un domaine que vous connaissez bien, puisque vous êtes médecin, vous trouvez illogique que l'on embauche dans la fonction publique hospitalière ? Il y a l'aspect 35 heures où il va falloir créer des emplois ; de toute façon la fonction publique hospitalière, tout le monde le sait, souffre quand même d'un déficit chronique de personnel.
- "Je connais bien l'hôpital public et il faut tout faire pour les malades qui sont hospitalisés. Jusque là nous sommes tous d'accord. Simplement, je suis un peu étonné qu'une fois de plus nous apprenions cela dans la bouche du Premier ministre sans aucune négociation. Dans la fonction hospitalière, moi je vais vous le donner, dans le service que je dirigeais, il y avait des professeurs de cardiologie, des chefs de clinique de cardiologie. Ceux là, si vous les faites travailler 35 heures, je ne sais pas comment on va faire. Si un professeur de cardiologie travaille 35 heures, au bout de deux jours et demi, il a terminé, il ne voit plus ses malades. Or il faut voir ses malades tous les jours. Quand vous avez un malade qui a fait un infarctus un lundi, il faut continuer à le voir le mercredi, le jeudi, le vendredi. Et en même temps, pour des infirmières ou pour des aides soignantes, c'est important de faire 35 heures. Donc vous voyez, je crois qu'une fois de plus, une loi contraignante, autoritaire pour tout le monde, sans négociation, ce n'est pas la bonne solution."
Alors autre sujet que je souhaite aborder très rapidement, parce qu'il y en a d'autres après, sur la Corse, le Premier ministre veut continuer le processus de Matignon, vous y êtes opposé toujours ?
- "L'erreur de M. Jospin ce n'est pas d'avoir tenté un processus, c'est de ne pas l'arrêter lorsqu'on constate son échec. Il aura fait en réalité deux erreurs, la première c'est de ne pas demander l'arrêt de la violence comme préalable à toute négociation, et deuxièmement, de ne pas arrêter aujourd'hui les accords de Matignon puisqu'on voit aujourd'hui, malheureusement que les assassinats se succèdent."
Juste un tout petit mot sur les élections présidentielles, on est à l'Université d'été de l'UDF en ce moment, F. Bayrou candidat, c'est sûr ?
- "C'est lui qui va le dire. Il a dit qu'il y avait une période pour le projet - nous y sommes - et une période pour sa candidature personnelle - il ne l'a pas encore dit. Pour l'instant, moi je travaille à l'union en mouvement avec tous les autres députés RPR, UDF et DL pour gagner les élections législatives qui suivront les élections présidentielles."

(Source http://sig.premier-ministre.gov.fr, le 30 août 2001)