Extraits de l'entretien de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "RTL" le 28 février 2012, sur la Syrie, notamment la situation dans la ville de Homs, le sort de la population et des journalistes bloqués dans cette ville et l'impuissance de la communauté internationale à faire cesser le massacre.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - Pouvez-vous nous dire quelle est la situation ce matin dans la ville de Homs, en Syrie, ville assiégée par l’armée de Bachar El-Assad, et où sont toujours bloqués plusieurs journalistes parmi lesquels Édith Bouvier, reporter au Figaro, et gravement blessée.
R - Toujours bloquée, et c’est une immense frustration, bien sûr, que je ressens. Nous travaillons avec les autorités syriennes pour obtenir des garanties de sécurité. Nous travaillons avec la Croix-Rouge, pour permettre l’évacuation de nos blessés. Nous n’y sommes pas encore arrivés. Et les bombes continuent à tomber sur Homs.
Q - Le président de la République nous disait hier matin que peut-être une solution allait intervenir dans la journée, il avait l’air confiant, et puis, finalement, non.
R - Elle est à tout instant toute proche, si je puis dire, mais vous connaissez la façon dont je traite ce genre d’affaire, je ne veux pas laisser naître des espoirs prématurés, nous y travaillons d’arrache-pied et, quand je parlais de frustration, vous l’avez vu, j’essaie de tout faire pour arrêter ce massacre. J’étais au Conseil de sécurité des Nations unies, Nous sommes allés à l’Assemblée générale des Nations unies, nous sommes allés à Tunis avec 80 délégations. Hier, j’étais au Conseil des droits de l’Homme à Genève, j’ai demandé que la communauté internationale étudie les conditions dans lesquelles on pourra traduire devant la Cour pénale internationale ceux qui se rendent coupables de crimes contre l’humanité.
Je ne renonce pas, et nous allons continuer à exercer la pression, il y aura une autre réunion des Amis du peuple syrien dans quinze jours ou trois semaines à Istanbul, une troisième…
Q - Trop tard, disent certains, trois semaines…
R - Bien sûr, bien sûr que c’est trop tard…
Q - Un massacre à Homs peut se produire demain, après-demain…
R - Bien sûr que c’est trop tard, le massacre se produit tous les jours, mais nous ne pouvons pas passer en force et nous ne pouvons pas provoquer une conflagration avec la Russie, qui continue…
Q - À bloquer…
R - À bloquer. Il faut quand même désigner les responsabilités dans cette affaire. Nous avons fait le maximum, mais nous n’avons pas encore bien sûr atteint la pression suffisante, nous allons continuer à accentuer la pression.
Q - Imaginez-vous que justement, la Russie change d’attitude après l’élection présidentielle qui doit se dérouler dimanche prochain ?
R - C’est possible, et il est incontestable que le climat préélectoral en Russie conduit son gouvernement à prendre des positions nationalistes, extrêmes d’une certaine manière, mais il s’isole de plus en plus, et dans le monde arabe, la Russie est aujourd’hui profondément isolée et incomprise surtout.
Q - Certains évoquent une possibilité d’action militaire de la Ligue arabe seule.
R - Je l’ai dit, l’option militaire pourrait avoir des conséquences catastrophiques dans la région, parce qu’on n’est pas en Libye, on est en Syrie. Le risque de guerre civile entre des communautés qui sont prêtes à s’affronter, les Alaouites, les Sunnites, les Chiites, les Kurdes et les Chrétiens font que la situation est très différente de celle que nous avons connue en Libye.
Q - Avez-vous des nouvelles au moins de l’état de santé, par exemple d’Édith Bouvier ?
R - Oui, nous avons des informations. On a été très inquiets à un moment donné sur les risques qu’elle courait, il semble que sa situation de santé soit stabilisée, mais il faut qu’elle puisse être évacuée le plus vite possible. On ne peut pas vivre indéfiniment avec une fracture du fémur comme celle qu’elle a vraisemblablement.
Q - Il nous faut d’ailleurs dire le degré de sauvagerie est tel que même les corps des journalistes tués mercredi dernier sont encore dans les ruines à Homs et ne peuvent pas eux-mêmes être évacués pour un enterrement digne.
R - Absolument, et on a franchi toutes les limites de la barbarie, les chiffres qui circulent sont validés par les organisations internationales, on est aux alentours de 8.000 morts. Des centaines d’enfants ont été tués, torturés, et quand je vois le président syrien parader dans un bureau de vote à Damas avec ce référendum bidon…
Q - Dimanche…
R - C’est une indignation profonde, bien sûr, qui s’empare de tous ceux qui voient ce spectacle.
Q - On peut dire aujourd’hui que la communauté internationale est impuissante, Alain Juppé ?
R - Oui, bien sûr, tant qu’on n’aura pas pu arrêter le massacre, on se sentira impuissant, mais nous ne restons pas inactifs, et nous continuons à agir sur tous les fronts, à chaque fois que c’est possible.
Q - Quel est le prochain rendez-vous important, il n’y en a pas, ce sont des discussions, ce sont des pressions, ce sont des…
R - Kofi Annan vient d’être désigné par le Secrétaire général des Nations unies. C’est un homme courageux, très respecté, très sage. Je l’ai rencontré hier à Genève, il a déjà pris des contacts pour essayer d’arrêter le massacre. Par ailleurs, une résolution à vocation humanitaire, en faveur d’un cessez-le-feu humanitaire et de l’accès de l’aide humanitaire dans les sites les plus menacés est en cours de discussion au Conseil de sécurité ; on peut espérer que la Chine et la Russie ne mettront pas leur veto à cette résolution.
(…).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er mars 2012