Conférence de presse de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, sur la contribution de la France à la sécurité et à la reconstruction économique de la Somalie, l'aide humanitaire à la Syrie, et le nucléaire iranien, Londres le 23 février 2012.

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Circonstance : Participation d'Alain Juppé à la Conférence de Londres sur la Somalie, à Londres le 23 février 2012

Texte intégral

Je suis heureux d’être à Londres aujourd’hui et d’avoir pu participer à cette conférence sur la Somalie, qui est une réussite.
Je voudrais féliciter le Premier ministre, David Cameron et mon collègue William Hague pour la parfaite préparation et organisation de cette rencontre. J’ai eu l’occasion de dire, dans une intervention qui, je crois, a été retransmise par les télévisions, combien la France souhaitait accompagner la Somalie dans sa reconstruction et sa pacification. C’est pour nous une obligation politique d’abord, car la crise somalienne a des répercussions dans l’ensemble de la sous-région et favorise le développement du terrorisme. C’est aussi une obligation morale parce que nous connaissons toutes les souffrances du peuple somalien. C’est également une obligation pour la France qui est directement concernée. Je voudrais rappeler l’assassinat odieux de Mme Dedieu, l’une de nos compatriotes qui a été enlevée et exécutée par des terroristes. Nous avons aussi des otages victimes des terroristes en Somalie et au Sahel.
Il semble qu’aujourd’hui, une fenêtre d’opportunité, comme l’on dit dans le langage diplomatique, s’ouvre et que les perspectives s’améliorent pour la Somalie. Le gouvernement fédéral de transition est à l’œuvre et a défini une feuille de route que nous soutenons.
L’Union africaine et les pays qui envoient des soldats sous le drapeau de l’AMISOM jouent un rôle important pour la sécurisation du pays.
Je voudrais rappeler que l’Union européenne et la France - on ne le rappelle peut-être pas souvent - sont également fortement engagées. La France a formé plus de 16.000 soldats africains depuis 2006 ; ils participent au contingent de l’AMISOM. L’opération EUTM (European Union Training Mission), à laquelle nous participons, forme aussi les forces de sécurité somaliennes. Nous avons été, dès l’origine, engagés dans l’opération de lutte contre la piraterie le long de la Corne de l’Afrique : c’est l’Opération Atalante de l’Union européenne
Enfin, nous contribuons évidemment financièrement, de façon très importante à l’aide humanitaire. Nous allons donc poursuivre dans cette direction avec tous les acteurs qui étaient représentés ce matin : l’Union africaine, l’ONU, l’Union européenne, les partenaires également bilatéraux pour encourager le développement du dialogue inter-somalien, pour améliorer la fourniture de l’aide humanitaire, pour renforcer la lutte contre la piraterie, notamment en cherchant des solutions à terre pour qu’une juridiction spécialisée puisse mettre fin à l’impunité dont bénéficient souvent les pirates. Bien sûr, il faut également accompagner le processus politique. Sur tous ces sujets, le peuple somalien peut compter sur l’engagement de la France.
Je voudrais aussi dire un mot de la situation en Syrie puisque nous en avons parlé avec plusieurs de nos partenaires et nous avons préparé la Conférence qui se tiendra à Tunis demain et à laquelle je participerai bien sûr avec près de 60 délégations. Ce qui se passe en Syrie est chaque jour plus révoltant, plus scandaleux, plus honteux. Le régime massacre son peuple.
Je voudrais en particulier élever une vigoureuse protestation face au sort qui est réservé aux journalistes prisonniers des forces syriennes à Homs. Deux d’entre eux sont morts, dont un Français, une autre est gravement blessée et j’ai demandé hier au gouvernement de Damas de permettre son évacuation. Pour l’instant, rien n’a été fait. Je crois qu’une vidéo circule, elle montre dans quelles conditions de santé extrêmement précaires se trouve cette femme. Je pense aussi à tout le peuple syrien qui est victime de la même répression.
Donc, nous allons à nouveau, demain, en Tunisie, rassembler les forces de la communauté internationale pour essayer d’exercer une pression supplémentaire afin que soit mis un terme aux massacres, que l’accès de l’aide humanitaire soit facilité ou même tout simplement permis, pour qu’ensuite le processus politique de règlement de la crise, selon les propositions de la Ligue arabe et que nous soutenons pleinement, puisse être relancé dans le but de surmonter les oppositions que vous connaissez, que ce soit au Conseil de sécurité ou celles bien sûr qui viennent du régime lui-même.
Nous avons, c’est vrai, un grand sentiment de frustration. Je comprends aussi le sentiment d’impuissance de nos opinions publiques qui nous disent : «Très bien, vous vous réunissez mais pendant ce temps-là, les morts s’additionnent».
Pour moi, c’est une angoisse, un tourment très profond et nous essayons de faire tout ce que nous pouvons, puisqu’il n’est pas question pour nous bien sûr de violer les règles du droit international ni d’agir sans un feu vert du Conseil de sécurité des Nations unies.
Voilà ce que je voulais vous dire sur la réunion d’aujourd’hui et, par anticipation, sur celle de demain.
Q - Un certain nombre de médias ont fait état récemment d’une conversation de militaires syriens, information selon laquelle ordre aurait été donné de tirer délibérément contre ce qui servait de centre de presse aux journalistes qui étaient présents hier à Homs et qui ont été touchés par ces bombardements. La France, elle aussi, a-t-elle ce type d’informations ? Oui ou non, ce tir, selon vous, a été fait de façon délibérée ?
R - Je ne peux pas répondre à cette question, tout simplement parce que je n’ai pas d’information en ce sens et, compte tenu de la gravité de l’accusation, je ne parlerai qu’avec des preuves. Il n’en reste pas moins que la responsabilité du régime syrien est pleinement engagée du fait de ce qui se passe vis-à-vis de sa population d’une part, et d’autre part, vis-à-vis des journalistes qui font leur métier, qui essaient d’assurer un minimum de liberté d’information et qui sont piégés aujourd’hui dans des conditions qui sont contraires au droit, aux règles internationales et à l’humanité.
Q - Sur la Somalie, quelles sont les principales avancées qui ont été obtenues aujourd’hui à l’issue de cette conférence ? Et quelle est la position de la France sur l’éventualité de frappes aériennes contre les insurgés demandées par le Premier ministre somalien ?
R - La principale avancée, elle a été obtenue, hier ou avant-hier, par le vote de la résolution par le Conseil de sécurité qui a relevé le plafond de l’AMISOM des 12.000 soldats actuels à près de 18.000, 17.700 pour être exact. Et, donc, cela va permettre de renforcer le dispositif ; vous savez que ce sont des troupes africaines, sous le drapeau de l’Union africaine, mais avec le soutien des Nations unies, et donc la participation financière des pays membres des Nations unies, dont la France.
Je voudrais souligner que cela se traduira par un doublement de l’effort financier au soutien à l’AMISOM. En ce qui concerne l’équipement des troupes somaliennes, la question n’a pas été évoquée ce matin, et l’hypothèse que vous avez citée ne l’a pas été non plus.
Nous développons aussi, bien sûr, notre aide économique, notre assistance humanitaire, enfin tous les chapitres que j’ai évoqués tout à l’heure. Et je voudrais à nouveau insister, car je crois qu’on n’a pas été nombreux à le rappeler - je crois que Mme Ashton l’a fait et moi aussi - sur la forte implication de l’Union européenne dans cette action.
Q - Sur la Somalie toujours, on parle de 200 combattants étrangers qui auraient rejoint le Shebab et d’une cinquantaine qui viendrait de Grande-Bretagne. À quel point cela vous inquiète et quelles sont concrètement les mesures que vous pouvez prendre là-dessus ?
R - Oui, nous savons qu’il y a vraisemblablement des infiltrations terroristes et on connaît les liens entre les Shebab et Al-Qaïda. Nous sommes évidemment très préoccupés, c’est une raison supplémentaire pour soutenir les efforts du gouvernement de transition et soutenir l’AMISOM.
Les choses sont en train d’évoluer favorablement sur le terrain et nous avons appris hier la chute d’une ville au Sud de la Somalie qui était jusqu’à présent détenue par les Shebab et qui vient d’être prise par les soldats de l’AMISOM et les Somaliens.
Donc, voilà, les choses progressent et nous pensons que, petit à petit, grâce à l’effort des troupes kenyanes intégrées à l’AMISOM dans sa nouvelle formation au Sud, nous pourrons juguler ce péril terroriste qui est très fort.
Peut-être une question d’un journaliste britannique.
Q - Si je peux, Monsieur le Ministre, vous demander de répondre en anglais, je vous en serais très reconnaissant. En ce qui concerne la Syrie, pourriez-vous nous dire ce que vous, et ce que la France, voudraient voir sortir de la réunion de demain en ce qui concerne un possible ultimatum au président Assad, combien de temps lui serait donné, et qu’est-ce qu’il devrait faire pour éviter un renforcement des sanctions ? Pouvez-vous nous en dire un petit peu plus au sujet des actions qui pourraient être prises sans que cela soit la forme d’intervention militaire dont vous nous avez dit qu’elle nécessiterait une autorisation des Nations unies ? En d’autres mots, la France est-elle prête à fournir un soutien militaire actif aux rebelles ? Est-ce que d’autres doivent fournir un soutien militaire actif et est-il possible que les forces occidentales soient employées à sécuriser un corridor humanitaire, est-ce que c’est ce qu’il faudrait faire pour permettre de réaliser cela ? Et ma dernière question, est-ce que le nouveau rapport…
R - Il y a trois questions en une !
Q - … Je sais. Ma dernière question : le nouveau rapport de la Commission d’enquête, mise en place par l’ONU, a apparemment établi que de hautes autorités, y compris - nous croyons - le président Assad, ont leurs noms contenus dans une lettre scellée, ce qui pourrait le conduire à l’avenir à une mise en accusation. Êtes-vous d’avis que le président Assad doit être jugé devant la Cour pénale internationale de La Haye ?
R - Brièvement, sur la conférence, notre priorité est de faciliter l’accès humanitaire, la fourniture d’aide humanitaire. Et nous avons des propositions sur la table sur la meilleure façon de fournir cette aide aussi vite que possible, si le régime accepte d’ouvrir le pays aux ONG ou à la Croix Rouge. Mme Valérie Amos qui est la directrice du BCAH, ira en Syrie dans les prochains jours, c’est la priorité de la conférence demain. Mais nous voulons aussi réaffirmer le consensus, l’unité de la communauté internationale pour exercer le maximum de pression sur le régime, et aussi sur la Russie. Je pense que c’est un calcul et un objectif difficiles mais montrer la détermination de la communauté internationale n’est pas seulement symbolique. Je pense que c’est aussi politiquement très important. Il n’y a pas d’option militaire pour le moment sur la table, et comme je l’ai dit auparavant, la France ne peut pas envisager une telle option sans un mandat international : c’est notre ligne de conduite qui est claire et constante.
Sur la Cour pénale internationale, je dois être à Genève lundi prochain pour la réunion du Conseil des droits de l’Homme et nous discuterons de ce point. Comme vous le savez, l’enquête commanditée par le Conseil indique qu’il y a des crimes contre l’humanité en Syrie et je pense qu’un jour ou l’autre, la responsabilité du régime sera bien sûr mise en cause.
Q - Si je peux poser une question sur l’Iran : est-ce que l’échec de la mission de l’AIEA en Iran, quel impact cela-a-t-il sur les chances de pourparlers des E3+3 avec l’Iran ? Est-ce que cela les rend moins probables ou plus probables parce que désormais c’est la seule option diplomatique ouverte ?
R - Nous discutons de ce sujet au sein des Six et la France est très, très prudente. La dernière lettre de M. Jalili est certainement une ouverture mais cette ouverture est très ambigüe et pour nous, il n’est pas question de lever les sanctions avant que le régime n’envoie un message concret et fasse un premier pas pour montrer sa bonne volonté. Et cela n’a pas été le cas, comme vous l’avez dit, durant la mission de l’Agence internationale, parce que le régime a refusé d’autoriser les inspecteurs à aller sur le site qu’ils voulaient visiter. Nous sommes donc très prudents mais nous discutons ce point avec les Américains, les Britanniques, les Allemands, les Russes et les Chinois.
Bien, peut-être une dernière question.
Q - Quelles pistes sont actuellement explorées pour exfiltrer les journalistes français et étrangers qui sont actuellement bloqués en Syrie ? Avez-vous des informations précises d’ailleurs sur le nombre de journalistes français en Syrie actuellement ? Un accord humanitaire serait apparemment en discussion, de source américaine, pour être signé à Tunis. Est-ce que vous pouvez nous donner des précisions là-dessus ?
R - Il n’y a pas d’accord humanitaire en discussion. Les Américains prennent des initiatives avec nous. Nous en avons parlé ce matin, donc, s’il y a une initiative, elle sera collective. Nous sommes en train, bien sûr, d’y réfléchir. Ce que nous voulons, c’est nous mettre en mesure d’agir le plus vite possible si le régime finissait par accepter un libre accès de l’aide humanitaire. J’ai lancé il y a quelques semaines l’idée de corridors humanitaires. À l’époque, le monde avait considéré que c’était très audacieux et peut-être prématuré. On voit aujourd’hui que c’est plus que jamais nécessaire.
Sur l’exfiltration - je ne sais pas si c’est le bon mot - de journalistes, la voie que nous avons choisie, c’est d’exiger du régime qu’il permette l’évacuation de ces journalistes de façon à leur faire courir le moins de risque possible, parce que toute autre opération serait évidemment extrêmement risquée. La seule chose qui a un peu bougé, c’est qu’apparemment, d’après une dernière dépêche que je viens de recevoir, Damas aurait donné pour instruction au gouverneur de Homs de faciliter le départ des journalistes de la ville de Homs. Pour l’instant, c’est une annonce. Ce n’est pas une mesure concrète et c’est la raison pour laquelle j’ai renouvelé mon appel.
Quant au nombre de journalistes présents en Syrie, je ne peux pas vous répondre puisque malheureusement, - c’est ainsi, ce n’est pas un jugement de valeur - la plupart d’entre eux entrent clandestinement et, donc, nous ne sommes pas toujours informés. Nous ne connaissions pas l’existence de ce groupe qui, apparemment, était assez nombreux et qui se trouvait à Homs durant cette mission.
Voilà, Mesdames et Messieurs, je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 février 2012