Texte intégral
FRÉDÉRIC RIVIERE Quest-ce que vous pensez du ton de la campagne présidentielle, qui depuis quelques jours, tourne beaucoup autour des questions dimmigration, dintégration, de communautarisme ou même de religion, cest le débat sur la viande halal et casher ?
JEANNETTE BOUGRAB Ecoutez, cest des débats assez récurrents, mais ce qui me surprend systématiquement, cest que normalement dans une démocratie, qui est mûre, mâture, tous les sujets doivent pouvoir être abordés avec une forme de sérénité. Et dès quon parle dimmigration, les esprits séchauffent, et ça donne lieu à toutes les exagérations, les caricatures, et les stigmatisations. Moi, je trouve ça un peu dommage. Les questions dintégration, sont des questions essentielles, fondamentales, elles participent de ce modèle républicain, qui nous est cher. Vous savez, que moi, je suis une combattante acharnée de la laïcité, et que je trouve un peu dommage que voilà, sur la question de labattage rituel, puisque vous allez men parler, ça me
FREDERIC RIVIERE Quest-ce que vous avez pensé par exemple, des propos de François FILLON ? Quand il a dit, ces traditions ancestrales sur lesquelles reposent les abattages rituels ne correspondent plus à grand-chose aujourdhui, des propos qui ont beaucoup choqué les communautés juives et musulmanes ?
JEANNETTE BOUGRAB Mais je crois, quelles ont, enfin, sincèrement, moi, elles ne mont pas du tout choquées. Voilà, mais je ne veux pas, je suis dorigine algérienne, la fête de lAïd, il y a des moments qui sont des moments très importants
FREDERIC RIVIERE Cest pour ça que cest intéressant, aussi, davoir votre avis, sur ces questions-là.
JEANNETTE BOUGRAB Et que jai vu, je vais peut-être choquer des auditrices et des auditeurs, où jai vu mon père tuer le mouton. Donc je ne vais pas vous dire que ça fait partie de ma culture. Donc la seule chose, cest quon a le droit de le dire. On a le droit de le dire. C'est-à-dire que dans un pays où il y a la liberté dexpression, où le délit de blasphème nexiste pas. On doit pouvoir, en tout cas, dire ce genre de choses, sans que ça provoque de tels remouds, de telles polémiques. Je ne comprends pas, dans un Etat où cest la liberté dexpression, la liberté de conscience, la liberté religieuse, quon puisse ne pas le dire.
FREDERIC RIVIERE Est-ce que vous déplorez par exemple, alors que le Premier ministre soit obligé de recevoir le représentant de la communauté juive, de la communauté musulmane aujourdhui, pour les rassurer après ces propos ?
JEANNETTE BOUGRAB Cest son rôle, puisque cest un rôle dunion nationale. Mais ce que jaimerai dire, cest quil ne faut pas se focaliser, sur la question de labattage rituel. Ce qui moi, me surprend, cest que derrière tout ça, cest quon a une montée des communautaristes, parce que labattage rituel est une chose, mais on a vu apparaître ce quon appelle, toute lindustrie du halal, où éventuellement tout devient et il y a encore quelques années, les seuls produits un peu identifiés comme communautaires, cétait, vous ne connaissez pas ça, cest ce quon appelle le raïb, qui est du lait caillé, qui nest pas bon du tout, dailleurs et puis effectivement, au moment des fêtes musulmanes, il y avait la question de labattage rituel, et ça se faisait assez naturellement, enfin, voilà, il ny avait pas de problème. Je nai pas de souvenir de problème. La seule chose
FREDERIC RIVIERE Alors quest-ce qui a changé dans la société pour quon en soit là ?
JEANNETTE BOUGRAB Ce qui a changé, cest que, vous vous souvenez, il y a quelques années, le Mecca-Cola, vous vous souvenez éventuellement, moi, ce qui me surprend, cest des sites de rencontres communautaires. Vous savez, alors je ne veux pas donner de noms de sites, mais en gros un MEETING
FREDERIC RIVIERE Rencontrer un musulman, rencontrer un juif, et inversement oui.
JEANNETTE BOUGRAB Oui, cest ça. Quand vous allez dans des rayons des supermarchés, quand vous déambulez, dans les rayons vous voyez pleins de produits qui étaient, qui sont désormais halal et qui moi, nexistaient pas, ou kacher dailleurs. On pourrait dire la même chose. Et moi, ça reflète juste effectivement, un repli identitaire. Et cest peut-être ça, qui devrait davantage inquiéter. La question des abattages rituels sont faits dans des règles sanitaires dordre public, il ny a pas de problème. Le principe de transparence, moi, jy adhère tout à fait. Tout le monde a envie de savoir si par exemple, si cest un produit Bio, je nen sais rien, etc. et je ne vois pas pourquoi des laïcs ou des gens qui ne croient pas en Dieu, devraient, voilà
FREDERIC RIVIERE Alors ce phénomène que vous pointez, est-ce que ça nest pas, comme le dit Nicolas SARKOZY, ou plutôt est-ce que vous êtes daccord avec Nicolas SARKOZY, quand il dit, quau fond, il y a trop détrangers en France aujourdhui, et que lintégration ne fonctionne plus ?
JEANNETTE BOUGRAB Moi, ce que je dis, puisque jai eu loccasion de le redire à chaque fois, cest que personne ne veut se préoccuper de ceux qui sont en France et qui sont au chômage, qui vivent dans des zones urbaines sensibles, dans des conditions qui ne sont pas toujours assez décentes, et ça, on les oublie. On les oublie, parce que maintenant, quils sont en France, après tout, cest déjà beau. Quand vous avez un taux de chômage qui est trois fois supérieurs au reste de la population. Quand vous voyez ces vieux chibanis, qui nont pas des retraites complètes, et qui sont en France, depuis 30 ans ou 40 ans, et qui vivent dans des foyers SONACOTRA. Personne ne sen occupe. Voilà ! Moi, je veux bien quaprès tout, on discute toujours de lentrée, mais pourquoi on ne soccupe pas des gens qui sont sur ce territoire et qui ont travaillé, qui ont contribué à la richesse de la France, et qui ne vivent pas dans des conditions décentes et dont leurs enfants, leurs petits-enfants, ne vont pas toujours très bien, à tel point quil y a un repli identitaire.
FREDERIC RIVIERE Il y a trop détrangers ou pas ? En France ? Comme le dit Nicolas SARKOZY.
JEANNETTE BOUGRAB Je ne peux pas, je ne crois pas, et je ne crois pas quil y a trop détrangers en France. Voilà ! Vous comprenez, je ne peux pas vous dire ça !
FREDERIC RIVIERE Bien entendu ! Mais cest la phrase du président de la République, du président candidat ?
JEANNETTE BOUGRAB Mais non ! Ce quil dit et
FREDERIC RIVIERE Cest textuel, là, en loccurrence.
JEANNETTE BOUGRAB Non, non, mais vous sortez, vous sortez
FREDERIC RIVIERE Non, non, il y a trop détrangers en France, et aujourdhui, lintégration ne fonctionne plus, parce quon ne peut pas leur offrir un logement, un emploi, une école.
JEANNETTE BOUGRAB Donc moi, ce que je veux vous dire, cest quaujourdhui, tout le monde peut discuter des conditions dentrée sur un territoire. Si vous voyez les conditions du Canada ou des Etats-Unis, cest des conditions drastiques, draconiennes, qui nont strictement rien à voir avec les conditions dentrée en France. Et nous, en fait, quand on parle de conditions, on est des salauds et quand cest les Etats-Unis ou le Canada, cest le rêve américain daller aux Etats-Unis. Alors moi, je veux bien, quon mexplique tout ce quon veut, mais voilà ! Mais moi, ce que je vous dis, cest que ce que je regrette, cest que dans la campagne, à lexception de Nicolas SARKOZY qui explique que ce nest pas acceptable, que des enfants ou des personnes qui sont là sur le territoire vivent dans des conditions indécentes, donc peut-être le devoir de la France, cest de soccuper de ces personnes-là. Eh bien, cest passé sous silence. Cest ce qua dit Nicolas SARKOZY, il me semble sur FRANCE 2.
FREDERIC RIVIERE Cest aujourdhui, Jeannette BOUGRAB, la journée de la femme ! Quest-ce que vous pensez de la place faite aux femmes, dans cette campagne ? Et à lUMP, par exemple ? 28 % environ dinvestiture aux législatives ?
JEANNETTE BOUGRAB Oui, alors je tiens à dire que je ne suis absolument pas investie. Donc ce nest pas moi, qui vais grossir les rangs des investitures de lUMP. Eh bien, elle nest pas suffisante. Je ne vais pas vous le cacher, je ne vais pas vous mentir. Je nai pas lhabitude dêtre langue de bois. La situation des femmes en France, évidemment est plus avantageuse, si on prend la situation des femmes aujourdhui en Tunisie et en Egypte. Bien évidemment, mais ce nest pas suffisant ! Et je trouve que la France nest pas à la hauteur de ses ambitions sur ce sujet-là.
FREDERIC RIVIERE Et les jeunes, on en parle assez dans cette campagne ? François HOLLANDE, lui, en parle beaucoup.
JEANNETTE BOUGRAB Oui, non mais cest facile den faire un slogan. Et de ne rien proposer derrière. Donc moi, je veux bien, parce quaprès tout, cest un peu, vous savez quand le Général disait : il ne suffit pas de sauter comme un cabri
FREDERIC RIVIERE Le Général de GAULLE.
JEANNETTE BOUGRAB Oui, en disant : lEurope, lEurope, lEurope. Là, on dit les jeunes, les jeunes, les jeunes, mais il ny a rien derrière. Alors nous, on a fait des choses, notamment sur la question des grossesses précoces, sur la question du suicide des jeunes, parce que cest la deuxième cause de mortalité, sur lalcool, sur la question du permis de conduire. On a fait des choses très pragmatiques et concrètes. Alors peut-être que ça fait moins de grands discours, quand on parle de sujets qui concernent des jeunes. Mais par exemple, moi, jétais il y a deux jours, dans le Nord, et quand vous dites : un foyer de mères ados, où vous avez des gamines qui ont entre 13 et 17 ans, et qui ont arrêté lécole depuis 2-3 ans et qui ont un petit bébé de 8 mois. Eh bien, je trouve quon devrait sen occuper.
Source : Premier ministre, Service dInformation du Gouvernement, le 15 mars 2012