Interview de Mme Jeannette Bougrab, secrétaire d'Etat à la jeunesse et à la vie associative à RFI le 8 mars 2012, sur la campagne électorale de l'élection présidentielle d'avril 2012, notamment la polémique sur la viande hallal et la journée des femmes.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral


FRÉDÉRIC RIVIERE Qu’est-ce que vous pensez du ton de la campagne présidentielle, qui depuis quelques jours, tourne beaucoup autour des questions d’immigration, d’intégration, de communautarisme ou même de religion, c’est le débat sur la viande halal et casher ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Ecoutez, c’est des débats assez récurrents, mais ce qui me surprend systématiquement, c’est que normalement dans une démocratie, qui est mûre, mâture, tous les sujets doivent pouvoir être abordés avec une forme de sérénité. Et dès qu’on parle d’immigration, les esprits s’échauffent, et ça donne lieu à toutes les exagérations, les caricatures, et les stigmatisations. Moi, je trouve ça un peu dommage. Les questions d’intégration, sont des questions essentielles, fondamentales, elles participent de ce modèle républicain, qui nous est cher. Vous savez, que moi, je suis une combattante acharnée de la laïcité, et que je trouve un peu dommage que voilà, sur la question de l’abattage rituel, puisque vous allez m’en parler, ça me…
 
FREDERIC RIVIERE Qu’est-ce que vous avez pensé par exemple, des propos de François FILLON ? Quand il a dit, ces traditions ancestrales sur lesquelles reposent les abattages rituels ne correspondent plus à grand-chose aujourd’hui, des propos qui ont beaucoup choqué les communautés juives et musulmanes ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Mais je crois, qu’elles ont, enfin, sincèrement, moi, elles ne m’ont pas du tout choquées. Voilà, mais je ne veux pas, je suis d’origine algérienne, la fête de l’Aïd, il y a des moments qui sont des moments très importants…
 
FREDERIC RIVIERE C’est pour ça que c’est intéressant, aussi, d’avoir votre avis, sur ces questions-là.
 
JEANNETTE BOUGRAB Et que j’ai vu, je vais peut-être choquer des auditrices et des auditeurs, où j’ai vu mon père tuer le mouton. Donc je ne vais pas vous dire que…ça fait partie de ma culture. Donc la seule chose, c’est qu’on a le droit de le dire. On a le droit de le dire. C'est-à-dire que dans un pays où il y a la liberté d’expression, où le délit de blasphème n’existe pas. On doit pouvoir, en tout cas, dire ce genre de choses, sans que ça provoque de tels remouds, de telles polémiques. Je ne comprends pas, dans un Etat où c’est la liberté d’expression, la liberté de conscience, la liberté religieuse, qu’on puisse ne pas le dire.
 
FREDERIC RIVIERE Est-ce que vous déplorez par exemple, alors que le Premier ministre soit obligé de recevoir le représentant de la communauté juive, de la communauté musulmane aujourd’hui, pour les rassurer après ces propos ?
 
JEANNETTE BOUGRAB C’est son rôle, puisque c’est un rôle d’union nationale. Mais ce que j’aimerai dire, c’est qu’il ne faut pas se focaliser, sur la question de l’abattage rituel. Ce qui moi, me surprend, c’est que derrière tout ça, c’est qu’on a une montée des communautaristes, parce que l’abattage rituel est une chose, mais on a vu apparaître ce qu’on appelle, toute l’industrie du halal, où éventuellement tout devient… et il y a encore quelques années, les seuls produits un peu identifiés comme communautaires, c’était, vous ne connaissez pas ça, c’est ce qu’on appelle le raïb, qui est du lait caillé, qui n’est pas bon du tout, d’ailleurs et puis effectivement, au moment des fêtes musulmanes, il y avait la question de l’abattage rituel, et ça se faisait assez naturellement, enfin, voilà, il n’y avait pas de problème. Je n’ai pas de souvenir de problème. La seule chose…
 
FREDERIC RIVIERE Alors qu’est-ce qui a changé dans la société pour qu’on en soit là ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Ce qui a changé, c’est que, vous vous souvenez, il y a quelques années, le Mecca-Cola, vous vous souvenez éventuellement, moi, ce qui me surprend, c’est des sites de rencontres communautaires. Vous savez, alors je ne veux pas donner de noms de sites, mais en gros un MEETING…
 
FREDERIC RIVIERE Rencontrer un musulman, rencontrer un juif, et inversement oui.
 
JEANNETTE BOUGRAB Oui, c’est ça. Quand vous allez dans des rayons des supermarchés, quand vous déambulez, dans les rayons vous voyez pleins de produits qui étaient, qui sont désormais halal et qui moi, n’existaient pas, ou kacher d’ailleurs. On pourrait dire la même chose. Et moi, ça reflète juste effectivement, un repli identitaire. Et c’est peut-être ça, qui devrait davantage inquiéter. La question des abattages rituels sont faits dans des règles sanitaires d’ordre public, il n’y a pas de problème. Le principe de transparence, moi, j’y adhère tout à fait. Tout le monde a envie de savoir si par exemple, si c’est un produit Bio, je n’en sais rien, etc. et je ne vois pas pourquoi des laïcs ou des gens qui ne croient pas en Dieu, devraient, voilà…
 
FREDERIC RIVIERE Alors ce phénomène que vous pointez, est-ce que ça n’est pas, comme le dit Nicolas SARKOZY, ou plutôt est-ce que vous êtes d’accord avec Nicolas SARKOZY, quand il dit, qu’au fond, il y a trop d’étrangers en France aujourd’hui, et que l’intégration ne fonctionne plus ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Moi, ce que je dis, puisque j’ai eu l’occasion de le redire à chaque fois, c’est que personne ne veut se préoccuper de ceux qui sont en France et qui sont au chômage, qui vivent dans des zones urbaines sensibles, dans des conditions qui ne sont pas toujours assez décentes, et ça, on les oublie. On les oublie, parce que maintenant, qu’ils sont en France, après tout, c’est déjà beau. Quand vous avez un taux de chômage qui est trois fois supérieurs au reste de la population. Quand vous voyez ces vieux chibanis, qui n’ont pas des retraites complètes, et qui sont en France, depuis 30 ans ou 40 ans, et qui vivent dans des foyers SONACOTRA. Personne ne s’en occupe. Voilà ! Moi, je veux bien qu’après tout, on discute toujours de l’entrée, mais pourquoi on ne s’occupe pas des gens qui sont sur ce territoire et qui ont travaillé, qui ont contribué à la richesse de la France, et qui ne vivent pas dans des conditions décentes et dont leurs enfants, leurs petits-enfants, ne vont pas toujours très bien, à tel point qu’il y a un repli identitaire.
 
FREDERIC RIVIERE Il y a trop d’étrangers ou pas ? En France ? Comme le dit Nicolas SARKOZY.
 
JEANNETTE BOUGRAB Je ne peux pas, je ne crois pas, et je ne crois pas qu’il y a trop d’étrangers en France. Voilà ! Vous comprenez, je ne peux pas vous dire ça !
 
FREDERIC RIVIERE Bien entendu ! Mais c’est la phrase du président de la République, du président candidat ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Mais non ! Ce qu’il dit et…
 
FREDERIC RIVIERE C’est textuel, là, en l’occurrence.
 
JEANNETTE BOUGRAB Non, non, mais vous sortez, vous sortez…
 
FREDERIC RIVIERE Non, non, il y a trop d’étrangers en France, et aujourd’hui, l’intégration ne fonctionne plus, parce qu’on ne peut pas leur offrir un logement, un emploi, une école.
 
JEANNETTE BOUGRAB Donc moi, ce que je veux vous dire, c’est qu’aujourd’hui, tout le monde peut discuter des conditions d’entrée sur un territoire. Si vous voyez les conditions du Canada ou des Etats-Unis, c’est des conditions drastiques, draconiennes, qui n’ont strictement rien à voir avec les conditions d’entrée en France. Et nous, en fait, quand on parle de conditions, on est des salauds et quand c’est les Etats-Unis ou le Canada, c’est le rêve américain d’aller aux Etats-Unis. Alors moi, je veux bien, qu’on m’explique tout ce qu’on veut, mais voilà ! Mais moi, ce que je vous dis, c’est que ce que je regrette, c’est que dans la campagne, à l’exception de Nicolas SARKOZY qui explique que ce n’est pas acceptable, que des enfants ou des personnes qui sont là sur le territoire vivent dans des conditions indécentes, donc peut-être le devoir de la France, c’est de s’occuper de ces personnes-là. Eh bien, c’est passé sous silence. C’est ce qu’a dit Nicolas SARKOZY, il me semble sur FRANCE 2.
 
FREDERIC RIVIERE C’est aujourd’hui, Jeannette BOUGRAB, la journée de la femme ! Qu’est-ce que vous pensez de la place faite aux femmes, dans cette campagne ? Et à l’UMP, par exemple ? 28 % environ d’investiture aux législatives ?
 
 JEANNETTE BOUGRAB Oui, alors je tiens à dire que je ne suis absolument pas investie. Donc ce n’est pas moi, qui vais grossir les rangs des investitures de l’UMP. Eh bien, elle n’est pas suffisante. Je ne vais pas vous le cacher, je ne vais pas vous mentir. Je n’ai pas l’habitude d’être langue de bois. La situation des femmes en France, évidemment est plus avantageuse, si on prend la situation des femmes aujourd’hui en Tunisie et en Egypte. Bien évidemment, mais ce n’est pas suffisant ! Et je trouve que la France n’est pas à la hauteur de ses ambitions sur ce sujet-là.
 
FREDERIC RIVIERE Et les jeunes, on en parle assez dans cette campagne ? François HOLLANDE, lui, en parle beaucoup.
 
JEANNETTE BOUGRAB Oui, non mais c’est facile d’en faire un slogan. Et de ne rien proposer derrière. Donc moi, je veux bien, parce qu’après tout, c’est un peu, vous savez quand le Général disait : il ne suffit pas de sauter comme un cabri…
 
FREDERIC RIVIERE Le Général de GAULLE.
 
JEANNETTE BOUGRAB Oui, en disant : l’Europe, l’Europe, l’Europe. Là, on dit les jeunes, les jeunes, les jeunes, mais il n’y a rien derrière. Alors nous, on a fait des choses, notamment sur la question des grossesses précoces, sur la question du suicide des jeunes, parce que c’est la deuxième cause de mortalité, sur l’alcool, sur la question du permis de conduire. On a fait des choses très pragmatiques et concrètes. Alors peut-être que ça fait moins de grands discours, quand on parle de sujets qui concernent des jeunes. Mais par exemple, moi, j’étais il y a deux jours, dans le Nord, et quand vous dites : un foyer de mères ados, où vous avez des gamines qui ont entre 13 et 17 ans, et qui ont arrêté l’école depuis 2-3 ans et qui ont un petit bébé de 8 mois. Eh bien, je trouve qu’on devrait s’en occuper.
 
Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 15 mars 2012