Interview de M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative à Europe 1 le 28 février 2012, sur le programme électoral de Nicolas Sarkozy en matière d'éducation et le climat de la campagne électorale de l'élection présidentielle d'avril 2012.

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Média : Europe 1

Texte intégral

 
 
 
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Chaque candidat place l’éducation au coeur du débat présidentiel. C’est plus qu’une mode ou du mimétisme ? Est-ce regret de ne pas l’avoir fait avant ? Est-ce hasard ou nécessité ?
 
LUC CHATEL D’abord nous avons fait beaucoup de choses. Je rappelle que la réforme du primaire qui a recentré les programmes sur les fondamentaux (lire, écrire, compter), l’aide personnalisée, l’aide à la lecture dès la maternelle avant le cour préparatoire, pour préparer la lecture, ce sont de grandes nouveautés. Ce que nous avons mis en place également dans le cadre de la formation initiale des enseignants – une année de formation initiale supplémentaire contre une rémunération plus forte : 18 % d’augmentation…
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais pourquoi maintenant ? Pourquoi cette place ? Et ce soir à Montpellier par exemple, le candidat Nicolas SARKOZY va prononcer un discours sur l’école. Est-ce qu’il va brutaliser les enseignants comme il l’a fait quelquefois ou enfin les chouchouter, peut-être les considérer ?
 
LUC CHATEL Je crois que le sujet n’est pas celui-là, Jean-Pierre ELKABBACH. Pourquoi maintenant ? Parce que les Français aiment leur école et aujourd'hui, l’éducation c’est un enjeu absolument considérable dans tous les grands pays, qu’ils soient développés ou qu’ils soient émergents. On se tourne vers l’avenir, l’école représente un espoir pour les Français et c’est important qu’elle s’adapte au monde d’aujourd'hui donc il doit y avoir un grand débat. Il se trouve qu’il n’y a pas eu de grand débat sur l’école dans les précédentes élections présidentielles.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais pourquoi ce sursaut tardif et maintenant urgent ?
 
LUC CHATEL Encore une fois ce n’est pas un sursaut tardif puisque pendant cinq ans nous avons travaillé. L’économie obligatoire pour tous, nous l’avons mis en place. Les internats d’excellence, tout à l'heure Nicolas SARKOZY sera à Montpellier, c’est aujourd'hui 10 000 élèves issus de milieux défavorisés qui ont une structure d’accueil qui va leur permettre de réussir à l’école.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Vous l’accompagnez, vous ?
 
LUC CHATEL Alors je ne l’accompagne parce que c’est le candidat qui est à Montpellier.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH C'est le candidat, bon. Mais quand il déclare : « L’école appartient à tous », il profère une évidence. L’école appartient à tous !
 
LUC CHATEL Et c’est parce qu’elle appartient à tous que le débat doit s’engager devant les Français et aujourd'hui, il y a deux vraies visions de l’école. Il y a ceux qui ont une vision j’allais dire exclusivement quantitative, une logique cantonnée sur les moyens.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Vous voulez dire on veut plus d’effectifs.
 
LUC CHATEL Les socialistes pensent qu’on ne peut réussir qu’en mettant davantage de moyens. Or, l’histoire plaide contre cela. Ça fait vingt-cinq ans qu’on met davantage de moyens dans l’école sans malheureusement obtenir des résultats exceptionnels malgré l’engagement et la qualité du travail de nos enseignants. Aujourd'hui le budget de l’éducation nationale par élève, c’est 80 % de plus en euros constants qu’en 1980. Est-ce que ça nous a placés dans les meilleurs classements internationaux des performances dans le système éducatif ?
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Vous voulez dire que s’il y en a beaucoup moins, on aura de meilleurs résultats ? Non, quand même pas !
 
LUC CHATEL Non. Ce que je veux dire, c’est que le sujet aujourd'hui est moins la quantité que la capacité d’affecter les moyens. L’école a changé, il faut changer.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Luc CHATEL, à Montpellier, le candidat va expliquer – il l’a dit dans Le Midi Libre, qu’il faut d’abord revaloriser d’urgence les enseignants.
 
LUC CHATEL Oui.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Comment ? Comment ?
 
LUC CHATEL D’abord nous sommes bien placés pour le proposer puisque nous l’avons fait sans précédent. Je rappelle que les professeurs débutants ont vu leur fiche de paie le 1er février dernier passer la barre des 2 000 euros. C’est 18 % de plus qu’en 2007.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Ça concerne combien ?
 
LUC CHATEL Ça concerne 120 000 personnes. Est-ce que vous connaissez beaucoup d’entreprises qui, dans la crise que nous traversons, entre 2007 et 2012, ont augmenté leurs collaborateurs de plus de 18 %. Il n’y en a pas et c’est un signe très fort que nous avons voulu adresser aux enseignants. Et nous allons continuer, c’est l’objectif de Nicolas SARKOZY.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais si vous êtes élu – enfin, s’il est élu – est-ce que vous maintenez le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux ? Et en 2012, qu’est-ce que ça a représenté ? Et au total en cinq ans, Luc CHATEL ?
 
LUC CHATEL Ce sera au candidat de s’exprimer sur ce sujet. Ce qui est certain, c’est que nous sommes dans un contexte de maîtrise de la dépense publique et que nous n’avons pas remplacé effectivement 150 000 fonctionnaires en cinq ans, environ 60 000 enseignants mais c’est ce qui nous a permis aussi de revaloriser les fonctionnaires. Sur les économies réalisées, la moitié ont été redistribuées en pouvoir d’achat, 1,4 milliard pour les enseignants.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Quand vous terminerez avec une poignée d’enseignants, qu’est-ce qu’ils toucheront comme argent à la fin du mois !
 
LUC CHATEL Je ne dirais pas une poignée, et c’est un peu dévalorisant par rapport à leur travail. Je rappelle qu’il y a 850 000 enseignants aujourd'hui, il y en a 35 000 de plus qu’il y a vingt ans.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH En 2013 si la gauche gagne – et on entend Vincent PEILLON, François HOLLANDE – c’en serait fini de votre règle d’un fonctionnaire sur deux qui part à la retraite non remplacé.
 
LUC CHATEL Écoutez, c’est très intéressant de poser la question à monsieur HOLLANDE et qu’il réponde enfin sur ce sujet parce que c’est le flou artistique. Monsieur HOLLANDE nous explique qu’il veut ne pas – enfin, il veut remplacer 100 % des départs en retraite, ça voudrait dire qu’il faudrait recruter le double d’enseignants chaque année. Nous en recrutons environ 12 000 par an, ça ferait 24 000 et il veut en plus recruter 60 000 postes supplémentaires, c'est-à-dire 12 000 par an de plus, ça voudrait dire au total 36 000 enseignants recrutés. Juste pour l’anecdote : il y a 40 000 candidats aux concours chaque année, ça veut dire que monsieur HOLLANDE va recruter 100 % des candidats ? C’est ça l’école de la République ? celle qui est basée sur l’excellence ?
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH François HOLLANDE refuse, refuse aussi – c’est ce qu’il dit – d’entrer dans la discussion du statut. En tous cas il est prêt à discuter, selon ses mots, du métier pour le faire évoluer. Comment vous projetez, vous, de réformer le statut des professeurs, des enseignants ?
 
LUC CHATEL Mais comment peut-on discuter du métier sans parler du statut ? Aujourd'hui la mission des enseignants est encadrée par un texte qui date de 1950, Jean-Pierre ELKABBACH. Est-ce que le monde n’a pas changé depuis 1950 ?
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Alors il s’agit de textes qui imposent, si j’ai bien lu, des obligations de services de 18 heures.
 
LUC CHATEL Voilà.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Est-ce que le candidat va proposer de revoir ce statut bien sûr, et d’augmenter les heures de présence et les heures de cours ?
 
LUC CHATEL Le candidat va proposer d’adapter les missions de l’école au monde d’aujourd'hui.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Ça veut dire quoi ?
 
LUC CHATEL Ça veut dire qu’en 1950, la principale mission de l’école c’était d’instruire, transmettre le savoir. Donc les professeurs, leur statut était basé sur le temps d’instruction, 18 heures de cours par semaine. Aujourd'hui, nous accueillons 100 % d’une classe d’âge au collège, 70 % d’une classe d’âge au lycée. Les classes ont changé, les enfants ont changé, chaque enfant est différent. Il faut donc s’adapter et l’enseignant il n’est pas uniquement un instructeur : c’est un éducateur, il doit accompagner les enfants, du temps d’accompagnement individuel, du soutien scolaire, de la présence dans l’établissement.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais pardon, quand il corrige les copies et qu’il le fait chez lui, comment vous comptez ses heures ? Ou alors vous lui créez, vous lui construisez des bureaux dans les lycées et les écoles pour…
 
LUC CHATEL Et pourquoi pas ? et pourquoi pas ? J’ai vu Jean-Pierre ELKABBACH, quand je suis allé en Finlande à Copenhague des lycées du futur, des lycées où les professeurs auront des bureaux, où il y a un vrai lieu de vie, où on ne part pas quand le cours est terminé. Je ne dis pas que c’est l’immense majorité des enseignants mais il faut faire de la présence des adultes dans l’établissement un choix, une présence qui doit accompagner les élèves tout au long de leur scolarité.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais Luc CHATEL, est-ce que vous imaginez si vous êtes élu, ou votre candidat est élu, une loi donc générale ou une forme plus souple et plus ouverte d’abord aux volontaires ?
 
LUC CHATEL Pardon, nous n’avons pas forcément besoin de loi puisqu’en l’occurrence ce texte est un décret. Par contre, plusieurs solutions s’offrent à nous et ce sera à Nicolas SARKOZY de s’exprimer sur le sujet, savoir si nous décidons d’un volontariat, c'est-à-dire d’une formule suffisamment incitative…
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Votre préférence à vous qui êtes ministre depuis trois ans ?
 
LUC CHATEL Moi si vous voulez, l’expérience de l’autonomie des universités a montré que lorsqu’on rend les choses très incitatives, tout naturellement on y vient. L’autonomie des universités elle n’a pas été décrétée pour les universités : elle a été rendue incitative. Aujourd'hui 90 % des universités sont autonomes.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Justement Luc CHATEL, vous parlez de l’autonomie des universités. Est-ce que vous allez généraliser l’autonomie des établissements scolaires ?
 
LUC CHATEL Je le souhaite. J’ai expérimenté une formule où dans 300 collèges en France, les 300 collèges les plus difficiles, il y a une autonomie de recrutement.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Et ça marche ?
 
LUC CHATEL C'est-à-dire que c’est le chef d’établissement, le principal, qui sur la base du projet pédagogique et du collège recrute ses propres enseignants, qui partage le projet.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Et c’est lui qui promeut ? Les promotions, c’est lui ?
 
LUC CHATEL Absolument. Les professeurs sont candidats, sont volontaires, et sont choisis. Si vous voulez, quand vous êtes dans un collège très difficile, il faut partager le projet pédagogique, il faut s’engager sur la durée. Il ne faut pas qu’il y ait des changements d’équipes pédagogiques de 50 % chaque année.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH D’accord. Mais qui évalue les profs à l’intérieur de l’établissement ? Qui ?
 
LUC CHATEL Alors actuellement, j’avance sur un dossier extrêmement important qui est l’évaluation des enseignants, qui dépasse l’expérimentation que j’évoquais à l’instant, dont l’objectif est de passer d’un système qui est passéiste, où tous les sept ans l’enseignant était évalué par une inspection qui était très artificielle, à un système où c’est celui qui porte le projet pédagogique de l’établissement, le chef d’établissement, qui évalue l’enseignant.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais est-ce que c’est…
 
LUC CHATEL C’est lui qui au quotidien mesurera l’engagement et la qualité du travail de l’enseignant.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais est-ce que c’est pour enlever du pouvoir aux syndicats ou pour en rendre aux enseignants, aux parents, aux familles ?
 
LUC CHATEL C’est pour moderniser notre école, Jean-Pierre ELKABBACH. C’est pour en sorte que ceux qui s’engagent davantage le voient dans les résultats, les perspectives pour leur carrière. C’est ça notre vision de l’école.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Eh bien voilà. Le débat part. On va entendre le discours du candidat Nicolas SARKOZY à Montpellier ce soir. Hier soir Luc CHATEL, dernière question : François HOLLANDE a fait la proposition d’imposer à 75 % les revenus d’un million d’euros par an. Qu’est-ce que ça vous a fait ? Est-ce que vous êtes d’accord ? Un million d’euros par an.
 
LUC CHATEL Est-ce que je suis d’accord ? Écoutez, d’abord on est toujours un petit peu dans l’improvisation permanente avec François HOLLANDE, y compris chez ses propres amis puisque j’ai compris que monsieur CAHUZAC, qui est quand même président de la commission des finances – socialiste – de l’Assemblée nationale n’était même pas au courant de cette proposition. Moi je trouve qu’elle illustre assez bien la différence entre François HOLLANDE et Nicolas SARKOZY. Vous avez François HOLLANDE qui en gros veut qu’il y ait moins de riches ; Nicolas SARKOZY, lui, veut qu’il y ait moins de pauvres. Voilà, ça c’est une grosse différence et c’est un vrai choix pour les Français.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais en fait ce qui vous fait peur, c’est qu’il veut changer les choses. Il veut changer, comme il dit dans son slogan, maintenant. Il veut le changement maintenant et ça, ça vous dérange.
 
LUC CHATEL Ce n’est pas que ça me dérange, c’est qu’il nous explique que le changement c’est maintenant mais à chaque fois qu’il propose une idée, c’est pour une nouvelle commission en disant qu’il va prendre son temps donc ça n’a pas l’air pour maintenant, le changement.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Vous êtes en train de nous dire que c’est un faux slogan.
 
LUC CHATEL Ce n’est pas pour maintenant le changement, Jean-Pierre ELKABBACH.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 13 mars 2012