Texte intégral
Q - François Hollande, Laurent Fabius et vous-même êtes en train de découvrir Bruxelles, les charmes des discussions à 27, le poids de lAllemagne. Est-ce que vous pouvez convenir ce matin que cest un peu moins simple que ce que vous disiez pendant la campagne ?
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Nous avions raison de dire, à lépoque, que cela nétait pas le cas, quil y avait des difficultés considérables qui navaient pas été résolues, que des difficultés seraient encore devant nous et quil fallait réorienter lEurope sur le chemin de la croissance.
Nous avions raison de dire quil ny aurait pas de solution pour lUnion européenne sil ny avait pas une mutualisation de la force des pays les plus puissants pour accompagner les difficultés des pays les plus faibles. Nous avions raison de dire quil fallait emprunter le chemin de la croissance.
Q - Vous disiez aussi, avec François Hollande, que le nouveau président, lesté de la légitimité toute fraîche du suffrage universel, pourrait faire entendre raison au gouvernement allemand.
R - Et nous avions aussi raison de le dire, Monsieur Cohen, puisque vous vous souvenez quil y a de cela quelques semaines la croissance nétait pas sur lagenda des discussions de lUnion européenne, quil ny avait à lagenda des discussions de lUnion européenne que le rétablissement des comptes publics. Nous avons vu, à mesure que la campagne présidentielle française se déroulait et dès lélection de François Hollande, que la question de la croissance était mise à lagenda des discussions des responsables des gouvernements de lUnion européenne comme un sujet incontournable.
Q - Donc, le débat est ouvert et cest un premier succès ?
R - Le débat est ouvert ! Vous avez remarqué quà loccasion de son premier déplacement à Berlin le président de la République a, avec la chancelière, ouvert la discussion en définissant une méthode extrêmement pragmatique qui consistait à mettre le sujet sur la table en sautorisant à névacuer aucune question, tous les sujets pouvaient être discutés - la croissance était sur le métier comme une question ouverte. Et, par ailleurs, chacun a aussi acté ses différences, cest-à-dire que nous avons clairement dit que, nous, nous souhaitions que la croissance se traduise très concrètement et rapidement par des orientations précises et concrètes qui soient conformes aux engagements pris pendant la campagne présidentielle ; les Allemands ont exprimé leur propre vision.
Lorsque je me suis rendu en Allemagne - cétait mon premier déplacement quelques heures après ma prise de fonction - pour rencontrer mon homologue allemand, jai constaté que cet agenda était bien ouvert, même sil pouvait y avoir des divergences sur le contenu des concepts et cette discussion doit se poursuivre positivement pour essayer de surmonter les difficultés auxquelles lEurope est confrontée.
Q - Reste que sur lun des points principaux, sur lune des mesures sur laquelle vous avez le plus insisté, la question des euro-obligations, Angela Merkel ne semble pas avoir bougé dun millimètre ?
R - Il y a deux approches de ce sujet. Lapproche dAngela Merkel, qui nenvisageait pas ce sujet il y a encore de cela quelques semaines et qui, désormais, dit : pourquoi pas, mais au terme dun processus de rétablissement des comptes publics des pays les plus en difficulté, les plus endettés et au terme dun processus dintégration plus important des politiques de lUnion européenne ; et François Hollande
Q - Cest-à-dire que, pour elle, cest un point darrivée
R - Voilà !
Q - Pour vous, cest un point de départ ?
R - Voilà ! Exactement. Et François Hollande qui dit : mettons cela en place tout de suite, parce que cest un instrument déterminant de relance de la croissance au sein de lUnion européenne et faisons de cet outil que nous utilisons immédiatement un catalyseur de lintégration.
Cest donc là que porte le débat. La question nest pas de savoir si on en veut ou pas, la question est de savoir si on en veut tout de suite et quelle utilisation on fait dans le calendrier des discussions de lUnion européenne des «eurobonds».
Donc, vous voyez que Bernard Guetta avait raison à linstant de dire que les choses ont beaucoup progressé en quelques semaines et que, dans la crise, lUnion européenne progresse. Mais aussi, il faut le dire - par souci de rigueur, dhonnêteté intellectuelle, par pédagogie aussi vis-à-vis de ceux qui nous écoutent - tout cela progresse avec des divergences, des débats, cest tout à fait normal au sein de lUnion européenne. Et ce que je constate en regardant la décla
Q - Les euro-obligations ! Oui.
R - en regardant la déclaration de François Hollande à Berlin, la fermeté dont il a témoigné hier au conseil informel, cest que la ligne de la France dans la discussion avec les pays de lUnion européenne cest dabord la fermeté sur les objectifs de la croissance et la volonté de trouver un consensus pour que lEurope surmonte la crise à laquelle elle est confrontée.
Q - Quelle pourrait être la nature du compromis à trouver avec lAllemagne, il vous reste un mois pour trouver un accord dici au conseil européen des 28 et 29 juin ?
R - Il est très difficile lorsque lon traite de ces questions complexes de définir le point darrivée lorsquon est au point de départ. Dailleurs, vouloir définir le point darrivée lorsquon est au point de départ de façon péremptoire est la meilleure manière de ne jamais atteindre le point darrivée. Donc, cest la dynamique de la discussion qui permettra datteindre lobjectif. La crise elle-même, qui nous sollicite tous les jours, peut aider aussi à trouver le bon compromis et ce que je peux vous dire aujourdhui, cest quil y a une très grande détermination du président de la République et du gouvernement français à faire en sorte que nous puissions à la fois avoir la croissance et le rétablissement des comptes publics et que, autour des orientations définies par le président de la République pour la croissance hier, nous puissions trouver le meilleur compromis.
Q - Face à lAllemagne, François Hollande va aller au combat ou à la recherche du compromis ?
R - Eh bien, il ny a pas de bon compromis sil ny a pas de fermeté dans les positions quon défend tout au long de la construction de ce compromis.
Q - Donc, il y a combat, comme le dit depuis quelques jours la presse allemande ?
R - Il y a la volonté dun consensus dans la fermeté de positions françaises qui sont utiles à lEurope.
Q - Quel pourrait être lintérêt de lAllemagne daccepter ces euro-obligations alors quaujourdhui elle emprunte à près de 0 % et que, si on mutualise lensemble de la dette européenne, elle serait contrainte demprunter sans doute à 3 ou 4 % ?
R - Cest une très bonne question ! Et cest dailleurs une question dont la réponse peut être de nature à conduire les Allemands à cheminer sur notre terrain, parce que, comme vous le savez, la croissance allemande est tirée pour partie par le commerce extérieur. Cest un pays qui a 150 milliards deuros dexcédent de commerce extérieur là où nous avons 12,75 milliards deuros de déficit. Sil devait y avoir une généralisation de la crise, une récession, les perspectives de lOCDE de croissance pour lUnion européenne sont extrêmement faibles, on est à létiage, quasi en récession, si tout cela devait sétendre par contagion, senkyster en Europe, lAllemagne ne serait plus en situation de tirer son économie par les exportations. Donc, cest un vrai sujet.
Q - Ceux qui pensent pouvoir relancer la croissance avec des dettes nont rien appris de la crise, disait hier Wolfgang Schaüble, le ministre allemand de lÉconomie, au Monde.
R - Vous vous souvenez de cette très belle formule dun philosophe intellectuel, au moment de la Restauration, qui disait des légitimistes quils nont rien appris, ni rien oublié. Nous, nous avons appris de la crise. Cest dailleurs la raison pour laquelle nous faisons les propositions que nous faisons et nous navons rien oublié de ce que sont les ravages faits par lendettement et les déficits publics non maîtrisés. Il ne sagit pas de faire de la dette de nouveau, il sagit simplement de créer les conditions du financement dans des conditions qui soient acceptables par les pays les plus faibles et de leurs investissements de croissance de demain. Nous, nous ne proposons pas la mutualisation de la dette dhier pour encourager la dette, pour faire en sorte que la dette produise de la dette. Nous proposons la mutualisation de la dette de demain pour faire en sorte que lon puisse utiliser les moyens que nous proposons de mettre en uvre pour favoriser la croissance de demain, parce que, sans croissance, si nous condamnons les peuples dEurope à laustérité à perte de vue, sans croissance il y aura aggravation de lendettement des pays de lUnion européenne et dégradation de leurs comptes publics.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 mai 2012