Extraits d'un entretien de M. Bernard Cazeneuve, avec France Inter le 24 mai 2012, sur la politique en faveur de la croissance économique au sein de l'Union européenne.

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Média : France Inter

Texte intégral


Q - François Hollande, Laurent Fabius et vous-même êtes en train de découvrir Bruxelles, les charmes des discussions à 27, le poids de l’Allemagne. Est-ce que vous pouvez convenir ce matin que c’est un peu moins simple que ce que vous disiez pendant la campagne ?
(…)
Nous avions raison de dire, à l’époque, que cela n’était pas le cas, qu’il y avait des difficultés considérables qui n’avaient pas été résolues, que des difficultés seraient encore devant nous et qu’il fallait réorienter l’Europe sur le chemin de la croissance.
Nous avions raison de dire qu’il n’y aurait pas de solution pour l’Union européenne s’il n’y avait pas une mutualisation de la force des pays les plus puissants pour accompagner les difficultés des pays les plus faibles. Nous avions raison de dire qu’il fallait emprunter le chemin de la croissance.
Q - Vous disiez aussi, avec François Hollande, que le nouveau président, lesté de la légitimité toute fraîche du suffrage universel, pourrait faire entendre raison au gouvernement allemand.
R - Et nous avions aussi raison de le dire, Monsieur Cohen, puisque vous vous souvenez qu’il y a de cela quelques semaines la croissance n’était pas sur l’agenda des discussions de l’Union européenne, qu’il n’y avait à l’agenda des discussions de l’Union européenne que le rétablissement des comptes publics. Nous avons vu, à mesure que la campagne présidentielle française se déroulait et dès l’élection de François Hollande, que la question de la croissance était mise à l’agenda des discussions des responsables des gouvernements de l’Union européenne comme un sujet incontournable.
Q - Donc, le débat est ouvert et c’est un premier succès ?
R - Le débat est ouvert ! Vous avez remarqué qu’à l’occasion de son premier déplacement à Berlin le président de la République a, avec la chancelière, ouvert la discussion en définissant une méthode extrêmement pragmatique qui consistait à mettre le sujet sur la table en s’autorisant à n’évacuer aucune question, tous les sujets pouvaient être discutés - la croissance était sur le métier comme une question ouverte. Et, par ailleurs, chacun a aussi acté ses différences, c’est-à-dire que nous avons clairement dit que, nous, nous souhaitions que la croissance se traduise très concrètement et rapidement par des orientations précises et concrètes qui soient conformes aux engagements pris pendant la campagne présidentielle ; les Allemands ont exprimé leur propre vision.
Lorsque je me suis rendu en Allemagne - c’était mon premier déplacement quelques heures après ma prise de fonction - pour rencontrer mon homologue allemand, j’ai constaté que cet agenda était bien ouvert, même s’il pouvait y avoir des divergences sur le contenu des concepts et cette discussion doit se poursuivre positivement pour essayer de surmonter les difficultés auxquelles l’Europe est confrontée.
Q - Reste que sur l’un des points principaux, sur l’une des mesures sur laquelle vous avez le plus insisté, la question des euro-obligations, Angela Merkel ne semble pas avoir bougé d’un millimètre ?
R - Il y a deux approches de ce sujet. L’approche d’Angela Merkel, qui n’envisageait pas ce sujet il y a encore de cela quelques semaines et qui, désormais, dit : pourquoi pas, mais au terme d’un processus de rétablissement des comptes publics des pays les plus en difficulté, les plus endettés et au terme d’un processus d’intégration plus important des politiques de l’Union européenne ; et François Hollande…
Q - C’est-à-dire que, pour elle, c’est un point d’arrivée…
R - Voilà !
Q - Pour vous, c’est un point de départ ?
R - Voilà ! Exactement. Et François Hollande qui dit : mettons cela en place tout de suite, parce que c’est un instrument déterminant de relance de la croissance au sein de l’Union européenne et faisons de cet outil que nous utilisons immédiatement un catalyseur de l’intégration.
C’est donc là que porte le débat. La question n’est pas de savoir si on en veut ou pas, la question est de savoir si on en veut tout de suite et quelle utilisation on fait dans le calendrier des discussions de l’Union européenne des «eurobonds».
Donc, vous voyez que Bernard Guetta avait raison à l’instant de dire que les choses ont beaucoup progressé en quelques semaines et que, dans la crise, l’Union européenne progresse. Mais aussi, il faut le dire - par souci de rigueur, d’honnêteté intellectuelle, par pédagogie aussi vis-à-vis de ceux qui nous écoutent - tout cela progresse avec des divergences, des débats, c’est tout à fait normal au sein de l’Union européenne. Et ce que je constate en regardant la décla…
Q - Les euro-obligations ! Oui.
R - …en regardant la déclaration de François Hollande à Berlin, la fermeté dont il a témoigné hier au conseil informel, c’est que la ligne de la France dans la discussion avec les pays de l’Union européenne c’est d’abord la fermeté sur les objectifs de la croissance et la volonté de trouver un consensus pour que l’Europe surmonte la crise à laquelle elle est confrontée.
Q - Quelle pourrait être la nature du compromis à trouver avec l’Allemagne, il vous reste un mois pour trouver un accord d’ici au conseil européen des 28 et 29 juin ?
R - Il est très difficile lorsque l’on traite de ces questions complexes de définir le point d’arrivée lorsqu’on est au point de départ. D’ailleurs, vouloir définir le point d’arrivée lorsqu’on est au point de départ de façon péremptoire est la meilleure manière de ne jamais atteindre le point d’arrivée. Donc, c’est la dynamique de la discussion qui permettra d’atteindre l’objectif. La crise elle-même, qui nous sollicite tous les jours, peut aider aussi à trouver le bon compromis et ce que je peux vous dire aujourd’hui, c’est qu’il y a une très grande détermination du président de la République et du gouvernement français à faire en sorte que nous puissions à la fois avoir la croissance et le rétablissement des comptes publics et que, autour des orientations définies par le président de la République pour la croissance hier, nous puissions trouver le meilleur compromis.
Q - Face à l’Allemagne, François Hollande va aller au combat ou à la recherche du compromis ?
R - Eh bien, il n’y a pas de bon compromis s’il n’y a pas de fermeté dans les positions qu’on défend tout au long de la construction de ce compromis.
Q - Donc, il y a combat, comme le dit depuis quelques jours la presse allemande ?
R - Il y a la volonté d’un consensus dans la fermeté de positions françaises qui sont utiles à l’Europe.
Q - Quel pourrait être l’intérêt de l’Allemagne d’accepter ces euro-obligations alors qu’aujourd’hui elle emprunte à près de 0 % et que, si on mutualise l’ensemble de la dette européenne, elle serait contrainte d’emprunter sans doute à 3 ou 4 % ?
R - C’est une très bonne question ! Et c’est d’ailleurs une question dont la réponse peut être de nature à conduire les Allemands à cheminer sur notre terrain, parce que, comme vous le savez, la croissance allemande est tirée pour partie par le commerce extérieur. C’est un pays qui a 150 milliards d’euros d’excédent de commerce extérieur là où nous avons 12,75 milliards d’euros de déficit. S’il devait y avoir une généralisation de la crise, une récession, les perspectives de l’OCDE de croissance pour l’Union européenne sont extrêmement faibles, on est à l’étiage, quasi en récession, si tout cela devait s’étendre par contagion, s’enkyster en Europe, l’Allemagne ne serait plus en situation de tirer son économie par les exportations. Donc, c’est un vrai sujet.
Q - Ceux qui pensent pouvoir relancer la croissance avec des dettes n’ont rien appris de la crise, disait hier Wolfgang Schaüble, le ministre allemand de l’Économie, au Monde.
R - Vous vous souvenez de cette très belle formule d’un philosophe intellectuel, au moment de la Restauration, qui disait des légitimistes qu’ils n’ont rien appris, ni rien oublié. Nous, nous avons appris de la crise. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous faisons les propositions que nous faisons et nous n’avons rien oublié de ce que sont les ravages faits par l’endettement et les déficits publics non maîtrisés. Il ne s’agit pas de faire de la dette de nouveau, il s’agit simplement de créer les conditions du financement dans des conditions qui soient acceptables par les pays les plus faibles et de leurs investissements de croissance de demain. Nous, nous ne proposons pas la mutualisation de la dette d’hier pour encourager la dette, pour faire en sorte que la dette produise de la dette. Nous proposons la mutualisation de la dette de demain pour faire en sorte que l’on puisse utiliser les moyens que nous proposons de mettre en œuvre pour favoriser la croissance de demain, parce que, sans croissance, si nous condamnons les peuples d’Europe à l’austérité à perte de vue, sans croissance il y aura aggravation de l’endettement des pays de l’Union européenne et dégradation de leurs comptes publics.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 mai 2012