Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur la France et l'OTAN, la Défense européenne et sur le retrait des troupes françaises d'Afghanistan, à Paris le 30 mai 2012.

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Circonstance : Point de presse, à Paris le 30 mai 2012

Texte intégral

Mesdames, Messieurs, merci de venir si nombreux à cette première rencontre que j’ai souhaitée, quinze jours après ma nomination comme ministre de la Défense. C’est l’occasion surtout de faire connaissance et d’échanger un petit peu. Cette réunion de presse se tient dans la salle Koenig, c’est aujourd'hui le 70e anniversaire de Bir Hakeim. Il n’y a pas de lien, mais enfin, je tenais à marquer aussi que le nom de ce général est associé à la vie régulière du ministère de la Défense.
Je souhaite que nous ayons, au cours de ce mandat qui m’a été confié par le Président de la République, des échanges réguliers. Il faudra trouver la forme. Je sais que la DICoD organise régulièrement des points presse. Faut-il continuer comme ça ? Faut-il trouver une autre méthode ? J’ai demandé à ce que l’on regarde pour faire au mieux. Je suis prêt à toutes les suggestions et on vous fera des propositions de travail ensemble dans les jours qui viennent pour qu’il y ait le meilleur dialogue possible entre vous et le ministère de la Défense.
Je voudrais souligner aussi un paradoxe qu’on a constaté lors de la campagne électorale et après : c’est que finalement, les questions de Défense n’ont pas fait l’objet de grands débats, on a même parlé parfois de consensus. Cela n’a pas été au cœur des discussions, voire même du grand débat et puis, brutalement, on s’est trouvés confrontés à toute une série de sujets depuis quinze jours, qui sont centrés sur les questions internationales et sur les questions de Défense, qui marquent le début du quinquennat de François Hollande.
Pour ma part, je m’en tiens sur les orientations au discours qu’avait prononcé le candidat François Hollande, le 11 mars dernier sur la Défense. Il avait effectivement, à ce moment-là, aussi évoqué le mot de « consensus ».
Depuis quinze jours, il y a eu un certain nombre d’événements dont je voulais vous parler un peu, même si j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec vous soit à Chicago, soit en Afghanistan, de certains points, mais peut-être est-il utile de revenir sur les sujets qui ont été évoqués au cours de cette période et puis après, je pourrai répondre à vos questions.
Sur Chicago d’abord, je voudrais redire qu’avant même de parler de la question afghane, il est utile de rappeler ce qui a été décidé sur d’autres points qui ont au moins fait l’objet de communication ou d’interrogations et qui pourtant étaient très importants dans ce sommet de l’OTAN.
D’abord, il a été question de la capacité intérimaire de défense antimissile et vous saviez que cette question était préoccupante et que le Président de la République avait exprimé un certain nombre de réticences pendant la campagne électorale. En particulier des réticences qui tenaient à la compatibilité de ces moyens avec notre stratégie de dissuasion. Cela nous a amenés à engager très tôt des discussions avec nos partenaires alliés et sur ce point, un dialogue particulier a été établi avec les États-Unis, aboutissant à une position commune qui a été présentée, discutée et approuvée par les alliés. Et le texte de la déclaration générale finale de ce sommet approuve les quatre principes que nous défendions. Ces principes sont désormais connus et serviront de guide dans la mise en œuvre de ce dispositif. Ils sont inscrits dans la déclaration finale aux paragraphes 59, 60, 61 et 62 et ils reprennent des orientations et des considérations que nous souhaitions :
- Pas de substitution possible à la dissuasion nucléaire française, principe essentiel repris au paragraphe 59,
- contrôle politique des États, repris au paragraphe 60, 61 et 62
- et nous avions par ailleurs, et nous avons toujours, des préoccupations concernant la maîtrise des coûts et concernant sur la défense antimissile l’implication des industriels européens. En effet, il ne nous paraît pas convenable qu’on puisse procéder avec ce nouveau concept à une forme d’abonnement à un système pour solde de tout compte qui, en réalité, ne serait pas favorable à l’Alliance.
L’ensemble de ces préoccupations évoquées par François Hollande a été repris et nous avons souhaité qu’une attention toute particulière soit accordée à certains pays, en particulier la Russie, et ça a été le cas et ça le sera, je le souhaite, dans les mois qui viennent.
Par ailleurs, à Chicago, il a été question d’Europe de la Défense. La relance de l’Europe de la Défense est un objectif majeur du Président de la République et du Gouvernement. Nous nous sommes attachés à promouvoir cette idée dans les négociations de textes, mais aussi dans les entretiens bilatéraux que le Président de la République et moi-même avons eus sur place, en particulier avec le Président polonais, mais aussi avec plusieurs homologues européens, et je crois que nous avons obtenu, au moins dans les textes, des avancées significatives à Chicago.
Nos alliés ont reconnu la nécessité d’une industrie européenne forte, qui était une condition essentielle pour l’acquisition des capacités nécessaires à nos ambitions. Et, le développement des capacités militaires européennes renforcera le lien transatlantique et la sécurité de tous les alliés. C’est une première que, dans les considérations finales d’un Sommet de l’OTAN, il soit fait état de la nécessaire industrie européenne de Défense.
Par ailleurs, plus on va avancer – nous semble-t-il – plus l’Europe de la Défense va devenir une nécessité, compte tenu de trois éléments : d’abord les nouvelles menaces (on en parlera peut-être tout à l’heure), les contraintes budgétaires incontournables pour les uns comme pour les autres, et la réorientation stratégique américaine annoncée au mois de janvier. C’est une nouvelle donne, nous devons prendre des initiatives et c’est à la France de le faire. Les rencontres bilatérales que j’ai eues à Chicago constituent une force d’entraînement vis-à-vis de nos alliés. Je me rendrai, au mois de juin, à Bruxelles et à Berlin, pour prendre des initiatives concrètes à cet égard.
Par ailleurs, si l’on veut que les Européens fassent les efforts nécessaires à leur propre Défense, ils doivent pouvoir en voir les bénéfices directs, y compris en termes industriels pour leurs entreprises. J’ai dit à plusieurs reprises que l’Alliance ne saurait être un simple prestataire de sécurité, parce que cela aboutirait à déresponsabiliser les nations et à diluer leur engagement individuel. J’ai noté que cet esprit-là était présent dans les considérations finales du Sommet de Chicago. Donc, on a parlé de cela aussi, et pas uniquement de l’Afghanistan.
J’avais annoncé, à la veille de notre départ pour les États-Unis que le Sommet, contrairement à des prédictions négatives, allait être un sommet de consensus. Ça l’a été et je trouve que l’attachement de la France aux liens transatlantiques a été affirmé par le Président, et nous l’avons fait aussi – Laurent Fabius et moi-même – dans les entretiens bilatéraux que nous avons pu avoir.
Voilà des observations de départ que je tenais à faire ce soir, parce qu’elles ont été un peu gommées, tout à fait logiquement puisque l’Afghanistan a pris la première place, mais il ne faudrait pas oublier ces acquis-là qui se sont faits dans le consensus et qui ont repris des propositions que nous avions activées nous-mêmes.
S’agissant de l’Afghanistan, le Sommet de l’OTAN a permis à la France de faire comprendre à nos partenaires l’engagement qui avait été pris par François Hollande pendant la campagne présidentielle, et d’en préciser les modalités d’application. La France restera aux côtés du peuple afghan, mais sous une forme différente, après 2012, dans le cadre de la FIAS jusqu’en 2014 et dans le cadre du Traité d’amitié et de coopération signé le 27 janvier dernier par le Président Sarkozy qui sera repris et qui sera proposé à la délibération de l’Assemblée nationale et du Sénat dès la nouvelle Assemblée et repris donc par le Président Hollande.
Donc la position de la France a été entendue, comprise et respectée. Peut-être que le travail de préparation que nous avions initié auparavant a été utile à cet égard, les entretiens bilatéraux préalables aussi. Cette position a été comprise. Le commandant de la FIAS, le général Allen que j’ai rencontré avant le sommet à Washington, lui-même, a déclaré que la position de la France ne compromettait pas la sécurité de l’Afghanistan et c’est le même état d’esprit que j’ai constaté auprès de mon homologue Léon Panetta. Nous restons dans l’alliance. Nous restons dans la FIAS jusqu’en 2014, mais nous retirons nos unités combattantes d’ici la fin de l’année 2012.
Aujourd’hui, comme vous le savez, il y a 3 400 militaires engagés en Afghanistan, essentiellement dans la province de Kapisa et dans le district de Surobi pour ce qui concerne les unités directement liées au combat. Ils font leur devoir avec beaucoup de discipline, beaucoup d’engagement, beaucoup de fierté. Je me permets d’ailleurs de rendre un hommage particulier aux 83 qui ont perdu la vie pour défendre les valeurs auxquelles nous croyons et d’exprimer ici ma reconnaissance aux 700 blessés au cours de leur mission. J’ai d’ailleurs rencontré certains d’entre eux dès le lendemain de ma prise de fonction à l’hôpital Percy, le Président de la République s’y est rendu d’ailleurs hier. Notre objectif dans le cadre de l’Alliance, c’est un transfert de la souveraineté aux forces afghanes. Le district de Surobi a été inscrit dans le processus de transition dès novembre 2011. La sécurité y a été officiellement transférée aux Afghans en avril 2012. Et ce transfert-là parachève le transfert global de la province de Kaboul qui avait commencé en 2008.
Le processus de transition pour la province de Kapisa est engagé à la suite de la décision du président Karzaï et du commandant de la FIAS, la responsabilité de la sécurité y sera progressivement transférée aux Afghans sous commandement global américain, mais c’était déjà le cas puisque le secteur concerné est sous commandement américain. Ainsi, 75 % de la population afghane vivra bientôt dans des zones où les forces afghanes exerceront au premier chef la responsabilité de la sécurité. Nous avons rempli la mission que nous avions donnée à nos forces lorsqu’elles ont été engagées en 2001. Les talibans ne sont plus au pouvoir. Ben Laden n’est plus là. Il importe maintenant que les Afghans prennent en main l’intégrité de leur territoire et qu’à cette fin, ils disposent au sein d’une armée et d’une police des forces de sécurité nécessaires pour assurer l’intégrité de leur territoire et l’autonomie de leur avenir.
Je voudrais préciser comment les choses vont concrètement se passer et comment elles se déroulent. D’ici la fin de l’année 2012, les forces engagées dans le combat, principalement en Kapisa et à Kandahar seront retirées, soit environ 2 000 hommes d’ici la fin de cette année. À compter du 1er janvier 2013, resteront des moyens logistiques qu’il faudra transférer, rapatrier dans les meilleurs délais et avec les meilleurs moyens, mais il faudra aussi assurer pendant cette phase de transition la protection des forces et des hommes qui resteront pour assurer le transfert logistique.
Nous allons engager des discussions avec un certain nombre d’acteurs pour assurer les sorties, de préférence sans doute par le Nord peut-être par le Sud, enfin on verra l’aboutissement des discussions pour que cela se passe le mieux possible, mais ce départ-là se fera en sifflet au cours des premiers mois de l’année 2013.
Par ailleurs, nous maintiendrons jusqu’à la fin de la mission de la FIAS plusieurs dispositifs : les dispositifs de formation au sein de l’ANA et au sein de la police afghane, et nous continuerons à exercer la responsabilité de l’hôpital de Kaboul et par ailleurs nous serons aussi présents, sous une forme qui reste encore à déterminer, sur l’aéroport de Kaboul pour en assurer, non pas la protection, mais la gestion et le fonctionnement.
Et après 2014, mais déjà dès que le traité sera signé, nous mettrons en œuvre le programme de coopération civile, militaire et de sécurité du Traité d’amitié franco-afghan que nous avons d’ailleurs évoqué avec le président d’Afghanistan lors de nos entretiens à Kaboul. C’est un programme complet qui touche aussi aux questions économiques et culturelles, aux questions de formation, aux questions d’enseignement mais aussi aux questions de formation liées à la Défense et au soutien de forces sécurité afghanes.
Donc nous sommes tout à fait déterminés à rester présents en Afghanistan, mais d’une autre manière et après 2014, notre présence sera toujours là pour la stabilité de ce pays, mais à titre bilatéral. Nous passons donc progressivement du militaire vers le civil, l’essentiel étant d’être au service d’une coopération nouvelle franco-afghane.
Dans l’état actuel des choses, nous préparons avec le chef d’état-major des armées que je remercie d’être présent, le calendrier de retrait et je pense que nous serons amenés à proposer un calendrier à la fin du mois de juin au Président de la République pour respecter totalement nos engagements.
Ces informations, je pense que vous les connaissiez en partie, il fallait peut-être les mettre en cohérence. Je tenais, pour mon premier contact avec vous, à les commenter et à les rappeler, et éventuellement, si vous le souhaitez, je suis prêt à répondre à des questions sur cela ou sur d’autres choses, concernant la responsabilité qui m’a été confiée.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 1er juin 2012