Entretien de M. Bernard Cazeneuve, ministre des affaires européennes, avec LCI le 31 mai 2012, sur le débat au sein de l'Union européenne concernant le Pacte budgétaire européen.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Q - L’Europe est au cœur de l’actualité, parce que l’Irlande vote aujourd’hui, pour ou contre le Traité. Vous souhaitez que les Irlandais adoptent, disent «oui» naturellement, ratifient ?
R - Nous n’avons rien à dire à la place des Irlandais. Ce sont aux Irlandais de se prononcer eux-mêmes. Il est d’usage dans l’Union européenne de ne pas dire aux peuples qui ont à se prononcer souverainement, ce qu’ils ont à faire.
Q - Enfin, vous avez un souhait positif quand même ?
R - Nous avons une position sur le Traité, que vous connaissez, nous considérons que ce traité n’est pas bon et qu’il faut par conséquent le renégocier, l’amender. Le président de la République l’a exprimé clairement pendant l’élection présidentielle. Depuis l’élection présidentielle…
Q - Donc, vous souhaitez que les Irlandais le rejettent en fait ?
R - Ce n’est pas ce que je vous dis.
Q - Non, c’est ce que l’on croit comprendre ?
R - Nous souhaitons que ce traité soit renégocié. Il doit l’être pour introduire des éléments qui permettent de ne pas condamner l’Europe à l’austérité, et de créer les conditions de la croissance. C’est le sujet qui a été mis sur le métier, par le président de la République, dès le jour de son investiture à l’occasion de sa rencontre avec Angela Merkel. C’était à l’ordre du jour du G8. Vous avez remarqué qu’hier, les discussions se sont poursuivies entre le président de la République, Mme Merkel, M. Monti et le président Obama.
Par conséquent, notre objectif est de faire en sorte que nous puissions dans les semaines qui viennent, et dans la perspective du Sommet européen des 28 et 29 juin prochain, créer les conditions en Europe, de la croissance.
Nous avons le souhait de faire en sorte que ce traité soit renégocié avant qu’il soit présenté au Parlement en vue d’une ratification.
Q - Donc, pas de référendum, c’est ce que cela veut dire ?
R - Nous envisageons, pour l’instant, un débat et une ratification parlementaires.
Q - De ce que vous dites, on croit comprendre que vous ne seriez pas très fâché si les Irlandais votaient «non» ?
R - Je n’ai pas à me prononcer sur ce sujet parce qu’il y a des usages et des principes. Chaque peuple en Europe est souverain…
Q - Mais si vous pouviez le faire, c’est ce que vous diriez ?
R - Vous ne me ferez pas dire le contraire de ce que de ce que j’ai envie de vous dire. Je vous dis simplement que chaque peuple en Europe est souverain et qu’il appartient aux Irlandais de se prononcer comme ils souhaitent le faire. À partir de là, nous n’avons pas, en France, à dicter aux Irlandais leur conduite. En revanche, je viens de vous rappeler que nous avons une position sur ce traité, clairement affirmée par le président de la République.
Q - Certes, mais si 12 pays ratifient ce traité, il sera adopté et la France devra donc bien l’appliquer tel quel ! Ou bien dira-t-elle : non, on se met en dehors de cette ratification ?
R - Je pense qu’il sera très difficile, compte tenu de l’importance du rôle de notre pays dans l’Union européenne, de la force de la parole porté par le président de la République, de procéder à une ratification au sein de l’Union européenne, sans un consensus et un accord. Je pense qu’il n’y aura pas de possibilité d’engager la mise en œuvre de ce traité, sans un rééquilibrage tenant compte de ce qu’est la parole de la France. La France est un grand pays qui délivre, à l’occasion des discussions en cours, un message fort.
Q - Certes, mais la loi, la règle, c’est que si 12 pays l’adoptent, il entre en vigueur ?
R - Oui, c’est vrai. Mais, en même temps, vous savez qu’il y a une réalité politique au sein de l’Union européenne. Il y a une relation particulière entre la France et l’Allemagne. Un leadership particulier par la France au sein de l’Union européenne.
Q - Ce que vous dites, c’est que l’on fait un peu fi des règlements tels qu’ils ont été écrits ?
R - Non, ce n’est pas ce que je vous dis. Ce que je suis en train de vous dire, c’est qu’il y a une dynamique propre à la négociation. Une place particulière que joue la France au sein de l’Union européenne, une volonté forte exprimée par le président de la République de réorienter ce traité. Il y a des discussions très positives, ouvertes, en cours au sein de l’Union européenne. Le rôle de ceux qui sont en situation de responsabilités n’est pas nécessairement de spéculer sur le pire, c’est d’essayer de construire des logiques positives.
Q - Et on se dirige dans cette logique positive, vers un volet croissance qui soit adossé au Traité, ou bien à une renégociation stricto sensu ?
R - Sur ce sujet, la discussion est ouverte. Ce que nous souhaitons, c’est un rééquilibrage qui permette de renégocier le traité actuel, en introduisant dans le dispositif actuel, des éléments en faveur de la croissance.
Le président de la République a très clairement réaffirmé à l’occasion du Sommet informel des chefs d’État et de gouvernement, la semaine dernière, qu’il souhaitait que ces mesures en faveur de la croissance, soient de vraies mesures, concrètes : la question de la consolidation du Mécanisme européen de stabilité, de la possibilité pour ce dernier d’intervenir en consolidation des banques qui peuvent se trouver en difficulté ; la question des eurobonds ; la question de la recapitalisation de la Banque européenne d’Investissement à hauteur de 10 milliards d’euros ; les project bonds pour financer les grands projets d’investissement de demain qui pourraient faire la croissance d’après-demain et les emplois d’avenir. Tout cela, ce sont les grands sujets, que nous avons mis sur les métiers et sur lesquels la discussion est ouverte.
Q - Bruxelles a mis son nez dans les comptes français, hier, et a émis un certain nombre de recommandations. Visiblement, la Commission européenne est inquiète des dépenses que fait le gouvernement actuellement, et même qui l’annonce, et lance un appel à redoubler d’efforts et non pas à dépenser plus. Vous répondez quoi à M. Barroso ?
R - D’abord, je n’ai pas la même lecture que vous des recommandations faites par la Commission européenne, hier….
Q - «La France doit réagir rapidement, doit préciser les mesures pour que le déficit excessif soit résorbé».
R - Mais cela ne qualifie pas la politique à venir. Cela qualifie la politique de nos prédécesseurs. La Commission européenne dit aujourd’hui des choses extrêmement précises : la compétitivité de l’économie française au cours des dernières années, s’est considérablement dégradée ; nous avons perdu à peu près 20 % de parts de marché ; le déficit du commerce extérieur est considéré par la Commission européenne comme un problème majeur pour l’économie française qui obère la capacité de notre pays à rétablir ses comptes. Elle insiste aussi sur un problème sur lequel nous avons-nous-mêmes insisté, qui est celui du chômage des jeunes, du chômage des seniors et de la nécessité de régler ces difficultés. Elle insiste aussi sur la dégradation des comptes publics. Nous sommes au gouvernement depuis 15 jours, ce n’est pas…
Q - Certes, mais elle vous demande de préciser les mesures économies. Or, dans la campagne, on n’a pas tellement parlé de ce sujet ?
R - Je vais le faire sur le champ. Pour ce qui concerne tout d’abord la question de la restauration de la compétitivité et de notre économie. Nous avons clairement indiqué la volonté qui était la nôtre de faire en sorte que nous puissions accompagner la montée en gamme de nos produits et accompagner notamment le tissu des PME, PMI dans le renforcement, le confortement de la compétitivité française. C’est la raison pour laquelle nous avons préconisé une réforme fiscale qui permettra…
Q - Ce ne sont pas des économies ?
R - C’est un élément de compétitivité important, parce que si vous allégez l’impôt sur les sociétés, sur les PME, PMI qui investissent et qui investissent notamment sur l’innovation, sur le transfert de technologie qui sont autant d’éléments qui assurent la montée en gamme de nos produits, vous contribuez à la restauration de la…
Q - Ce ne sont pas des économies. La Cour des Comptes dit : il faut agir plus sur les dépenses que sur les recettes. Or vous me parlez de recettes ?
R - Non, je suis en train de vous parler de la mise au cœur de notre système fiscal de la justice et de l’efficacité. C’est très important pour les PME, PMI qui innovent, qui investissent et c’est un élément de restauration de la compétitivité.
Pour ce qui concerne les économies, je ne veux pas fuir le débat. Il est par exemple indiqué, dans les recommandations de la Commission, que la réforme des retraites de M. Fillon n’était pas financée. C’est ce que nous n’avons cessé de dire et nous avons d’ailleurs mis en place, là aussi, un certain nombre de mesures financées qui permettront à ceux qui ont travaillé 41 annuités de partir à la retraite à 60 ans. En même temps, nous engageons dans le dialogue social, dans la concertation, une discussion de manière à assurer la pérennité du financement de nos systèmes de retraite.
Donc, les recommandations de la Commission qualifient la politique passée et ne sont pas une critique à l’égard des mesures que nous pouvons prendre pour l’avenir, dont vous savez, qu’elles sont des mesures de redressement.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er juin 2012