Entretien de M. Bernard Cazeneuve, ministre des affaires européennes, dans le quotidien italien "La Stampa" du 5 juin 2012, notamment sur l'importance de la croissance économique dans la résolution de la crise de la Zone euro.

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Q - Monsieur le Ministre, que demande la France à l’Italie ?
R - Tout d’abord, la France entretient avec l’Italie des relations bilatérales très denses et très substantielles. Pour nous, l’Italie est un partenaire indispensable. Face à la crise, la position française est claire : en Europe, nous sommes pour un respect rigoureux de la discipline budgétaire, mais nous demandons également des initiatives fortes pour la croissance. La concertation avec l’Italie est fondamentale. C’est pour cela que je suis heureux d’accompagner à Rome le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius. Ce sera mon deuxième déplacement à l’étranger, après Berlin. Dans un contexte difficile, le partenariat avec l’Italie est encore plus stratégique.
Q - Pourquoi la France insiste-t-elle autant sur les incitations à la croissance ?
R - Parce que c’est le chemin principal pour résoudre la crise, mais également parce que sans la croissance, à la crise économique s’en ajouterait une autre : la crise démocratique. Dans l’Europe entière se multiplient des prises de position radicales et populistes qui non seulement s’éloignent des valeurs européennes, mais qui remettent en question l’ambition des Pères fondateurs.
Q - M. Hollande avait avancé quatre propositions aux partenaires européens : la recapitalisation de la BEI, le déblocage des fonds structurels non utilisés, la mise en place des project bonds et de la taxe sur les transactions financières. Pourquoi a-t-il relancé les eurobonds ?
R - Ces différents dispositifs sont au service d’une seule ambition, maintes fois réaffirmée par le président de la République : la croissance. Pour nous, les eurobonds ne sont pas un outil pour ajouter de la dette à la dette ou pour mutualiser le déficit de chacun des États. Pour nous, ce sont surtout un moyen d’assurer le redressement qui garantira la croissance de demain et les emplois d’après-demain. Que ce soit clair : sans solidarité financière, il n’y a pas d’avenir pour l’Europe.
Q - Pourtant, les Allemands ne veulent pas en entendre parler. Ce n’est pas seulement le cas de Mme Merkel, mais également de vos alliés de la SPD. Bref, vos négociations stagnent.
R - En politique, ce n’est pas seulement le chemin à parcourir qui compte, mais également celui qui a été parcouru. Lorsque j’étais le porte-parole de François Hollande pendant la campagne présidentielle, quand M. Hollande parlait de croissance, personne ne pensait qu’elle ferait l’objet de discussions dans un cadre européen. Aujourd’hui, tous les sujets sont sur la table. Le débat avance. En effet, le sujet de désaccord entre la France et l’Allemagne n’est pas de savoir s’il faut mettre en place des obligations européennes, mais plutôt à quel moment : selon la France, elles doivent servir à surmonter la crise ; selon l’Allemagne, elles doivent servir à certifier que la crise a été surmontée. Pour nous, les euro-obligations sont un outil ; pour nos amis allemands, un point d’orgue. Mais le fait que nous nous en parlions constitue un progrès.
Q - Justement, l’intégration européenne a toujours avancé en temps de crise.
R - Le 23 mai, à Bruxelles, François Hollande a eu le mérite de mettre tous les sujets sur la table. Herman van Rompuy a pris note des différentes positions et a commencé une série de contacts bilatéraux. La méthode de la discussion est définie et, au-delà des différences, la volonté européenne est commune.
Q - Même concernant le maintien de la Grèce dans l’euro ?
R - Certainement. Nous sommes condamnés à trouver une solution.
Q - Pendant la campagne électorale, M. Hollande avait demandé à être reçu par M. Monti. La réponse avait été négative. A posteriori, était-ce une erreur ?
R - En politique, on ne peut pas revenir sur ce qui a été fait. Depuis, il y a eu plusieurs occasions pour se parler. Le temps perdu a été largement rattrapé. Nous nous rencontrons, nous nous parlons : c’est cela qui est important.
Q - La fin du directoire franco-allemand, ou plutôt germano-français, ouvre de nouveaux espaces à l’Italie ?
R - Je ne parlerais pas de directoire, mais d’un moteur franco-allemand qui fait avancer l’Europe et qui doit continuer à tourner. Cela dit, la ligne du président Hollande est celle de l’équilibre, sans relations exclusives. Dans ce sens, aujourd’hui et demain, le partenariat avec l’Italie est stratégique. Je crois que M. Monti aussi ressent cette nouvelle atmosphère, ce rapprochement, entre l’Italie et la France.
Q - La taxe sur les transactions financières se fera même si les Britanniques n’en veulent pas ?
R - Nous sommes pour cette taxe, parce qu’elle est utile pour les comptes publics, elle alimente des projets pour la croissance, elle aide le développement et concerne des produits financiers qui n’avaient jamais été imposés. Cela dit, nous espérons qu’elle soit acceptée par le plus grand nombre de pays, mais nous n’attendrons pas que tous soient d’accord pour la mettre en place.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 juin 2012