Entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affairs étrangères, avec "BFM TV" le 22 mai 2012, sur le sommet du G8 et la croissance, le retrait des forces françaises d'Afghanistan, la crise de la zone euro et la question du maintien de la Grèce dans l'euro.

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Média : BFM TV

Texte intégral

Q - Bonsoir Laurent Fabius, vous rentrez à peine de Chicago, pour le G8 ; comme ministre des Affaires étrangères, merci de nous réserver cette première interview. C’était un baptême du feu pour le président Hollande et pour la nouvelle équipe globalement très attendue. Vous avez commenté cela en disant du président Hollande : il est très ferme sur ses positions ; en même temps d’un abord facile ; c’est un sans faute.
R - Terme hippique.
Q - Un terme hippique mais peut-être n’en faites-vous pas un peu trop, n’est-ce pas le début de la «hollandomania» ?
R - Nous n’en sommes pas là encore. C’est une séquence internationale qui a été intense et je pense réussie dans l’ensemble. Je n’ai pas eu la perception que vous avez eue de Paris, mais pour l’avoir vécu de l’intérieur, je pense que cela a été réussi. Les engagements ont été tenus et, en même temps, vous y faisiez allusion, j’ai trouvé qu’il y avait à la fois de la fermeté dans les positions sur l’Afghanistan et sur l’OTAN, et une simplicité qui convient bien à la fois aux Américains et à ce genre de rencontres. Je pense que François Hollande a, à la fois tenu ses engagements et tenu son rang.
Q - Il a dit aussi : «le mandat qui m’a été confié par les Français a en quelque sorte été déjà honoré». Certains ont trouvé cela présomptueux.
R - Je ne sais pas s’il parlait de la croissance ou de l’Afghanistan. Prenons, si vous voulez, les deux sujets.
Q - N’est-ce pas aller trop vite en besogne ?
R - J’entre dans le fond. Sur l’Afghanistan, ce ne sont pas les déclarations mais les faits. (…) François Hollande avait dit que, s’il était élu, les troupes françaises rentreraient en 2012 parce que nous avions étudié les choses et nous pensions que c’était cela qu’il fallait faire. À l’époque, certains disaient que cela était impossible. François Hollande a dit les choses très simplement. Il a dit que c’était un engagement électoral, le président Obama l’a bien compris et nos collègues de l’OTAN aussi. C’est ce qui a été retenu, sans prosélytisme. D’autre peuvent faire autrement, mais c’était quand même très frappant dans l’entretien qui a eu lieu avec le président Karzaï ; celui-ci a dit que notre position lui convenait tout à fait puisque les troupes afghanes allaient prendre le relais. Le général Allen, qui commande l’ISAF, a dit qu’il n’y aurait aucune diminution pour la sécurité.
En affirmant des positions, en prenant les dispositions, en restant fidèles bien sûr à notre engagement par ailleurs, les choses se sont bien faites et je pense que les engagements ont été tenus.
Q - Sur la croissance, d’une certaine façon, François Hollande est sorti du G8 en ayant l’air de dire : «j’ai donné le la» de l’ensemble de la réunion sur la croissance. Mais, en fait, cela tombait bien puisque l’on sait que Barak Obama souhaite aussi cette croissance, qu’il y voit même peut-être la meilleure manière de remporter les prochaines élections.
R - En effet, il y a une addition de tout cela, vous avez tout à fait raison. D’abord, il est vrai que, aussi bien aux États-Unis d’Amérique qu’en Europe, nous avons un problème de croissance et on ne peut pas atteindre les objectifs de discipline budgétaire s’il n’y a pas de croissance. On le voit avec la Grèce, l’Espagne ou l’Italie.
Il y a une thématique générale, il y a les élections bien sûr aux États-Unis d’Amérique mais ce que je constate, c’est que, alors qu’il y a trois mois, ce n’était pas en tête de l’agenda, maintenant c’est en tête de l’agenda au G8. Et demain, il y a une réunion spéciale des chefs d’État et de gouvernement à Bruxelles pour parler spécifiquement de ce sujet.
Je ne dis pas que les décisions sont toutes prises, ce serait inexact, mais la croissance est désormais en tête de l’agenda.
Q - La croissance ? Mais quelle croissance ? On a le sentiment que ce n’est pas la même en Allemagne et en France et même encore Christine Lagarde, la présidente du FMI, dit aujourd’hui qu’elle est d’accord, qu’il faut la croissance mais en engageant des réformes structurelles et sans creuser les déficits.
R - Oui, c’est vrai.
Q - Vous êtes d’accord là-dessus !
R - C’est vrai. Demain, les différents pays membres de l’Union vont mettre leurs propositions sur la table. Elles seront différentes et la France déposera un certain nombre de propositions. Mais nous ferons aussi des propositions en matière structurelle. Il ne faut pas du tout opposer certains - je pense aux Allemands - qui feraient des propositions structurelles et nous. Il y a des propositions en matière structurelle, il y a des propositions en matière d’utilisation des crédits, il y a des propositions sur la taxe sur les transactions financières. C’est de tout cela qu’il va être discuté.
Q - Sur les «euro bonds», Angela Merkel dit que c’est le mauvais instrument au mauvais moment. Malgré les séquences «l’on se salue ou l’on se sourit», il y a quand même un désaccord de fond ?
R - Il y a des points de différence voire des divergences, j’espère que nous allons rapprocher les points de vue. Pour avoir passé quelques jours avec Mme Merkel et les autres dirigeants, je trouve que le climat était bon. Bien sûr, il peut y avoir des différences d’approche mais la réunion de demain et ce qui va suivre doit servir à réduire ces différences.
Q - Vous êtes donc optimiste ?!
R - Je suis grave parce que la situation est sérieuse à la fois en Europe et en particulier avec l’affaire grecque, qui est quand même une affaire extrêmement sérieuse et préoccupante. Il faut être clair, nous souhaitons fortement le maintien de la Grèce dans la zone euro mais cela dépend des Grecs ; cela dépendra largement de leur vote, c’est entre leurs mains.
Et puis, au plan général, on le voit bien, il y a un certain nombre de difficultés. Lorsque vous constatez que l’Espagne emprunte à 6 %, l’Italie qui pourtant a fait des efforts sur le plan budgétaire emprunte aussi à des taux très importants, cela veut donc dire qu’il faut marcher sur les deux jambes, c’est notre thèse. Il faut, à la fois la discipline budgétaire, nous sommes tout à fait d’accord…
Q - Vous le réaffirmez clairement.
R - Bien sûr et il faut en même temps la dimension de croissance. Si vous n’avez pas le soutien à la croissance, vous n’arriverez pas budgétairement à votre objectif. Si vous n’êtes pas sérieux budgétairement, vous tuez la croissance. Il faut donc agir sur les deux jambes.
Q - Pour la Grèce, vous avez eu une phrase, il y a 24 heures, qui a déplu à Jean-Luc Mélenchon et à Alexis Sipras, son collègue grec de passage à Paris hier. Je déplore de voir Laurent Fabius s’engager avec moi dans la bataille du «non», parler sur ce ton aux Grecs pour leur dire que maintenant, il va falloir vous soumettre au mémorandum, c’est-à-dire au plan d’austérité.
R - Je n’entre pas dans une polémique. Ce matin, le président de la République a reçu M. Veniselos qui est le chef du PASOK. J’étais à ses côtés, nous avons discuté de la situation. La décision appartient aux Grecs et si on m’avait bien écouté - et on m’a certainement bien écouté -, j’ai été extrêmement respectueux de la décision des Grecs. Simplement, il faut bien comprendre qu’on ne peut pas trouver de solution s’il n’y a pas un effort de la part des Grecs. Il leur est demandé et il est extrêmement lourd. Mais, en même temps, si cet effort n’est pas fait, il est illusoire de penser qu’il pourra y avoir un maintien dans l’euro.
Q - M. Sipras dit aujourd’hui que même si l’on vote pour nous, même si nous sommes amenés à former un nouveau gouvernement, nous resterons dans l’euro.
R - C’est une affirmation qui l’engage mais….
Q - Et vous n’y croyez pas ? En gros, si les Grecs votaient pour M. Sipras et qu’il se trouve en situation…
R - Les Grecs voteront pour qui ils souhaitent voter mais l’euro est un ensemble. Il faut à la fois soutenir les Grecs - il y a eu les mémorandums, il y a toute une série de discussions, on le sait - mais, en même temps, il y a des règles européennes. Et je constate, en tant que Français et en conversant avec nos autres partenaires, que si les Grecs s’engageaient - c’est leur décision, encore une fois, nous n’avons pas de leçon à leur donner - mais s’ils s’engageaient dans une certaine direction…
Q - C’est-à-dire le vote pour ce parti de la gauche radicale qui est contre le plan d’austérité.
R - En tout cas, sur des mouvements qui sont apparus comme n’étant pas très responsables.
Q - Le 1er juin, ces élections législatives sont un référendum sur l’euro grec en quelque sorte ?
R - Le mot référendum, il n’est pas nécessaire de l’utiliser. Mais selon la manière dont les Grecs voteront, et encore une fois, la décision leur appartient, cela aura évidemment des conséquences sur l’appartenance ou non de la Grèce à l’euro. Et ce n’est pas un jugement de valeur, c’est un constat.
Q - On se souvient des moments où votre position a été très forte avec François Hollande sur l’Europe, contre le «oui», vous étiez pour le «non». On vous voit au Quai d’Orsay, avez-vous le sentiment d’être sur la même longueur d’onde aujourd’hui que le président ?
R - Tout à fait. Je pense que c’est une force parce que nous avons tranché ces questions il y a déjà deux ou trois ans. C’est vrai qu’à l’époque, j’avais pris position pour le «non», non pas à l’Europe comme on le dit parfois, mais au Traité constitutionnel, parce que j’estimais - moi qui suis très pro-européen - qu’il fallait une Europe différente. D’autres amis avaient une approche différente.
Q - Est-ce lui qui est venu sur votre terrain ou est-ce vous qui êtes allé sur le sien ?
R - En tout cas nous nous sommes réunis. Il y a deux ans, Martine Aubry m’a demandé de présider les travaux du parti socialiste sur l’international, cela voulait dire que les choses avaient été réglées. Nous sommes vraiment sur la même longueur d’onde.
Ce dont il s’agit aujourd’hui, à partir d’un gouvernement très représentatif de la diversité des Français mais qui a une position très claire, c’est d’affirmer notre crédo européen mais d’une Europe différente. Quand on parlait de croissance, ce n’est pas simplement un problème économique. Si nous n’arrivons pas à relancer la croissance, c’est un problème démocratique. Avez-vous vu ce qui se passe dans tous les pays d’Europe ? En France, une extrême-droite très puissante ; en Serbie, on a vu que c’est un nationaliste qui a été élu ; voyez les problèmes en Belgique, en Italie et ailleurs. Ce n’est pas simplement un problème économique, c’est aussi un problème démocratique. Il faut avoir cela à l’esprit.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 mai 2012