Interview de M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie, des finances et du commerce extérieur, à "France Inter" le 31 mai 2012, sur ses priorités en matière de politique économique, avec le souci de justice (notamment en ce qui concerne l'écart des salaires).

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Média : France Inter

Texte intégral

PATRICK COHEN « La France doit engager rapidement des réformes pour espérer revenir à 3% de déficit l’an prochain et ne pas sombrer dans la crise. » « La France est le pays le plus en retard dans le redressement de ses comptes. » Voilà la mise en garde que vient de vous adresser la Commission européenne de Bruxelles. Que lui répondez-vous ?

PIERRE MOSCOVICI D’abord, ce n’est pas exactement ce que dit le rapport de la Commission, le rapport de la Commission il pointe…

PATRICK COHEN Ce sont des phrases tiré du rapport de la Commission.

PIERRE MOSCOVICI Il pointe un certain nombre de problèmes structurels, qui sont ceux de l’économie française, sur lesquels je veux insister parce que ça fait aussi partie de ce dont nous héritons, comme on dit, ce que nous trouvons en arrivant, avec un triple déficit. Il y a un d’abord un déficit d’activité, dans ce pays, c'est-à-dire nous avons une économie qui est en-dessous de son seuil de croissance potentiel, avec un chômage, qui est endémique, et qui ne cesse de croître, ça doit être le douzième consécutif de hausse du chômage, c’est évidemment un défi, et la priorité du gouvernement c’est l’emploi. Le deuxième déficit, c’est le déficit du commerce extérieur, qui traduit un déclin de notre compétitivité, marqué depuis ces dernières années. Et puis le troisième déficit, et c’est celui que vous pointez, c’est le déficit de crédibilité budgétaire, la Commission européenne nous demande comment nous tiendrons nos engagements. Eh bien je veux dire ici de la façon la plus claire, que la feuille de route, qui a été tracée par François HOLLANDE, elle est double. C’est d’abord le changement. Nous avons été élus pour mettre en oeuvre un projet, qui est un projet de redressement dans la justice, et nous le ferons, et les engagements pris par François HOLLANDE seront tenus, devant les Français. Il faut une politique de justice. Et on a commencé hier, avec l’augmentation de 25% de l’allocation de rentrée scolaire, qui va toucher tout de même 4,8 millions d’enfants, et on sait qu’il y a des difficultés sociales majeures dans notre pays, et en même temps qu’il y a le changement, il doit y avoir la crédibilité.

PATRICK COHEN En même temps ?

PIERRE MOSCOVICI En même temps, et c’est pour ça…

PATRICK COHEN Pas en deuxième position ?

PIERRE MOSCOVICI Non, les choses doivent aller ensemble, crédibilité et changement. D’ailleurs moi qui suis le ministre de l'Economie et des Finances de ce gouvernement, ma mission ce n’est pas d’être le ministre des moyens pendant que les autres sont les ministres des fins, c’est de faire ensemble la crédibilité des changements, le sérieux et la croissance. Et donc je redis ici ce que j’ai dit hier à Jean-Claude JUNCKER, le président de l’Euro-groupe, qui j’ai été visité à Luxembourg, la France tiendra ses engagements. Ça veut dire 4,5% de déficit en 2012, ça veut dire 3% en 2013, et nous avons, pour ça, un calendrier budgétaire extrêmement précis. Nous avions, nous, prévu les choses, de façon beaucoup plus précises, plus beaucoup plus approfondies, que ne le faisait la droite qui avait adressé un chemin qui ne fonctionnait pas, la Commission l’a souligné.

PATRICK COHEN Ça ce sont les objectifs, la question maintenant c’est le comment ? La Commission de Bruxelles vous fait des recommandations précises. Le maintien de la hausse de la TVA votée avant la présidentielle, le renforcement de la concurrence dans l’électricité et les trains, l’assouplissement du marché du travail en facilitant les licenciements, tout cela vous en faites quoi, un classement vertical ?

PIERRE MOSCOVICI D’abord il y a un débat qui aura lieu avec la Commission, il y a des procédures qui existent, il y a ce qu’on appelle l’Euro-groupe, qui se tiendra le 21 juin, il y a le Conseil européen des 28 et 29 juin qui va parler, à l’initiative de François HOLLANDE, de problème de croissance, avec la volonté, de notre part, de relancer la croissance en Europe. Mais, ce que je veux dire, la Commission européenne elle est fondée à souligner un certain nombre de problèmes, elle est fondée à souligner que nous avons des difficultés de compétitivité, après c’est à nous aussi de définir notre voie pour la compétitivité à la française, et je le dis ici…

PATRICK COHEN Enfin, le mandat lui a été donné, il y a quelques mois, de…

PIERRE MOSCOVICI Patrick COHEN, je vais vous répondre de manière très précise aux questions que vous avez posées, par rapport à ce que je ne considère pas comme des injonctions mais comme des conseils. Je dis, nous allons tenir le chemin des déficits…

PATRICK COHEN Laissez-nous faire.

PIERRE MOSCOVICI Mais, en même temps, nous aurons notre propre voie pour la compétitivité. Et, de manière très claire, s’agissant du coup de pouce au SMIC, le président de la République s’est exprimé à la télévision il y a 2 jours, il a dit « il y aura un coup de pouce au SMIC », c’est nécessaire, ça fait des années qu’il n’y en a pas eu un, sans dégrader la compétitivité des entreprises, c’est un chemin à définir. Il a dit que la TVA sociale, antisociale plutôt, serait annulée, parce qu’elle est à la fois injuste, c'est-à-dire qu’elle pèse sur les couches moyennes et sur les couches populaires, et qu’elle est inefficace, c'est-à-dire qu’elle bride de le moteur de la consommation.

PATRICK COHEN Constat de la Commission européenne, les contributions sociales sur les salaires en France sont les plus élevées d’Europe.

PIERRE MOSCOVICI Je ne prends pas, moi pour ma part, la Commission, je respecte ce qu’elle dit, je note…

PATRICK COHEN C’est un constat.

PIERRE MOSCOVICI Non non, ce n’est pas un constat, il y a aussi une part de jugement, qui la concerne, je répète que nous aurons notre voie française pour la compétitivité, et elle passe par le redressement productif. Ce que nous allons faire, nous, c’est améliorer aussi la productivité de l’économie française, c’est améliorer le financement de l’économie française. Et quand le Premier ministre Jean-Marc AYRAULT m’a confié, en liaison avec Arnaud MONTEBOURG, la mission de faire des propositions pour créer une banque publique d’investissement qui permettra à nos entreprises d’être plus fortes, voilà la compétitivité que nous voulons, c’est le redressement de la France dans la justice, c’est ça la feuille de route du gouvernement, c’est la feuille de route que nous a donné le président de la République, c’est là-dessus que nous avons été élus. Encore une fois, crédibilité et changement, doivent marcher ensemble, sérieux et croissance doivent marcher ensemble. La Commission nous donne des indications utiles, mais, au fond, ce qui nous engage, c’est la réduction des déficits, je répète qu’elle aura lieu, mais aussi le changement aura lieu, de même.

PATRICK COHEN Pouvez-vous au moins partager, Pierre MOSCOVICI, ce constat, le dernier que je vais citer ce matin, formulé par Bruxelles, la baisse des dépenses publiques restent l’un des principaux défis de la politique économique de la France.

PIERRE MOSCOVICI La maîtrise des dépenses publiques, vous savez…

PATRICK COHEN La baisse, dit la Commission de Bruxelles.

PIERRE MOSCOVICI Je parle, moi, de maîtrise des dépenses publiques. Il y a d’ailleurs des engagements qui ont été pris pendant la campagne, disons 1% d’augmentation des dépenses publiques par an. Vous savez, nous, nous faisons aussi confiance à une institution, qui est une institution française, qui s’appelle la Cour des comptes.

PATRICK COHEN C’est à peu près la même chose !

PIERRE MOSCOVICI Hier elle s’est exprimée sur la certification des comptes. Il y a un audit qui a été demandé à la Cour des comptes, une institution que nous respectons d’autant plus, François HOLLANDE et moi, que nous en sommes issus, à l’origine, nous sommes des membres de la Cour des comptes, et la Cour des comptes va donner cet audit vers le 20 juin, entre le 20 juin et le 1er juillet. Sur cette base-là, notre calendrier, puisque je l’évoquais, c’est d’abord une loi de finances rectificative, avec des éléments de réforme fiscale et puis aussi avec des éléments d’ajustement, et puis ensuite, il y aura la préparation de la loi de finances pour 2013, et je le répète, il s’agit d’être dans les clous, donc c’est 3%, et puis il y aura une programmation des finances publiques pluriannuelle, qui montrera comment nous irons vers l’équilibre en 2017, là encore engagement de François HOLLANDE, équilibre en 2017, 3% en 2013, équilibre en 2017, après qu’on nous laisse aussi mener notre politique économique, notre politique sociale, cette politique de redressement dans la justice, c’est la moindre des choses.

PATRICK COHEN On peut aussi penser, Pierre MOSCOVICI, que la proximité des législatives vous rend prudent, et qu’après les élections on aura le détail des économies supplémentaires évoquées l’autre soir d’une phrase par François HOLLANDE sur FRANCE 2.

PIERRE MOSCOVICI On aura l’audit de la Cour des comptes qui nous donnera des pistes, mais que les choses soient claires, je parle des engagements qui ont été pris. J’ai dit ici, création d’une banque publique d’investissement, j’ai dit augmentation de l’allocation de rentrée scolaire, j’ai dit suppression de la TVA sociale, j’ai dit augmentation, coup de pouce au SMIC…

PATRICK COHEN Tout ça ce sont des dépenses supplémentaires !

PIERRE MOSCOVICI Ce sont des choses qui seront faites, et la priorité à l’Education nationale, avec notamment des créations de postes dans l’Education nationale, qui a perdu 77 000 postes depuis 2007, ce sera aussi fait. D’ailleurs la rentrée ne se passera pas dans les mêmes conditions que celles qui ont été prévues par la droite. Donc, crédibilité et changement, les deux choses ensemble, stabilité et croissance, les deux choses ensemble, et ça passe aussi par la réorientation de la construction européenne, sur laquelle François HOLLANDE avance de manière extrêmement volontariste.

PATRICK COHEN Parmi les mesures qui ne plaisent pas à Bruxelles, le retour aux 60 ans pour les salariés qui ont commencé à travailler à 18 ou 19 ans. Avez-vous enfin pu estimer, précisément, le coût de cette mesure, Pierre MOSCOVICI ?

PIERRE MOSCOVICI Elle est en cours d’estimation, mais… ce que vous mentionniez il y a une seconde, ce sera fait et ce sera fait dans les prochaines semaines, parce que le changement…

PATRICK COHEN Donc on n’a pas le coût, ni le nombre de bénéficiaires encore ?

PIERRE MOSCOVICI On a des idées… le changement… pardonnez-moi, tout cela sera présenté, aussi, devant la représentation parlementaire, qui sera renouvelée le 17 juin, je le rappelle, avec quand même un petit… une chose qu’il faut rappeler, c’est qu’il est important qu’il y ait une majorité pour le changement dans ce pays, parce que si on veut, justement, que l’allocation de rentrée scolaire baisse effectivement, si on veut que la TVA sociale soit annulée, si on veut que le SMIC soit augmenté, si on veut que nos troupes partant d’Afghanistan, alors il faut que le président de la République ait une majorité pour changer. Mais encore une fois, la retraite à 60 ans à taux plein pour ceux qui ont commencé à travailler tôt, et qui ont cotisé longtemps, oui, ce sera fait dans les prochaines semaines.

PATRICK COHEN La mesure pourrait-elle être étendue à ceux qui ont commencé à 20 ans ?

PIERRE MOSCOVICI On discute de tout ça, j’ai vu qu’il y avait des collègues ministres qui l’avaient évoqué, on parlera, et il faudra chiffrer tout ça en effet, et là, de ce point de vue là, il faudra que nous soyons capables de définir un chemin vertueux. Cela dit, il semble que la mesure 18 ans coûte peut-être un peu moins que prévu, enfin on verra.

PATRICK COHEN Oui, c’est pour ça que je vous pose la question.

PIERRE MOSCOVICI Eh bien nous verrons, nous aurons des discussions interministérielles sous l’égide du Premier ministre.

PATRICK COHEN Demandez-vous à Paul-Henri GOURGEON, l’ancien PDG d’AIR-FRANCE KLM, de rembourser ses 400 000 euros déjà versés, de prime de non-concurrence ?

PIERRE MOSCOVICI Ecoutez, je me suis exprimé avec Arnaud MONTEBOURG, pour dire que toucher 400 000 euros pour… de non-concurrence quand on est directeur général d’AIRFRANCE, donc pour ne pas concurrencer son ancienne entreprise, c’était quelque chose qui n’allait pas dans le sens de la décence.

PATRICK COHEN Oui, mais c’est déjà fait.

PIERRE MOSCOVICI Cet après-midi, à AIR-FRANCE, le représentant de l’Etat, mandaté par nous, votera contre cette prime, et j’espère qu’il sera suivi par les autres actionnaires, et la morale voudrait en effet que de lui-même Paul-Henri GOURGEON rembourse cela. Et je dis aussi, puisqu’on est toujours dans les engagements…

PATRICK COHEN La morale et le ministre de l'Economie en l’occurrence.

PIERRE MOSCOVICI Comme vous dites, cette prime a déjà été versée, mais de manière très claire nous disons que ce n’est pas ce qu’il faut faire, et de manière très claire aussi, je répète, que la réduction de la hiérarchie des salaires au sein des entreprises publiques de 1 à 20, pour les mandataires sociaux, sera faite, et comme l’a dit Jean-Marc AYRAULT, elle sera faite rapidement, c'est-à-dire que c’est sur les mandats en cours, et non pas sur les mandats futurs, que ça doit s’appliquer, donc pas après 2014/ 2015, mais tout de suite nous le ferons, et dans les 3 semaines je présenterai là-dessus une communication, à la demande du Premier ministre, au Conseil des ministres. Il faut, là encore, que quand on demande des efforts aux Français, et ils sont nombreux et puissants, ces efforts soient partagés, et que ce sont ceux qui sont les décideurs publics qui commencent à montrer l’exemple. Nous l’avons fait, nous, le président de la République et les ministres, en diminuant notre salaire de 30%, eh bien cela est demandé aussi, s’agissant de la réduction de 1 à 20, aux dirigeants d’entreprises.

PATRICK COHEN Vous avez eu les réactions des intéressés, des PDG d’entreprises concernées, ou des groupes ?

PIERRE MOSCOVICI J’en ai lu une, je crois celle de Monsieur PROGLIO, le président d’EDF, qui a dit qu’il s’appliquerait cette mesure. Et je pense qu’en effet, quand on est un dirigeant d’entreprise publique, quand on est aussi patriote, attaché à son pays, quand on sait comment vivent ses salariés, on doit être capable d’accepter quand même cette… de 1 à 20. Vous savez, au début du 20ème siècle il y avait un banquier américain, qui s’appelait JP.MORGAN, il disait que quand on avait plus de 1 à 20, comme hiérarchie des salaires, on entrait dans une société qui était une société de l’injustice, eh bien on est loin du capitalisme des années 1900, mais enfin, quand même, revenons à la décence, notamment pour les entreprises à capitaux publics, je le répète.

PATRICK COHEN Henri PROGLIO qui va s’appliquer cette mesure et qui va donc garder son salaire et son poste.

PIERRE MOSCOVICI Je l’ai mentionné parce que j’ai vu sa réaction.

PATRICK COHEN Il va garder son poste.

PIERRE MOSCOVICI Je l’ai mentionné parce que j’ai vu sa réaction. C’était amusant, d’un certain point de vue.

Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 31 mai 2012