Texte intégral
Monsieur le Ministre, cher Michel Duffour,
Monsieur le Député-Maire,
Monsieur le Directeur du Festival,
Mesdames et Messieurs, chers amis,
Nous voici tous réunis ici, à Saint-Malo, pour la douzième édition du Festival des "Etonnants Voyageurs" : tous heureux de l'être - je ne vous apprendrai rien, et tous à des titres divers : Michel Le Bris vous a fait partager la vision du créateur - dans tous les sens de ce mot, puisqu'il est aussi le fondateur de ce festival ; René Couaneau vous a prodigué les paroles de bienvenue du maire de la Ville qui vous accueille, qui n'est pas n'importe quelle ville ; Michel Duffour a déjà fait entendre un propos gouvernemental, parce qu'un festival du livre et de la lecture est d'abord l'affaire du ministère de la Culture et de la Communication.
Et puis vous tous : écrivains, traducteurs, éditeurs et lecteurs Car ce qui nous réunit, c'est d'abord et avant tout le plaisir de la lecture.
Mais au-delà de cette atmosphère de liesse, qui est l'une des marques distinctives de votre festival, j'oserai ajouter que j'ai, moi aussi, mes raisons d'être tout particulièrement heureux d'être parmi vous en ce jour.
Les "étonnants voyageurs" nous renvoient à Charles Baudelaire, qui clôturait ses "Fleurs du mal" par un poème tout entier consacré au voyage. Je cite le poète :
Pour l'enfant, amoureux de cartes et d'estampes,
L'univers est égal à son vaste appétit.
Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit !
La référence à l'enfance s'impose naturellement : vous avez, pour cette douzième édition - après la Méditerranée l'an dernier et avant l'Afrique noire l'an prochain, choisi de consacrer votre festival au Grand Nord, un univers qui a inventé le conte de fées et la littérature pour la jeunesse - qui d'entre nous ne se souvient de Croc Blanc ?
Mais pour le ministre en charge de la coopération internationale, le voyage ne relève pas encore du souvenir, il est une réalité quotidienne et prenante dans un univers encore vaste (Tunis hier, Ouagadougou la semaine prochaine, Bucarest et Chisinau la semaine d'après). Les occasions de concilier cette mission à l'international avec la volonté de garder le lien avec la Bretagne ne sont pas si nombreuses, et c'est un plaisir évident pour moi que de me trouver avec vous aujourd'hui, dans la ville de Surcouf et de Chateaubriand, pour célébrer l'exploration et l'aventure.
Chateaubriand, dont une bonne partie de l'oeuvre trouve sa place dans le versant caché de la diplomatie : on oublie souvent qu'il fut ministre des Affaires étrangères sous la Restauration. Les aventures du dernier Abencérage lui eûssent à coup sûr valu de participer à votre précédente édition, et Atala ou les amours de deux sauvages dans le désert, qui se déroule en Louisiane, l'eût destiné à vos rencontres de Missoula. Nombre d'écrivains ont illustré cette relation particulière de la littérature et de la diplomatie : songeons à Jean Giraudoux, Paul Claudel, Saint-John Perse ou Paul Morand...
En déjà un peu plus de deux lustres, le festival malouin a fait ses preuves : je crois qu'il s'agit de la manifestation la plus importante consacrée en France au livre, après le Salon de Paris. Mais "Etonnants Voyageurs" présente des caractéristiques propres, qui justifiaient que le Ministère des affaires étrangères s'y intéresse :
Depuis plusieurs années, le festival se décline en un véritable réseau international : Missoula sur le continent américain, Dublin et Sarajevo en Europe, et, depuis cette année, Bamako sur le continent africain.
Chacune de vos "délocalisations" a sa logique, mais aucune ne m'indiffère : j'ai ainsi relevé avec beaucoup de satisfaction le succès rencontré, dès sa première édition, par "Etonnants Voyageurs à Bamako". Je sais que vous avez mené cette opération dans un esprit exemplaire de partenariat, avec l'écrivain Moussa Konate. Vous illustrez ainsi, concrètement, l'apport fondamental que la culture peut apporter au développement, rejoignant l'inflexion que je viens d'apporter à l'utilisation de nos instruments prioritaires de coopération dans de nouveaux domaines, comme celui de la culture.
A Sarajevo, des "rencontres européennes du Livre" se sont tenues l'an passé et vont connaître une seconde édition au mois de septembre prochain. Elles sont abritées par le Centre André Malraux, ce qui me permet de saluer le rôle de Francis Bueb, lequel m'avait offert il y a quelques années un ouvrage qui m'avait mieux fait comprendre les Balkans que bien des notes. De façon très significative, vos premières rencontres avaient coïncidé avec la chute du régime de Slobodan Milosevic. Vous apportiez ainsi une contribution concrète - oserai-je dire un démenti ? - aux interrogations de la revue Esprit qui a récemment ouvert un débat sur le "repli culturel de l'Europe".
A cette occasion, certaines des contributions au débat avaient porté un regard critique sur la réforme de la coopération française au motif que celle-ci faisait la part trop belle au développement, au détriment de l'action culturelle. Vous vous doutez bien qu'il n'en est rien. Laisser place à ce soupçon, ce serait comme supposer que les thèmes que vous choisissez pour chacun de vos festivals sont concurrents et non pas complémentaires : un peu comme si les "mondes blancs" de cette année étaient en contradiction avec l'Afrique noire qui sera à l'honneur l'an prochain.
Mais revenons aux voyageurs de Baudelaire pour lesquels peu importe "la glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent" : au fond, pour nous autres lecteurs avides d'aller "au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau", déserts de glace comme de sable, lumières boréales comme lumières tropicales, nous renvoient à la même interrogation sur nous-mêmes et nos sociétés industrielles si policées.
Car voici bien un autre élément de votre bilan, c'est votre contribution à la diversité culturelle, si importante dans le contexte actuel de mondialisation. Vous aimez parler de "littérature-monde", terme qui nous renvoie à celui d' "économie-monde" : l'un de nos grands historiens, Fernand Braudel, situait l'apparition de celle-ci à l'époque des grandes découvertes. Mais au bout du chemin, il n'y a plus l'exploration de terres inconnues, il y a l'uniformisation et les "disciplines" de l'Organisation internationale du commerce. Pourtant, je suis convaincu que nous avons autant, sinon plus, besoin de rêve et de poésie que du surcroît de prospérité que nous promettent "à terme" les économètres. Mais cette dimension du rêve, à qui d'autre la demander qu'aux créateurs (écrivains, traducteurs) qui composent l'impressionnant plateau de votre Festival ? De cela aussi, nous vous sommes redevables.
La dernière grande et belle valeur que je tiens à saluer, c'est la solidarité entre écrivains qu'exprime votre réseau. A l'occasion de la dernière fête de la Francophonie, j'avais pris l'initiative de convier à déjeuner quelques écrivains algériens francophones et je me souviens fort bien des propos élogieux de Boualem Sansal sur vos rencontres de Sarajevo, comme de l'impatience de Yasmina Khadra à régulariser sa situation administrative en France, car il lui tardait de faire la connaissance d'Amin Maalouf à Dublin.
Cher Michel Le Bris,
Cette année 2001 s'annonce faste pour vous : l'uvre de Robert Louis Stevenson, dont vous êtes le biographe attitré, est aujourd'hui couronnée par son entrée dans une collection littéraire des plus prestigieuses. Et l'exposition que vous consacrez aux pirates et flibustiers dans le cadre de vos activités de "prieur" de l'abbaye de Daoulas vient heureusement compléter le beau Festival que vous animez à Saint-Malo.
Mais au-delà de cette réussite personnelle, je tiens à souligner l'intérêt du ministère des Affaires étrangères pour les diverses dimensions que recouvrent les "Etonnants Voyageurs". Vous avez bien mérité de la République : à cet égard, vous êtes, si j'ose dire, de la race des corsaires plutôt que des flibustiers. Soyez certains qu'à l'heure du bilan, mais aussi des nouveaux projets, la coopération française est prête à vous accompagner.
Je souhaite à votre Festival toute l'affluence, tout le succès qu'il mérite, aux festivaliers tout le bonheur qu'ils en attendent. Laissez-moi celui, pour terminer, de citer à nouveau Charles Baudelaire :
Etonnants voyageurs ! Quelles nobles histoires
Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers !
Montrez nous les écrins de vos riches mémoires,
Ces bijoux merveilleux, faits d'astres et d'éther.
Nous voulons voyager sans vapeur et sans voiles !
Faites, pour égayer l'ennui de nos prisons,
Passer sur nos esprits, tendus comme des toiles,
Vos souvenirs avec leurs cadres d'horizons.
Dites, qu'avez vous vu ? .
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 juin 2001)
Monsieur le Député-Maire,
Monsieur le Directeur du Festival,
Mesdames et Messieurs, chers amis,
Nous voici tous réunis ici, à Saint-Malo, pour la douzième édition du Festival des "Etonnants Voyageurs" : tous heureux de l'être - je ne vous apprendrai rien, et tous à des titres divers : Michel Le Bris vous a fait partager la vision du créateur - dans tous les sens de ce mot, puisqu'il est aussi le fondateur de ce festival ; René Couaneau vous a prodigué les paroles de bienvenue du maire de la Ville qui vous accueille, qui n'est pas n'importe quelle ville ; Michel Duffour a déjà fait entendre un propos gouvernemental, parce qu'un festival du livre et de la lecture est d'abord l'affaire du ministère de la Culture et de la Communication.
Et puis vous tous : écrivains, traducteurs, éditeurs et lecteurs Car ce qui nous réunit, c'est d'abord et avant tout le plaisir de la lecture.
Mais au-delà de cette atmosphère de liesse, qui est l'une des marques distinctives de votre festival, j'oserai ajouter que j'ai, moi aussi, mes raisons d'être tout particulièrement heureux d'être parmi vous en ce jour.
Les "étonnants voyageurs" nous renvoient à Charles Baudelaire, qui clôturait ses "Fleurs du mal" par un poème tout entier consacré au voyage. Je cite le poète :
Pour l'enfant, amoureux de cartes et d'estampes,
L'univers est égal à son vaste appétit.
Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit !
La référence à l'enfance s'impose naturellement : vous avez, pour cette douzième édition - après la Méditerranée l'an dernier et avant l'Afrique noire l'an prochain, choisi de consacrer votre festival au Grand Nord, un univers qui a inventé le conte de fées et la littérature pour la jeunesse - qui d'entre nous ne se souvient de Croc Blanc ?
Mais pour le ministre en charge de la coopération internationale, le voyage ne relève pas encore du souvenir, il est une réalité quotidienne et prenante dans un univers encore vaste (Tunis hier, Ouagadougou la semaine prochaine, Bucarest et Chisinau la semaine d'après). Les occasions de concilier cette mission à l'international avec la volonté de garder le lien avec la Bretagne ne sont pas si nombreuses, et c'est un plaisir évident pour moi que de me trouver avec vous aujourd'hui, dans la ville de Surcouf et de Chateaubriand, pour célébrer l'exploration et l'aventure.
Chateaubriand, dont une bonne partie de l'oeuvre trouve sa place dans le versant caché de la diplomatie : on oublie souvent qu'il fut ministre des Affaires étrangères sous la Restauration. Les aventures du dernier Abencérage lui eûssent à coup sûr valu de participer à votre précédente édition, et Atala ou les amours de deux sauvages dans le désert, qui se déroule en Louisiane, l'eût destiné à vos rencontres de Missoula. Nombre d'écrivains ont illustré cette relation particulière de la littérature et de la diplomatie : songeons à Jean Giraudoux, Paul Claudel, Saint-John Perse ou Paul Morand...
En déjà un peu plus de deux lustres, le festival malouin a fait ses preuves : je crois qu'il s'agit de la manifestation la plus importante consacrée en France au livre, après le Salon de Paris. Mais "Etonnants Voyageurs" présente des caractéristiques propres, qui justifiaient que le Ministère des affaires étrangères s'y intéresse :
Depuis plusieurs années, le festival se décline en un véritable réseau international : Missoula sur le continent américain, Dublin et Sarajevo en Europe, et, depuis cette année, Bamako sur le continent africain.
Chacune de vos "délocalisations" a sa logique, mais aucune ne m'indiffère : j'ai ainsi relevé avec beaucoup de satisfaction le succès rencontré, dès sa première édition, par "Etonnants Voyageurs à Bamako". Je sais que vous avez mené cette opération dans un esprit exemplaire de partenariat, avec l'écrivain Moussa Konate. Vous illustrez ainsi, concrètement, l'apport fondamental que la culture peut apporter au développement, rejoignant l'inflexion que je viens d'apporter à l'utilisation de nos instruments prioritaires de coopération dans de nouveaux domaines, comme celui de la culture.
A Sarajevo, des "rencontres européennes du Livre" se sont tenues l'an passé et vont connaître une seconde édition au mois de septembre prochain. Elles sont abritées par le Centre André Malraux, ce qui me permet de saluer le rôle de Francis Bueb, lequel m'avait offert il y a quelques années un ouvrage qui m'avait mieux fait comprendre les Balkans que bien des notes. De façon très significative, vos premières rencontres avaient coïncidé avec la chute du régime de Slobodan Milosevic. Vous apportiez ainsi une contribution concrète - oserai-je dire un démenti ? - aux interrogations de la revue Esprit qui a récemment ouvert un débat sur le "repli culturel de l'Europe".
A cette occasion, certaines des contributions au débat avaient porté un regard critique sur la réforme de la coopération française au motif que celle-ci faisait la part trop belle au développement, au détriment de l'action culturelle. Vous vous doutez bien qu'il n'en est rien. Laisser place à ce soupçon, ce serait comme supposer que les thèmes que vous choisissez pour chacun de vos festivals sont concurrents et non pas complémentaires : un peu comme si les "mondes blancs" de cette année étaient en contradiction avec l'Afrique noire qui sera à l'honneur l'an prochain.
Mais revenons aux voyageurs de Baudelaire pour lesquels peu importe "la glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent" : au fond, pour nous autres lecteurs avides d'aller "au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau", déserts de glace comme de sable, lumières boréales comme lumières tropicales, nous renvoient à la même interrogation sur nous-mêmes et nos sociétés industrielles si policées.
Car voici bien un autre élément de votre bilan, c'est votre contribution à la diversité culturelle, si importante dans le contexte actuel de mondialisation. Vous aimez parler de "littérature-monde", terme qui nous renvoie à celui d' "économie-monde" : l'un de nos grands historiens, Fernand Braudel, situait l'apparition de celle-ci à l'époque des grandes découvertes. Mais au bout du chemin, il n'y a plus l'exploration de terres inconnues, il y a l'uniformisation et les "disciplines" de l'Organisation internationale du commerce. Pourtant, je suis convaincu que nous avons autant, sinon plus, besoin de rêve et de poésie que du surcroît de prospérité que nous promettent "à terme" les économètres. Mais cette dimension du rêve, à qui d'autre la demander qu'aux créateurs (écrivains, traducteurs) qui composent l'impressionnant plateau de votre Festival ? De cela aussi, nous vous sommes redevables.
La dernière grande et belle valeur que je tiens à saluer, c'est la solidarité entre écrivains qu'exprime votre réseau. A l'occasion de la dernière fête de la Francophonie, j'avais pris l'initiative de convier à déjeuner quelques écrivains algériens francophones et je me souviens fort bien des propos élogieux de Boualem Sansal sur vos rencontres de Sarajevo, comme de l'impatience de Yasmina Khadra à régulariser sa situation administrative en France, car il lui tardait de faire la connaissance d'Amin Maalouf à Dublin.
Cher Michel Le Bris,
Cette année 2001 s'annonce faste pour vous : l'uvre de Robert Louis Stevenson, dont vous êtes le biographe attitré, est aujourd'hui couronnée par son entrée dans une collection littéraire des plus prestigieuses. Et l'exposition que vous consacrez aux pirates et flibustiers dans le cadre de vos activités de "prieur" de l'abbaye de Daoulas vient heureusement compléter le beau Festival que vous animez à Saint-Malo.
Mais au-delà de cette réussite personnelle, je tiens à souligner l'intérêt du ministère des Affaires étrangères pour les diverses dimensions que recouvrent les "Etonnants Voyageurs". Vous avez bien mérité de la République : à cet égard, vous êtes, si j'ose dire, de la race des corsaires plutôt que des flibustiers. Soyez certains qu'à l'heure du bilan, mais aussi des nouveaux projets, la coopération française est prête à vous accompagner.
Je souhaite à votre Festival toute l'affluence, tout le succès qu'il mérite, aux festivaliers tout le bonheur qu'ils en attendent. Laissez-moi celui, pour terminer, de citer à nouveau Charles Baudelaire :
Etonnants voyageurs ! Quelles nobles histoires
Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers !
Montrez nous les écrins de vos riches mémoires,
Ces bijoux merveilleux, faits d'astres et d'éther.
Nous voulons voyager sans vapeur et sans voiles !
Faites, pour égayer l'ennui de nos prisons,
Passer sur nos esprits, tendus comme des toiles,
Vos souvenirs avec leurs cadres d'horizons.
Dites, qu'avez vous vu ? .
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 juin 2001)