Interview de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, à Canal Plus le 24 mai 2012, sur la position française sur les euro-bonds, l'agenda social et la politique de l'emploi.

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Média : Canal Plus

Texte intégral

CAROLINE ROUX Arnaud MONTEBOURG a été condamné pour injures, il fait appel de ce jugement, et il y a une phrase que je voudrais vous rappeler, c’était de François HOLLANDE, c’était dans le JDD pendant la campagne, qui s’engageait à ce que personne, autour de lui, à l'Elysée, a fortiori dans son gouvernement, n’ait été jugé et condamné. Le problème, c'est l’exercice du pouvoir ou le problème c'est la conquête du pouvoir ?
 
MICHEL SAPIN Non, c'est la réalité des faits. Donc, qu'est-ce qui est reproché à l’un, MONTEBOURG, qu’est-ce qui avait été reproché à d’autres ? Ceux qui étaient autour du président de la République et qui par exemple, depuis Grenoble et l’Isère, il y a quelques années de cela, avaient été condamnés à de très, très lourdes peines de prison, pénalement. Aujourd'hui, Arnaud MONTEBOURG, est condamné au civil, il fait appel, il n’y a aucune condamnation définitive, c'est sur des faits qui ne mettent pas en cause, en rien, sa probité, donc ça ne rentre pas du tout dans le champ en question.
 
CAROLINE ROUX Ça veut dire qu’en même temps, la parole publique s’apaise, et que cette parole publique du candidat en campagne, manquait de nuance. Il aurait fallu qu’il précise « sous certaines conditions », parce que là ça avait de la gueule, on s’est dit...
 
MICHEL SAPIN Est-ce que vous voulez que je vous dise que c'est la différence entre la condamnation au pénal et la condamnation au civil ? Que la condamnation au civil c'est celle qui peut vous arriver, comme à tout le monde, si vous ne vous entendez pas avec votre voisin, si vous lui marchez sur les pieds. Donc on n'est pas du tout, du tout, dans le même domaine. Donc je crois qu’il faut éviter de faire des confusions de cette nature.
 
CAROLINE ROUX Mais, est-ce que les propos de campagne du candidat HOLLANDE, manquaient de nuance ?
 
MICHEL SAPIN Je le répète...
 
CAROLINE ROUX Non ?
 
MICHEL SAPIN ... est-ce qu’il fallait qu’il dise : condamnation au pénal, condamnation au civil ? Non. Chacun a bien compris, tout ce qui touche à la probité, à l’honnêteté personnelle, tout cela ne sera pas supporté, le moins du monde. Ce qui touche, je dirais, à la vie quotidienne, heureusement, ce n'est pas ça qui fait la différence entre un bon et un mauvais ministre.
 
CAROLINE ROUX La conquête du pouvoir et l’exercice du pouvoir. Allez, on passe au sommet européen et on parle de François HOLLANDE qui a réussi à imposer, en tout cas, le sujet des euro-obligations, mais, mais Angela MERKEL a rappelé que les euro-obligations ne sont pas une contribution à la croissance. Est-ce que, imposer le sujet, c'est bien, mais avancer, c'est mieux.
 
MICHEL SAPIN Bien sûr, et ça a beaucoup avancé. Si on se reporte, il y a juste quelques semaines ou quelques mois, vous aviez un président de la République sortant, Nicolas SARKOZY, qui disait, comme madame MERKEL, « il ne faut pas d’euro-bonds », il y avait une majorité des partenaires européens qui disait, comme madame MERKEL « il ne faut pas d’euro-bonds », et hier soir, qu'est-ce qui s’est passé ? Il y avait un président de la République français qui défend des positions pour avancer, et en particulier pour avancer dans la défense de la Grèce, la lutte contre la spéculation, c'est ça les euro-bonds, et une majorité des partenaires européens qui soutiennent sa position. Ça a beaucoup bougé, il y a un rapport de force qui s’est inversé.
 
CAROLINE ROUX Oui, ça veut dire, le rapport de force s’est inversé, ça veut dire qu’Angela MERKEL est isolée ?
 
MICHEL SAPIN Je ne dirais pas qu’elle est isolée, d’autant plus que la volonté de François HOLLANDE, ce n'est pas d’isoler Angela MERKEL, la volonté de François HOLLANDE c'est de faire en sorte qu’il y ait une solution, qu’on trouve des propositions, des propositions pour lutter contre les spéculations, contre la dette grecque, espagnole, italienne, et des propositions pour stimuler la croissance.
 
CAROLINE ROUX Des propositions, à un moment, qui doivent déboucher sur...
 
MICHEL SAPIN Sur des décisions, c'est à fin juin, comme vous le savez, il y a un sommet fin juin, qui sera un sommet de décisions.
 
CAROLINE ROUX Ça veut dire que les décisions pour les euro-obligations, ça sera fin juin, selon vous ?
 
MICHEL SAPIN C'est le sommet des décisions, et s’il doit y avoir des décisions sur ce point-là, c'est là que ça sera.
 
CAROLINE ROUX Alors, le problème, c'est qu’il y a un sujet dont il ne parle plus, François HOLLANDE...
 
MICHEL SAPIN Non.
 
CAROLINE ROUX Si, il y a encore, c'est toujours cette histoire de campagne, une fois que l’on est aux responsabilités, la renégociation du traité, du pacte budgétaire...
 
MICHEL SAPIN C'est en cours, là, hein.
 
CAROLINE ROUX Est-ce que c'est toujours un dossier sur lequel il expose autant de fermeté avec ses partenaires ?
 
MICHEL SAPIN Mais ne dites pas qu’il n’en parle pas, c'est ce qu’il fait tous les jours, et en l’occurrence toute la nuit. Donc, il renégocie le traité, de manière à le compéter, de ce volet de croissance, ce sont très exactement les mots de la campagne électorale, renégocier pour compléter, parce que si on fait que de l’austérité, on va dans le mur. Si on fait du sérieux budgétaire avec de la croissance, de l’emploi, de la richesse nouvelle, là on réussi.
 
MAÏTENA BIRABEN Alors, on va parler de l’agenda social, maintenant.
 
CAROLINE ROUX Oui, parce que vous avez rendez-vous avec les syndicats, vous avez déjà rencontré les partenaires sociaux...
 
MICHEL SAPIN Oui.
 
CAROLINE ROUX ... le 29 mai, pour préparer...
 
MICHEL SAPIN C'est la moindre des choses pour le ministre du Dialogue social, oui.
 
CAROLINE ROUX C'est mieux, ça permet de commencer bien les choses.
 
MAÏTENA BIRABEN C’est vrai, ça aide.
 
CAROLINE ROUX Une conférence sociale à la mi-juillet. Alors, le mot clef c'est concertation. Quand s’arrête la concertation, quand commence la décision ? Sur la méthode, comment ça va se passer ?
 
MICHEL SAPIN C'est une bonne question, mais alors, moi j’ai un repère : que faisait Nicolas SARKOZY ? Il commençait la concertation en annonçant sa décision, ça on n’en veut plus. On commence la concertation pour préparer la décision. Et donc il y a un temps du dialogue, ça permet d’écouter, de prendre en compte les idées des autres, ça permet d’avoir toutes les positions des uns et des autres, et puis à un moment donné, il y a le temps, là encore de la décision et de l’action, dans certains domaines, pas dans tous, dans beaucoup de domaines, et il reviendra à l’Etat ou au Parlement, de prendre la décision. Mais il n’y a pas de bonne décision, s’il n’y a pas le dialogue qui précède cette décision.
 
CAROLINE ROUX Jean-Claude MAILLY vous impose, pour le coup, un sujet qui est le salaire, la question du smic, il demande un coup de pouce pour – ça fait partie des dossiers que vous avez traités, naturellement – pour évaluer le smic. Pour lui, l’objectif serait d’atteindre 80 % du salaire médian, soit un smic à 1 340 € net. Là, par exemple, la concertation est possible, sur un sujet comme celui-ci ?
 
MICHEL SAPIN Oui, la concertation, c'est écouter, c'est écouter les positions des uns et des autres. Celle de Jean-Claude MAILLY, qui ne nous impose pas le sujet, je lui en ai parlé de moi-même, parce que c'est François HOLLANDE, lui-même, qui pendant la campagne a parlé de ce coup de pouce nécessaire...
 
CAROLINE ROUX 1 340 € net ?
 
MICHEL SAPIN Donc, on écoute les uns et les autres, les positions de tous les partenaires sociaux ne sont pas exactement sur ce même chiffre-là. Alors, disons-le simplement, quand vous êtes une caissière, à 70 % du smic, vous n’arrivez pas à vivre, donc il est légitime de donner un coup de pouce au smic, mais quand vous êtes dans une petite entreprise, avec des carnets de commandes difficiles, vous vous posez la question de l’équilibre de votre compte, et là on ne peut pas non plus faire des sauts sur le smic. Donc c'est ça qu’il faut considérer, et une décision sera prise, après l’écoute des partenaires sociaux.
 
CAROLINE ROUX Donc, on fait la concertation, mais là, d’ores et déjà, pour Jean-Claude MAILLY, la réponse est non, hein.
 
MICHEL SAPIN Il le sait lui-même...
 
CAROLINE ROUX Ah bon ?
 
MICHEL SAPIN Mais, il est une organisation syndicale, il le revendique, je comprends tout à fait qu’une organisation syndicale revendique.
 
CAROLINE ROUX On n’oublie pas que vous êtes le ministre de l’Emploi, donc le ministre du chômage, voilà...
 
MICHEL SAPIN Non.
 
CAROLINE ROUX Non ? MICHEL SAPIN Facile !
 
CAROLINE ROUX Vous avez en charge le chômage, ou pas ?
 
MICHEL SAPIN Bien sûr.
 
CAROLINE ROUX Voilà. Il y avait eu un engagement de campagne de François HOLLANDE, qui s’était engagé à inverser la courbe du chômage, au plus tard un an après son élection. On sait que l’OCDE dit que la zone euro sera sans croissance, en tout cas qui permet de créer des emplois pour l’année qui vient. Est-ce que vous gardez cet engagement de campagne, ou est-ce que vous dites, comme Arnaud MONTEBOURG, on peut accepter l’idée qu’il y ait des échecs ? C’est ce qu’il a dit, le ministre du Redressement productif.
 
MICHEL SAPIN Oui. Premièrement, François HOLLANDE il déclare pas « je veux 5 %, et si j’ai pas 5 %, vous me mettez dehors ». Ça c’était Nicolas SARKOZY...
 
CAROLINE ROUX Il dit : ça ira mieux dans un an.
 
MICHEL SAPIN Ça c’était Nicolas SARKOZY, d'ailleurs il a été mis dehors, puisqu’on est aujourd'hui à 10 %. Deuxième chose, il dit, et c’est normal, qu’on ne peut pas accepter, comme ça, qu’il y ait du chômage, des licenciements, enfin, d’avoir à réagir. Donc, il y a une politique, cette politique elle s’engage, c'est la politique de croissance, c'est aussi un certain nombre d’outils, on n’en parlera pas ici, mais le contrat de génération, les emplois d’avenir, tout ce que, d'ailleurs, j’ai, en tant que ministre, en charge de mettre en place, et nous pensons que ceci permettra, après la montée actuelle, encore en cours, il y a plein de plans sociaux qui sont encore devant nous, ils étaient sous le tapis, ils ressortent de dessous le tapis. Bon, ça permettra, au bout d’un an...
 
CAROLINE ROUX Lesquels ? Lesquels ont été mis sous le tapis ?
 
MICHEL SAPIN Il y a des tas d’annonces que vous voyez aujourd'hui, qui étaient certainement déjà préparées avant, et qui sortent aujourd'hui.
 
CAROLINE ROUX Lesquelles !
 
MICHEL SAPIN Je prends juste un exemple : je lis un journal, dans lequel on m’annonce qu’à AIR FRANCE il va y avoir un plan social. Eh bien ça n’a pas été annoncé avant ! Ça a été annoncé aujourd'hui. Est-ce qu’on découvre ce sujet aujourd'hui ? Non.
 
CAROLINE ROUX Mais qui est le complice de ça ? C'est AIR FRANCE qui est complice de...
 
MICHEL SAPIN AIR FRANCE est une entreprise avec un actionnaire d’Etat majoritaire, qui est à l’origine de ce retard, ou plutôt l’Etat actionnaire, celui précédent.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 24 mai 2012