Interview de M. Benoit Hamon, ministre délégué à l'économie sociale et solidaire, à "France Inter" le 7 juin 2012, sur le coup de pouce au SMIC, le départ à la retraite à 60 ans pour certains salariés.

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Média : France Inter

Texte intégral

PATRICK COHEN Cent-dix mille salaries en plus autorisés à arrêter de travailler à 60 ans, soit un nouveau retraité sur six, convenez-vous qu’on est plus dans le symbole que dans la grande réforme sociale ?

BENOIT HAMON Eh bien c’est d’abord une reconquête sociale ! C’est une très bonne nouvelle pour cent-dix mille salariés qui ne vont pas avoir à travailler deux ans de plus, pour des femmes dont on va tenir compte désormais des congés maternité nous avons ajouté deux trimestres de plus, pour des salariés qui ont pu avoir des interruptions de carrière, être au chômage et dont deux trimestres vont être comptés dans le calcul de leur retraite et qui vont pouvoir partir à 60 ans à taux plein au terme d’une vie de travail qui, eh bien, les amène à vouloir désirer jouir aujourd’hui d’une retraite bien méritée. Donc, c’est une bonne nouvelle.

PATRICK COHEN Vous ne me le direz pas, Benoît HAMON, mais je suis sûr que vous pensez qu’on aurait pu faire plus ?

BENOIT HAMON Mais si la situation économique l’avait permis nous aurions toujours pu faire plus, dans l’absolu si nous avions…

PATRICK COHEN C’est à dire toucher au coeur de la réforme SARKOZY ?

BENOIT HAMON Mais non ! Ce que je veux dire, c’est qu’aujourd’hui nous avons une réforme qui est financée et le plus important était de dire comment nous finançons cela et comment, à l’euro près, nous arrivons à assurer cette réforme qui est une réforme de justice sociale et - je vais même plus loin – de progrès social. Mais après, nous tenons compte de la réalité économique et la réalité économique nous amène aujourd’hui à poser par ailleurs la question du financement du système de retraites dans la négociation sociale, nous l’aborderons, nous aborderons toutes les questions, tout sera sur la table, mais dans l’immédiat il y avait un engagement du président de la République, il avait dit qu’il le ferait, qu’il le ferait dès les premières semaines de l’exercice du pouvoir, il l’a fait et cent-dix mille personnes vont pouvoir partir à la retraite à 60 ans à taux plein.

PATRICK COHEN Tout sera sur la table, dites-vous Benoît HAMON, y compris donc le coeur de la réforme SARKOZY dont vous disiez que c’était une injustice absolue qui font qu’aujourd’hui les 62 ans demeurent la règle et les 60 ans l’exception ?

BENOIT HAMON Mais nous avions dit quoi ? Nous avions dit que le recul de l’âge légal, l’allongement de la durée de cotisations, les conditions de financement de cette réforme, le fait que les revenus du capital n’étaient mis à contribution que de manière très marginale, que tout ça amenait non seulement à ce que notre système ne soit pas équilibré mais que de surcroît on faisait peser l’effort sur qui, pour l’essentiel ?

PATRICK COHEN Il n’est pas plus équilibré aujourd’hui !

BENOIT HAMON Sur les salariés. C’est pour ça qu’aussi bien sûr la question des 67 ans, le fait qu’aujourd’hui l’âge de départ à la retraite, l’âge légal à taux plein, soit à 67 ans - ce qui touche beaucoup les femmes – cette question sera discutée, tout sera discuté, tout sera mis sur la table, nous connaissons les positions des uns et des autres. Mais en attendant le souci, qui sera celui du gouvernement, je le redis, le président de la République nous a donné à tous d’ailleurs une feuille de route assez simple : oui nous voulons reprendre la marche du progrès social mais nous ne pouvons le faire que dans le cadre d’un contexte économique qui doit nous amener aussi à être vertueux sur le plan du respect des grands équilibres, comme l’on dit. Mais il y a de la marge, il y a matière à faire, la preuve, la preuve ce que l’on a fait sur l’allocation de rentrée scolaire, la preuve sur ce que l’on fait sur les 60 ans et la preuve ce que nous continuerons à faire tout au long des mois qui viennent.

PATRICK COHEN Un dernier mot sur les retraites, Benoît HAMON, les durées de cotisations vont continuer d’augmenter, 41 ans, 41 ½, 42 ans ?

BENOIT HAMON Eh bien c’est… aujourd’hui la loi est celle-là, la discussion nous verrons sur quoi elle portera, il y a des syndicats aujourd’hui qui souhaitent que l’on remette en cause cela, nous discuterons. Je vous le dis, tout sera sur la table…

PATRICK COHEN Quand on sera à 42 ans ou plus, on pourra dire adieu aux 60 ans ?

BENOIT HAMON Mais j’entends bien que, plus on rentre tard sur le marché du travail, plus dès facto réunir le nombre de trimestres suffisant eh bien amène à ce que dès facto on aille au-delà de l’âge légal, mais nous discuterons à la fois de la concomitance de cet allongement de la durée de cotisations, le fait qu’il soit désormais indexé sur l’allongement de l’espérance de vie, ce que seront les décotes et les surcotes, tout ça sera en discussion dans les semaines qui viennent.

PATRICK COHEN L’aile gauche du PS, que vous avez incarné Benoît HAMON…

BENOIT HAMON Pourquoi vous mettez ça à l’imparfait ?

PATRICK COHEN Au dernier congrès… Ah ! Donc ça existe encore ?

BENOIT HAMON Eh bien non ! Mais…

PATRICK COHEN Ca encore un sens ?

BENOIT HAMON Non ! Mais je me fous… je m’amuse de cela. Oui ! Oui, ça a… Non ! Non, mais ça un mot…

PATRICK COHEN Alors l’aile gauche ça existe ?

BENOIT HAMON Mais je n’ai pas changé d’avis, j’ai toujours les mêmes opinions, les mêmes convictions et c’est pour ça que je suis au gouvernement d’ailleurs.

PATRICK COHEN D’accord ! Mais il y a toujours une aile gauche, le courant ne sera pas dissout au sein du Parti Socialiste ?

BENOIT HAMON Non ! Eh bien c’est…

PATRICK COHEN C’est Henri EMMANUELLI qui l’incarne ? C’est qui ? Vous ?

BENOIT HAMON Mais on incarne collectivement une sensibilité du Parti Socialiste, mais en l’occurrence cette sensibilité, comme d’autres, aujourd’hui veut contribuer à faire réussir la gauche. Je dis cela pourquoi ? Parce que c’est trop facile de se mettre à l’extérieur des choses pour regarder les autres gouverner et constater qu’ils ne font jamais assez bien. Nous, nous voulons, comme tous les Socialistes et au-delà Europe Ecologie – Les Verts - et moi je souhaite le plus grand nombre d’hommes et de femmes de gauche – nous voulons faire réussir la gauche, c’est une période compliquée…

PATRICK COHEN Y compris des membres du Parti Communiste, des membres du Front de Gauche pour un gouvernement élargi après les Législatives ?

BENOIT HAMON S’ils souhaitaient participer à une majorité parlementaire, mais on en discutera avec eux, moi je souhaite que plus large sera l’unité de la gauche mieux seront réunies les conditions pour faire réussir la gauche. J’insiste là-dessus, parce que c’est justement parce que c’est compliqué en ce moment, c’est justement parce qu’il y a les agences de notations, les marchés financiers, un contexte économique en Europe, une Commission européenne qui n’a pas exactement les mêmes orientations que nous, c’est justement pour ces raisons-là qu’il vaut mieux être resserrés, rassemblés pour réussir.

PATRICK COHEN Oui ! Mais enfin c’est aussi compliqué de trouver des compromis avec Europe Ecologie – Les Verts ou avec le Front de Gauche sur des dossiers économiques tels que sont qu’on vient d’évoquer ?

BENOIT HAMON Mais on n’aura aucun problème à trouver…

PATRICK COHEN Aucun problème ?

BENOIT HAMON A construire des politiques de l’emploi qui soient plus favorables aux salariés, à construire des politiques qui en matière de financement de l’économie grâce à la Banque publique d’investissement permettront à la fois de redresser l’économie, de faire face aux défaillances des marchés qui ne financent plus par le crédit les petites et moyennes entreprises, de répondre aux demandes de l »économie sociale et solidaire (dont j’ai la charge aujourd’hui grâce à des instruments comme ceux-là) et justement d’avoir une stratégie de croissance qui s’attache à ce que la croissance soit riche en emplois et en emplois de qualité. Là-dessus, je ne vois pas un seul parti de gauche qui ne dira pas oui à une telle feuille de route, c’est celle du président de la République.

PATRICK COHEN Et vous vous mettrez facilement d’accord, sur le front de gauche, sur le niveau de hausse du SMIC ?

BENOIT HAMON Mais on peut avoir une discussion sur la hausse du SMIC ! Elle va avoir lieu, elle va avoir lieu avec les partenaires sociaux, on écoute tout le monde, mais, une fois qu’une décision est prise, eh bien elle est prise, et puis après on prend le dossier qui vient derrière. Au-delà de ce qui va être la revalorisation du SMIC, qu’est-ce qui est positif dans les négociations sociales ? C’est qu’on pose la question de la négociation salariale branche par branche, qu’on fasse l’état des lieux des branches dans lesquelles les salaires ont peu évolué, celles dans lesquelles les salaires ont évolué en fonction des gains de productivité, mais là on va avoir un travail qui est un travail – notamment sur la question de l’égalité salariale femmes/hommes – qui va mettre les choses sur la table et on va engranger par la négociation sociale des progrès. Eh bien moi je souhaite qu’on note ces progrès, qu’on s’y attelle, et, pour que ces progrès soient les plus grands possibles pour les salariés, c’est mieux qu’on ait l’unité de la gauche.

PATRICK COHEN Donc la musique de Benoît HAMON, celle de l’aile du PS, qu’on peut toujours continuer à appeler ainsi…

BENOIT HAMON Mais je suis encore officiellement porte-parole du Parti Socialiste, pour quelques jours.

PATRICK COHEN Vous continuez de la faire entendre au sein du gouvernement ! Même à Bercy où donc vous avez votre bureau, cerné par deux orthodoxes, Pierre MOSCOVICI et Jérôme CAHUZAC ?

BENOIT HAMON Oh ! Je vous rassure, ils ne sont pas avec des hallebardes à l’entrée de mon bureau…

PATRICK COHEN Oui !

BENOIT HAMON Non ! Non, ça se passé très, très bien, au contraire même. Et le point très positif, c’est que ce souci de faire en sorte que le secteur de l’économie sociale et solidaire (10% du PIB de la France, 2,3 millions d’emplois) soit logé à Bercy, qu’on ait les moyens qui sont ceux de Bercy… PATRICK COHEN Oui ! Ce qui n’était pas le cas de votre….

BENOIT HAMON Pour démontrer que ce modèle économique là, qui est un modèle qui concilie activités économiques, performances économiques et utilités sociales, ça fonctionne, ça marche et ça se développe, dans les dix dernières années c’est 23% d’emplois en plus dans ce secteur quand le secteur marchand privé classique c’était 7% d’emplois en plus, ça montre donc que ça marche. Eh bien qu’aujourd’hui la volonté politique du président de la République soit de me confier ce ministère, qu’il soit à Bercy, que nous disposions des moyens de Bercy et au-delà, sur le co pilotage des emplois d’avenir, l’accès à la commande publique de l’économie sociale et solidaire, sur quelques gros dossiers européens, c’est un signe politique fort, et moi j’entends bien faire vivre ce secteur dans le débat politique français comme dans le débat politique européen.

PATRICK COHEN Bon ! En attendant, votre voisin, votre patron même à Bercy, vous avez vu ce qu’il a dit hier : si on ne fait rien, le déficit sera de 5% cette année, il faudra donc trouver dix milliards d’euros en économies nouvelles et en impôts supplémentaires, on comprend que les douceurs c’est maintenant, avant les Législatives, et que les coups de bâton ça sera après les élections…

BENOIT HAMON Non ! Je récuse cette analyse là, il n’y aura pas les douceurs avant et les coups de bâton derrière. La preuve…
PATRICK COHEN Dix milliards à trouver !

BENOIT HAMON Non ! La preuve, le président de la République avait dit toute dépense nouvelle, toute mesure nouvelle, sera gagée par quoi ? Ou par une recette supplémentaire, ou par une économie équivalente…

PATRICK COHEN Oui !

BENOIT HAMON Quand nous finançons…

PATRICK COHEN Mais, là, il faut faire plus.

BENOIT HAMON Non ! Mais quand nous finançons le décret sur les 60 ans, eh bien nous dégageons de la recette nouvelle….

PATRICK COHEN Oui ! Oui, mais ça c’est neutre.

BENOIT HAMON Eh bien ce sera pareil.

PATRICK COHEN Mais il faut dix milliards en plus.

BENOIT HAMON Mais non ! Mais… mais pareil sur les profs que nous mettrons en plus dans les écoles, il y aura, ou une recette nouvelle, ou une économie équivalente, mais la règle elle est simple, ce qui ne veut pas dire que nous nous détournerons de l’objectif qui est d’améliorer la situation et la vie des Français. Et ça va se voir, je vous assure que ça va se voir, et si effectivement ça doit nous amener à ce que le niveau, en tout cas le niveau des contributions, notamment des plus riches des entreprises et des plus riches des Français change, eh bien oui ce sera… ça fera partie…

PATRICK COHEN Donc il y aura seulement des impôts et pas d’économie ?

BENOIT HAMON Mais si ! Il y aura sans doute des mesures d’économie, parce qu’elles sont toujours toutes possibles, toujours possibles ces économies, il y a des secteurs dans lesquels effectivement on peut faire des économies, mais, aujourd’hui, la ligne elle est claire. Mais dites-le vous… vous continuerez à être surpris par la capacité de ce gouvernement à changer la vie des Français.

PATRICK COHEN Surprenez-nous ! Le cannabis…

BENOIT HAMON Et je m’en réjouis d’avance.

PATRICK COHEN Le cannabis enfin, dernière question, le cannabis - et pour rebondir sur la chronique de Bernard GUETTA que vous avez entendue - c’est un débat interdit ?

BENOIT HAMON Ah ! Absolument pas. Mais il y a une position qui était celle de Cécile DUFLOT sur la dépénalisation de l’usage du cannabis, devrait-on dire d’ailleurs puisqu’on confond dépénalisation et légalisation, et puis ce qu’a évoqué Bernard GUETTA est une… est objectivement une réalité…

PATRICK COHEN …

BENOIT HAMON Eh bien le fait qu’il y ait aujourd’hui une collusion entre les grands réseaux de trafic de drogue…

PATRICK COHEN Oui !

BENOIT HAMON Et un certain nombre de réseaux terroristes, notamment au Sahel, qu’il y a aujourd’hui un financement qui est un financement ou voire même des protections qui sont rendues par les uns et les autres et que c’est une situation extrêmement préoccupante…

PATRICK COHEN Il y a aussi une réalité politique, Benoît HAMON, c'est-à-dire que la plupart des pays développés dépénalisent l’usage du cannabis, on vient de citer New York, on pourrait citer la Suisse tout récemment…

BENOIT HAMON Oui ! Mais je ne vous ai pas dit…

PATRICK COHEN Sans…

BERNARD GUETTA New York ce n’est pas nous !

PATRICK COHEN Sans… Non ! Non, c’est en projet. C’est… sans passion, sans polémique, en France, dès que quelqu’un soulève cette question, ça provoque les hurlements…

BENOIT HAMON Mais, nous, nous sommes sans passion. Le Premier ministre…

PATRICK COHEN Ou les interdits qu’on vient d’entendre.

BENOÎT HAMON Le Premier ministre n’a pas accueilli ce débat là, en disant : avec passion, etc., il a dit : ce n’est pas d’actualité…

PATRICK COHEN Oui !

BENOIT HAMON Donc ce n’est pas d’actualité, quand ça le sera on en reparlera.

PATRICK COHEN Donc, on en reparlera.

BENOIT HAMON Non ! Mais on en reparlera. Mais on ne débat pas pour une société qui n’en débat pas, ça fait à peu près quarante-huit heures qu’on parle que de ça, donc…

PATRICK COHEN Oui !

BENOIT HAMON Excusez-moi !

Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 21 juin 2012