Extraits d'un entretien de M. Bernard Cazeneuve, dans "Le Monde" du 27 juin 2012, sur les mesures à prendre pour résoudre la crise de la Zone euro.

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Circonstance : Sommet européen, à Bruxelles (Belgique) les 28 et 29 juin 2012

Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Q - Que peut-on espérer du sommet européen des 28 et 29 juin ?
R - Il faut tout d’abord que les outils concrets pour la croissance, et notamment la possibilité d’y consacrer 1 % du produit intérieur brut de l’Union européenne, puissent être confirmés dans les discussions à Vingt-sept.
Nous souhaitons que l’Union européenne s’engage : sur la mobilisation des fonds structurels, la recapitalisation de la Banque européenne d’investissement, sur les «projects bonds» - emprunts en commun pour financer des infrastructures -, et sur la capacité d’affecter ces moyens aux investissements qui feront la croissance de demain dans tous les pays de l’Union.
Il faut aussi que les fondements d’une l’union bancaire, posés lors du Sommet de Rome des quatre chefs d’État et de gouvernement - France, Allemagne, Italie, et Espagne -, soient approfondis.
Enfin, il y a la question des eurobonds et des autres sujets qui renvoient à la stabilité financière européenne. L’Europe doit renforcer les outils existants et, pour cela, elle a besoin d’une feuille de route. La discussion se poursuit. Il peut y avoir des divergences, mais il ne faut pas les dramatiser.
Q - Une déception au sommet est pourtant anticipée...
R - Je ne pense pas qu’on puisse aborder le sujet de manière aussi émotive. Sur les trois points que le président François Hollande a mis sur la table au cours de sa campagne, nous avons progressé : la croissance est désormais considérée avec autant d’attention que la responsabilité budgétaire. Et il est entendu que cette croissance doit résulter autant de l’approfondissement du marché intérieur que de l’investissement dans les grands projets stratégiques.
Enfin, l’intégration politique ne peut être le préalable aux mesures urgentes de redressement. Mais le renforcement d’outils monétaires et financiers existants et la mutualisation de moyens peuvent justifier un pilotage politique plus intégré.
Q - Est-ce à dire que les eurobonds, que refuse la chancelière allemande Angela Merkel, sont désormais un point d’arrivée et non un point de départ ?
R - Sur ce sujet, la discussion avec les Allemands est intéressante. Il ne faut pas la figer avec des crispations. Il y a un respect de la position de chacun et un impératif de pragmatisme.
Q - Quelles sont les concessions possibles pour la France ?
R - Le problème, c’est celui de l’austérité qui mine l’espérance des peuples et les conduit à se tourner vers les populismes. C’est un danger considérable pour la démocratie. Il faut donc savoir de quels outils on peut se doter collectivement pour être efficaces face à la crise. Encore une fois, le pragmatisme doit nous conduire à poser dans une feuille de route la double question des instruments concrets de relance de la croissance et d’une plus grande efficacité des politiques financières et monétaires. Dans le même temps, il convient d’envisager le pilotage politique plus intégré qui doit en découler.
Q - Les Allemands bluffent-ils en exigeant cette intégration politique pour refuser certaines revendications ?
R - Personne au sein de l’Union européenne n’imagine que l’on puisse aller plus loin dans le renforcement de l’union financière et monétaire, sans réfléchir à l’intégration qu’appellent ces outils mutualisés. Nous n’avons aucune raison de refuser ce débat.
Mais ce n’est pas le cœur du sujet. Pour résumer, les réponses à la crise, c’est maintenant. Et en apportant maintenant ces réponses, nous rendons possibles les évolutions institutionnelles que ces réponses auront rendues nécessaires.
Q - N’y a-t-il pas urgence, après plus de deux ans de crise, à afficher des résultats ?
R - Ce qui compte, ce n’est pas le rythme mais ces résultats concrets. Ils existent : j’ai déjà évoqué la possibilité de consacrer 1 % du PIB de l’Union européenne à la croissance, de conforter l’union bancaire et de renforcer les outils de stabilisation financière. Je pourrais aussi évoquer la taxe sur les transactions financières, qui n’était pas envisageable il y a encore quelques semaines. Aujourd’hui, une coopération renforcée se dessine. C’est mieux que de faire voter un impôt de Bourse, tout seul, dans son pays !
Q - Après avoir dénoncé l’axe «Merkozy» - pour Merkel et Sarkozy -, le président François Hollande, n’est-il pas en train de créer un axe «Merkollande» ?
R - Nous ne nous situons pas dans une logique où Français et Allemands se rencontrent pour tout régler entre eux. Nous parlons à tout le monde. Le moteur franco-allemand doit bien entendu jouer son rôle. Mais il n’est pas exclusif de relations approfondies avec les autres pays.
Q - En s’érigeant en porte-parole de l’Europe du Sud, M. Hollande a tenté d’installer un rapport de force avec la chancelière. Cela a-t-il porté ses fruits ?
R - Prendre la tête des pays du Sud face à l’Allemagne ne correspond pas à notre approche. L’Europe est une et indivisible. Elle sera plus forte si elle surmonte les oppositions qui l’affaiblissent.
(…)
Q - La France a-t-elle vocation à présenter un candidat pour la présidence de l’Eurogroupe ?
R - La question des désignations à la tête des différentes instances européennes relève d’un équilibre global et général, c’est dans ce cadre que les décisions sont prises. Ces sujets ne se traitent pas au coup par coup.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 juin 2012