Extraits d'un entretien de M. Bernard Cazeneuve, ministre des affaires européennes, avec Itélé le 28 juin 2012, sur la relation franco-allemande dans le cadre européen et sur les mesures en faveur de la croissance économique au sein de l'Union européenne.

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Média : Itélé

Texte intégral


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Q - Sur votre domaine de compétences. Sommet européen ce soir, est-ce que vous allez oser nous dire que c’est le sommet de la dernière chance ?
R - Je crois qu’il ne faut pas présenter les choses comme ça. Tous les sommets sont importants, celui-ci est important, il s’inscrit dans un processus de discussions avec nos partenaires européens. Compte tenu de la gravité de la crise, ce Sommet revêt une importance particulière, mais il ne faut pas que ce soit un Sommet de plus de la dernière chance, il faut que ce soit un Sommet utile.
Q - Il y a une inquiétude, c’est sur la solidité du couple franco-allemand. Le diner d’hier a donné lieu à des communiqués assez basiques, qu’est-ce qui ne va pas entre Angela Merkel et François Hollande ?
R - Les choses vont bien entre les Français est les Allemands. Je crois que nous essayons de construire un compromis solide, et ce compromis solide ne peut pas se construire sur des ambiguïtés. Nous disons clairement les choses, sur ce que nous voulons pour l’Europe. Il existe des points de convergence, nous avons beaucoup progressé, il existe encore des sujets de discussions ; ils ont été traités par le président de la République et la chancelière hier, la discussion va se poursuivre aujourd’hui à 27 et nous espérons qu’au terme de ce Sommet, il y aura des décisions qui permettront de faire progresser l’Europe sur le chemin de la solidarité et de l’efficacité de ses instruments financiers.
Q - On sait que l’Allemagne ne veut pas mutualiser les dettes des pays de la zone euro, avant que Bruxelles n’ait un vrai droit de contrôle et de regard sur les budgets nationaux. Est-ce que vous êtes prêt, est-ce que la France est prête, est-ce que François Hollande est prêt à accepter ce scénario ?
R - Parce que ce sont des sujets compliqués, il faut les rendre accessibles, y compris à ceux qui nous regardent aujourd’hui. Il existe déjà des dispositifs de contrôle, le Parlement européen a récemment adopté des dispositions dans le cadre de ce que l’on appelle le six-pack, le «two-pack», c’est-à-dire des dispositifs de contrôle de l’évolution des comptes publics et des budgets nationaux. D’ailleurs, le Conseil aura à discuter du dispositif «two-pack», récemment adopté par le Parlement européen, puisque nous sommes dans la codécision.
Il faut aujourd’hui, bien entendu, que nous respections les disciplines budgétaires, on comprend qu’il ne peut pas y avoir plus de solidarité au sein de l’Union européenne, s’il n’y a pas la possibilité de contrôler les conditions dans lesquelles les États respectent les équilibres budgétaires. Mais en même temps, si le débat doit être : plus d’intégration politique sans mesure pour la croissance, nous aurons envoyé le signal aux marchés, que nous n’avons qu’une réponse institutionnelle au problème concret auquel les économies sont confrontées. Nous, Français, sommes favorables à davantage d’intégration politique, nous sommes favorables, comme nos amis Allemands, à ce que l’Europe progresse sur le terrain de l’intégration politique, mais il faut que cela soit adossé à des mesures très concrètes, en faveur, d’une part, de la croissance, d’autre part, de la régulation bancaire, et enfin, de la régulation des marchés financiers.
Q - 130 milliards pour la croissance, c’est acquis, et ça suffira pour relancer l’économie européenne ?
R - Ça sera acquis au terme du Sommet qui va se tenir dans quelques heures. Ce qui est aujourd’hui sur le métier, ce sont des mesures qui, dans leur cohérence, constituent un pas significatif. Quelles sont ses mesures ? Recapitalisation de la Banque européenne d’investissements, ce qui permet d’engager 60 milliards d’euros d’investissements autour des grands sujets d’avenir de l’Union européenne, la croissance verte, les grands réseaux de transport, les grands réseaux de l’énergie. 55 milliards d’euros de mobilisation de fonds structurels et la possibilité d’engager une phase pilote pour ce que l’on appelle les «Project Bonds». Tout cela, c’est le paquet croissance sur lequel l’Europe s’est mobilisée. Il faut bien entendu que ça soit consolidé à 27, ce n’est pas encore fait, et si c’est le cas, ça sera un paquet pour la croissance, qui constituera un progrès significatif.
Nous voulons des réponses concrètes à cette crise, et ces réponses concrètes, c’est quoi ? Il faut en parler, on est à la veille d’un sommet, il faut que les Français comprennent quel est l’enjeu de ce sommet, et c’est l’intégration politique, oui, un grand projet politique pour l’Europe est souhaitable, mais il faut que tout cela fasse l’objet de mesures concrètes. Quelles sont ces mesures concrètes ? Une Union bancaire, pour stabiliser le dispositif bancaire qui est très fragilisé. L’Union bancaire, c’est une chose extrêmement précise, c’est la possibilité de garantir les dépôts, c’est la possibilité d’avoir de la supervision bancaire, on a besoin de superviser les banques...
Q - Au niveau européen.
R - Au niveau européen, bien entendu, et c’est aussi un dispositif de résolution des crises bancaires. Et par ailleurs, il faut que le mécanisme européen de stabilité soit conforté, c’est un instrument qui existe déjà, il faut qu’il soit conforté, qu’il puisse éventuellement recapitaliser les banques, et que l’on puisse intervenir sur les marchés secondaires pour faire en sorte que les taux d’intérêt qui minent la croissance des pays en difficultés soient maitrisés.
Q - Et sur l’intégration politique à long terme, vous diriez Bernard Cazeneuve, le mot de fédéralisme ?
R - Je vais vous faire une concession : pourquoi pas. Mais ce qui compte, ce n’est pas les concepts, c’est ce que l’on met à l’intérieur des concepts, c’est le projet européen que l’on doit servir. Je ne suis pas du tout hostile à un saut politique, je ne conteste pas le fait qu’il faille progresser dans la construction de l’institution européenne, d’ailleurs plus démocratique, pour que les peuples se sentent davantage concernés par ces institutions, mais il faut que ces institutions soient au service d’un projet politique européen. Ce projet ne peut pas être l’Europe ouverte aux grands vents du libéralisme, ça ne peut pas être la destruction du modèle de service public, ça ne peut pas être non plus un dumping fiscal et social permanent. Il faut une Europe qui fasse vivre davantage de solidarité, qui soit plus compétitive, certes, qui approfondisse son marché intérieur, mais qui crée aussi les conditions aussi au sein de l’Union, d’une solidarité, d’une politique sociale, d’une croissance.
Q - Est-ce que ça pourrait être l’hégémonie bienveillante de l’Allemagne ? Le mot est de Jérôme Cahuzac.
R - Non, je crois que l’on ne bâtit rien dans l’hégémonie, fût-elle bienveillante. Il faut une relation équilibrée avec les Allemands, c’est d’ailleurs ce que s’emploie à construire avec beaucoup de méticulosité, le gouvernement et le président de la République. Nous sommes très attachés au moteur franco-allemand. Nous croyons à la nécessité absolue de conforter la relation avec l’Allemagne. Nous pensons aussi que cette relation doit être équilibrée. Nous considérons par ailleurs que cette relation n’est pas exclusive des relations que nous pouvons avoir avec les autres pays de l’Union européenne, dont nous avons besoin pour faire progresser l’Europe dans son ensemble, parce que l’Union européenne doit être une et indivisible, il ne peut pas y avoir une Europe à deux vitesses.
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Q - Et le budget 2013 de la France, il aura besoin d’un coup de tampon de Bruxelles avant d’être adopté chez nous ?
R - Non, le budget de la France devra être conforme à la trajectoire budgétaire que la France a indiqué à Bruxelles comme celle qu’elle suivrait, ce qui signifie 3 % de déficit budgétaire en 2013, pour l’équilibre en 2017.
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 juin 2012