Déclaration de M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, sur l'état de l'industrie française, sa place en Europe, son potentiel et les actes de reconquête amorcés, Paris le 11 juillet 2012.

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Circonstance : Conférence nationale de l'industrie, à Paris le 11 juillet 2012

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
J’ai souhaité, avec le Premier ministre, réunir la Conférence Nationale de l’Industrie au lendemain de la grande conférence sociale car c’est dans ce même esprit de reconquête du dialogue social, de l’union des forces économiques et sociales, de la réconciliation des français avec leur industrie que nos travaux doivent s’inscrire.
Je tiens tout d’abord à vous remercier, vous tous et vous particulièrement cher Jean-François Dehecq, pour tout le travail qui a été fourni ces 2 dernières années. J’ai pu apprécier, lors de la Grande conférence sociale à quel point les travaux de la CNI ont été utiles pour nouer un dialogue constructif entre partenaires sociaux sur la base d’un diagnostic approfondi de la situation de l’industrie française.
Et en effet, il y a urgence à s’unir dans une France autant en difficulté que divisée. Avec une croissance limitée à 0,4%, le pouvoir d’achat en baisse de 1,2% en 2012, et près de 3 millions de chômeurs, la France est en état d’urgence.
Quant à la situation de l'Industrie française en Europe, c’est une évidente contre-performance nationale. En dix ans, notre industrie a perdu 740.000 emplois, tandis que sa part dans le PIB fondait de 30%. Le décrochage industriel de la France est considérable, y compris dans les domaines que nous pouvions tenir, il y a quelques années encore, pour des prés carrés de l’industrie française sont le nucléaire et les trains à grande vitesse…
La théorie de « la France sans usine » portée par des générations de dirigeants économiques et politiques a conduit à sacrifier notre appareil productif. En imposant le modèle libéral financier à notre pays, ils ont fait de la France « une Nation sous influence », une Nation dans la dépendance vis-à-vis des pays qui produisent. Une France de consommateurs, de consommateurs appauvris et au chômage.
Le libéralisme ce n’est pas plus de liberté contrairement aux apparences. C’est le laissez faire érigé en règle qui a vu 900 de nos usines fermer en 10 ans, c’est le laissez fermer, c’est le laisser délocaliser, c’est l’abandon de nos outils industriels au profit d’une logique financière.
Le redressement productif c’est une vision, l’évolution d’un modèle. Un modèle en cohérence avec notre histoire. Un modèle entrepreneurial, innovant et patriotique qui consacre la production de biens comme une richesse solide et non soumise aux aléas des marchés financiers.
Le redressement productif c’est une volonté politique portée par François Hollande alors qu’il était encore candidat à la présidentielle. C’est aujourd’hui une volonté étatique portée par le Président de la République. Dans les années 30, Roosevelt se lançait à la conquête du renouveau industriel avec le succès que l’on connaît. La France de 2012 doit s’unir pour relever ce défi de la reconquête. Le redressement productif c’est l’arme du gouvernement pour redresser notre économie, pour redresser la France. Nous devons réarmer la puissance publique.
Le redressement productif c’est le redressement de l’image de l’industrie. Une industrie qui n’est pas sale, une industrie innovante, une industrie consciente de sa responsabilité sociale et environnementale. Nous devons réconcilier les Français avec leur patrimoine industriel et les mobiliser autour de la reconquête industrielle. La Semaine de l’Industrie doit devenir un rendez-vous pour les Français, comme les journées du patrimoine, la fête de la musique, la fête de la science.
Le redressement productif c’est la mission qui m’a été confiée, c’est le défi que je vous demande de relever à mes côtés pour sauvegarder tous les emplois qui peuvent l’être et pour créer les emplois de demain.
Le redressement productif c’est aussi une obligation de résultat à cinq ans. La reconstruction de notre appareil industriel et productif, son essor qui doit nous permettre de retrouver notre place parmi les champions internationaux de l’industrie. C’est une grande cause nationale qui doit pouvoir compter sur l’engagement de tous les Français.
* Patriotisme économique
Aux libéraux qui voient dans le rapprochement de la puissance publique et du monde de l’entreprise un amour contre nature, je réponds que Colbert a construit la France du Grand Siècle. Intervenir, ce n’est pas trahir. Agir, ce n’est pas soumettre. Tendre la main, ce n’est pas dominer. Ma politique c’est le colbertisme participatif où chacun a une responsabilité : l’Etat, le banquier, le travailleur, le chef d’entreprise, le retraité, l’étudiant.
Cette mobilisation de toutes les forces économiques et sociales de notre pays fonde notre patriotisme économique qui est notre réponse à la crise. Les Coréens, les Américains, les Allemands, les Indiens l’ont compris depuis longtemps.
Je souhaite que l’Etat devienne stratège. Cela veut dire, ne pas avoir peur d’intervenir dans l’économie réelle, cela veut dire faire des choix, en promouvant une filière, une technologie d’avenir, cela veut dire porter une ambition industrielle. L’Etat actionnaire (via son Agence des Participations de l’Etat) doit également devenir un outil performant du redressement productif. Sa gestion, parfois trop patrimoniale, doit être enrichie par dans une logique ambitieuse de politique industrielle.
Ce patriotisme économique appelle l’effort de chacun. Mais l’effort ce n’est pas le sacrifice et je dirais même plus, l’effort sera plus justement réparti. Votre énergie, vous l’investissez en France. Petites, moyennes, grandes entreprises, la France a besoin de pouvoir compter sur des patrons patriotes.
Or, le rapport entre les grands groupes français et les PME n’est pas équilibré. Non seulement les grands groupes font souvent porter à leurs sous-traitants les coûts d’ajustement en période de crise, mais ils participent insuffisamment au développement et à la structuration des filières.
A cela s’ajoute la prédation à laquelle ces grands groupes se livrent en rachetant chaque année de nombreuses entreprises en croissance, en particulier si elles se situent sur des segments à forte valeur ajoutée. Ces rachats stérilisent l’innovation.
9 brevets sur 10 déposés par un grand groupe français ne sont jamais utilisés. Il est nécessaire de revoir la nature des relations entre les donneurs d’ordre et les PME en organisant des liens de sous-traitance et de coproduction plus équilibrés. La question du partage des risques, industriels et technologiques, trop systématiquement reportés sur les prestataires doit par exemple faire partie de la réflexion tout comme le partage des brevets et des bénéfices de la recherche.
Ces grands groupes ont une histoire française. C’est la France, ses travailleurs et ses ingénieurs français qui les ont faits. Dans une logique de donnant-donnant, ces grands groupes doivent participer au redressement productif de la France.
Il est aujourd'hui essentiel de poursuivre ou d'engager le travail de restructuration des filières liant grands comptes et PME. L'expérience acquise du comité stratégique de la filière aéronautique doit inspirer des initiatives semblables dans d'autres secteurs. La CNI sera le lieu de ce rééquilibrage.
Tout comme les entreprises allemandes, grands groupes et PME doivent s’associer pour chasser en meute à l’export.
Je souhaite que l’Etat stratège soutienne les PME et les ETI les plus innovantes qu’il faut accompagner et aider à grandir. Je souhaite qu’un plan « 2000 Pépites » soit mis en place, en soutien aux PME et ETI stratégiques.
Vous l’aurez compris, le patriotisme économique c’est l’aventure collective que je vais porter pendant cinq ans au nom de la croissance retrouvée, au nom de la reconquête industrielle.
* Médecine d’urgence
Depuis le 17 mai dernier, je suis confronté à un état d’urgence. Car l’héritage est lourd et nous en découvrons les strates chaque jour. Si en l’évoquant je suis transparent soyez certains que cette triste antériorité ne sera jamais invoquée pour nous défausser. Bien au contraire. Cet héritage nous oblige. Nous affrontons les difficultés : Rio Tinto, Doux, Lohr, Fralib, LyondellBasell, Petroplus… Nous tenterons tout jusqu’au dernier sang pour sauver nos sites industriels. Nous aurons des résultats que la désinvolture, le laissez-faire, l’indifférence ne permettent pas d’obtenir. Nous aurons des échecs et je les assumerai.
Pour affronter cet état de crise, il était urgent de réarmer la puissance publique. Nous avons mobilisé tous les moyens de l’Etat et mis en place une équipe d’urgentistes pour stopper l’hémorragie. Le CIRI, la cellule ministérielle et les 22 commissaires au redressement productif que j’ai nommés dans chacune des régions métropolitaines sont les trois armées d’une même équipe. Ce sont des personnes de terrain, négociateurs, facilitateurs, armés d’un pouvoir politique.
Avec les commissaires nous avons mis en place des systèmes d’alerte précoce. Car toutes nos données convergent vers ce même constat : une entreprise a plus de chance de remonter la pente quand elle est prise en amont du redressement judiciaire. Ai-je besoin de vous le rappeler ? Les Tribunaux de commerce, on sait comme on y entre, en mauvais état, on ne sait pas si on en sort ni comment en sort.
Notre méthode : rapidité, coordination des acteurs, négociation. Notre objectif est de sauver tout ce qui peut l’être pour préserver et bâtir la sortie de crise. Car une usine fermée est compliquée à redémarrer. Une usine délocalisée est difficile à faire revenir. Dans cette médecine d’urgence du quotidien, nous avons toujours à l’esprit notre redémarrage.
* Plan de reconquête
Cette reconquête industrielle nous devons la mener sur cinq fronts. Cinq batailles à mener qui reposent toutes sur notre capacité à nous unir autour d’un compromis historique gagnant-gagnant.
Devant vous qui représentez les 12 filières industrielles de la CNI, je veux proposer aux forces économiques et sociales de notre pays de sceller un pacte productif. Il ne s’agit pas de renoncer à ses revendications. Il ne s’agit pas de trahir ses impératifs. Il s’agit, partant d’un diagnostic qui a émergé lors de la grande conférence sociale, de consentir à un échange de concessions réciproques. Ce diagnostic est le socle de notre pacte national pour l’industrie. Nous n’attendons pas des sacrifices mais les efforts indispensables et justes pour engager la reconquête industrielle qui pourra garantir à la France son redressement économique.
Le premier front de cette reconquête est celui de la compétitivité des entreprises françaises. Pour relever ce défi de la compétitivité, nous devons faire émerger un compromis fort.
Le financement de la protection sociale qui est adossé sur le travail pèse sur notre développement industriel et nuit à l’emploi. Il ne s’agit pas de remettre en question la qualité de notre protection sociale. Elle nous honore, elle nous est enviée, elle est un élément constitutif du pacte social qui unit tous les Français. Il ne s’agit pas non plus de remettre en question les niveaux de rémunération nets des travailleurs. Alors que l’Allemagne est trop souvent citée en modèle, je n’oublie pas les différences majeures de rémunérations des travailleurs, l’absence de SMIC. Il ne s’agit pas d’aligner la France sur un moins-disant. Il s’agit de rééquilibrer, dans un esprit de justice, le coût du travail et le coût du capital. C’est un levier majeur de l’amélioration de notre compétitivité et un levier pour l’emploi.
Nous n’avancerons pas sur le front de la compétitivité de nos entreprises en évitant de prendre à bras le corps la question du financement de la protection sociale. Car tous les sujets devront être abordés et ils le seront dans le cadre de la mission confiée à Louis Gallois par le Premier Ministre et dans le cadre du Haut Comité au Financement de la Protection Sociale.
S’agissant de notre compétitivité hors coût nous devons l’améliorer en misant sur la qualité des produits que nous fabriquons. L’excellence existe, il s’agit de la multiplier, de la diffuser, de la porter. La qualité de notre main d’oeuvre et notre savoir faire sont des atouts que nous devons cultiver. Ce capital humain, les choix politiques des dix années passées l’ont affaibli. La formation ne sera plus le parent pauvre de l’industrie. Réconcilier les Français avec l’industrie, c’est réformer notre système éducatif et de formation professionnelle pour que les métiers de l’industrie soient mieux compris et attirent les jeunes et les plus talentueux.
Elle est au coeur du redressement productif. Quant à l’innovation, elle ne sera pas livrée au hasard mais guidée par une vision stratégique d’Etat qui lui donnera toute la force nécessaire pour que la France redevienne la Nation des grandes inventions de son siècle.
Pour mener à bien notre reconquête industrielle, il faut évidemment des moyens. Le financement de cette reconquête sera garanti par un dispositif de financement ambitieux assurant la mutation progressive de notre modèle économique. La finance doit retrouver sa juste place et être mise au service de l’économie réelle et, en particulier, des PME.
Pour relancer l’économie réelle, la France dispose d’un atout majeur. Avec un taux d'épargne de leur revenu de 17% (l'un des plus forts au monde), l'épargne financière accumulée par les Français atteint les 3600 milliards € (hors immobilier) pour un PIB d'environ 2000 milliards d’euros. L’incitation à employer l'épargne domestique au bénéfice de l’investissement productif reste aujourd’hui largement insuffisante alors qu’il y a là un gisement de ressources très important, sans commune mesure avec les crédits publics. Il faut réconcilier l'épargne et l’industrie. Il faut contrecarrer l’idée selon laquelle le placement dans les entreprises serait trop risqué. Il faut que les banquiers et les assurances retrouvent leur véritable vocation, qui est de financer l’économie.
L’épargne drainée par l’assurance vie, et encouragée fiscalement, doit être orientée vers le financement en fonds propres de nos entreprises.
La création d'un livret d'épargne industrie dont le produit sera dédié au financement des PME et des entreprises innovantes permettra de mobilier l'épargne des Français. Pour cela, il est prévu de doubler le plafond du livret développement durable, en le portant de 6 000 à 12 000 euros.
Nous avons besoin de la mobilisation des épargnants français autour de notre pacte productif. Le Livret Epargne Industrie a vocation à rapprocher les citoyens de leurs entreprises régionales en drainant l’épargne nationale pour financer l’économie locale. C’est une façon de faire oublier les abus de la finance, et une façon de rapprocher les Français de leurs entreprises.
En créant la Banque Publique d’Investissement, nous voulons attaquer de front le problème du financement des PME. Ces PME, rappelons-le sont créatrices d’emplois (elles embauchent plus de 60% des Français) et de richesse. Une mission de préfiguration a été mise en place, qui devra proposer des modalités opérationnelles de mise en oeuvre, et rendra ses conclusions dès cet été. La grande conférence sociale a permis un premier échange riche pour constituer cette BPI. La concertation des partenaires sociaux devra être poursuivie par la mission de préfiguration. Puis auront lieu les premières opérations capitalistiques, pour une mise en oeuvre fin 2012.
Pierre Moscovici et moi-même sommes très attentifs à inventer un outil efficace, au plus proche des entreprises. Nous trouverons l’équilibre entre un Etat stratège et une vision de proximité. Je plaiderai pour qu’à l’image de l’expérience réussie d’OSEO, il y ait des guichets régionaux de cette banque. Les décisions doivent êtres prises sur le terrain, là où on connaît les entreprises et où on peut trouver les solutions, et non remonter systématiquement à Paris. Et ces guichets doivent offrir toute la palette de produits aujourd’hui proposée par une myriade d’acteurs publics.
Je souhaite que la BPI soit plus qu’une banque :
- elle doit accompagner les projets des chefs d’entreprises, les aider à définir leur stratégie, les aider à croître ;
- elle doit financer l’innovation, même la plus radicale ;
- elle doit s’impliquer dans la gouvernance des entreprises dans lesquelles elle investit ;
- elle doit agir en cohérence avec les politiques publiques de ce gouvernement, et en synergie avec le programme d’investissement d’avenir
Enfin, et j’y insiste, il apparaît nécessaire de mettre en place un véritable réseau d'aide aux entreprises à l'étranger sur le modèle allemand ou japonais fondé sur une véritable culture de l'export. Dans ce cadre, il faut rapprocher, voire fusionner – posons nous au moins la question - les outils tels la Coface, Ubifrance et la partie export d'OSEO en les rapprochant de la BPI. La BPI sera une clé de la réussite de notre stratégie à l’export. C’est un sujet que j’évoquerai avec Nicole Bricq.
Les Français doivent avoir la possibilité de placer leur épargne dans les entreprises qu’ils connaissent, qu’ils identifient comme des acteurs de leur territoire, ces entreprises qui embauchent leurs amis, leurs parents, leurs enfants.
C’est une façon de faire oublier les abus de la finance, et une façon de rapprocher les Français de leurs entreprises.
Au-delà, nous devons expliquer aux investisseurs que la reconquête industrielle est une aventure au long cours. L’horizon de leurs investissements devra s’adapter à cette donnée, nous travaillons à la mise en place de mesures incitatives.
Notre reconquête industrielle passe également par la reconquête de notre souveraineté énergétique. Là encore, de mauvais choix idéologiques nous ont porté à abandonner ce que tous nos voisins et concurrents ont précieusement préservé.
En France, nous bénéficions d’un coût de l’énergie peu cher. Cet atout de compétitivité nous devons le préserver en nous appuyant, notamment, sur la filière nucléaire.
Mais au-delà, la maîtrise de nos ressources énergétiques et des matières premières nous permettra de sécuriser l’approvisionnement de notre industrie. Il est un fait que nous devons réintégrer dans nos logiciels : les ressources nationales appartiennent à tous les Français et ne peuvent pas faire l’objet d’une excessive appropriation par quelques sociétés. Je suivrai attentivement les travaux d’exploration menés en Guyane. Si des découvertes pétrolières sont faites, la Nation devra en profiter pleinement. La refonte du code minier, qui pourrait être entamée dès l’automne permettra une réflexion sur le bon niveau de bénéfices devant revenir vers l’Etat et vers les communautés locales.
L’énergie la moins chère, chacun le sait, est encore l’énergie qu’on ne consomme pas. La reconquête de notre souveraineté énergétique passe donc par un investissement massif de tous les acteurs dans l’efficacité énergétique. L’industrie française doit continuer à être synonyme d’excellence en ce domaine, et ne peut se permettre de rater ce virage. Elle dispose du premier électricien mondial avec EDF, du premier énergéticien avec GDF Suez, d’un très grand acteur pétrolier, Total, des champions des équipements comme Areva, Alstom et Schneider Electric, des géants de la construction comme Vinci, Bouygues ou encore Saint-Gobain. Ils se positionnent déjà sur les créneaux de l’isolation des bâtiments, de la rénovation thermique ou de l’efficacité énergétique dite « active », à travers les équipements intelligents. Ils seront soutenus et encouragés.
Le quatrième front de notre reconquête industrielle est celui de l’innovation. C’est dans cette France des inventeurs, des créateurs, des ingénieurs que réside notre potentiel de croissance. Nous devons la soigner, l’accompagner, la guider.
L’industrie, vous le savez, est à l’origine de 85% de l’effort de recherche mené par les entreprises en France. C’est dire combien elles ne prennent pas le sujet à la légère. Et pour cause, l’innovation est notre avenir à tous !
Elle est la clé pour rester moteur, et non pas suiveur, du monde qui vient.
- Un monde dans lequel nous aurons de nouvelles envies et de nouveaux besoins : nano et biotechnologies, numérique, internet et ses nouveaux usages, l’éco-mobilité, et bien d’autre encore.
- Mais aussi un monde dans lequel nous aurons de nouveaux concurrents : à bien des égards, les pays qu’on disait jadis pudiquement « en développement » ont émergé, bien plus rapidement que ce qu’on nous avait prédit, à l’image de l’Inde, du Brésil, de la Chine. Ces pays n’ont aucune intention de rester les ateliers du monde, et progressent à grands pas pour remonter les filières de production et devenir, demain, les laboratoires du monde.
Nous sommes à présent acculés à la frontière technologique. Nous avons le devoir, mais c’est aussi une fierté, de se mettre en position de produire les biens de demain.
Un constat, de toute évidence, s’impose : nous avons en France parmi les meilleurs ingénieurs, chercheurs, développeurs, inventeurs au monde. Et pourtant, notre pays accuse toujours un retard en matière d’innovation… Pourquoi ? Il y a, en France, encore trop peu de mise en commun de la connaissance créée, qui est pourtant à la base des processus innovants.
Je propose donc d’abord de renforcer l’écosystème de l’innovation, pour que tout le monde puisse travailler ensemble plus efficacement.
D’abord en poursuivant la politique des pôles de compétitivité. Ils ont apporté la preuve jusque là, de leur efficacité, en rapprochant grands groupes, PME, laboratoires de recherche et universités. Toutefois, pour éviter le saupoudrage des fonds publics, il sera nécessaire de recentrer l’action de l’Etat sur les pôles les plus prometteurs, sur la base d’évaluations indépendantes. Il faudra aussi veiller à ce qu’ils soient pilotés au niveau approprié, qui sera parfois l’Etat (pour les pôles « internationaux, ou nationaux ») et parfois les régions (pour les pôles de proximité)
Ensuite, nous voulons rendre l’innovation accessible à tous, y compris les plus petits. Je souhaite démultiplier sur le territoire des plateformes qui diffuseront les technologies innovantes aux PME et aux entreprises de taille intermédiaire (ETI), sur le modèle des Fraunhofer allemands. Ce dispositif existe déjà à Grenoble ou à Saclay, dans l’Essonne, sous l'égide du CEA mais nous pouvons l’étendre et innerver la France entière.
Aucune des révolutions industrielles passée ne s’est faite sans un fort soutien de l’Etat. Partout, en Chine comme aux Etats-Unis, en Inde comme au Brésil, l’intervention publique est active. En réarmant l’Etat, nous inscrivons la France dans la révolution industrielle à venir.
Nous nous tiendrons donc prêts, à nouveau, à soutenir les programmes technologiques ambitieux, ceux des industries vertes, des réseaux intelligents, du numérique… Notre politique industrielle sera cohérente et réfléchie. Elle prendra en compte les filières, les territoires et les hommes. Elle s’appuiera sur un partage plus intelligent entre l’Etat et ses régions. La commande publique en deviendra le bras armé, et sera tourné en particulier vers l’innovation dans les PME et les ETI, à l’image du Small Business Innovation Research (SBIR) qui irrigue à hauteur d’un milliard de dollars chaque année l’économie américaine.
L’innovation sera non seulement suivie de près, mais également financée. La Banque publique d’investissement que nous créerons sera – on l’a dit – le relai numéro 1 de l’innovation dans les territoires.
Le crédit d’impôt recherche sera maintenu, car c’est un levier d’action extraordinairement efficace. Mais, il faut le dire, ce dispositif est aujourd’hui victime de son succès, et engendre pour certain des effets d’aubaine inacceptables. Nous le ciblerons au maximum sur les entreprises qui en ont le plus besoin, les plus jeunes et les plus petites, en le réorientant lorsque nécessaire.
Et nous travaillerons, à partir de notre vision partagée, avec le Président Gallois pour adapter le programme d’investissement d’avenir aux priorités dégagées pour les filières industrielles.
Pour porter la reconquête industrielle, je vous parlais d’union des forces économiques et sociales. Dans certains cas, il faudra même aller vers une réconciliation celle du consommateur et du producteur.
La seule annonce, il y a un mois, de l’examen de solutions pour mettre fin à l’hémorragie des emplois dans le secteur des télécommunications a créé une levée de boucliers parmi les irréductibles du modèle libéral financier.
Dans un pays qui compte près de 3 millions de chômeurs soit prêt de 10% de la population active, qui sont ces irresponsables qui refusent encore d’intégrer à leur logiciel économique la question de l’emploi ?
Ceux qui s’abritent derrière la concurrence irraisonnée pour qu’augmentent leurs profits en sacrifiant les emplois en France, ceux-là ont peur des soldats de l’emploi. Ils ne veulent pas entendre parler de volontarisme politique pour lutter contre les délocalisations. Ils ne veulent pas qu’émerge un modèle de la régulation et du rééquilibrage. Alors comme souvent, ceux qui se sentent menacés opposent une catégorie de Français à une autre : le consommateur au producteur.
Cette opposition, il y a urgence à la questionner. Le propos est, en effet, pour le moins simpliste puisqu’en réalité, le consommateur est toujours un producteur. Et si la France continue de sacrifier son appareil productif et ses emplois c’est le consommateur qu’elle sacrifie.
L’intérêt du consommateur et du producteur ne font qu’un et il est de notre responsabilité de défendre cet intérêt commun en renouant avec une France de la production, une France du travail, une France de la régulation. Les Français l’ont compris. Une étude du CREDOC parue en 2011 montre que 60% de nos concitoyens sont prêts à payer un peu plus cher les biens qu’ils consomment dès lors qu’ils sont fabriqués en France. Il est urgent que les décideurs entendent cette prise de conscience citoyenne pour préserver la base industrielle « France ».
Nous avons donc entamé un chantier pour promouvoir la « marque France » qui pourrait être un système de labellisation, estampillant le « fabriqué en France » et allant au-delà pour permettre une véritable traçabilité sociale et environnementale.
Je me suis aussi saisi du dossier des opérateurs des télécommunications dans cet esprit, et avec le souci de la préservation de l’emploi.
Pour mener ce plan de reconquête, il y aura des obstacles à franchir. Nous devrons convaincre les Français, rallier les plus sceptiques. Nous devrons aussi mener campagne à Bruxelles pour que l’Europe de la croissance l’emporte sur l’Europe « austéritaire ».
Je veux me souvenir que l’Europe est née d’une aventure industrielle, la CECA. Son esprit d’alors n’était pas celui d’une application naïve et dangereuse d’une politique de concurrence qui nous affaiblit. Je souhaite créer les conditions d’une réorientation de l’Union Européenne qui passera par une relecture de ses traités, pour soumettre la politique de la concurrence à l’impératif d’une politique industrielle.
Par exemple, développer les innovations et les technologies clefs pour demain. Mener à bien de grands projets technologiques structurants comme ITER, GMES ou Galileo. Nous avons l’ambition de faire émerger des champions européens. Depuis EADS, ni la France ni l’Europe n’ont su construire de tels projets ambitieux.
Il faut abandonner les pratiques commerciales naïves et imposer une véritable réciprocité à nos partenaires commerciaux. L’Europe ne peut pas se résoudre à voir partir ses industries – découpées pièces par pièces et reconstruites ailleurs – sans réagir, comme si devenir un territoire de consommation sans production était envisageable, ou même viable. Les compétences et les savoir-faire de pointe, chèrement acquis, sont des atouts qui ne se récupèrent pas, ou alors au prix d’efforts et d’investissements que nous ne serons plus capables de payer.
C’est bien l’ensemble des politiques de l’Union qui doit être guidé par l’objectif d’un redressement productif. Le Pacte de croissance, négocié par le Président de la République lors du dernier Conseil européen est une avancée importante en ce sens.
Ce plan de reconquête je veux que les Français se l’approprient. J’ai besoin qu’il devienne l’objet de chacun, la préoccupation de tous. Une grande cause nationale autour de laquelle les Français doivent se mobiliser.
Cette mobilisation commence aujourd’hui, ici. La CNI est au coeur de ce plan de reconquête, vous l’avez compris. La grande conférence sociale a permis de partager l’objectif d’une CNI élargie, renforcée, éclairant les choix du gouvernement. Elle doit jouer pleinement son rôle de lieu de concertation et de proposition. Je souhaite d’ailleurs que son nom reflète mieux cette ambition de conseil au gouvernement.
Sa composition doit être élargie et sa gouvernance aménagée. L’UPA n’est pas présente. Elle devra l’être. Les régions de France ne sont pas présentes. Elles devront l’être. Les chambres de commerce et de l’industrie ne sont pas présentes non plus. Elles devront l’être. La gouvernance de la CNI doit être rééquilibrée avec les partenaires sociaux.
Je souhaite également que la CNI enrichisse ses travaux, d’abord en créant de nouveaux comités stratégiques de filière, dont un sur l’énergie, un sur les matières premières et les industries de première transformation et un sur les enjeux de la déconstruction.
Je souhaite également que la CNI enrichisse ses réflexions sur les sujets transversaux. De nouveaux groupes de travail pourraient s’intéresser au sujet du financement et des aides, au sujet de la gouvernance des entreprises et enfin au lien entre système éducatif et appareil productif. Enfin, je souhaite que la CNI puisse disposer de moyens même modiques pour assurer son bon fonctionnement et piloter des études.
Il faudra que la CNI s’articule avec le conseil ou commissariat du dialogue social et de la prospective dont le Premier Ministre a annoncé la création, à la suite de la grande conférence sociale.
Source http://www.redressement-productif.gouv.fr, le 12 juillet 2012