Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, sur les objectifs assignés à la concertation sur la refondation de l'Ecole, à La Sorbonne, Paris le 5 juillet 2012.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Lancement de la concertation sur la refondation de l'Ecole, à La Sorbonne, à Paris le 5 juillet 2012

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs,
Nous voici donc réunis pour lancer ensemble une grande consultation nationale destinée à "refonder l’Ecole". Refonder l’Ecole, l’expression est forte et peut paraître excessive. Comment envisager de refonder une institution vieille comme la République dont elle est par ailleurs l’un des fondements ?
Et pourtant ! Si nous estimons si essentielle une telle consultation, c’est parce que nous sommes persuadés que l’état de l’Ecole aujourd’hui mérite que nous l’interrogions ensemble. Que le président de la République veuille faire de l’éducation la première priorité de son quinquennat, et qu’il l’ait traduit par un engagement aussi fort que la création de 60 000 emplois nous oblige. Vous le savez, cette priorité est déjà suivie d’effets à travers les mesures d’urgence prises pour la rentrée 2012.
Je l’ai dit il y a deux jours devant la représentation nationale, notre façon d’agir marque une volonté de changement. Prenons le temps de la réflexion et de l’action. En effet, l’Ecole, ces dernières années, n’a pas seulement été malmenée, n’a pas simplement subi des coupes budgétaires aveugles. Elle a été maltraitée dans l’intelligence même de ses missions, elle a été laissée sans boussole face aux questions nouvelles que lui posent tant la société française que son environnement international. Nous sommes là, aujourd’hui, pour nous interroger sur les vrais défis à relever et sur les meilleures voies pour y parvenir.
Refonder l’Ecole, c’est d’abord la redresser.
Alors quelles questions et pourquoi cette consultation ?
Dans ma déclaration de politique générale, j’ai mis l’accent sur l’efficacité et la justice. Vous l’aurez compris, cela s’applique particulièrement à l’Ecole.
Notre Ecole est-elle efficace ? Notre Ecole est-elle juste ? Qu’en est-il de la confiance de notre nation en son Ecole, de l’Ecole en elle-même ? Comment voyons-nous son avenir ?
Notre Ecole est-elle efficace ?
Le constat est largement partagé depuis des années. Et d’abord sur ce qui a réussi. Pour le dire simplement, la démocratisation de l’accès à l’Ecole, la scolarisation de tous a pour l’essentiel réussi pour ce qui est de la scolarisation obligatoire jusqu’à 16 ans. Et même au-delà, puisque la très grande majorité des jeunes de 18 ans sont aujourd’hui scolarisés. Mais ce que demande désormais notre pays à son Ecole, c’est autre chose, c’est de conduire tous ses élèves jusqu’à la maitrise effective des connaissances et compétences indispensables non seulement à la poursuite d’études, supérieures ou professionnelles, mais aussi à la réussite de la vie ultérieure, professionnelle, sociale, personnelle, sans oublier la culture scientifique et technique. Là est le sens des grandes missions assignées à l’Ecole par les deux lois d’orientation les plus récentes, celle portée par L. Jospin en 1989 et celle de F. Fillon en 2005.
L. Jospin avait fait adopter deux objectifs forts dès 1989 : qu’aucun jeune ne sorte du système éducatif sans qualification reconnue et que 80 % d’une génération puisse accéder au niveau du baccalauréat. La loi de 2005 a complété cette ambition en introduisant la notion de "socle commun de connaissances et compétences" qui assigne désormais un objectif à la scolarité obligatoire. Elle l’a aussi prolongée avec l’objectif d’amener 50 % d’une génération à un diplôme d’enseignement supérieur.
Soyons clairs, ces objectifs, nous ne les avons pas atteints. Les sorties sans qualification varient selon les estimations entre 10 et 20 % d’une génération. Environ 80 % d’une génération seulement peut être jugée comme maîtrisant le "socle commun", le pourcentage d’arrivée au niveau du bac peine à franchir la barre des deux tiers et celui d’obtention d’un diplôme du supérieur n’atteint pas 30 % en ce qui concerne la licence.
Plus profondément peut-être encore, à l’école primaire, 15 % de nos élèves en moyenne et jusqu’à 50 % dans certains quartiers ne maîtrisent pas les compétences de base et sont promis, si rien ne change, à un difficile destin scolaire.
Cette situation ne peut que nous interroger. Tout se passe en effet comme si notre Ecole continuait à bien marcher pour 80 % de nos élèves mais se heurtait à une sorte de plafond de verre pour tous les autres.
Vouloir refonder l’Ecole, c’est accepter de considérer ensemble les leviers du changement. Ni l’Ecole ni la nation tout entière ne peuvent éviter de s’interroger. On le voit, mon propos n’est pas de mettre en cause les uns ou les autres mais de vous inciter à cette mobilisation générale qui seule nous apportera des solutions nouvelles. Nous savons bien en effet les efforts, le dévouement, l’abnégation de tous les personnels chargés de l’éducation. Des personnels mais aussi de tous ceux qui les accompagnent au quotidien comme partenaires de l’Ecole, parents, élus des collectivités, représentants des divers mondes dont se nourrit l’Ecole, économique, social, culturel, sportif, associatif plus généralement, et qui eux aussi font l’Ecole.
Je crois à la force de la mobilisation collective que vous représentez si bien ce soir. Il en naîtra, j’en suis certain, les ressorts d’une créativité nouvelle où pourront se conjuguer initiatives et innovations.
Un exemple pour me faire comprendre. Quand dans une école primaire située dans un quartier difficile où un pourcentage important d’élèves connait année après année, de graves difficultés d’apprentissage, comment ne pas interroger le modèle classique d’organisation de la classe autrement qu’à travers le seul nombre d’élèves ? Comment ne pas encourager la recherche d’autres façons de travailler, par exemple avec deux maitres intervenant conjointement face au même groupe de façon à mieux prendre en compte les situations individuelles. Les expériences conduites en ce sens montrent que tout le monde y trouve son compte.
Notre Ecole est-elle juste ?
Nous recherchons donc une Ecole plus efficace mais aussi plus juste. Bien des indicateurs démontrent à quel point le destin scolaire d’un enfant est déterminé par son origine sociale, à quel point la transmission du capital culturel ressemble de plus en plus à celle du capital économique. Ainsi, les 10 à 20 % en moyenne d’élèves en échec sont principalement issus des couches les plus modestes.
C’est bien l’un des paradoxes de ce siècle : plus l’Ecole ouvre ses portes, plus elle se démocratise donc, du moins quant à son accès, plus elle apparait injuste, plus elle apparaît comme reproductrice des inégalités sociales.
Il en est une raison simple. Contrairement aux situations qui ont prévalu pendant longtemps, la formation et la qualification sont aujourd’hui les clefs majeures dans la distribution des places dans la hiérarchie économique et sociale.
De là un double phénomène : d’une part s’amplifie la demande vis-à-vis de l’Ecole ; d’autre part les enfants d’origine modeste partent avec des handicaps culturels considérables dans la course au diplôme.
De là l’exigence de remettre au cœur du projet éducatif l’éducation prioritaire. Il faut certes en redéfinir les contours mais il faut l’affirmer comme le lieu privilégié où s’apprécieront l’efficacité et la justice de notre système. Comment l’Ecole pourrait-elle être juste si elle abandonne au bord du chemin ceux qui ont le plus besoin d’elle?
Une Ecole plus juste, plus efficace, mais aussi avec un horizon plus large.
Horizon de temps
Je l’ai suggéré plus haut : il importe de retrouver le temps long de la réflexion et de la maturation. Il faut à la fois que nous redressions rapidement ce qui doit l’être et que nous nous fixions un agenda. Je suis mieux placé que quiconque pour connaitre les exigences du temps court de la politique. C’est pourquoi je m’autorise à vous dire que vous devez utiliser ce temps un peu plus long que nous offre le quinquennat de F. Hollande.
L’horizon c’est aussi l’espace.
Les élèves que nous formons vivront demain dans un monde encore plus ouvert qu’aujourd’hui. A ce monde-là nous devons absolument les préparer en leur donnant tous les outils nécessaires : la meilleure maitrise possible d’autres langues et cultures, l’occasion de découvrir d’autres horizons et modes de vie.
Qui donc, parmi les enfants des classes populaires voyage à l’étranger ou peut s’y instruire si ce n’est pas l’Ecole qui le lui permet ?
Cet horizon international n’est évidemment pas incompatible avec le lien profond que l’Ecole entretient avec son territoire de proximité. Cela fait presque deux siècles que l’histoire de l’école primaire se confond avec celle des communes et trente ans que le premier gouvernement de F. Mitterrand a créé une relation analogue entre départements et collèges, régions et lycées. Cela s’appelle une compétence partagée. Je suis très attaché à ce que l’Ecole vive pleinement cette relation de proximité. Cette compétence partagée doit être respectée, au premier chef par l’Etat lui-même qui a trop souvent tendance à décider avant de consulter ceux qui devraient être ses premiers partenaires. Sur ce point aussi je m’engage à ce qu’il n’en soit plus ainsi.
Les objectifs de la concertation découlent directement de ces exigences
Monsieur le Ministre, Madame la ministre déléguée, j’apprécie que vous en ayez tenu compte dans les thématiques que vous avez retenues au lancement de cette concertation.
Reconsidérer le travail conduit à l’école primaire et au-delà au collège dans la perspective de la réussite de tous s’impose.
De la même manière, c’est sous l’angle de l’efficacité et de la justice que la question des rythmes scolaires doit être envisagée : efficacité dans les apprentissages mais aussi pour le meilleur épanouissement de l’enfant à l’école et en-dehors de l’école.
Comment enfin ne pas mettre au cœur de la réflexion les principaux acteurs de cette recherche d’efficacité et de justice, les maitres eux-mêmes et ce qui les fait devenir maitres autant que professeurs: leur formation. On le sait, les décisions du gouvernement précédent ont été néfastes en ce domaine parce qu’elles ont oublié l’essentiel, à savoir que ce métier s’apprend, pas seulement dans les livres ou sur les bancs des amphithéâtres mais en le pratiquant. Il faut donc à la fois tirer les leçons des dispositifs antérieurs et inventer un modèle adapté aux nécessités d’aujourd’hui, qui prépare les futurs maitres à cette double exigence d’efficacité et de justice. C’est ce modèle que nous rechercherons en créant les futures écoles supérieures du professorat et de l’éducation au sein de nos universités.
La concertation, ce sont des objectifs mais c'est aussi une méthode,
celle que nous voulons désormais instaurer pour toutes les grandes questions qui concernent notre pays. C’est aussi la volonté d’exprimer notre confiance à une communauté éducative régulièrement meurtrie. Mais c’est bien davantage.
Face à un tel défi, ma conviction est que le meilleur arbitrage politique est toujours celui qui se trouve au point de rencontre ou d’équilibre entre le point de vue des experts et celui des citoyens. La vertu d’une concertation bien conduite vient de ce qu’elle permet la recherche de ce point d’équilibre. Les principes qui doivent inspirer son organisation en découlent.
Principe de diversité d’abord. L’assemblée que j’ai devant moi témoigne de ce que vous avez eu ce souci. De même le quatuor de personnalités que vous avez choisies. Dans l’ensemble qu’ils constituent, je vois à la fois le monde scolaire et universitaire, l’univers des collectivités et celui de l’économie. Merci à vous tous.
Les auditions que vous conduirez, les contributions que vous recueillerez, les travaux que vous mènerez dans les groupes prévus à cet effet, tout cela fournira un matériau important, riche et utile.
Mais l’Ecole, c’est tout le territoire. Il convient donc de donner sa pleine dimension territoriale à cette consultation. Aux côtés des recteurs, de leurs équipes et des acteurs locaux, les collectivités territoriales, vous apporteront une aide précieuse.
Calendrier enfin. Je laisserai au Ministre le soin de le préciser en détail. Mais je souhaiterais que vous sachiez concilier les différents temps nécessaires à cette noble entreprise.
Une première étape devra être marquée dès l’automne avec des premières conclusions importantes qui pourraient prendre la forme d’un projet de loi d’orientation. Mais la réflexion, l’échange la concertation voire la négociation ne sauraient s’arrêter à cette première étape.
Nous avons devant nous le temps plus long d’un quinquennat pour conduire le changement en profondeur.
En conclusion
Vous le voyez, et ma présence ici n’avait d’autre but que de le souligner, le président de la République et moi-même attendons beaucoup de cette consultation pour définir les voies et moyens d’un renouveau, d’une refondation de l’Ecole.
Vous êtes nombreux à nous faire confiance dans cette voie d’un effort non pas conduit par une mécanique aveugle mais orienté par des choix stratégiques. Les engagements aussi concrets que les mesures prises pour la rentrée 2012 et la création de 60 000 emplois en cinq ans, témoignent aussi de la confiance que nous plaçons en vous.
Mais cette confiance a une contrepartie, l’attente considérable qu’elle suscite dans tout le pays d’une Ecole plus juste et plus efficace. Ne la décevons pas ! Il s’agit de l’avenir de la jeunesse ; il s’agit de l’avenir de la France.
Source http://www.gouvernement.fr, le 12 juillet 2012