Tribune de M. Bernard Cazeneuve, ministre des affaires européennes, dans "Libération" du 23 août 2012, sur les mesures prises face à la crise économique et financière au sein de l'Union européenne, intitulée "L'Europe est un combat".

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Le mal qui affecte l'Europe nous renvoie à chaque instant à la prédiction de Jean Monnet, qui pensait que l'Europe se ferait dans les crises, et qu'elle serait la somme des solutions qu'on apporterait à ces crises. Les convulsions qui l'ont mise à l'épreuve ont aussi contribué à faire son unité.
Dans cette tension propre à notre continent, une nouvelle rupture s'est opérée, dont la portée est tragiquement systémique. Une crise bancaire profonde, induite notamment par les errements de la spéculation démente, a obligé les États à s'endetter sur les marchés. Le sauvetage des banques qu'exigeait la protection des épargnants et la préservation d'économies fragilisées ont été réalisés au prix d'une nouvelle dégradation des comptes publics. La hausse parfois irrationnelle des taux d'intérêt a obéré, dans les pays les plus exposés, les chances d'une reprise à court terme de la croissance, en alourdissant la charge des dettes souveraines. L'Union européenne, face à ces désordres économiques et monétaires, est trop souvent intervenue à contretemps, aggravant les tendances récessives par des mesures fondées uniquement sur l'austérité. Dans cette impuissance à surmonter la crise, l'Europe s'est affaiblie, et ses peuples ont commencé à divorcer d'elle, de son ambition, de son projet. Une forme d'euro-hostilité est née peu à peu, qui a ajouté de la crise politique et démocratique aux difficultés économiques et monétaires.
C'est dans ce contexte très dégradé où la France, elle aussi, s'est affaiblie, que la campagne présidentielle française et les premiers mois du quinquennat de François Hollande ont suscité un espoir. Cet espoir, il nous appartient de ne pas le décevoir, et d'aller au bout de notre ambition de changer en profondeur la politique de l'Union européenne.
D'abord, nous devons porter plus loin encore notre volonté de croissance. Les résultats du Conseil européen du 29 juin, notamment le plan d'urgence de 120 milliards d'euros pour les investissements d'avenir, ne peuvent en aucun cas constituer un solde de tout compte. Le prochain budget de l'Union européenne pour la période 2014-2020 devra amplifier la dynamique créée par la recapitalisation de la Banque européenne d'investissement, le lancement de la première génération d'obligations de projets, et la mobilisation des fonds structurels européens. En dotant le budget de l'Union européenne de ressources propres, notamment à travers l'adoption de la taxe sur les transactions financières en coopération renforcée, en approfondissant le marché intérieur, en construisant des politiques industrielles et énergétiques plus intégrées et conformes au principe de la réciprocité en matière d'échanges commerciaux, nous ouvrirons de nouvelles perspectives de croissance au service de l'emploi en Europe et des intérêts de nos industries. La croissance suppose aussi des services publics forts, une exigence de mieux-disant social et environnemental pour les salariés de nos entreprises. Il s'agit de relever l'Europe pour la rendre plus forte dans la mondialisation et plus protectrice pour ses peuples. Le débat parlementaire qui interviendra dans les prochaines semaines conduira chacun à se prononcer en conscience sur cette ambition.
Il n'y aura pas non plus de croissance durable sans une remise en ordre des banques, qui ont vocation à accompagner le développement de l'économie réelle sur les territoires, plutôt que la spéculation sur les marchés. La supervision bancaire, actée par le sommet européen des 28 et 29 juin, et qui entrera en vigueur avant la fin de l'année 2012, devra être complétée par un mécanisme de résolution des crises bancaires et de garantie des dépôts des épargnants. Dans le même mouvement, la recapitalisation directe des banques par le Mécanisme Européen de Stabilité permettra de casser le lien funeste qui unit, dans une même logique récessive, la fragilité bancaire, l'explosion des dettes souveraines et l'augmentation des taux d'intérêt. Les peuples d'Europe seront ainsi mieux protégés de l'austérité et des traumatismes qu'elle suscite dans leur vie quotidienne. Enfin nous devrons, dans le cadre des travaux conduits par le président du Conseil européen, Herman van Rompuy, approfondir l'union économique et monétaire, pour donner vie à l'intégration solidaire portée par le président de la République. Plus de solidarité est aujourd'hui indispensable, notamment au profit des pays qui sont encore à la peine, en dépit des efforts qu'ils ont accomplis pour réussir leur redressement.
Plus de solidarité ne peut se concevoir sans responsabilité budgétaire assumée en commun, sans davantage d'intégration politique. Cela ne signifie pas qu'il faille renoncer à l'exercice de la souveraineté, qui est un attribut de la démocratie. Cela signifie simplement que la souveraineté doit pouvoir s'exercer en partage avec des institutions européennes plus démocratiques, mieux identifiées, en un mot plus fortes.
L'Europe a besoin d'un projet qui suscite parmi ses peuples le désir de s'identifier à nouveau à elle. Construire ce projet avec pragmatisme, sans occulter la réalité et en tendant vers l'idéal, est un combat. Il ne laisse à aucun de ceux qui le livrent le répit de la posture. Il ne se gagne pas dans la seule confrontation des tribunes. Il imprime en permanence son rythme, celui des crises, des urgences, de l'action. Il impose un devoir de responsabilité pour réussir la solidarité en Europe, sortir de la stagnation et éradiquer l'austérité qui prive ses peuples d'un avenir.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 septembre 2012