Déclaration de Mme Fleur Pellerin, ministre des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique, sur la place à prendre par la filière du design dans le redressement productif français, Paris le 10 septembre 2012.

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Circonstance : Lancement de la "Paris Design Week", à Paris le 10 septembre 2012

Texte intégral

Je vous remercie de votre invitation,
Je remercie toutes les équipes du Lieu du Design, et notamment sa présidente, Marianne LOUIS, et son Directeur général, Laurent DUTHEIL,
Je salue Jean-Paul HUCHON, Président de la Région Ile-de-France, qui est à l’origine de la création de ce lieu.
Je salue Patrick BLOCHE, Député de la circonscription et Président de la Commission des Affaires culturelles et de l'Éducation à l’Assemblée nationale,
Merci pour votre invitation et toutes mes félicitations pour l’organisation de cette deuxième édition de la Paris Design Week. C’est un vrai plaisir d’être ici, car vous savez à quel point le design est un sujet qui me tient à coeur.
Je voudrais tout d’abord féliciter le Lieu du Design. Il incarne un lieu de promotion du design industriel, mais aussi de l’éco-design au service d’une démarche de développement durable. Il fédère les différents professionnels et structures du design.
J’ai entendu dire qu’il avait reçu plus de 1000 demandes de soutien pour des projets innovants. Cette tendance témoigne du dynanisme que représente le design en France.
Ma priorité, et celle d’Arnaud Montebourg, est le redressement productif de notre pays. Dans un contexte de crise économique, de concurrence exacerbée, et de délocalisations d’activités, je suis convaincue que le design a un rôle stratégique à jouer. C’est pour cela que j’ai tenu à être présente aujourd’hui.
Le design doit être au coeur d’une politique industrielle volontariste.
Son rôle est trop souvent sous estimé, voire caricaturé, non seulement au sein du grand public, mais plus grave encore, au sein des entreprises ! Le design ne doit pas être réduit à la mode ou à la décoration. Il n’a pas qu’une dimension esthétique, avant-gardiste.
Le design recouvre des pratiques multiples bien plus riches que le grand public ne l’imagine. Il fait avant tout appel à l’expérience de l’utilisateur, à l’ergonomie d’un objet, et à son interface.
Pour moi, qui suis en charge des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique, le design est au carrefour de mes missions, des actions que je veux porter, au coeur de mes projets. Le design, par ses créations, ses expériences, ses prototypes, est un vecteur capital de l’innovation pour notre économie, et en particulier pour notre économie numérique.
Il y a urgence pour notre industrie. Il y a urgence à accueillir le design dans toutes les démarches innovantes. Il y a urgence, enfin, pour renouveler l’offre française de produits grand public et désirables pour un marché mondial.
Vous serez les acteurs de cette mission, vous qui êtes les artisans d’une innovation fondée sur la vision, l’intuition et la passion. Car malgré ses atouts, la France accuse un certain retard dans le domaine du design. Plus de la moitié des entreprises françaises n’a jamais eu recours au design, et moins de 20% d’entre elles considèrent le désign comme stratégique.
En France, le design est trop souvent perçu par les dirigeants d’entreprise comme accessoire, même au sein des grandes sociétés. La situation des petites et moyennes entreprises est encore plus problématique.
Dans les Pays du Nord, comme le remarquait récemment Paola Antonelli, le potentiel du design est bien compris: les designers sont des acteurs de l’innovation sociale. Les services publics sont "designés". Leur valeur symbolique, leur acceptabilité en sortent renforcées.
En France, nous n’avons pas eu encore de programmes nationaux de soutien au design, comparables au UK Design Council à Londres, ou à l’Australian Centre For Social Innovation à Melbourne. Pourtant, Il faut lutter contre cette tendance compte tenu du fantastique potentiel que le design représente. Le design est d’abord en lui-même de la valeur ajoutée, de la création de richesse et donc d’emplois.
Mais le design est surtout un fantastique levier pour renforcer la compétitivité de l’industrie française.
La mondialisation des marchés implique une recherche permanente de différenciation technique, fonctionnelle et esthétique, afin d’accroître la valeur d’usage des produits : la maîtrise du design est la clef de cette différenciation.
Selon une étude du Design Council britannique, les entreprises qui font appel au design réalisent en 5 ans un chiffre d’affaires de plus de 20% supérieur à la moyenne.
Le design anticipe les mutations, les nouveaux modes de consommation, et aide les entreprises à maintenir ou renforcer leur avantage compétitif. C’est une arme de fond dans la conquête des marchés.
Un design réussi peut suffire à faire la différence, comme le démontre bien le succès de la marque Apple.
Mais le design n’est pas réservé aux grandes firmes. Il faut que les entreprises, les PME, surtout les PME industrielles, acquièrent le réflexe "design".
La petite et moyenne entreprise de Haute Savoie, Mecalac, est aussi un exemple à suivre. Des designers ont été associés de manière étroite à la conception de sa pelle multifonction.
Le design peut donc jouer un rôle central dans de nombreux secteurs d’activités au-delà du numérique. Je pense notamment au design produit, au design management, au design de marque, ou encore au design graphique. Le design est une solution contre la crise. C’est un élément central de ma politique en faveur de l’innovation.
Nous attendons une refondation industrielle. Les designers sont capables d'accompagner et de provoquer cette transformation.
Mais la crise de notre industrie fait que nous avons paradoxalement tendance à sous-estimer la création. Il faut penser à l'innovation par la création, et à la réindustrialisation par le design. Pendant des décennies, nous avons eu foi dans un progrès fondé sur des produits nouveaux, et très liés à la consommation. Et puis des crises industrielles sont arrivées, la crise écologique.
Aujourd’hui, l’ingénieur, le savant, sont regardés avec une certaine suspicion : n’avons-nous pas mis notre environnement en danger ? Nous cherchons tous à trouver des façons de vivre qui concilient nos exigences de progrès et un respect des ressources, de l’énergie, de la matière.
Là aussi, le design est déterminant.
Avec les green techs, un formidable rapprochement entre les big data et les énergies renouvelables se profile. Il va générer tout un champ d’exploration pour le design, tant en objets qu’en services et reconfigurations démocratiques. Dans un quartier, dans une école, à l’avenir, des tableaux de datavisualisation permettront de discuter, de décider, d’affecter de l’énergie à tel ou tel site. Cela va stimuler la démocratie locale.
En France, de premiers prototypes fonctionnels arrivent, comme Issy Grid, qui rapproche en un consortium original des entreprises telles que Bouygues, Microsoft, Schneider, Alstom, ou encore EDF. Les premiers services de gestion domestique de l’énergie ont été produits.
Bien sûr, des tableaux de bord, des écrans dans l’espace public, des objets interfaces vont se développer, avec des technologies d’économie d’énergie très intéressantes. Là encore, designers et ingénieurs vont travailler ensemble. C’est un potentiel énorme qui s’annonce !
Bien des exemples de collaboration entre designers et chercheurs offrent des perspectives tout à fait nouvelles d’innovation par la création. Je pense notamment au mariage entre l’entreprise Nouvergies et l’agence Wilmotte dans le domaine du solaire thermique, ou de Dualo et de l’agence Nimos Design.
D’autres projets développés sont fantastiques. Je pense à des maisons nomades, des produits de nanodimension, ou encore des éclairages urbains conciliant économie et sécurité. Tous ces projets ont en commun une implication décisive du design.
Dans ce contexte, il ne faut pas oublier que la défense de la propriété intellectuelle et industrielle est essentielle dans la compétitivité économique. C’est un souci croissant des designers et des entreprises. A cet égard, je salue l’initiative prise par le Lieu du Design d’éditer le premier ouvrage de référence en la matière intitulé "Le droit du design".
Nous devons travailler à renforcer les liens entre tous les acteurs qualifiés du paysage français. L’implication forte de l’Etat dans le champ du design permettra de résoudre le problème de leur dispersion. Dès lors, il faudra mieux structurer et coordonner les actions de promotion du design.
Les initiatives favorisant le renforcement du secteur doivent être soutenues. Je voudrais ainsi saluer le Lieu du Design, la Société Française de Céramique, et le Centre de Recherche et de Formation aux Arts Verriers pour le projet collectif SILINNOV, financé en partie par le ministère du Redressement productif. Ce projet vise à concrétiser des projets "design" à forte valeur ajoutée, de la conception de nouveaux produits jusqu’à leur commercialisation.
Les entrepreneurs doivent être mis en contact avec des réseaux de designers adaptés à leurs projets. Ces derniers doivent pouvoir s’insérer en amont dans les process d’innovation industrielle. Il faut intégrer la dimension design en amont dans l’entreprise. Il faut que les designers participent à la chaine de décision au même titre que la R&D, le marketing et les bureaux d’études.
Pour faire du design un véritable levier de croissance, la France dispose déjà de nombreux atouts.
Les écoles de design françaises jouissent d’une renommée internationale. C’est notamment le cas de l’Ecole Nationale Supérieure de Création industrielle, que nous pilotons avec le ministère de la Culture. Par ailleurs, l’Ecole de design de Nantes a ouvert une antenne à Shanghai.
L’enjeu est aussi d’attirer de nouveaux talents, qui sont trop souvent préemptés par nos concurrents étrangers.
Les prochains mois doivent être mis à profit pour que s’engage une concertation avec les acteurs sur une méthode de travail. Un programme d’actions concrètes doit être défini dans l’optique de construire ces partenariats.
Je voudrais envoyer un message à la communauté du design française. Vous manquez pour certain de reconnaissance, et je le déplore. Ma mission est de convaincre le tissu industriel qu’il a besoin de vous. J’en suis convaincue.
Désir d’innover, désir de servir le bien commun, désir de rendre le futur désirable : entre ministre et designer, il y a tellement de points communs !
Source http://www.redressement-productif.gouv.fr, le 21 septembre 2012