Entretien de Mme Hélène Conway-Mouret, ministre des Français de l'étranger, avec Itélé le 20 septembre 2012, sur la sécurité des Français de l'étranger face aux menaces dans les pays musulmans suite à la publication de caricatures sur l'islam dans le journal satirique français "Charlie Hebdo".

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Média : Itélé

Texte intégral

Q - Bonjour Madame. Nous sommes avec vous pour faire le point sur les menaces qui pèsent ou qui pèseraient sur nos ressortissants à l'étranger. Mais, d'abord, quelle a été votre première réaction en tant que ministre, lorsque vous avez pris connaissance de la publication de ces caricatures par Charlie Hebdo ?
R - Ma première réaction a été de penser à nos compatriotes à l'étranger parce que, depuis la semaine dernière, une certaine tension s'est exprimée dans les rues et visait les États-Unis. J'ai pensé immédiatement à nos compatriotes français et, bien sûr, à notre présence par le biais de nos ambassades, de nos centres culturels et de nos établissements scolaires.

Q - Demain vendredi, jour de grande prière pour les musulmans, les ambassades, les consulats, les centres culturels, les écoles françaises seront fermés dans une vingtaine de pays. Quelles sont les menaces, précises ou non, qui pèsent sur les ressortissants français ?
R - Il n'y a aucune menace précise. Nous préférons prévenir que guérir. Nous avons vu quand même que des foules en liesse étaient dans les rues, que finalement les intérêts de la France pourraient être menacés et nous avons donc préféré prendre des mesures de précaution, mais aucune menace n'a été proférée envers les intérêts français.

Q - En Tunisie et en Égypte, les écoles françaises sont d'ores et déjà fermées, dès aujourd'hui. Pourquoi ces mesures particulières dans ces deux pays ?
R - Au ministère, nous avons reçu un certain nombre de messages - plusieurs milliers d'ailleurs - de Français qui nous ont envoyé des SMS ainsi que les réseaux sociaux qui sont très actifs pour montrer leur inquiétude. Il est tout à fait normal que nous soyons très attentifs, que nous soyons mobilisés et que nous montrions à la communauté française que l'État est là, que le gouvernement est à son écoute et, surtout, là pour les protéger si besoin en était.

Q - Dans quel pays la situation est-elle la plus tendue ?
R - Il n'y a pas de pays précis, comme je vous l'ai dit, aucune menace n'a été proférée. Il y a certains pays où l'on sent une tension un peu plus forte que dans d'autres, mais je ne peux pas vous dire aujourd'hui qu'il y ait des pays particulièrement menaçants, en tout cas envers nos intérêts.

Q - On imagine que vous avez des contacts avec les gouvernements de cette vingtaine de pays dans lesquels les représentations françaises sont fermées. Quel est ce type de contact ? Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
R - Tout simplement, ce que nous demandons aux autorités locales, c'est simplement de leur rappeler qu'ils ont un devoir de protection envers nos intérêts, que l'on doit se reposer sur eux parce que si nous sommes mobilisés, c'est aussi pour être à l'écoute de ce qui se passe et être assuré que nos compatriotes ne soient pas en danger. Ce sont quand même aux autorités locales d'agir et nous leur rappelons tout simplement leurs devoirs envers nos compatriotes.

Q - En Afghanistan, on a appris qu'il y avait eu un rassemblement d'importance assez modeste. On parle d'environ trois cent personnes, des étudiants semble-t-il, mais avec des slogans très violents comme «mort à la France», «mort aux États-Unis». Quelles sont les informations que vous avez en provenance d'Afghanistan ?
R - Les mêmes que les vôtres, celles que vous venez d'évoquer. Nous surveillons tout cela de très près. Le problème est qu'il y a un choc culturel, c'est-à-dire qu'un message comme ce qui a été publié dans Charlie Hebdo n'est pas compris à l'étranger. Aujourd'hui, l'information ou l'image est planétaire immédiatement, diffusée partout. On se retrouve avec des gens qui, malheureusement, n'ont pas la même lecture que celle que nous pouvons avoir de ces publications. Ils ont une réaction qui est à la mesure de leur culture et que nous ne comprenons pas forcément nous-mêmes.

Q - Hier, Laurent Fabius a parlé de responsabilité, on sentait que c'était un message qui s'adressait à la direction de Charlie Hebdo. De votre point de vue, vous qui êtes ministre des Français de l'étranger, les responsables de Charlie Hebdo n'ont-ils pas été irresponsables ?
R - Ils font leur travail. Le métier de journaliste est aujourd'hui assez compliqué, justement parce que les messages que vous donnez sont instantanément repris par l'ensemble de la planète. S'ils sont adressés à un public particulier qui est le public français et qu'ils sont reçus dans d'autres cultures, dans d'autres pays où on n'a pas forcément la même compréhension de ce qui est dit, on peut imaginer qu'il y ait une incompréhension. Là aussi, les réactions en France seraient peut-être tout à fait différentes de celles que l'on voit à l'étranger, à savoir le degré de violence qui est exprimé dans la rue par exemple.
Je crois qu'en effet, il est important de respecter la liberté d'expression et de continuer à nous battre. C'est l'un des principes fondamentaux de notre République. En même temps, il est vrai qu'il faut prendre la mesure de l'impact que peut avoir un message qui est proféré et qui, pour le coup, on l'espère en tout cas, ne va pas raviver les tensions et la violence que nous avons observées la semaine dernière.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 septembre 2012