Texte intégral
Q - Quel est l'objet de votre visite aujourd'hui à Dakar ?
R - Comme vous le savez je suis ministre de la Francophonie. Il y a un grand Sommet qui se prépare à Kinshasa. C'est un sommet qui a lieu tous les deux ans, dont le principal organisateur est l'OIF, avec à sa tête le président Abdou Diouf que vous connaissez. Je viens rencontrer le président Macky Sall, pour le tenir au courant de ce que j'ai vu à Kinshasa, comment le Sommet va se passer. Ensuite je vais voir votre ministre de la culture, Youssou N'Dour, pour parler des relations bilatérales autour de la culture, de ce que l'on peut faire ensemble, surtout autour du cinéma, de la musique, de la littérature. Il y a une volonté de la France d'aller un peu plus loin, d'accélérer les choses. Il y a aussi les accords sur le théâtre. Et puis, dans cette visite il y a eu aussi un volet éducation, pédagogie.
Avec la Francophonie, nous partageons une langue et aujourd'hui on se doit d'en faire une langue solidaire, plus égalitaire. On parle le français au Sénégal, en République démocratique du Congo. On parle le français en Algérie. En Algérie, c'est l'arabe qui est la langue maternelle, mais c'est la langue française qui est la langue de l'enseignement, donc c'est un peu tout cela qui traverse ce ministère. C'est de voir comment ensemble on peut aussi regarder dans la même direction. C'est-à-dire, comment utiliser cette langue française pour qu'elle devienne une langue économique, une langue culturelle, une langue qui rapproche les nations.
Q - Est-ce que vous pensez que la langue française est en train de régresser dans les pays d'Afrique ?
R - Oui elle régresse pour plusieurs choses. Déjà, je pense que dans certains pays, certains pays francophones, les langues maternelles ont pris un peu le dessus. (...) Ici, au Sénégal, il y a un peu de recul. Il ne faut pas voir la langue française comme une langue de domination, ça ne se joue pas là-dessus du tout. Même si il y a 50 ans ça s'est fait comme ça. Aujourd'hui il faut voir cette langue française comme une langue de partage. Et on doit avoir une très bonne base dans l'enseignement pour pouvoir se partager cette langue. Je dis souvent aussi que la langue française n'appartient pas à la France, elle appartient à l'espace francophone. Mais pour pouvoir se comprendre, il faut que la base et le socle de l'enseignement soient impeccables. Pour pouvoir comprendre l'autre. Car on le sait, que ce soit en Côte d'ivoire, en République démocratique du Congo, au Gabon, les langues et les dialectes sont multiples. Mais pour pouvoir se rencontrer, se parler, travailler ensemble, étudier, il y a cette langue française qui est là comme un ciment.
Q - Quelles sont vos stratégies pour promouvoir l'enseignement du français ?
R - Stratégie, c'est un mot qui fait très... combat, le combat.
Selon moi, il faut des formateurs. Je crois que l'espace francophone a vraiment besoin de formateurs, pour pouvoir aider les enseignants locaux à avoir un excellent niveau. Je me suis rendue compte que dans certains pays, il y a aussi un gros problème avec l'édition, beaucoup de pays manquent cruellement de manuels scolaires, de livres tout simplement. Et de notre côté on a des problèmes avec les droits d'auteurs, etc. Je ne dirais pas que c'est une stratégie, mais c'est un point capital, sans formateurs et sans livres, on n'avance pas et c'est vers cela que je souhaite porter toute mon attention.
À cela, il faut ajouter la dimension culturelle de la francophonie et il faut accompagner et la création artistique, le cinéma, le documentaire, le théâtre, la littérature, la musique. C'est la base même aussi de cette langue française.
Q - Êtes-vous fière de porter le titre de ministre ? Qu'est-ce que cela représente pour vous ?
R - Oui je suis très fière d'être ministre. Comme vous le savez peut-être je suis réalisatrice de cinéma et de documentaires. J'ai fait des documentaires très engagés pour parler de l'autre. J'ai fait des documentaires sur l'immigration, sur qu'est-ce que veut dire «partir de son pays, être un immigré, être un clandestin, avoir une vie ailleurs, être parti». Vous devez connaître ça, vous aussi. J'ai fait pendant toutes ces années des films pour amorcer le débat. Pendant des années j'ai harcelé le politique, pour essayer que l'on change les règles, les lois, que l'on humanise un peu, que l'on essaye d'être plus égalitaire envers l'autre, surtout celui qui venait travailler, et qui restait dans l'ombre sans aucune reconnaissance. Je me suis vraiment engagée dans ce métier. Quand le président François Hollande, m'a demandée d'être ministre de la Francophonie j'ai compris le lien qu'il y avait avec le travail que j'avais accompli depuis tant d'années. Finalement, j'allais passer de l'autre côté. Mais toujours avec cette conscience de regarder l'autre différemment, et de montrer que nous pouvions être plus unis. Je suis très fière, mais je suis aussi très fière de ce ministère qui est très humain, qui est aussi, comme je vous le disais, très culturel. Et puis, ce ministère a également une mission plus économique, une mission économique dans le bon sens. C'est-à-dire que là où on a souvent regardé certains pays en se disant, «on ne peut pas travailler avec eux», ou «ce sont des pays pauvres», je pense qu'il y a une nouvelle façon de dialoguer avec eux pour assurer le développement des relations avec tous les pays avec lesquels nous développons de véritables partenariats. Tout cela fait partie de mon travail. J'ai conscience d'avoir une mission importante. Je voudrais laisser une trace dans ce ministère. D'abord parce que la francophonie, c'est l'espace de demain. Vous allez circuler dans d'autres pays grâce à votre langue, vous pourrez aller dans des pays immenses. Ce n'est pas les pays francophones d'un côté et la France de l'autre, c'est vraiment une nouvelle relation transversale que je veux construire. C'est un peu cela que j'ai envie de défendre dans ce ministère. Et de comprendre aussi les différences, l'autre, qu'est-ce que l'autre ?
Q - Pensez-vous qu'au jour d'aujourd'hui en France on peut dire qu'il y a une bonne intégration des minorités ou qu'il subsiste encore beaucoup d'inégalités ?
R - Je vais vous parler franchement : il y a encore beaucoup d'inégalités, parce que tout cela est encore très récent. L'immigration de travail, qui a démarré il y a 50 ans environ, a été pensée, a été organisée. On a pensé ces hommes et ces femmes en transit, on n'a jamais pensé à les intégrer. La politique d'intégration n'a pas été réfléchie, on a toujours imaginé que ces hommes et ces femmes, qui venaient avec des contrats, allaient repartir. Il faut savoir que la décision de les garder a été prise en 1974, avec le processus du regroupement familial. À la suite du premier choc pétrolier, la France s'est aperçue que l'immigration de travail coûtait trop chère. Parce qu'on achetait des contrats aux gouvernements. Donc ils ont voulu enraciner, installer les hommes qui venaient souvent seuls ; on leur a demandé de faire venir leurs femmes et leurs enfants, légalement, pour garder cette main d'oeuvre à domicile. Mais 10 ans, 15 ans, 20 ans après, c'est tout récent, on n'a pas imaginé que les enfants allaient naître, allaient grandir, et tout cela, que ce soit à droite ou à gauche, n'a pas été pensé. Dès les années 80, 90, 2000 cette composante de la société française a commencé à interpeler l'État. Elle a commencé à dire «nous appartenons à cette société, mais nous n'avons pas les mêmes droits». «Nous habitons dans des endroits, qui auraient dû être démolis depuis très longtemps». Mais depuis 2005, je pense qu'il y a eu une grande avancée sur l'égalité des chances. Il faut savoir que quand vous habitez dans le 93 vous êtes stigmatisés, pas en tant qu'immigrés, parce qu'il y a des Français de souche qui y habitent, mais c'est une stigmatisation territoriale, vous habitez dans le 93 et pour cette raison on ne va pas prendre votre CV. Il fallait dépasser cette question un peu raciale de dire : «c'est les immigrés qu'on rejette». On s'est aperçu que c'était vraiment des territoires entiers que l'on rejetait. Nous faisons partie d'un groupe qui a beaucoup travaillé sur les discriminations, mais aussi sur les entreprises. Comment les obliger, enfin en tout cas les astreindre à avoir une politique d'égalité des chances ? Et bien à compétences égales, ils devraient engager aussi des personnes immigrées, originaires du 93. C'est un vaste chantier et c'est pour ça que je vous dis «les inégalités sont encore là». On y travaille régulièrement, mais il faut surtout valoriser, il faut changer, il faut travailler sur les préjugés. Il y a une célèbre phrase d'Einstein qui dit que «il est plus facile de désagréger un atome qu'un préjugé», donc il y a du boulot.
Q - Est-ce qu'il y a un lien entre immigration et délinquance ?
R - Pas mal, très bien. La question est directe. Je vais vous dire non, parce que d'abord ce serait très grave de la penser comme ça. Il y a différentes immigrations. Si c'est l'immigration illégale, pour la plupart, ils ne sont pas délinquants mais ils sont hors la loi. Ils sont hors la loi car ils sont rentrés sans papier, etc. Mais ce n'est pas pour ça que ce sont des délinquants. Ensuite, je ne pense pas que l'immigré qui rentre normalement, qui a une histoire, qui est là depuis 30 ans, 40 ans, qui se retrouve dans une région, on pense en ce moment à la région de Marseille, ou à certaines banlieues, etc. S'il y a un problème de délinquance, c'est un problème franco-français. Il faut que la France traite cette situation, parce que la plupart de ces délinquants, sont des Français, c'est la troisième génération, même si les parents n'étaient pas français. Mais on parle vraiment d'un problème de délinquance et on ne doit pas la lier à l'immigration. On ne peut pas faire de lien comme ça, c'est trop particulier, les arrivées sont différentes, et surtout les histoires. Souvent quand on parle «d'immigration-délinquance», on parle des problèmes dans les grosses banlieues, mais dans ces banlieues il n'y a plus d'immigration, ce sont des enfants et des petits-enfants d'immigrés. Il y a un problème avec tel territoire ou il y a un problème avec des jeunes, mais on ne devrait plus jamais faire le lien avec l'immigration. Parce qu'on en est à la troisième génération.
Q - Est-ce que vous pensez que le développement de la francophonie pourrait aider à l'intégration des immigrés et à la réduction des inégalités ?
R - Oui, quelque part, oui. La France a un espace francophone qui est en grande majorité africain ou nord-africain. Et il peut permettre de valoriser l'autre. Lorsque les immigrés venaient travailler en France, on ne les a peut-être pas considérés, on n'a pas réfléchi à ce lien avec le pays d'origine, «le pays d'accueil - le pays d'origine». Comme je le disais à l'instant, au début de cette noria, il y avait des hommes seuls et après leurs familles, et on n'a pas su imaginer le lien qui existait via la francophonie. C'était ou ici, ou là-bas. Moi je pense qu'il faut aujourd'hui, que les jeunes français, qui ont un lien avec les pays francophones africains, puissent venir, revenir, connaître, pourquoi pas aussi faire des stages. On sait aussi qu'en France beaucoup de retraités issus de l'immigration ne parlent pas la langue et ne peuvent pas toucher leurs droits. Certains étudiants parlent la langue maternelle, ils pourraient lorsqu'ils n'ont pas de stage, ils pourraient être ce lien entre les parents vieillissants, être des espèces de traducteurs. C'est toute une partie de la société qu'on n'a pas vu vieillir, qu'on n'a pas imaginé. Tout est en train de se faire et de se défaire, parce que le pays d'origine est maintenant beaucoup plus proche. Et c'est surtout une question de regard, on a eu un déficit de regard en France.
Q - La francophonie est-elle culturelle ou économique ?
R - Elle est les deux. Je pense que la culture est vraiment le socle de la francophonie. Comme je le disais tout à l'heure, c'est une langue qui traverse tous ces pays et qui se nourrit des dialectes. On a une langue française à Alger qui est différente de celle de Kinshasa, différente de celle de Dakar. Il y a tout cela, mais en même temps il y a un socle immuable qui est l'apprentissage de la langue française, pour pouvoir découvrir la culture et pour pouvoir enrichir cette langue. Aujourd'hui, grâce à l'immigration et aux diplômes, un jeune de Kinshasa qui est diplômé peut avoir envie de venir travailler au Sénégal, et ça c'est grâce à la langue française qu'il a en partage. Nous nous devons de développer, entre autres, par exemple les campus numériques, d'intégrer, et faire participer aussi les entreprises françaises qui s'installent dans les pays. Il faut valoriser aussi ces étudiants, les étudiants ici, se dire que dans quelques années ce seront les futurs cadres de cette entreprise. Il faut penser l'économie avec un autre regard, et encore une fois, je parlais tout à l'heure de regard égalitaire, c'est très très important. Ce n'est pas juste penser l'Afrique «je viens, je ramène une équipe et je repars». Non.
Q - En tant que ministre de la Francophonie, que comptez-vous accomplir dans un futur proche ?
R - Le Sommet de Kinshasa, que ce sommet soit une réussite. Ce Sommet aura lieu en octobre, il y aura votre président, il y aura 75 représentants des nations. Donc, ce Sommet doit être une réussite parce qu'il va avoir lieu dans le plus grand pays francophone au monde et que beaucoup de chefs d'États africains seront présents et qu'on pourra ainsi entendre la voix de l'Afrique, la voix de demain. Vous avez entendu parler de tout ce qui se passe au Niger, au Mali, les conflits, etc. L'Afrique est très attendue. C'est cela le futur proche.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 septembre 2012
R - Comme vous le savez je suis ministre de la Francophonie. Il y a un grand Sommet qui se prépare à Kinshasa. C'est un sommet qui a lieu tous les deux ans, dont le principal organisateur est l'OIF, avec à sa tête le président Abdou Diouf que vous connaissez. Je viens rencontrer le président Macky Sall, pour le tenir au courant de ce que j'ai vu à Kinshasa, comment le Sommet va se passer. Ensuite je vais voir votre ministre de la culture, Youssou N'Dour, pour parler des relations bilatérales autour de la culture, de ce que l'on peut faire ensemble, surtout autour du cinéma, de la musique, de la littérature. Il y a une volonté de la France d'aller un peu plus loin, d'accélérer les choses. Il y a aussi les accords sur le théâtre. Et puis, dans cette visite il y a eu aussi un volet éducation, pédagogie.
Avec la Francophonie, nous partageons une langue et aujourd'hui on se doit d'en faire une langue solidaire, plus égalitaire. On parle le français au Sénégal, en République démocratique du Congo. On parle le français en Algérie. En Algérie, c'est l'arabe qui est la langue maternelle, mais c'est la langue française qui est la langue de l'enseignement, donc c'est un peu tout cela qui traverse ce ministère. C'est de voir comment ensemble on peut aussi regarder dans la même direction. C'est-à-dire, comment utiliser cette langue française pour qu'elle devienne une langue économique, une langue culturelle, une langue qui rapproche les nations.
Q - Est-ce que vous pensez que la langue française est en train de régresser dans les pays d'Afrique ?
R - Oui elle régresse pour plusieurs choses. Déjà, je pense que dans certains pays, certains pays francophones, les langues maternelles ont pris un peu le dessus. (...) Ici, au Sénégal, il y a un peu de recul. Il ne faut pas voir la langue française comme une langue de domination, ça ne se joue pas là-dessus du tout. Même si il y a 50 ans ça s'est fait comme ça. Aujourd'hui il faut voir cette langue française comme une langue de partage. Et on doit avoir une très bonne base dans l'enseignement pour pouvoir se partager cette langue. Je dis souvent aussi que la langue française n'appartient pas à la France, elle appartient à l'espace francophone. Mais pour pouvoir se comprendre, il faut que la base et le socle de l'enseignement soient impeccables. Pour pouvoir comprendre l'autre. Car on le sait, que ce soit en Côte d'ivoire, en République démocratique du Congo, au Gabon, les langues et les dialectes sont multiples. Mais pour pouvoir se rencontrer, se parler, travailler ensemble, étudier, il y a cette langue française qui est là comme un ciment.
Q - Quelles sont vos stratégies pour promouvoir l'enseignement du français ?
R - Stratégie, c'est un mot qui fait très... combat, le combat.
Selon moi, il faut des formateurs. Je crois que l'espace francophone a vraiment besoin de formateurs, pour pouvoir aider les enseignants locaux à avoir un excellent niveau. Je me suis rendue compte que dans certains pays, il y a aussi un gros problème avec l'édition, beaucoup de pays manquent cruellement de manuels scolaires, de livres tout simplement. Et de notre côté on a des problèmes avec les droits d'auteurs, etc. Je ne dirais pas que c'est une stratégie, mais c'est un point capital, sans formateurs et sans livres, on n'avance pas et c'est vers cela que je souhaite porter toute mon attention.
À cela, il faut ajouter la dimension culturelle de la francophonie et il faut accompagner et la création artistique, le cinéma, le documentaire, le théâtre, la littérature, la musique. C'est la base même aussi de cette langue française.
Q - Êtes-vous fière de porter le titre de ministre ? Qu'est-ce que cela représente pour vous ?
R - Oui je suis très fière d'être ministre. Comme vous le savez peut-être je suis réalisatrice de cinéma et de documentaires. J'ai fait des documentaires très engagés pour parler de l'autre. J'ai fait des documentaires sur l'immigration, sur qu'est-ce que veut dire «partir de son pays, être un immigré, être un clandestin, avoir une vie ailleurs, être parti». Vous devez connaître ça, vous aussi. J'ai fait pendant toutes ces années des films pour amorcer le débat. Pendant des années j'ai harcelé le politique, pour essayer que l'on change les règles, les lois, que l'on humanise un peu, que l'on essaye d'être plus égalitaire envers l'autre, surtout celui qui venait travailler, et qui restait dans l'ombre sans aucune reconnaissance. Je me suis vraiment engagée dans ce métier. Quand le président François Hollande, m'a demandée d'être ministre de la Francophonie j'ai compris le lien qu'il y avait avec le travail que j'avais accompli depuis tant d'années. Finalement, j'allais passer de l'autre côté. Mais toujours avec cette conscience de regarder l'autre différemment, et de montrer que nous pouvions être plus unis. Je suis très fière, mais je suis aussi très fière de ce ministère qui est très humain, qui est aussi, comme je vous le disais, très culturel. Et puis, ce ministère a également une mission plus économique, une mission économique dans le bon sens. C'est-à-dire que là où on a souvent regardé certains pays en se disant, «on ne peut pas travailler avec eux», ou «ce sont des pays pauvres», je pense qu'il y a une nouvelle façon de dialoguer avec eux pour assurer le développement des relations avec tous les pays avec lesquels nous développons de véritables partenariats. Tout cela fait partie de mon travail. J'ai conscience d'avoir une mission importante. Je voudrais laisser une trace dans ce ministère. D'abord parce que la francophonie, c'est l'espace de demain. Vous allez circuler dans d'autres pays grâce à votre langue, vous pourrez aller dans des pays immenses. Ce n'est pas les pays francophones d'un côté et la France de l'autre, c'est vraiment une nouvelle relation transversale que je veux construire. C'est un peu cela que j'ai envie de défendre dans ce ministère. Et de comprendre aussi les différences, l'autre, qu'est-ce que l'autre ?
Q - Pensez-vous qu'au jour d'aujourd'hui en France on peut dire qu'il y a une bonne intégration des minorités ou qu'il subsiste encore beaucoup d'inégalités ?
R - Je vais vous parler franchement : il y a encore beaucoup d'inégalités, parce que tout cela est encore très récent. L'immigration de travail, qui a démarré il y a 50 ans environ, a été pensée, a été organisée. On a pensé ces hommes et ces femmes en transit, on n'a jamais pensé à les intégrer. La politique d'intégration n'a pas été réfléchie, on a toujours imaginé que ces hommes et ces femmes, qui venaient avec des contrats, allaient repartir. Il faut savoir que la décision de les garder a été prise en 1974, avec le processus du regroupement familial. À la suite du premier choc pétrolier, la France s'est aperçue que l'immigration de travail coûtait trop chère. Parce qu'on achetait des contrats aux gouvernements. Donc ils ont voulu enraciner, installer les hommes qui venaient souvent seuls ; on leur a demandé de faire venir leurs femmes et leurs enfants, légalement, pour garder cette main d'oeuvre à domicile. Mais 10 ans, 15 ans, 20 ans après, c'est tout récent, on n'a pas imaginé que les enfants allaient naître, allaient grandir, et tout cela, que ce soit à droite ou à gauche, n'a pas été pensé. Dès les années 80, 90, 2000 cette composante de la société française a commencé à interpeler l'État. Elle a commencé à dire «nous appartenons à cette société, mais nous n'avons pas les mêmes droits». «Nous habitons dans des endroits, qui auraient dû être démolis depuis très longtemps». Mais depuis 2005, je pense qu'il y a eu une grande avancée sur l'égalité des chances. Il faut savoir que quand vous habitez dans le 93 vous êtes stigmatisés, pas en tant qu'immigrés, parce qu'il y a des Français de souche qui y habitent, mais c'est une stigmatisation territoriale, vous habitez dans le 93 et pour cette raison on ne va pas prendre votre CV. Il fallait dépasser cette question un peu raciale de dire : «c'est les immigrés qu'on rejette». On s'est aperçu que c'était vraiment des territoires entiers que l'on rejetait. Nous faisons partie d'un groupe qui a beaucoup travaillé sur les discriminations, mais aussi sur les entreprises. Comment les obliger, enfin en tout cas les astreindre à avoir une politique d'égalité des chances ? Et bien à compétences égales, ils devraient engager aussi des personnes immigrées, originaires du 93. C'est un vaste chantier et c'est pour ça que je vous dis «les inégalités sont encore là». On y travaille régulièrement, mais il faut surtout valoriser, il faut changer, il faut travailler sur les préjugés. Il y a une célèbre phrase d'Einstein qui dit que «il est plus facile de désagréger un atome qu'un préjugé», donc il y a du boulot.
Q - Est-ce qu'il y a un lien entre immigration et délinquance ?
R - Pas mal, très bien. La question est directe. Je vais vous dire non, parce que d'abord ce serait très grave de la penser comme ça. Il y a différentes immigrations. Si c'est l'immigration illégale, pour la plupart, ils ne sont pas délinquants mais ils sont hors la loi. Ils sont hors la loi car ils sont rentrés sans papier, etc. Mais ce n'est pas pour ça que ce sont des délinquants. Ensuite, je ne pense pas que l'immigré qui rentre normalement, qui a une histoire, qui est là depuis 30 ans, 40 ans, qui se retrouve dans une région, on pense en ce moment à la région de Marseille, ou à certaines banlieues, etc. S'il y a un problème de délinquance, c'est un problème franco-français. Il faut que la France traite cette situation, parce que la plupart de ces délinquants, sont des Français, c'est la troisième génération, même si les parents n'étaient pas français. Mais on parle vraiment d'un problème de délinquance et on ne doit pas la lier à l'immigration. On ne peut pas faire de lien comme ça, c'est trop particulier, les arrivées sont différentes, et surtout les histoires. Souvent quand on parle «d'immigration-délinquance», on parle des problèmes dans les grosses banlieues, mais dans ces banlieues il n'y a plus d'immigration, ce sont des enfants et des petits-enfants d'immigrés. Il y a un problème avec tel territoire ou il y a un problème avec des jeunes, mais on ne devrait plus jamais faire le lien avec l'immigration. Parce qu'on en est à la troisième génération.
Q - Est-ce que vous pensez que le développement de la francophonie pourrait aider à l'intégration des immigrés et à la réduction des inégalités ?
R - Oui, quelque part, oui. La France a un espace francophone qui est en grande majorité africain ou nord-africain. Et il peut permettre de valoriser l'autre. Lorsque les immigrés venaient travailler en France, on ne les a peut-être pas considérés, on n'a pas réfléchi à ce lien avec le pays d'origine, «le pays d'accueil - le pays d'origine». Comme je le disais à l'instant, au début de cette noria, il y avait des hommes seuls et après leurs familles, et on n'a pas su imaginer le lien qui existait via la francophonie. C'était ou ici, ou là-bas. Moi je pense qu'il faut aujourd'hui, que les jeunes français, qui ont un lien avec les pays francophones africains, puissent venir, revenir, connaître, pourquoi pas aussi faire des stages. On sait aussi qu'en France beaucoup de retraités issus de l'immigration ne parlent pas la langue et ne peuvent pas toucher leurs droits. Certains étudiants parlent la langue maternelle, ils pourraient lorsqu'ils n'ont pas de stage, ils pourraient être ce lien entre les parents vieillissants, être des espèces de traducteurs. C'est toute une partie de la société qu'on n'a pas vu vieillir, qu'on n'a pas imaginé. Tout est en train de se faire et de se défaire, parce que le pays d'origine est maintenant beaucoup plus proche. Et c'est surtout une question de regard, on a eu un déficit de regard en France.
Q - La francophonie est-elle culturelle ou économique ?
R - Elle est les deux. Je pense que la culture est vraiment le socle de la francophonie. Comme je le disais tout à l'heure, c'est une langue qui traverse tous ces pays et qui se nourrit des dialectes. On a une langue française à Alger qui est différente de celle de Kinshasa, différente de celle de Dakar. Il y a tout cela, mais en même temps il y a un socle immuable qui est l'apprentissage de la langue française, pour pouvoir découvrir la culture et pour pouvoir enrichir cette langue. Aujourd'hui, grâce à l'immigration et aux diplômes, un jeune de Kinshasa qui est diplômé peut avoir envie de venir travailler au Sénégal, et ça c'est grâce à la langue française qu'il a en partage. Nous nous devons de développer, entre autres, par exemple les campus numériques, d'intégrer, et faire participer aussi les entreprises françaises qui s'installent dans les pays. Il faut valoriser aussi ces étudiants, les étudiants ici, se dire que dans quelques années ce seront les futurs cadres de cette entreprise. Il faut penser l'économie avec un autre regard, et encore une fois, je parlais tout à l'heure de regard égalitaire, c'est très très important. Ce n'est pas juste penser l'Afrique «je viens, je ramène une équipe et je repars». Non.
Q - En tant que ministre de la Francophonie, que comptez-vous accomplir dans un futur proche ?
R - Le Sommet de Kinshasa, que ce sommet soit une réussite. Ce Sommet aura lieu en octobre, il y aura votre président, il y aura 75 représentants des nations. Donc, ce Sommet doit être une réussite parce qu'il va avoir lieu dans le plus grand pays francophone au monde et que beaucoup de chefs d'États africains seront présents et qu'on pourra ainsi entendre la voix de l'Afrique, la voix de demain. Vous avez entendu parler de tout ce qui se passe au Niger, au Mali, les conflits, etc. L'Afrique est très attendue. C'est cela le futur proche.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 septembre 2012