Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, sur les relations passées et à venir de la France avec les pays africains membres de la zone franc, Paris le 5 octobre 2012.

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Circonstance : Réunion des ministres de la zone franc, à Paris le 5 octobre 2012

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Par une heureuse coïncidence, je participe pour la première fois à la réunion des Ministres des Finances de la Zone Franc alors que nous célébrons cette année le quarantième anniversaire des accords monétaires de la zone. C’est l’occasion pour nous – pour la France et les pays africains membres de la Zone Franc – de saluer nos réalisations communes, mais aussi et surtout de nous tourner résolument vers l’avenir, ensemble. L’Afrique change vite ; la conception qu’en a la France aussi. Nos relations doivent le refléter. Je voudrais faire de cet anniversaire le point de départ d’une redéfinition de nos liens, comme l’a souhaité le Président de la République, François Hollande.
Cet anniversaire est un moment très amical, mais c’est aussi un moment de fierté. Fierté pour la France de vous accueillir, tout d’abord, et nous avons voulu marquer l’occasion de façon solennelle, avec une exposition, un livre commémoratif, réalisé avec la Banque de France, l’inauguration d’une salle baptisé Abdoulaye FADIGA, du nom du premier gouverneur africain de la B-C-E-A-O ici, au Ministère des Finances, et surtout un colloque, que nous ouvrirons cet après-midi, en présence de SE Alassane Ouattara. Mais fierté commune, surtout, devant les réalisations de la Zone Franc, devant les succès que notre coopération économique et financière unique entre nos deux continents a permis d’obtenir.
La Zone franc aura contribué à la stabilité financière, à la croissance, à la constitution d’institutions financières africaines solides et à une coopération respectueuse au service du développement économique. Alors que nous traversons une zone de très fortes turbulences économiques, vos pays auront été moins touchés par le ralentissement de l’activité mondiale et les déséquilibres persistants des marchés financiers internationaux, unis par des unions économiques et monétaires résilientes et solides. De nombreux économistes ont démontré que la protection que notre coopération monétaire apporte a été un facteur décisif de stabilité, de faible inflation et de croissance. Nous pouvons nous en féliciter et célébrer, aujourd’hui, sans tabous ni langue de bois, notre longue histoire. Et le plus beau témoignage de cet esprit, je sais que c’est le Président OUATTARA qui l’exprimera, lui qui nous fera le très grand honneur de nous rejoindre cet après-midi et qui incarne mieux que quiconque le lien entre notre passé et notre avenir - et d’abord celui de son pays, la Côte d’Ivoire.
Car d’autres succès attendent la Zone franc, demain, j’en suis persuadé. Pour les concrétiser, il faudra renouveler notre action, et améliorer notre dispositif. C’est l’objectif de nos travaux aujourd’hui.
Je voudrais mettre en exergue et vous donner ma vision de deux des sujets sur lesquels nous nous pencherons ce matin.
L’intégration régionale, en premier lieu. Je la crois essentielle pour tirer la croissance et renforcer la résilience des membres d’une union monétaire aux chocs externes – en Afrique comme en Europe, d’ailleurs.
La zone franc et la zone euro apprennent depuis toujours l’une de l’autre et nous sommes les passeurs entre ces deux ensembles, ces deux expériences uniques au monde. L’Europe fait, chaque jour, l’expérience de la valeur ajoutée de son intégration économique. La création d’un marché intérieur, porteur d’opportunités pour nos entreprises, la consolidation de nos économies, et la force collective qui en résulte face aux chocs négatifs externes, nous conforte dans ce mouvement d’intégration. Et la crise des dettes souveraines que nous traversons et dont, j’en suis persuadé, nous sortirons plus forts encore, nous a fait prendre conscience de la nécessité d’aller plus loin dans l’intégration fiscale et budgétaire, et, plus généralement, dans l’intégration politique. Vous savez à quel point je suis engagé sur ce front et depuis très longtemps.
Je me suis souvenu, en consultant hier le dossier de notre réunion, qu’il y a près de 25 ans, en 1986, un rapport avait été commandé par la Commission européenne pour chercher à évaluer – tâche ô combien difficile – le coût de la « non-Europe », c’est-à-dire les obstacles à lever pour faire repartir l’intégration européenne et élever ainsi le potentiel de croissance de ce qui s’appelait encore à l’époque la Communauté Economique Européenne. Il relevait que l’inefficacité économique se logeait dans les interstices laissés par les disjonctions entre nos économies. Quelle ne fut pas ma surprise, aussi, de constater hier que la Zone Franc s’était engagé dans la même voie avec le rapport réalisé par la Fondation pour les Etudes et Recherches sur le Développement International (FERDI), sous l’animation du professeur Guillaumont que je salue et que nous allons bientôt écouter. J’en retiens un enseignement décisif : il existe un potentiel de croissance inexploité pour les pays africains de la Zone franc de près de 2% par an et par habitant. C’est considérable et je crois que les recommandations que ce rapport propose constituent un solide point d’ancrage pour vos futures réflexions, dans chacune de vos régions, et pour définir les pistes de développement prioritaires. Elles peuvent en tout cas vous aider à vous projeter dans l’avenir pour rendre vos unions économiques et monétaires plus efficaces et attractives encore. Nous parlons désormais en Europe d’« intégration solidaire » ; je crois que ce concept, qui suppose que les progrès dans l’intégration s’accompagnent de progrès concrets dans la solidarité pour les peuples qui nous composent, s’applique aussi très bien à vos pays et aux ensembles que vous bâtissez en commun.
En second lieu, je voudrais apporter mon soutien, avec Pascal Canfin, mon collègue chargé du développement qui est particulièrement intéressé par ces sujets, aux initiatives visant à promouvoir des contrats équitables. Les asymétries d’expertise et de capacités techniques sont un facteur clé qui freine le développement et encourage, évidemment, les comportements prédateurs des acteurs économiques, parfois surpuissants. Il est essentiel que les grands contrats soient désormais discutés dans des conditions équitables, qui garantissent justice, transparence et efficacité, et qui assurent un retour satisfaisant aux populations locales. L’exploitation outrancière des ressources africaines doit prendre fin : elle prive les populations locales des retombées positives de leur patrimoine, met en péril la soutenabilité de vos économies et fragilise nos entreprises.
Renforcer les capacités juridiques des Etats africains pour mieux négocier leurs contrats, en particulier dans le domaine de l’exploitation des matières premières, est à la fois une nécessité pour le développement local, et un moyen d’assurer une présence légitime des entreprises étrangères, françaises y compris, sur le territoire africain. Un challenge aussi pour les entreprises qui devront désormais se concurrencer et démontrer leur avantage comparatif de façon claire et équitable. C’est essentiel. Et vous savez que la France a pris une position très ferme dans ce sens au niveau européen, dans le cadre des discussions avec nos partenaires sur les directives comptables et transparence qui s’imposeront à nos entreprises et, je l’espère, à leurs concurrents. Nous travaillons à rassembler les points de vue autour de cette conception exigeante des modes opératoires de nos entreprises.
Vous avez déjà beaucoup travaillé sur ce sujet et l’O-HA-DA, l’organisation qui harmonise le droit, des sociétés notamment, entre vous, a déjà été un formidable succès, dont la Zone franc a été à l’initiative. Je crois aussi que le soutien des Banques multilatérales de développement est désormais critique pour améliorer l’appui juridique aux grands contrats. La Banque Africaine – et je tiens à saluer très chaleureusement le Président Donald KABERUKA, qui nous fait l’honneur de sa présence - a le premier montré la voie avec la mise en place de la Facilité africaine de soutien juridique. Le Vice-président Makhtar DIOP – que vous connaissez bien et qui est, je crois, le premier Africain francophone à dirigé le département Afrique de la Banque mondiale – nous parlera dans un instant du fonds que la Banque mondiale va mettre en place, en partenariat avec la France, pour financer le recours à des cabinets d’avocats au profit des Etats africains dans le secteur minier et pétrolier. La France soutient résolument ces initiatives de la Banque Africaine et de la Banque mondiale et les appuiera financièrement, pour un total de 15 M€. Nous travaillons par ailleurs à la création très prochainement d’un Fonds d’assistance technique au sein de l’Agence Française de Développement, dont le budget est d’ores et déjà sécurisé, afin de renforcer la capacité d’action de l’agence dans ce domaine et de mobiliser plus efficacement l’expertise française dans vos pays.
Et je souhaite vraiment que nous puissions aller plus loin, en travaillant, avec la Banque mondiale et la Banque Africaine, à une initiative collective pour « Aider l’Afrique à Négocier des Contrats Equitables », qui coordonnerait les dispositifs existants et viserait à fédérer un maximum de partenaires partageant ce même objectif. J’espère que vous m’aiderez à lancer et à développer cette initiative.
Et puis, au-delà des thèmes précis de notre réunion de travail, je veux saisir l’opportunité qui m’est offerte aujourd’hui pour partager avec vous ma vision de l’Afrique, et vous dire quelles inflexions le nouveau gouvernement français veut porter à notre partenariat.
Au-delà des clichés, l’Afrique change vite, c’est une excellente nouvelle et ce changement ne peut nous laisser indifférent. Nous devons prendre conscience des mutations économiques et politiques que le continent connaît, les prendre en compte et les accompagner, aussi.
Ce changement est d’abord politique. Nous avons la joie d’accueillir aujourd’hui le Président Ouattara ; j’ai reçu ces dernières semaines le Président sénégalais, Macky Sall. Ma porte et celle de ce Gouvernement est ouverte à tous ceux qui, comme eux, portent et incarnent l’élan du continent vers plus de démocratie.
Le changement est aussi économique, de façon spectaculaire. La croissance en Afrique est aujourd’hui depuis plusieurs années régulièrement supérieure à 5%, elle est soutenue par son dynamisme démographique et l’urbanisation de ses territoires. Les crises économiques des années 1980 et 1990 sont derrière nous. Le poids de la dette est largement sous contrôle, suite aux annulations ou traitement de la dette dans le cadre du Club de Paris ou de l’initiative PPTE, fruits des réformes difficiles que vous avez su conduire, chacun d’entre vous. Délestés de ce poids excessif, les Etats africains peuvent de nouveau investir et dégager des marges de manoeuvre pour leurs services publics et leur politique de développement. L’Afrique a démarré, l’enjeu aujourd’hui pour elle est de réaliser tout son potentiel.
L’Afrique est ouverte et pleinement arrimée au reste du monde, par le commerce, la finance, les réseaux d’infrastructures, la technologie. C’est un continent très convoité et c’est heureux. De nouveaux partenariats ont vu le jour, la Chine et bien d’autres puissances y développent des liens commerciaux de proximité.
La France, qui est restée très liée à l’Afrique, doit accompagner ce changement, en redéfinissant sa relation au continent. Notre premier défi est d’ordre intellectuel. Il s’agit de voir l’Afrique simplement pour ce qu’elle est : un continent en mouvement, en croissance, riche de réserves naturelles et désireuse de démocratie, un continent qui a la capacité d’un développement économique durable, à rebours des stéréotypes négatifs qui ont longtemps terni son image.
Un partenariat équilibré et mutuellement bénéfique doit se développer entre l’Afrique et la France car nous avons, à l’évidence, un destin commun.
Un destin commun d’abord car nous affrontons des défis communs. Les enjeux sociaux, économiques, et environnementaux en Afrique dépassent les frontières du continent.
Je pense au défi démographique, d’abord. La jeunesse est un atout pour l’économie des pays africains ; la lutte contre la paupérisation, principale source d’extrémisme et d’instabilité, passe par son intégration.
Je pense également à l’urbanisation, qui a des effets parfois déstabilisateurs mais qui est, en elle-même, un formidable facteur de croissance, notamment pour le développement agricole.
Je pense aussi aux crises politiques, et notamment à la situation actuelle au Sahel, qui nous préoccupe tant collectivement. Nous devons combiner nos instruments de développement et de coopération et nos actions auprès des institutions multilatérales pour stabiliser cette région qui connaît aujourd’hui de graves turbulences.
Ce destin commun est aussi fondé sur une interdépendance économique dont chacun doit pouvoir bénéficier équitablement. L’Afrique contribue déjà, et depuis longtemps, à la croissance de l’Europe. La réunion que nous tenons aujourd’hui est d’ailleurs indissociable de l’agenda de croissance pour la France et l’Europe que je porte, avec le Gouvernement. En retour, la stabilité de la zone euro et l’ouverture de l’Europe sont indispensables à la croissance et à la résilience de l’Afrique et des progrès sont nécessaires sur cette question. L’Afrique et l’Europe doivent s’appuyer l’une sur l’autre. C’est en renforçant, de part et d’autre de la Méditerranée, nos intégrations régionales, et en structurant leurs relations, que nous affermirons le bien-être et la protection de nos populations.
Il nous revient de donner plus de contenu encore à ce partenariat économique durable, à l’intégration solidaire que nous voulons aussi construire entre Europe et en Afrique. Le Président de la République, François Hollande, en a la conviction. Il faut bâtir ensemble un modèle centré sur le partage de la création de richesses, la valorisation des flux – financiers, marchands, humains, matériels et immatériels – qui lient nos pays, et la recherche de retombées mutuellement bénéfiques en termes de dynamisme économique et d’emplois.
Il s’agit en somme – c’est ma conviction – de passer d’une logique de « stocks » - la répétition du passé, l’entretien de positions acquises – à une logique de « flux », dynamique, inventive, positive, pour construire notre avenir commun. Je suis persuadé que ce changement de perspective est porteur de beaucoup de fruits. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé à plusieurs personnalités, particulièrement respectées et que vous connaissez bien, de creuser cette intuition et de me – de nous – faire des propositions. Hubert Védrine, Lionel Zinsou, Jean-Michel Séverino et Hakim El Karoui ont accepté d’y réfléchir avec nous. J'ai également demandé à Tidjane Thiam, s'il accepterait de se joindre à eux. Leur mission aurait pour objectif d’explorer systématiquement les différents flux qui unissent notre pays (et plus largement l’Europe) et l’Afrique et de trouver les moyens de les activer, dans l’intérêt commun : flux de marchandises ; flux financiers ; flux humains ; flux immatériels. Une façon aussi de lutter, en France, contre l’indifférence ou contre le décalage persistant entre une conception figée de l’Afrique et la réalité du très fort dynamisme des économies africaines.
L’Afrique et la France sont unies par leur histoire, bien sûr et c’est précieux. Mais nous le sommes surtout par notre avenir. Notre journée ensemble en porte le témoignage. Je les vois comme une étape pour ce partenariat renouvelé que nous appelons de nos voeux. D’autres rendez-vous nous attendent, au premier rang desquelles la visite du Président de la République à Kinshasa les 12 et 13 octobre. Les autorités françaises les aborderont dans le même état d’esprit que celui que je vous ai présenté aujourd’hui.
Je vous remercie.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 9 octobre 2012