Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Par une heureuse coïncidence, je participe pour la première fois à la réunion des Ministres des Finances de la Zone Franc alors que nous célébrons cette année le quarantième anniversaire des accords monétaires de la zone. Cest loccasion pour nous pour la France et les pays africains membres de la Zone Franc de saluer nos réalisations communes, mais aussi et surtout de nous tourner résolument vers lavenir, ensemble. LAfrique change vite ; la conception quen a la France aussi. Nos relations doivent le refléter. Je voudrais faire de cet anniversaire le point de départ dune redéfinition de nos liens, comme la souhaité le Président de la République, François Hollande.
Cet anniversaire est un moment très amical, mais cest aussi un moment de fierté. Fierté pour la France de vous accueillir, tout dabord, et nous avons voulu marquer loccasion de façon solennelle, avec une exposition, un livre commémoratif, réalisé avec la Banque de France, linauguration dune salle baptisé Abdoulaye FADIGA, du nom du premier gouverneur africain de la B-C-E-A-O ici, au Ministère des Finances, et surtout un colloque, que nous ouvrirons cet après-midi, en présence de SE Alassane Ouattara. Mais fierté commune, surtout, devant les réalisations de la Zone Franc, devant les succès que notre coopération économique et financière unique entre nos deux continents a permis dobtenir.
La Zone franc aura contribué à la stabilité financière, à la croissance, à la constitution dinstitutions financières africaines solides et à une coopération respectueuse au service du développement économique. Alors que nous traversons une zone de très fortes turbulences économiques, vos pays auront été moins touchés par le ralentissement de lactivité mondiale et les déséquilibres persistants des marchés financiers internationaux, unis par des unions économiques et monétaires résilientes et solides. De nombreux économistes ont démontré que la protection que notre coopération monétaire apporte a été un facteur décisif de stabilité, de faible inflation et de croissance. Nous pouvons nous en féliciter et célébrer, aujourdhui, sans tabous ni langue de bois, notre longue histoire. Et le plus beau témoignage de cet esprit, je sais que cest le Président OUATTARA qui lexprimera, lui qui nous fera le très grand honneur de nous rejoindre cet après-midi et qui incarne mieux que quiconque le lien entre notre passé et notre avenir - et dabord celui de son pays, la Côte dIvoire.
Car dautres succès attendent la Zone franc, demain, jen suis persuadé. Pour les concrétiser, il faudra renouveler notre action, et améliorer notre dispositif. Cest lobjectif de nos travaux aujourdhui.
Je voudrais mettre en exergue et vous donner ma vision de deux des sujets sur lesquels nous nous pencherons ce matin.
Lintégration régionale, en premier lieu. Je la crois essentielle pour tirer la croissance et renforcer la résilience des membres dune union monétaire aux chocs externes en Afrique comme en Europe, dailleurs.
La zone franc et la zone euro apprennent depuis toujours lune de lautre et nous sommes les passeurs entre ces deux ensembles, ces deux expériences uniques au monde. LEurope fait, chaque jour, lexpérience de la valeur ajoutée de son intégration économique. La création dun marché intérieur, porteur dopportunités pour nos entreprises, la consolidation de nos économies, et la force collective qui en résulte face aux chocs négatifs externes, nous conforte dans ce mouvement dintégration. Et la crise des dettes souveraines que nous traversons et dont, jen suis persuadé, nous sortirons plus forts encore, nous a fait prendre conscience de la nécessité daller plus loin dans lintégration fiscale et budgétaire, et, plus généralement, dans lintégration politique. Vous savez à quel point je suis engagé sur ce front et depuis très longtemps.
Je me suis souvenu, en consultant hier le dossier de notre réunion, quil y a près de 25 ans, en 1986, un rapport avait été commandé par la Commission européenne pour chercher à évaluer tâche ô combien difficile le coût de la « non-Europe », cest-à-dire les obstacles à lever pour faire repartir lintégration européenne et élever ainsi le potentiel de croissance de ce qui sappelait encore à lépoque la Communauté Economique Européenne. Il relevait que linefficacité économique se logeait dans les interstices laissés par les disjonctions entre nos économies. Quelle ne fut pas ma surprise, aussi, de constater hier que la Zone Franc sétait engagé dans la même voie avec le rapport réalisé par la Fondation pour les Etudes et Recherches sur le Développement International (FERDI), sous lanimation du professeur Guillaumont que je salue et que nous allons bientôt écouter. Jen retiens un enseignement décisif : il existe un potentiel de croissance inexploité pour les pays africains de la Zone franc de près de 2% par an et par habitant. Cest considérable et je crois que les recommandations que ce rapport propose constituent un solide point dancrage pour vos futures réflexions, dans chacune de vos régions, et pour définir les pistes de développement prioritaires. Elles peuvent en tout cas vous aider à vous projeter dans lavenir pour rendre vos unions économiques et monétaires plus efficaces et attractives encore. Nous parlons désormais en Europe d« intégration solidaire » ; je crois que ce concept, qui suppose que les progrès dans lintégration saccompagnent de progrès concrets dans la solidarité pour les peuples qui nous composent, sapplique aussi très bien à vos pays et aux ensembles que vous bâtissez en commun.
En second lieu, je voudrais apporter mon soutien, avec Pascal Canfin, mon collègue chargé du développement qui est particulièrement intéressé par ces sujets, aux initiatives visant à promouvoir des contrats équitables. Les asymétries dexpertise et de capacités techniques sont un facteur clé qui freine le développement et encourage, évidemment, les comportements prédateurs des acteurs économiques, parfois surpuissants. Il est essentiel que les grands contrats soient désormais discutés dans des conditions équitables, qui garantissent justice, transparence et efficacité, et qui assurent un retour satisfaisant aux populations locales. Lexploitation outrancière des ressources africaines doit prendre fin : elle prive les populations locales des retombées positives de leur patrimoine, met en péril la soutenabilité de vos économies et fragilise nos entreprises.
Renforcer les capacités juridiques des Etats africains pour mieux négocier leurs contrats, en particulier dans le domaine de lexploitation des matières premières, est à la fois une nécessité pour le développement local, et un moyen dassurer une présence légitime des entreprises étrangères, françaises y compris, sur le territoire africain. Un challenge aussi pour les entreprises qui devront désormais se concurrencer et démontrer leur avantage comparatif de façon claire et équitable. Cest essentiel. Et vous savez que la France a pris une position très ferme dans ce sens au niveau européen, dans le cadre des discussions avec nos partenaires sur les directives comptables et transparence qui simposeront à nos entreprises et, je lespère, à leurs concurrents. Nous travaillons à rassembler les points de vue autour de cette conception exigeante des modes opératoires de nos entreprises.
Vous avez déjà beaucoup travaillé sur ce sujet et lO-HA-DA, lorganisation qui harmonise le droit, des sociétés notamment, entre vous, a déjà été un formidable succès, dont la Zone franc a été à linitiative. Je crois aussi que le soutien des Banques multilatérales de développement est désormais critique pour améliorer lappui juridique aux grands contrats. La Banque Africaine et je tiens à saluer très chaleureusement le Président Donald KABERUKA, qui nous fait lhonneur de sa présence - a le premier montré la voie avec la mise en place de la Facilité africaine de soutien juridique. Le Vice-président Makhtar DIOP que vous connaissez bien et qui est, je crois, le premier Africain francophone à dirigé le département Afrique de la Banque mondiale nous parlera dans un instant du fonds que la Banque mondiale va mettre en place, en partenariat avec la France, pour financer le recours à des cabinets davocats au profit des Etats africains dans le secteur minier et pétrolier. La France soutient résolument ces initiatives de la Banque Africaine et de la Banque mondiale et les appuiera financièrement, pour un total de 15 M. Nous travaillons par ailleurs à la création très prochainement dun Fonds dassistance technique au sein de lAgence Française de Développement, dont le budget est dores et déjà sécurisé, afin de renforcer la capacité daction de lagence dans ce domaine et de mobiliser plus efficacement lexpertise française dans vos pays.
Et je souhaite vraiment que nous puissions aller plus loin, en travaillant, avec la Banque mondiale et la Banque Africaine, à une initiative collective pour « Aider lAfrique à Négocier des Contrats Equitables », qui coordonnerait les dispositifs existants et viserait à fédérer un maximum de partenaires partageant ce même objectif. Jespère que vous maiderez à lancer et à développer cette initiative.
Et puis, au-delà des thèmes précis de notre réunion de travail, je veux saisir lopportunité qui mest offerte aujourdhui pour partager avec vous ma vision de lAfrique, et vous dire quelles inflexions le nouveau gouvernement français veut porter à notre partenariat.
Au-delà des clichés, lAfrique change vite, cest une excellente nouvelle et ce changement ne peut nous laisser indifférent. Nous devons prendre conscience des mutations économiques et politiques que le continent connaît, les prendre en compte et les accompagner, aussi.
Ce changement est dabord politique. Nous avons la joie daccueillir aujourdhui le Président Ouattara ; jai reçu ces dernières semaines le Président sénégalais, Macky Sall. Ma porte et celle de ce Gouvernement est ouverte à tous ceux qui, comme eux, portent et incarnent lélan du continent vers plus de démocratie.
Le changement est aussi économique, de façon spectaculaire. La croissance en Afrique est aujourdhui depuis plusieurs années régulièrement supérieure à 5%, elle est soutenue par son dynamisme démographique et lurbanisation de ses territoires. Les crises économiques des années 1980 et 1990 sont derrière nous. Le poids de la dette est largement sous contrôle, suite aux annulations ou traitement de la dette dans le cadre du Club de Paris ou de linitiative PPTE, fruits des réformes difficiles que vous avez su conduire, chacun dentre vous. Délestés de ce poids excessif, les Etats africains peuvent de nouveau investir et dégager des marges de manoeuvre pour leurs services publics et leur politique de développement. LAfrique a démarré, lenjeu aujourdhui pour elle est de réaliser tout son potentiel.
LAfrique est ouverte et pleinement arrimée au reste du monde, par le commerce, la finance, les réseaux dinfrastructures, la technologie. Cest un continent très convoité et cest heureux. De nouveaux partenariats ont vu le jour, la Chine et bien dautres puissances y développent des liens commerciaux de proximité.
La France, qui est restée très liée à lAfrique, doit accompagner ce changement, en redéfinissant sa relation au continent. Notre premier défi est dordre intellectuel. Il sagit de voir lAfrique simplement pour ce quelle est : un continent en mouvement, en croissance, riche de réserves naturelles et désireuse de démocratie, un continent qui a la capacité dun développement économique durable, à rebours des stéréotypes négatifs qui ont longtemps terni son image.
Un partenariat équilibré et mutuellement bénéfique doit se développer entre lAfrique et la France car nous avons, à lévidence, un destin commun.
Un destin commun dabord car nous affrontons des défis communs. Les enjeux sociaux, économiques, et environnementaux en Afrique dépassent les frontières du continent.
Je pense au défi démographique, dabord. La jeunesse est un atout pour léconomie des pays africains ; la lutte contre la paupérisation, principale source dextrémisme et dinstabilité, passe par son intégration.
Je pense également à lurbanisation, qui a des effets parfois déstabilisateurs mais qui est, en elle-même, un formidable facteur de croissance, notamment pour le développement agricole.
Je pense aussi aux crises politiques, et notamment à la situation actuelle au Sahel, qui nous préoccupe tant collectivement. Nous devons combiner nos instruments de développement et de coopération et nos actions auprès des institutions multilatérales pour stabiliser cette région qui connaît aujourdhui de graves turbulences.
Ce destin commun est aussi fondé sur une interdépendance économique dont chacun doit pouvoir bénéficier équitablement. LAfrique contribue déjà, et depuis longtemps, à la croissance de lEurope. La réunion que nous tenons aujourdhui est dailleurs indissociable de lagenda de croissance pour la France et lEurope que je porte, avec le Gouvernement. En retour, la stabilité de la zone euro et louverture de lEurope sont indispensables à la croissance et à la résilience de lAfrique et des progrès sont nécessaires sur cette question. LAfrique et lEurope doivent sappuyer lune sur lautre. Cest en renforçant, de part et dautre de la Méditerranée, nos intégrations régionales, et en structurant leurs relations, que nous affermirons le bien-être et la protection de nos populations.
Il nous revient de donner plus de contenu encore à ce partenariat économique durable, à lintégration solidaire que nous voulons aussi construire entre Europe et en Afrique. Le Président de la République, François Hollande, en a la conviction. Il faut bâtir ensemble un modèle centré sur le partage de la création de richesses, la valorisation des flux financiers, marchands, humains, matériels et immatériels qui lient nos pays, et la recherche de retombées mutuellement bénéfiques en termes de dynamisme économique et demplois.
Il sagit en somme cest ma conviction de passer dune logique de « stocks » - la répétition du passé, lentretien de positions acquises à une logique de « flux », dynamique, inventive, positive, pour construire notre avenir commun. Je suis persuadé que ce changement de perspective est porteur de beaucoup de fruits. Cest la raison pour laquelle jai demandé à plusieurs personnalités, particulièrement respectées et que vous connaissez bien, de creuser cette intuition et de me de nous faire des propositions. Hubert Védrine, Lionel Zinsou, Jean-Michel Séverino et Hakim El Karoui ont accepté dy réfléchir avec nous. J'ai également demandé à Tidjane Thiam, s'il accepterait de se joindre à eux. Leur mission aurait pour objectif dexplorer systématiquement les différents flux qui unissent notre pays (et plus largement lEurope) et lAfrique et de trouver les moyens de les activer, dans lintérêt commun : flux de marchandises ; flux financiers ; flux humains ; flux immatériels. Une façon aussi de lutter, en France, contre lindifférence ou contre le décalage persistant entre une conception figée de lAfrique et la réalité du très fort dynamisme des économies africaines.
LAfrique et la France sont unies par leur histoire, bien sûr et cest précieux. Mais nous le sommes surtout par notre avenir. Notre journée ensemble en porte le témoignage. Je les vois comme une étape pour ce partenariat renouvelé que nous appelons de nos voeux. Dautres rendez-vous nous attendent, au premier rang desquelles la visite du Président de la République à Kinshasa les 12 et 13 octobre. Les autorités françaises les aborderont dans le même état desprit que celui que je vous ai présenté aujourdhui.
Je vous remercie.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 9 octobre 2012
Par une heureuse coïncidence, je participe pour la première fois à la réunion des Ministres des Finances de la Zone Franc alors que nous célébrons cette année le quarantième anniversaire des accords monétaires de la zone. Cest loccasion pour nous pour la France et les pays africains membres de la Zone Franc de saluer nos réalisations communes, mais aussi et surtout de nous tourner résolument vers lavenir, ensemble. LAfrique change vite ; la conception quen a la France aussi. Nos relations doivent le refléter. Je voudrais faire de cet anniversaire le point de départ dune redéfinition de nos liens, comme la souhaité le Président de la République, François Hollande.
Cet anniversaire est un moment très amical, mais cest aussi un moment de fierté. Fierté pour la France de vous accueillir, tout dabord, et nous avons voulu marquer loccasion de façon solennelle, avec une exposition, un livre commémoratif, réalisé avec la Banque de France, linauguration dune salle baptisé Abdoulaye FADIGA, du nom du premier gouverneur africain de la B-C-E-A-O ici, au Ministère des Finances, et surtout un colloque, que nous ouvrirons cet après-midi, en présence de SE Alassane Ouattara. Mais fierté commune, surtout, devant les réalisations de la Zone Franc, devant les succès que notre coopération économique et financière unique entre nos deux continents a permis dobtenir.
La Zone franc aura contribué à la stabilité financière, à la croissance, à la constitution dinstitutions financières africaines solides et à une coopération respectueuse au service du développement économique. Alors que nous traversons une zone de très fortes turbulences économiques, vos pays auront été moins touchés par le ralentissement de lactivité mondiale et les déséquilibres persistants des marchés financiers internationaux, unis par des unions économiques et monétaires résilientes et solides. De nombreux économistes ont démontré que la protection que notre coopération monétaire apporte a été un facteur décisif de stabilité, de faible inflation et de croissance. Nous pouvons nous en féliciter et célébrer, aujourdhui, sans tabous ni langue de bois, notre longue histoire. Et le plus beau témoignage de cet esprit, je sais que cest le Président OUATTARA qui lexprimera, lui qui nous fera le très grand honneur de nous rejoindre cet après-midi et qui incarne mieux que quiconque le lien entre notre passé et notre avenir - et dabord celui de son pays, la Côte dIvoire.
Car dautres succès attendent la Zone franc, demain, jen suis persuadé. Pour les concrétiser, il faudra renouveler notre action, et améliorer notre dispositif. Cest lobjectif de nos travaux aujourdhui.
Je voudrais mettre en exergue et vous donner ma vision de deux des sujets sur lesquels nous nous pencherons ce matin.
Lintégration régionale, en premier lieu. Je la crois essentielle pour tirer la croissance et renforcer la résilience des membres dune union monétaire aux chocs externes en Afrique comme en Europe, dailleurs.
La zone franc et la zone euro apprennent depuis toujours lune de lautre et nous sommes les passeurs entre ces deux ensembles, ces deux expériences uniques au monde. LEurope fait, chaque jour, lexpérience de la valeur ajoutée de son intégration économique. La création dun marché intérieur, porteur dopportunités pour nos entreprises, la consolidation de nos économies, et la force collective qui en résulte face aux chocs négatifs externes, nous conforte dans ce mouvement dintégration. Et la crise des dettes souveraines que nous traversons et dont, jen suis persuadé, nous sortirons plus forts encore, nous a fait prendre conscience de la nécessité daller plus loin dans lintégration fiscale et budgétaire, et, plus généralement, dans lintégration politique. Vous savez à quel point je suis engagé sur ce front et depuis très longtemps.
Je me suis souvenu, en consultant hier le dossier de notre réunion, quil y a près de 25 ans, en 1986, un rapport avait été commandé par la Commission européenne pour chercher à évaluer tâche ô combien difficile le coût de la « non-Europe », cest-à-dire les obstacles à lever pour faire repartir lintégration européenne et élever ainsi le potentiel de croissance de ce qui sappelait encore à lépoque la Communauté Economique Européenne. Il relevait que linefficacité économique se logeait dans les interstices laissés par les disjonctions entre nos économies. Quelle ne fut pas ma surprise, aussi, de constater hier que la Zone Franc sétait engagé dans la même voie avec le rapport réalisé par la Fondation pour les Etudes et Recherches sur le Développement International (FERDI), sous lanimation du professeur Guillaumont que je salue et que nous allons bientôt écouter. Jen retiens un enseignement décisif : il existe un potentiel de croissance inexploité pour les pays africains de la Zone franc de près de 2% par an et par habitant. Cest considérable et je crois que les recommandations que ce rapport propose constituent un solide point dancrage pour vos futures réflexions, dans chacune de vos régions, et pour définir les pistes de développement prioritaires. Elles peuvent en tout cas vous aider à vous projeter dans lavenir pour rendre vos unions économiques et monétaires plus efficaces et attractives encore. Nous parlons désormais en Europe d« intégration solidaire » ; je crois que ce concept, qui suppose que les progrès dans lintégration saccompagnent de progrès concrets dans la solidarité pour les peuples qui nous composent, sapplique aussi très bien à vos pays et aux ensembles que vous bâtissez en commun.
En second lieu, je voudrais apporter mon soutien, avec Pascal Canfin, mon collègue chargé du développement qui est particulièrement intéressé par ces sujets, aux initiatives visant à promouvoir des contrats équitables. Les asymétries dexpertise et de capacités techniques sont un facteur clé qui freine le développement et encourage, évidemment, les comportements prédateurs des acteurs économiques, parfois surpuissants. Il est essentiel que les grands contrats soient désormais discutés dans des conditions équitables, qui garantissent justice, transparence et efficacité, et qui assurent un retour satisfaisant aux populations locales. Lexploitation outrancière des ressources africaines doit prendre fin : elle prive les populations locales des retombées positives de leur patrimoine, met en péril la soutenabilité de vos économies et fragilise nos entreprises.
Renforcer les capacités juridiques des Etats africains pour mieux négocier leurs contrats, en particulier dans le domaine de lexploitation des matières premières, est à la fois une nécessité pour le développement local, et un moyen dassurer une présence légitime des entreprises étrangères, françaises y compris, sur le territoire africain. Un challenge aussi pour les entreprises qui devront désormais se concurrencer et démontrer leur avantage comparatif de façon claire et équitable. Cest essentiel. Et vous savez que la France a pris une position très ferme dans ce sens au niveau européen, dans le cadre des discussions avec nos partenaires sur les directives comptables et transparence qui simposeront à nos entreprises et, je lespère, à leurs concurrents. Nous travaillons à rassembler les points de vue autour de cette conception exigeante des modes opératoires de nos entreprises.
Vous avez déjà beaucoup travaillé sur ce sujet et lO-HA-DA, lorganisation qui harmonise le droit, des sociétés notamment, entre vous, a déjà été un formidable succès, dont la Zone franc a été à linitiative. Je crois aussi que le soutien des Banques multilatérales de développement est désormais critique pour améliorer lappui juridique aux grands contrats. La Banque Africaine et je tiens à saluer très chaleureusement le Président Donald KABERUKA, qui nous fait lhonneur de sa présence - a le premier montré la voie avec la mise en place de la Facilité africaine de soutien juridique. Le Vice-président Makhtar DIOP que vous connaissez bien et qui est, je crois, le premier Africain francophone à dirigé le département Afrique de la Banque mondiale nous parlera dans un instant du fonds que la Banque mondiale va mettre en place, en partenariat avec la France, pour financer le recours à des cabinets davocats au profit des Etats africains dans le secteur minier et pétrolier. La France soutient résolument ces initiatives de la Banque Africaine et de la Banque mondiale et les appuiera financièrement, pour un total de 15 M. Nous travaillons par ailleurs à la création très prochainement dun Fonds dassistance technique au sein de lAgence Française de Développement, dont le budget est dores et déjà sécurisé, afin de renforcer la capacité daction de lagence dans ce domaine et de mobiliser plus efficacement lexpertise française dans vos pays.
Et je souhaite vraiment que nous puissions aller plus loin, en travaillant, avec la Banque mondiale et la Banque Africaine, à une initiative collective pour « Aider lAfrique à Négocier des Contrats Equitables », qui coordonnerait les dispositifs existants et viserait à fédérer un maximum de partenaires partageant ce même objectif. Jespère que vous maiderez à lancer et à développer cette initiative.
Et puis, au-delà des thèmes précis de notre réunion de travail, je veux saisir lopportunité qui mest offerte aujourdhui pour partager avec vous ma vision de lAfrique, et vous dire quelles inflexions le nouveau gouvernement français veut porter à notre partenariat.
Au-delà des clichés, lAfrique change vite, cest une excellente nouvelle et ce changement ne peut nous laisser indifférent. Nous devons prendre conscience des mutations économiques et politiques que le continent connaît, les prendre en compte et les accompagner, aussi.
Ce changement est dabord politique. Nous avons la joie daccueillir aujourdhui le Président Ouattara ; jai reçu ces dernières semaines le Président sénégalais, Macky Sall. Ma porte et celle de ce Gouvernement est ouverte à tous ceux qui, comme eux, portent et incarnent lélan du continent vers plus de démocratie.
Le changement est aussi économique, de façon spectaculaire. La croissance en Afrique est aujourdhui depuis plusieurs années régulièrement supérieure à 5%, elle est soutenue par son dynamisme démographique et lurbanisation de ses territoires. Les crises économiques des années 1980 et 1990 sont derrière nous. Le poids de la dette est largement sous contrôle, suite aux annulations ou traitement de la dette dans le cadre du Club de Paris ou de linitiative PPTE, fruits des réformes difficiles que vous avez su conduire, chacun dentre vous. Délestés de ce poids excessif, les Etats africains peuvent de nouveau investir et dégager des marges de manoeuvre pour leurs services publics et leur politique de développement. LAfrique a démarré, lenjeu aujourdhui pour elle est de réaliser tout son potentiel.
LAfrique est ouverte et pleinement arrimée au reste du monde, par le commerce, la finance, les réseaux dinfrastructures, la technologie. Cest un continent très convoité et cest heureux. De nouveaux partenariats ont vu le jour, la Chine et bien dautres puissances y développent des liens commerciaux de proximité.
La France, qui est restée très liée à lAfrique, doit accompagner ce changement, en redéfinissant sa relation au continent. Notre premier défi est dordre intellectuel. Il sagit de voir lAfrique simplement pour ce quelle est : un continent en mouvement, en croissance, riche de réserves naturelles et désireuse de démocratie, un continent qui a la capacité dun développement économique durable, à rebours des stéréotypes négatifs qui ont longtemps terni son image.
Un partenariat équilibré et mutuellement bénéfique doit se développer entre lAfrique et la France car nous avons, à lévidence, un destin commun.
Un destin commun dabord car nous affrontons des défis communs. Les enjeux sociaux, économiques, et environnementaux en Afrique dépassent les frontières du continent.
Je pense au défi démographique, dabord. La jeunesse est un atout pour léconomie des pays africains ; la lutte contre la paupérisation, principale source dextrémisme et dinstabilité, passe par son intégration.
Je pense également à lurbanisation, qui a des effets parfois déstabilisateurs mais qui est, en elle-même, un formidable facteur de croissance, notamment pour le développement agricole.
Je pense aussi aux crises politiques, et notamment à la situation actuelle au Sahel, qui nous préoccupe tant collectivement. Nous devons combiner nos instruments de développement et de coopération et nos actions auprès des institutions multilatérales pour stabiliser cette région qui connaît aujourdhui de graves turbulences.
Ce destin commun est aussi fondé sur une interdépendance économique dont chacun doit pouvoir bénéficier équitablement. LAfrique contribue déjà, et depuis longtemps, à la croissance de lEurope. La réunion que nous tenons aujourdhui est dailleurs indissociable de lagenda de croissance pour la France et lEurope que je porte, avec le Gouvernement. En retour, la stabilité de la zone euro et louverture de lEurope sont indispensables à la croissance et à la résilience de lAfrique et des progrès sont nécessaires sur cette question. LAfrique et lEurope doivent sappuyer lune sur lautre. Cest en renforçant, de part et dautre de la Méditerranée, nos intégrations régionales, et en structurant leurs relations, que nous affermirons le bien-être et la protection de nos populations.
Il nous revient de donner plus de contenu encore à ce partenariat économique durable, à lintégration solidaire que nous voulons aussi construire entre Europe et en Afrique. Le Président de la République, François Hollande, en a la conviction. Il faut bâtir ensemble un modèle centré sur le partage de la création de richesses, la valorisation des flux financiers, marchands, humains, matériels et immatériels qui lient nos pays, et la recherche de retombées mutuellement bénéfiques en termes de dynamisme économique et demplois.
Il sagit en somme cest ma conviction de passer dune logique de « stocks » - la répétition du passé, lentretien de positions acquises à une logique de « flux », dynamique, inventive, positive, pour construire notre avenir commun. Je suis persuadé que ce changement de perspective est porteur de beaucoup de fruits. Cest la raison pour laquelle jai demandé à plusieurs personnalités, particulièrement respectées et que vous connaissez bien, de creuser cette intuition et de me de nous faire des propositions. Hubert Védrine, Lionel Zinsou, Jean-Michel Séverino et Hakim El Karoui ont accepté dy réfléchir avec nous. J'ai également demandé à Tidjane Thiam, s'il accepterait de se joindre à eux. Leur mission aurait pour objectif dexplorer systématiquement les différents flux qui unissent notre pays (et plus largement lEurope) et lAfrique et de trouver les moyens de les activer, dans lintérêt commun : flux de marchandises ; flux financiers ; flux humains ; flux immatériels. Une façon aussi de lutter, en France, contre lindifférence ou contre le décalage persistant entre une conception figée de lAfrique et la réalité du très fort dynamisme des économies africaines.
LAfrique et la France sont unies par leur histoire, bien sûr et cest précieux. Mais nous le sommes surtout par notre avenir. Notre journée ensemble en porte le témoignage. Je les vois comme une étape pour ce partenariat renouvelé que nous appelons de nos voeux. Dautres rendez-vous nous attendent, au premier rang desquelles la visite du Président de la République à Kinshasa les 12 et 13 octobre. Les autorités françaises les aborderont dans le même état desprit que celui que je vous ai présenté aujourdhui.
Je vous remercie.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 9 octobre 2012