Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, sur la Francophonie, à Paris le 10 octobre 2012.

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Circonstance : Cérémonie de remise des diplômes du MBA International Paris, à Paris le 10 octobre 2012

Texte intégral

Monsieur le Recteur,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Professeurs,
Mesdames et Messieurs les représentants du Corps diplomatique
Mesdames et Messieurs les nouveaux diplômés que je veux féliciter,
Mesdames et Messieurs, Chers Amis,
Je suis heureux de m'adresser à vous à l'occasion de cette cérémonie de remise des diplômes, à l'invitation de l'Université Paris-Dauphine et de l'Institut d'Administration des Entreprises (IAE) de l'Université Paris I. Nous sommes à la veille du XIVème sommet de la Francophonie de Kinshasa, c'est une occasion pour moi, devant un public aussi éclairé, de souligner l'importance des formations francophones pour les pays de la Francophonie, qui sont ici représentés, et pour la France.
J'adresse aux étudiants nouvellement diplômés mes chaleureuses félicitations pour le cursus qui vous a conduits à Paris, dans cette Sorbonne reconnue à travers le monde comme un symbole de la qualité des formations françaises et de la tradition d'ouverture internationale de nos universités.
Votre présence - et je m'adresse aux étudiants - illustre l'attractivité des formations à ambition internationale dispensées en français. Je veux remercier les écoles étrangères représentées ici pour le rapprochement qu'elles ont opéré avec les institutions françaises d'enseignement.
Vous venez de nombreux pays qui, au-delà de leurs différences, appartiennent à une même famille qui est la famille francophone. Le choix que vous avez fait en venant compléter vos études supérieures en France et votre réussite montrent la force de cette communauté francophone et des liens qu'elle permet de tisser. C'est pour nous une incitation à renforcer la Francophonie.
Avec le président de la République - qui sera à Dakar puis à Kinshasa - et la ministre déléguée qui suit les affaires de francophonie à mes côtés, nous avons décidé de faire de la francophonie une priorité de notre politique étrangère. Le président le dira avec force à Dakar puis à Kinshasa : nous voulons développer dans tous les domaines ce que j'appelle le «réflexe francophone». Je ne dis pas réflexe français, j'y reviendrais. C'est-à-dire faire de la francophonie une instruction générale pour nos diplomates et une priorité permanente de notre action.
Le contexte mondial est favorable au développement de la francophonie. Après des décennies d'uniformisation, conséquence de la mondialisation économique, je pense que s'affirme progressivement une tendance différente. L'anglais - il ne faut pas le contester - est la langue véhiculaire globale, la mondialisation inonde la planète de modèles et de produits formatés. Mais à côté, et en raison même de cette uniformisation, beaucoup de peuples prennent conscience de la nécessité de faire vivre ce qui leur est propre. Cette contre-tendance a un versant négatif : c'est le risque des replis identitaires. Mais elle a aussi un versant très positif qui est l'affirmation du droit à la diversité culturelle comme un enrichissement des échanges, comme la promesse d'un partage bénéfique, comme l'annonce de débats féconds. La mondialisation - du moins c'est notre vision - sera plus créative si elle rapproche des peuples qui revendiquent leur différence.
Dans ce contexte, la langue - que nous avons en partage c'est-à-dire la langue française, devenue la langue francophone, est à la fois une langue particulière et une langue commune. Elle exprime une identité propre et une identité partagée. Et je pense qu'au XXIème siècle, la Francophonie est une communauté d'avenir. Parce que, lorsqu'on réfléchit un petit peu, et je vous invite à le faire ce soir, beaucoup d'évolutions de fond sont en effet favorables. L'affirmation de nouvelles puissances et le développement de nouveaux pays dessinent un monde de diversité qui offre sa chance au pluralisme culturel et linguistique. Internet et la révolution numérique offrent aux grandes langues comme la nôtre une plateforme mondiale de communication, de création et de partage.
Et le monde francophone lui-même - ce que l'on ne perçoit pas de l'extérieur et ni parfois même de l'intérieur - est d'un grand dynamisme.
Un dynamisme démographique. Le Français sera la première langue européenne en 2025. Et l'Europe est la 1ère zone commerciale du monde. La croissance démographique de l'Afrique augmentera massivement le nombre des locuteurs francophones. Aujourd'hui, on estime que le français est parlé nativement par 220 millions de personnes ; le français il le sera par plus de 700 millions en 2050 ! Le français est appris par 120 millions d'élèves ayant une autre langue maternelle, ce qui en fait la première langue la plus enseignée après l'anglais. En Asie, par exemple - et je pourrais citer d'autres continents - le français est recherché comme une langue de distinction et de réussite.
Outre ce dynamisme démographique, il y a le dynamisme propre des sociétés francophones. L'Afrique sub-saharienne, en particulier, connait un développement exceptionnel. Grâce à ses richesses potentielles ou actuelles, grâce à sa jeunesse, grâce à ses femmes qui jouent un rôle essentiel, grâce aux progrès de la productivité, l'Afrique est un continent du futur. Le monde arabe, où la Francophonie est profondément enracinée, a connu des bouleversements évidents. Des dérives et des retours en arrière sont toujours possibles. Mais le mouvement vers une liberté plus grande est enclenché. Et sur le continent américain, au Québec, les francophones s'affirment.
Et puis il y a le dynamisme institutionnel. Avec trente-deux pays qui ont fait du français leur langue officielle, celui-ci est la première ou la deuxième langue dans l'ensemble des forums diplomatiques internationaux. C'est une langue structurante dans les nombreuses organisations régionales qui préfigurent le monde de demain, comme l'Union européenne ou l'Union Aafricaine.
Certes, il ne faut pas se cacher les difficultés, elles sont évidentes. En Afrique et ailleurs, le français a évidemment besoin d'être soutenu. Dans de nombreuses enceintes internationales - pas encore la Sorbonne -, il faut se battre pour le français. J'ai évoqué les risques d'uniformisation. Mais la Francophonie, qui ne s'oppose pas à l'anglais mais qui le complète en respectant le multilinguisme, a toutes ses chances et elle est une chance.
Je voudrais ajouter que la langue française n'est pas seulement une langue : elle porte avec elle une culture, un rapport au monde, des valeurs que nous devons promouvoir et porter avec fierté.
Et nous pouvons d'autant mieux le faire que nous avons, je crois, tiré des leçons du passé. Convenons que la République française a quelquefois rudoyé - c'est un euphémisme - des langues qu'elle considérait comme secondaires. La signature en 1999 de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires et l'intégration à la Constitution française en 2008 des langues régionales a marqué un changement heureux. Nous avons effectué notre mue. La France s'inscrit aujourd'hui dans l'action pour une pluralité linguistique.
Notre histoire nous y destinait. Le français - tout le monde le sait - est la langue des Lumières et des droits de l'Homme. Alors qu'elle était loin d'être définitivement structurée, la langue française à l'époque des «Essais» de Montaigne tendait déjà à une vocation universelle. Et par la suite - ce qui est remarquable - elle n'a cessé de s'enrichir de nombreux apports. S'enrichir, par exemple, des traditions roumaines et irlandaises de Ionesco et de Beckett ; des apports ultramarins - je pense à Aimé Césaire - ; de la littérature-monde de Jean-Marie Le Clézio. Elle a constamment évolué, gagnant en richesse dans l'échange avec ses ailleurs jusqu'à créer une véritable communauté. Elle est devenue, cela peut surprendre certains mais c'est ainsi et bien ainsi, une langue d'Afrique. Le français est multiple et divers - c'est sa force. Il trace son chemin dans l'échange avec de nouvelles cultures, en dialogue constant avec sa patrie d'origine.
Et ce partage linguistique au-delà des frontières, loin d'uniformiser, permet d'accroître la circulation des idées, des oeuvres et des biens. Et c'est un enrichissement mutuel. Derrière la neutralité apparente des mots, chaque langue est en effet porteuse d'un regard particulier sur le monde et d'une subjectivité. La France, je veux le dire ici, doit beaucoup à ces auteurs qui ont été formés en français sur les cinq continents qui, grâce à leur fréquentation de la culture et des auteurs français, ont enrichi et enrichissent en retour notre langue de leurs propres oeuvres. En sens inverse, c'est une chance formidable pour les artistes et auteurs français de pouvoir s'adresser sans intermédiaire aux lecteurs, spectateurs et auditeurs dans tant de pays et d'aller ainsi à la rencontre des cultures les plus éloignées.
Un de mes amis, qui a présidé l'un des pays d'Afrique, disait ceci et j'ai retenu sa formule : langue unique, langue inique. Dans un monde où beaucoup se plaignent de l'hégémonie anglo-saxonne, les voix francophones sont porteuses de valeurs et d'histoire. Façonnée par les artistes, les penseurs, les écrivains et les peuples de toutes les rives du monde francophone, la Francophonie - telle qu'il la l'a décrit - constitue un espace de dialogue et de solidarité, un forum où se défendent des valeurs essentielles, celles de l'état de droit, de la démocratie et du respect des droits de l'Homme et de la femme.
Pour tenir ses promesses, la Francophonie a besoin de volontarisme politique et de mobilisation. Notre objectif est de consolider et de développer la famille francophone. Il nous faut renforcer cet ensemble géolinguistique et porter une attention privilégiée notamment à deux régions : l'Afrique, où l'enjeu est en particulier de réussir la scolarisation pour tous ; et le monde arabe, où la Francophonie doit permettre de renforcer nos liens avec la société civile et la jeunesse, moteurs du changement. Ailleurs, dans les pays non-francophones, le français est souvent regardé comme un atout : il est enseigné quasiment partout comme langue étrangère dans les écoles. Nous devons, là aussi, renforcer cette position. Cela implique de convaincre les autorités éducatives de développer l'enseignement d'au moins deux langues étrangères et de proposer la langue française aux élèves. Cela suppose aussi de rendre l'enseignement de notre langue plus attractif. Dans cet esprit, nous avons créé le label «France Education» pour encourager les établissements d'enseignement étrangers qui proposent des classes bilingues en français de haut niveau.
Nous pourrons nous appuyer sur notre réseau culturel, de coopération et d'enseignement à l'étranger. 300.000 élèves sont aujourd'hui scolarisés dans près de 500 établissements au sein de 130 pays tandis que 1 000 instituts et alliances françaises apprennent notre langue à un million de personnes.
L'enseignement supérieur constitue également un enjeu décisif et je souhaite que nous développions encore l'attractivité des établissements français. 40 % des doctorants formés dans nos établissements sont étrangers, tandis que nous accordons chaque année plus de 16 000 bourses. Hors de nos frontières, nous soutenons de nombreux établissements prestigieux. Je ne veux pas tous les citer. S'ajoutent les filières francophones que nous développons dans des institutions étrangères et des relais.
La coopération scientifique au sein de l'espace francophone est également déterminante. Je salue le dynamisme de l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF), avec ses 786 universités membres dans près de 100 pays, plusieurs milliers de bourses par an, des partenariats, des portails numériques. Je pense aussi, par exemple, à l'Université Senghor d'Alexandrie. Ouvrons encore plus largement ces programmes aux partenariats public/privé, à la coopération avec les entreprises, et les ressources permettant d'envisager un véritable Erasmus francophone seront là.
De même, la Francophonie peut compter sur un dispositif audiovisuel fort. Nous avons RFI, TV5 Monde et France 24 qui touchent aujourd'hui plusieurs centaines de millions de francophones. Ce sont des outils essentiels dont nous devons assurer le développement, après des années difficiles. L'existence d'un audiovisuel francophone mondial est un pilier de cette « communauté linguistique « porteuse de références politiques, économiques et culturelles communes, de Hanoï à Dakar, de Québec à Abidjan, de Bruxelles à Djibouti.
Plus largement, nous devons demander à notre diplomatie de promouvoir le français dans la vie internationale. Permettez-moi une confidence : je suis toujours choqué quand je constate - et cela m'arrive assez souvent - qu'un ministre d'un pays francophone - un ministre français par exemple -, se met à parler en anglais face à d'autres francophones dans une enceinte internationale où le français est pourtant langue officielle. Je pense aussi à Internet, qui constitue une sorte d'embryon d'une société civile mondiale. Le français doit être présent dans tous ces lieux et ces espaces pour s'affirmer sur le plan international.
Et puis, vous le savez et l'avenir de plusieurs d'entre vous le montrera, la Francophonie constitue aussi un enjeu économique. La langue française peut être un outil au service de la croissance et je veux inciter les entreprises à utiliser davantage les liens que crée le français.
Les pays du monde francophone représentent à peu près 14% du PIB mondial. Ce marché important doit prendre conscience de son existence et se structurer. En 2012, seuls 13% des échanges commerciaux des pays francophones se font entre eux. Les potentialités sont considérables alors que le dynamisme économique et démographique de ces pays va démultiplier les opportunités d'échange. Lors de la dernière conférence des ambassadeurs que j'ai réunie, j'ai demandé à nos diplomates de développer ce que j'appelle le «réflexe économique» : il est complémentaire du «réflexe francophone».
Partager une langue est en effet un atout pour les échanges économiques. C'est une des raisons du développement du français dans des pays non-francophones. Dans l'Inde anglophone, le français est la langue étrangère la plus apprise. 70% des élèves disent l'avoir choisie pour des raisons professionnelles. En Chine, des études montrent que le français est étudié en raison de l'attractivité de notre pays et aussi des possibilités qui se développent sur l'ensemble du monde francophone. Tant mieux ! Voilà autant de femmes et d'hommes qui seront des interlocuteurs privilégiés pour nos entreprises et vont découvrir, par ce biais, les cultures francophones.
À nous d'utiliser davantage cette force que nous donne la Francophonie dans le domaine économique. Les liens sautent aux yeux entre les compétences des entreprises des pays du Nord, les besoins des pays du Sud pour acquérir technologies et savoir-faire, et les institutions éducatives de l'espace francophone. Je souhaite voir la Francophonie renforcer ce lien. Je me félicite à cet égard de la création prochaine par l'OIF d'une direction de la Francophonie économique. Les chefs d'État réunis à Kinshasa mandateront l'organisation afin d'élaborer une stratégie pour la Francophonie économique en faveur de plus de croissance, d'emploi et de solidarité.
L'espace économique francophone, ce sont aussi des cadres juridiques qui se rassemblent, des réflexes communs en matière de contrats et d'arbitrage, des principes de gouvernance économique qui nous réunissent. Par exemple, le système juridique et judiciaire de l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) est l'une des expériences d'intégration juridique les plus réussies, rassemblant 17 États d'Afrique membres de la Francophonie. La réglementation sur la protection des investissements, les droits de la propriété intellectuelle à même de défendre la diversité culturelle, l'harmonisation des réglementations sur l'accès aux marchés publics, les dispositifs en faveur de l'innovation : voilà autant de chantiers sur lesquels les gouvernements et les acteurs économiques doivent travailler ensemble pour consolider ce «réflexe francophone» lorsqu'il s'agit d'explorer de nouveaux champs de croissance.
La Francophonie, ce doit être aussi une certaine vision du développement au XXIème siècle. Le capitalisme mondialisé a pris naissance dans le monde anglo-saxon. Le monde francophone peut être le cadre d'une croissance plus juste, plus sociale et plus écologique.
La crise que nous vivons a en effet mis en évidence les dangers et les dérives du modèle sur lequel nous avons vécu ces dernières décennies. La raréfaction de nombreuses ressources naturelles et les impératifs climatiques ou environnementaux imposent de repenser tout ou partie du système. La pauvreté est toujours là, même si elle a changé de nature pour devenir plus urbaine que rurale. Ces dernières années, une croissance forte mais inéquitable dans de nombreux pays a permis d'élever le revenu moyen tout en laissant une part importante de la population dans la pauvreté.
Dans ce contexte, la France cherche à promouvoir une conception différente du développement social et écologique. Le «verdissement» de nos économies est un impératif de survie pour la planète et un moteur puissant pour une croissance maîtrisé et durable. Les fruits de la croissance doivent être plus équitablement répartis. C'est un impératif de justice et de stabilité politique.
La France est déterminée - avec je pense beaucoup d'autres pays de la Francophonie - à porter ces objectifs dans la définition d'un nouvel agenda mondial pour le développement et elle appelle le monde francophone à y contribuer. Il y a dix ans, nous nous sommes engagés dans les travaux de définition des «Objectifs du Millénaire pour le Développement» (OMD). Nous avons agi en faveur du changement de paradigme qu'ils consacraient. Tout cela a été confirmé lors du sommet du Millénaire en 2010, notamment l'objectif de faire de la lutte contre la pauvreté une priorité. À cet objectif s'ajoutent aujourd'hui de nouveaux défis mondiaux auxquels nous voulons répondre : régulations financières et économiques internationales, prévention et traitement des conflits, épidémies et risques sanitaires, épuisement des ressources naturelles. Nous sommes investis, les uns et les autres, dans les réflexions qui s'ouvrent sur l'agenda du développement après 2015. Nous voudrions que convergent l'agenda international du développement, l'agenda francophone et celui du développement soutenable.
Dans ce cadre, nous devons donner une nouvelle impulsion à notre politique de développement. Le premier geste significatif a été effectué dès la nomination du gouvernement : il n'y a plus désormais de ministère de la Coopération, mais un ministère du Développement ; ce n'est pas simplement un changement de terme. La France est le 4ème contributeur mondial d'APD, avec environ 0,46 % du revenu national brut. L'effort actuel sera au minimum maintenu. Le président français a également annoncé devant l'Assemblée générale des Nations unies que 10%, au moins, des recettes de la nouvelle taxe sur les transactions financières, qui a reçu hier l'appui de 11 pays européens, seront consacrés au développement et à la lutte contre les fléaux sanitaires et les pandémies. Les organisations non gouvernementales, auxquelles je veux rendre hommage, demandent que ce pourcentage soit bien plus élevé encore.
Car Francophonie et développement se complètent. C'est en réussissant le défi de la scolarisation des jeunes francophones que nous mobiliserons le potentiel du développement de la langue française et des pays où elle est pratiquée. C'est pourquoi nous devons parier sur l'éducation et la jeunesse. Cela vaut pour toutes les parties de la Francophonie : l'Afrique subsaharienne, la jeunesse du monde arabe. L'avenir de l'Afrique est lié à l'avenir de la Francophonie et réciproquement.
Je souhaite que cette politique du développement s'appuie davantage sur les nombreuses et souvent remarquables coopérations décentralisées conduites par les collectivités locales ; pas seulement celles de la France, mais aussi celles de l'ensemble des pays francophones. C'est ce que j'appelle la «diplomatie démultipliée». Il n'y a pas simplement la diplomatie que le chef de la diplomatie que je suis essaye de faire prévaloir. Il y a des coopérations multiples, innombrables qui s'adressent souvent, pour des raisons évidentes, au monde francophone. Nous devons mieux les coordonner, leur donner plus de visibilité et en faire, encore plus qu'aujourd'hui, des outils de rapprochement et de développement partagé. La « diplomatie démultipliée « est un concept extrêmement riche.
La Francophonie est, enfin, une réalité institutionnelle que nous souhaitons dynamiser. La francophonie politique a pris son essor avec la création de l'Agence de coopération culturelle et technique en 1970. En 1997, lors du Sommet de Hanoï, l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a vu le jour, présidée par Boutros Boutros-Ghali puis Abdou Diouf. Longtemps, les populations et de nombreux dirigeants se sont montrés sceptiques, estimant que l'OIF comptait des personnes à la retraite qui avaient pris leur distance avec le monde réel et qui devaient s'occuper. Ce n'était pas exact alors et ce n'est pas exact aujourd'hui. L'organisation existe et porte des exigences démocratiques et humanitaires, incarnées notamment dans la déclaration de Bamako de 2000. Elle a appuyé le développement de réseaux, d'associations et d'ONG qui font la Francophonie du quotidien. Pour autant, nous sommes encore loin d'avoir exploité totalement les ressources de l'organisation.
Il faut aussi mentionner des institutions moins connues qui jouent pourtant un rôle dans le développement de la Francophonie : l'Assemblée parlementaire de la Francophonie, qui compte 77 parlements membres, l'Association internationale des maires de grandes villes francophones, l'Association universitaire de la Francophonie avec près de 800 membres ou encore les Jeux de la Francophonie, qui se dérouleront en 2013.
L'utilité de ces organismes ne se limite pas au cadre de leurs missions. Ils participent à l'élaboration d'une culture commune qui permet ensuite de porter la spécificité de la voix francophone dans les forums internationaux. La Francophonie a par exemple joué un rôle important dans l'adoption de la convention de l'UNESCO sur la diversité culturelle en 2005, et dans l'institutionnalisation d'autres espaces linguistiques.
J'ai voulu saisir cette occasion, la remise des diplômes devant votre assemblée prestigieuse, de vous dire ce que je pensais de la Francophonie qui nous rassemble et de ses perspectives.
Science, éducation, économie, culture, politique, diplomatie : la Francophonie est une référence partagée, un espace commun de développement. Elle mérite d'être, pour la France et pour ses partenaires, une priorité.
Nous devons avoir une vision positive de la Francophonie. Je regrette qu'elle soit quelquefois regardée avec distance, voire passéisme, en France même. Je souhaite au contraire que nous puissions nous réapproprier cette ambition, dont chacun peut voir ce qu'elle peut apporter à la France comme à tous les partenaires francophones.
Nous vivons une époque de basculements géopolitiques. Le monde est fragmenté et incertain - ce cadre, nous le voyons par l'actualité, est déstabilisant. Autrefois, les conflits étaient régulés par deux États qui s'opposaient - d'un côté les États-Unis d'Amérique ; de l'autre l'URSS. Puis est venue une période durant laquelle les conflits étaient régulés par une seule puissance, en l'occurrence les États-Unis d'Amérique. Aujourd'hui - d'où les difficultés de l'ONU -, les conflits ne sont plus régulés par personne. L'Europe est en construction, quand elle n'est pas en déconstruction, et nos pays, quels qu'ils soient, sont en mutation, y compris bien sûr la France.
Dans ce contexte de grand mouvement, nous avons la chance de posséder un horizon commun, en expansion et porteur de valeurs démocratiques et d'avenir. Cette communauté qu'est la Francophonie est un bien précieux dont vous êtes les ambassadeurs. La Francophonie ne doit pas être frileuse, mais conquérante. Il faut que chacune et chacun d'entre nous la fasse vivre ; c'est notre intérêt partagé. C'est aussi celui du monde qui nous entoure. Face aux changements de toutes sortes, face aux bouleversements climatiques, face à la menace terroriste, face aux ravages de la pauvreté, face aux crises et aux excès du monde économique qui nous entoure, face aux inégalités de toutes sortes, les attitudes coopératives doivent prévaloir sur les divisions, sur les replis particularistes et la violence.
Je pense, et c'est le sens que j'ai voulu donner à ma présence et à la remise des diplômes qui va avoir lieu dans un instant, que la Francophonie peut et doit contribuer à ce monde meilleur que nous souhaitons pour le bien de tous.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 octobre 2012