Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, sur le rôle bénéfique passé de la Banque mondiale dans la gestion de la crise économique et financière internationale et sur les défis encore à relever pour assurer la croissance économique, Tokyo le 13 octobre 2012.

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Circonstance : 86ème réunion du Comité du Développement (Conseils des Gouverneurs de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international sur le transfert de ressources réelles aux pays en développement), Tokyo le 13 octobre 2012

Texte intégral

Je voudrais commencer par saluer la réactivité et l’efficacité de la Banque mondiale dans le contexte de la profonde crise financière et économique actuelle. Collectivement et sans hésiter, ses actionnaires lui ont donné les moyens d’agir, en augmentant son capital de 190Mds$ à 276Mds$ en 2011 ; la Banque a su employer ces ressources accrues pour répondre en urgence non seulement à la crise financière, mais également à la crise alimentaire dans la Corne de l’Afrique ou encore aux bouleversements politiques consécutifs aux événements du Printemps arabe. Je ne reviens pas ici sur le rôle central qu’a joué la Banque dans le cadre du Partenariat de Deauville pour les pays en transition, et que nous espérons lui voir jouer encore notamment par l’intermédiaire du Fonds de transition lancé hier.
D'une manière générale, l’action rapide de la Banque a joué un rôle décisif, mais il est aujourd’hui important de pérenniser les outils et les pratiques développés sous la pression de l’urgence afin de les inscrire dans un cadre durable de prévention des crises. Au-delà, beaucoup reste à faire, et les défis qui attendent la Banque dans les années à venir exigeront une transformation en profondeur des schémas classiques de l’aide au développement afin de s’adapter aux situations hétérogènes des pays bénéficiaires.
L’objectif général doit rester celui d’une croissance inclusive et durable. La réduction de la pauvreté, notamment en Afrique subsaharienne, passe avant tout par la croissance, par l’intégration régionale et par l’emploi ; en outre, un développement soutenable à long terme ne peut faire l’économie d’une stratégie systémique d'atténuation du changement climatique et d'adaptation. Ces défis transversaux et globaux requièrent une approche collective, et la Banque doit jouer un rôle pivot afin notamment de favoriser la prise en compte des externalités positives inhérentes à ces questions. A cet égard, je suis fier de rappeler que nous avons décidé, la semaine dernière, de lancer un fonds fiduciaire en faveur des pays d'Afrique ; ce fonds doit les aider à mieux négocier les contrats des industries extractives pour en améliorer les retombées économiques au profit des populations, notamment locales, assurer le développement durable des projets et améliorer la gestion du cadre macroéconomique, y compris les enjeux relatifs à la dette ou la transparence.
Le premier de ces défis est de faire en sorte que la croissance économique bénéficie à tous. Je me félicite que le rapport sur le développement dans le monde 2013 propose une analyse en profondeur des politiques de l’emploi. La crise actuelle a des conséquences dramatiques sur l’emploi, depuis 2008, dans tous les pays du monde ; combattre ces impacts est essentiel, non seulement pour lutter contre pauvreté, renforcer la cohésion sociale et la stabilité politique, mais aussi parce que l’emploi, en créant du capital social et humain, est un pilier fondamental d’une croissance durable et équitable. Je salue donc les conclusions de ce rapport qui pourront irriguer les actions futures de la Banque, et en particulier la reconnaissance du rôle crucial d'une régulation adéquate, de la négociation collective et de la protection sociale. Les règles qui encadrent le marché du travail, lorsqu’elles sont appropriées, loin de freiner la croissance et le développement, représentent autant de filets de sécurité en temps de crise, qui protègent les plus vulnérables et augmentent la résilience collective. Nous devons dès lors promouvoir des standards et des normes sociales ambitieux.
L’égalité homme-femme doit également rester au premier plan de l’agenda du développement. Un accès égal à l’emploi, aux soins, à l’éducation et à l’ensemble des opportunités sociales constitue d’abord un enjeu de justice, mais aussi une clef de développement et de modernisation sociale. Je félicite la Banque mondiale d’avoir intégré cette question dans l’évaluation de tous ses projets et l’encourage à poursuivre vigoureusement dans cette voie.
L’intégration régionale, qui passe notamment par le développement des infrastructures, représente un enjeu critique pour les pays en développement. L’Afrique, en particulier, voit son développement économique pénalisé par un déficit d’infrastructures d’envergure régionale dans les secteurs de l’énergie, du transport, des communications ou encore de l’eau, déficit qui freine les flux d’investissements privés pourtant essentiels pour le développement du continent. J’appelle la Banque mondiale à renforcer ses efforts et, en particulier, à mettre en oeuvre au plus vite l’intégralité du plan d’action conjoint des BMD pour les infrastructures élaboré dans le cadre du G20.
Enfin, la Banque mondiale devra apporter ses compétences et ses ressources au combat collectif contre le changement climatique et pour l’adaptation. La Banque a d’ores et déjà accumulé une expérience considérable en la matière ; aujourd’hui, ces acquis seront précieux dans le cadre élaboré par la communauté internationale autour notamment du nouveau « Fonds vert ». La question de la gestion des risques de catastrophes naturelles inscrites à l’agenda de Sendai est également au coeur de cette problématique. Je rappelle l’engagement ambitieux pris à Copenhague de mobiliser 100 milliards de dollars par an de financements publics et privés d’ici à 2020 pour aider les pays en développement à lutter contre le changement climatique. Nous devons à présent agir sans tarder pour mettre en oeuvre cet engagement collectif en ayant à coeur d’assurer l’efficacité maximale de notre action. La France a montré l’exemple en mettant en évidence la faisabilité d’une taxe sur les transactions financières: une partie de ses recettes financera le développement autour des deux priorités indiquées par le Président - la santé et le SIDA, et l’environnement et le climat.
Ces défis de développement appellent une réponse différenciée selon les pays : la situation économique des pays en développement a évolué de manière hétérogène et la Banque doit aujourd’hui s’adapter aux besoins de chacun.
Pour de nombreux pays à revenus intermédiaires, jadis bénéficiaires d’aide financière, l’accompagnement qui leur est aujourd’hui le plus utile passe essentiellement par un partage d’expertise et de bonnes pratiques en matière de développement. L’Afrique, elle aussi, a pris un nouvel élan sur le plan économique, en dépit de la crise économique mondiale et des bouleversements politiques auxquels elle doit faire face. Il faut donc faire plus là où il y en a le plus besoin : la communauté des bailleurs et les institutions internationales doivent renouveler profondément leur approche, avec une vigilance toute particulière pour les Etats dont le développement est encore grevé par un cercle vicieux de pauvreté et d’instabilité politique.
Les « Etats fragiles » nécessitent avant tout un traitement particularisé, qui prenne en compte leurs besoins considérables et la spécificité des défis auxquels ils font face. Je salue l’action de la Banque actuellement au Sahel et l’encourage à la poursuivre. Plus spécifiquement, la France attend que la Banque se mobilise pour répondre à la crise alimentaire qui sévit dans cette région et offre une réponse régionale de moyen-long terme pour promouvoir la résilience du Sahel. A l’avenir, un cadre d’intervention spécifique aux Etats fragiles devra être développé, afin notamment de les intégrer dans un réseau d’échanges régionaux, et la Banque devra orienter l’usage de ses propres ressources, y compris humaines, en ce sens.
Je n’oublie pas que les pays à revenus intermédiaires font encore parfois face à des poches de pauvreté très importantes, ainsi qu’au défi du développement durable. Là aussi, l’approche de la Banque doit être adaptée, elle doit chercher à catalyser un développement économique plus inclusif et plus soucieux de l’environnement en proposant à ces pays des instruments adéquats, probablement moins concessionnels mais riches en transfert de connaissances.
L’atteinte de ces objectifs passera enfin par la mise en oeuvre et l’approfondissement des réformes internes initiées par la Banque. J’appelle toutes les branches du Groupe Banque Mondiale à renforcer leur collaboration pour en faire une véritable banque de développement universelle, offrant un éventail de solutions adaptées aux besoins et aux capacités des pays. Je pense en particulier à l’harmonisation des règles de passation de marché et à la diversification des modalités et conditions
d’intervention. La Banque devra également améliorer encore son efficacité : je suis très attaché à ce que la Banque partage les efforts que les administrations nationales s’imposent aujourd’hui, et il est donc essentiel que la gestion de la performance, la gestion budgétaire, et la gestion des ressources humaines fassent l’objet d’une grande attention.
Enfin, la Banque mondiale devra mieux intégrer les pays émergents, y compris dans leur rôle de nouveaux bailleurs qui transformera durablement les équilibres économiques globaux. Les pays émergents ont une expérience de développement spécifique riche d’enseignements pour les pays moins avancés. Cette implication des bailleurs émergents, naturellement, doit aller de pair avec la réforme de la gouvernance et notamment l’accroissement de leur représentation par la mise en oeuvre de la réforme « Voice ».

source http://www.tresor.economie.gouv.fr, le 17 octobre 2012