Entretien de M. Pascal Canfin, ministre du développement, dans "Le Nouvel Observateur" du 24 octobre 2012, sur l'aide française au développement.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Débat avec Bono, co-fondateur de l'organisation non gouvernementale «ONE»,publié dans l'hebdomadaire «Le Nouvel Observateur», le 24 octobre 2012

Média : Le Nouvel Observateur

Texte intégral

(...)
Le président de la République a fait le choix très fort de ne pas sacrifier la solidarité internationale au contexte de crise. Grâce à la taxe sur les transactions financières, que nous allons affecter à hauteur de 10% à l'aide au développement, notre capacité d'engagement pour financer des projets sera maintenue. Ce choix correspond à nos valeurs, mais aussi à notre intérêt, parce que le développement, c'est aussi la paix. On le voit par exemple au Sahel : la crise trouve son origine dans l'islamisme radical, mais aussi dans la pauvreté structurelle de cette région.
Q - L'aide publique au développement reste-t-elle la meilleure solution à apporter au sous-développement ? L'Afrique n'a-t-elle pas surtout besoin d'investissements et de fonds privés ?
R - Nous avons un combat commun avec One : les flux financiers qui partent des pays du Sud pour aller vers les paradis fiscaux représentent, selon les ONG, dix fois l'aide publique au développement. Donc, l'enjeu premier, ce n'est pas tant d'augmenter l'aide publique que de faire en sorte que les pays du Sud puissent collecter tous les impôts auxquels ils ont droit et mener eux-mêmes les politiques qu'ils souhaitent en matière d'éducation, de santé. Nous voulons donc que les paiements des multinationales vers les pays en développement soient transparents, dès lors qu'ils concernent les secteurs les plus exposés à la corruption et à l'évasion fiscale. Cela s'appelle l'Extractive Industries Transparency Initiative. L'Europe va, avant la fin de l'année, adopter une loi pour imposer cette transparence aux multinationales. Les États-Unis l'ont déjà fait et cela entrera en vigueur en 2013. La France est en pointe dans cette négociation. L'Europe ne peut pas faire moins que les États-Unis. La puissance médiatique de Bono peut faire bouger les lignes sur cette loi en Allemagne et au Royaume-Uni notamment.
Q - En signant les Objectifs du Millénaire pour le Développement à l'ONU, la France s'est engagée à porter son aide à 0,7% de son PM. Où en est-on ?
R - En 2013, nous en serons à 0,46% du PIB. Atteindre 0,7% reste l'objectif. Mais avant d'augmenter l'aide au développement, il faut mieux évaluer son efficacité. De ce point de vue, la France manque d'indicateurs. Elle est en retard sur le Royaume-Uni par exemple. Je suis ministre depuis quelques mois mais je n'ai pas de vision précise du nombre de vaccins que nous avons distribués, d'enfants que nous avons envoyés à l'école, de routes qu'on a construites avec l'argent du contribuable français. Il faut des indicateurs pour rendre l'aide plus lisible et de ce fait plus populaire, même dans un contexte de crise. Cette réflexion sera un des chantiers des assises du développement et de la solidarité internationale qui vont commencer début novembre et qui pourraient être conclues en mars par le président de la République.
(...)
Q - Combien rapportera la taxe sur les transactions financières ?
R - L'estimation est de 1,6 milliard d'euros. Nicolas Sarkozy avait prévu une taxe de 0,1% des transactions, ce gouvernement l'a passée à 0,2%. Nos prédécesseurs avaient choisi d'affecter la totalité de la recette à la réduction du déficit. Le président de la République a souhaité que 10% soient affectés au développement, soit 160 millions d'euros si les estimations sont bonnes. Onze États sont par ailleurs d'accord pour mettre en place une taxe européenne sur les transactions financières. Nous souhaitons qu'une partie soit aussi affectée à l'aide au développement. Mais nos voisins ne sont pas tous d'accord. Il va donc falloir se battre.
Q - La France contribue-t-elle suffisamment à la lutte contre le sida ?
(...)
R - Les Français sont les premiers donateurs au monde en matière de santé publique, pour la lutte contre le sida notamment. C'est un motif de fierté pour la France, d'autant que c'est un engagement de plusieurs gouvernements successifs. Unitaid, c'était le président Chirac. L'engagement pour le Fonds mondial à un tel niveau, c'était le président Sarkozy. Et François Hollande continuera.
Q - Le Sahel connaît toujours des famines à répétition. L'année dernière, la malnutrition a tué 2,4 millions d'enfants. Que faire ?
(...)
R - Sur le Sahel, notre philosophie est simple. Il n'y a pas de développement sans sécurité et pas de sécurité sans développement. Donc nous agissons sur les deux fronts. On essaie de ramener la sécurité notamment dans le nord du Mali : la diplomatie française est en pointe pour essayer d'aider l'ensemble des partenaires africains à trouver une solution.
Le deuxième pilier de notre action, c'est l'aide humanitaire et le développement. Nous contribuons au Programme alimentaire mondial soit en bilatéral soit par le biais de l'Union européenne. Nous avons aussi débloqué les premiers une aide contre les invasions de criquets qui menaçaient les récoltes. Selon la directrice du Programme alimentaire mondial, le pire a été évité. Nous devons continuer à aider cette région avec l'Union européenne, qui centralise l'aide des pays européens pour avoir un effet de levier plus fort. Mais nous devons nous soucier à la fois de ne pas déstabiliser les circuits de production agroalimentaires locaux et surtout d'aider au développement d'une agriculture durable qui résiste aux conséquences du dérèglement climatique, dramatique dans cette région.
Q - La présence chinoise en Afrique, toujours plus importante, est-elle compatible avec la transparence que vous préconisez ?
(...)
R - C'est vrai. Nous ne sommes plus dans un monde postcolonial où la France a des relations obligées avec les pays d'Afrique francophone. Pour tenir compte de cette nouvelle donne, nous avons modifié l'architecture institutionnelle du gouvernement : il n'y a plus de ministre de la coopération mais un ministre du développement à temps plein. Nous avons modernisé la façon dont nous abordons les questions africaines. Il y a les relations diplomatiques bilatérales qui sont traitées par l'Élysée et par le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius. Dans le ministère que j'occupe, il n'y a plus de mélange entre les relations bilatérales et les politiques de développement. Nous avons pris acte de cette évolution de l'Afrique comme un des acteurs de la mondialisation. Notre responsabilité est aussi de tirer cette mondialisation vers le haut. La France est le premier pays à soutenir l'initiative de la Banque mondiale, qui permettra aux États africains qui le souhaitent de bénéficier gratuitement des conseils de fiscalistes, d ‘avocats... pour négocier des contrats plus équitables avec les grandes compagnies (y compris les sociétés chinoises) concernant l'exploitation des ressources.
L'effet de levier peut être absolument colossal. Nous allons mettre 15 millions d'euros dans un fonds de 50 millions. Les royalties que ces contrats peuvent engendrer s'ils sont plus équitables peuvent se chiffrer en centaines de millions, voire en milliards d'euros !.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 octobre 2012