Texte intégral
Q - La ville de Durban accueille à partir de demain une conférence mondiale de l'ONU sur le racisme. C'est la première du genre. La délégation française est emmenée par le ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie, Charles Josselin.
Charles Josselin est avec nous ce soir. Dans ce genre de grand rendez-vous, il sort rarement des choses concrètes, qui plus est la réunion est difficile à préparer. Charles Josselin, que faut-il en attendre ?
R - C'est déjà en soi un événement qui aborde des questions tout à fait essentielles et la part que les médias, et je vous remercie d'ailleurs de celle que vous prenez, accordent à l'événement, par exemple, au caractère vivace du racisme, à l'actualité de certains comportements racistes ou des discriminations d'aujourd'hui, me paraît important. Alors il est vrai qu'on va y parler du passé. Ce n'est pas anormal qu'on exorcise le passé pour y gagner en mobilisation de l'opinion pour la lutte d'aujourd'hui. Et il est vrai aussi qu'il y a quelques questions plus particulières qui ont été, en quelque sorte, les aspérités de la préparation de cette conférence et c'est sur ces questions que la discussion va être un peu plus forte, un peu plus tendue.
Q - On le sent bien, ce qui va rendre effectivement les débats assez difficiles, et déjà dans la préparation, parce que la conférence ne s'ouvre que demain soir, avec la présence des Pays arabes qui veulent une condamnation vive, forte d'Israël, qui veulent que le sionisme soit assimilé à du racisme. Là, on entre dans un exercice diplomatique délicat pour tous les participants ?
R - Non, c'est un exercice dans lequel la France ne veut pas entrer. Il n'est pas question pour la France d'assimiler sionisme et racisme. C'est la position que nous avions eue déjà quand la question s'est posée il y a 25 ans et nous n'en avons pas changé. Il ne faut pas confondre. Mais on peut comprendre que les Pays arabes veuillent qu'on parle d'une situation au Moyen-Orient qui ne manque pas d'être préoccupante et qui est marquée par des violences dont sont victimes d'ailleurs les deux communautés. Mais l'une est particulièrement affectée.
Q - Charles Josselin, ne peut-on pas regretter aussi que les Américains n'aient pas envoyé sur place leur chef de la diplomatie, à savoir Colin Powell, car apparemment cela va être une sous-représentation américaine, toujours à cause de cette question de débat entre les Israéliens et les Palestiniens.
R - On me dit que l'intéressé est le premier à regretter de ne pas pouvoir représenter les Etats-Unis, lui qui est le premier responsable Noir à ce niveau de fonction. On a même failli ne pas avoir de présence américaine et cela aurait été très dommage. La France avait dit son regret de se présenter devant une telle situation.
Q - Durant cette conférence, la France veut mettre l'accent sur l'avenir. On dit, et vous l'avez dit vous-même, qu'il faut exorciser aussi le passé et c'est très légitime, mais on parle de la gêne des Européens à revenir sur leur passé colonial, sur les excès qu'il y a pu y avoir et que l'histoire a ancré dans ses pages.
R - Ecoutez, la France va à Durban avec plus de sérénité que d'autres. Nous avons derrière nous le vote à l'unanimité du Parlement en mai dernier d'une proposition de loi qui a reconnu que la Traite des esclaves était un crime contre l'humanité. C'est une revendication forte des Africains. La France, pour l'instant, est le seul pays à avoir posé cet acte et on peut espérer que d'autres nous suivent. Sur la question du colonialisme, il est clair que Durban est l'occasion de regarder en face ce passé-là.
Q - Et de l'esclavagisme aussi ?
R - Oui, l'esclavagisme aussi. Sur l'esclavagisme d'hier, la France a une position claire maintenant. Je ne pense pas que nous soyons interpellés par les Africains qui ont beaucoup apprécié que l'on aille jusque-là parce qu'ils le souhaitaient. Il est vrai que la France a les DOM-TOM, ce n'est pas rien quand on parle de notre passé et de l'esclavagisme. Mais s'agissant du colonialisme, on se dit que la question, évidemment, ce sont surtout les conséquences de celui-ci sur les économies des pays en développement. C'est une question qui est souvent posée. Il est clair aussi que ce colonialisme là a trouvé dans le racisme une part - sinon de son explication - mais, à la limite, de sa justification. Et on peut considérer que certains se sont plus volontiers déculpabilisés des violences qui ont accompagné la colonisation parce qu'il s'agissait d'autres peuples, c'est-à-dire d'un autre continent, cela est clair.
Le lien entre le racisme et le colonialisme, on peut l'établir de ce point de vue ; il y a un fil rouge entre les deux, c'est incontestable. Cela étant, puisque la question des réparations a été posée par certains, nous, nous disons ceci : identifier les victimes, les personnaliser, quantifier le dommage et le montant de la réparation, est susceptible de nourrir les cabinets d'expertises, des avocats internationaux qui ne demanderaient sans doute pas mieux d'avoir ce nouveau marché, si j'ose dire. Je ne suis pas sûr que ce soit la réponse. Nous pensons qu'il vaut mieux aller en direction d'un effort accru de la communauté internationale en direction du développement de la lutte contre la pauvreté, avec une raison particulière : c'est que la pauvreté nourrit la violence. L'inégalité également.
Q - Les pays du Sud envoient beaucoup de chefs d'Etat. Les pays du Nord envoient des ministres. N'est-ce pas dommage ?
R - Autorisez-moi cette observation : on peut tout de même faire quelque crédit aux ministres qui vont représenter leurs Etats. Ils auront pour certains d'entre eux, et j'en connais au moins un, étudié de manière très approfondie le dossier et, en ce qui me concerne, je l'ai fait, non seulement avec les fonctionnaires chargés de ces questions, mais aussi avec les ONG qui suivent de près ces dossiers.
Q - Mais vous auriez peut-être pu accompagner M. le chef du gouvernement, M. le chef d'Etat ?
R - On aurait pu souhaiter que le dialogue soit entre chefs d'Etat du Nord et du Sud. Ce n'est pas le cas. Mais j'espère que les ministres et les chefs d'Etat présents, qui sont assez nombreux à représenter les Etats du Sud, pourront faire du bon travail.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 août 2001)
Charles Josselin est avec nous ce soir. Dans ce genre de grand rendez-vous, il sort rarement des choses concrètes, qui plus est la réunion est difficile à préparer. Charles Josselin, que faut-il en attendre ?
R - C'est déjà en soi un événement qui aborde des questions tout à fait essentielles et la part que les médias, et je vous remercie d'ailleurs de celle que vous prenez, accordent à l'événement, par exemple, au caractère vivace du racisme, à l'actualité de certains comportements racistes ou des discriminations d'aujourd'hui, me paraît important. Alors il est vrai qu'on va y parler du passé. Ce n'est pas anormal qu'on exorcise le passé pour y gagner en mobilisation de l'opinion pour la lutte d'aujourd'hui. Et il est vrai aussi qu'il y a quelques questions plus particulières qui ont été, en quelque sorte, les aspérités de la préparation de cette conférence et c'est sur ces questions que la discussion va être un peu plus forte, un peu plus tendue.
Q - On le sent bien, ce qui va rendre effectivement les débats assez difficiles, et déjà dans la préparation, parce que la conférence ne s'ouvre que demain soir, avec la présence des Pays arabes qui veulent une condamnation vive, forte d'Israël, qui veulent que le sionisme soit assimilé à du racisme. Là, on entre dans un exercice diplomatique délicat pour tous les participants ?
R - Non, c'est un exercice dans lequel la France ne veut pas entrer. Il n'est pas question pour la France d'assimiler sionisme et racisme. C'est la position que nous avions eue déjà quand la question s'est posée il y a 25 ans et nous n'en avons pas changé. Il ne faut pas confondre. Mais on peut comprendre que les Pays arabes veuillent qu'on parle d'une situation au Moyen-Orient qui ne manque pas d'être préoccupante et qui est marquée par des violences dont sont victimes d'ailleurs les deux communautés. Mais l'une est particulièrement affectée.
Q - Charles Josselin, ne peut-on pas regretter aussi que les Américains n'aient pas envoyé sur place leur chef de la diplomatie, à savoir Colin Powell, car apparemment cela va être une sous-représentation américaine, toujours à cause de cette question de débat entre les Israéliens et les Palestiniens.
R - On me dit que l'intéressé est le premier à regretter de ne pas pouvoir représenter les Etats-Unis, lui qui est le premier responsable Noir à ce niveau de fonction. On a même failli ne pas avoir de présence américaine et cela aurait été très dommage. La France avait dit son regret de se présenter devant une telle situation.
Q - Durant cette conférence, la France veut mettre l'accent sur l'avenir. On dit, et vous l'avez dit vous-même, qu'il faut exorciser aussi le passé et c'est très légitime, mais on parle de la gêne des Européens à revenir sur leur passé colonial, sur les excès qu'il y a pu y avoir et que l'histoire a ancré dans ses pages.
R - Ecoutez, la France va à Durban avec plus de sérénité que d'autres. Nous avons derrière nous le vote à l'unanimité du Parlement en mai dernier d'une proposition de loi qui a reconnu que la Traite des esclaves était un crime contre l'humanité. C'est une revendication forte des Africains. La France, pour l'instant, est le seul pays à avoir posé cet acte et on peut espérer que d'autres nous suivent. Sur la question du colonialisme, il est clair que Durban est l'occasion de regarder en face ce passé-là.
Q - Et de l'esclavagisme aussi ?
R - Oui, l'esclavagisme aussi. Sur l'esclavagisme d'hier, la France a une position claire maintenant. Je ne pense pas que nous soyons interpellés par les Africains qui ont beaucoup apprécié que l'on aille jusque-là parce qu'ils le souhaitaient. Il est vrai que la France a les DOM-TOM, ce n'est pas rien quand on parle de notre passé et de l'esclavagisme. Mais s'agissant du colonialisme, on se dit que la question, évidemment, ce sont surtout les conséquences de celui-ci sur les économies des pays en développement. C'est une question qui est souvent posée. Il est clair aussi que ce colonialisme là a trouvé dans le racisme une part - sinon de son explication - mais, à la limite, de sa justification. Et on peut considérer que certains se sont plus volontiers déculpabilisés des violences qui ont accompagné la colonisation parce qu'il s'agissait d'autres peuples, c'est-à-dire d'un autre continent, cela est clair.
Le lien entre le racisme et le colonialisme, on peut l'établir de ce point de vue ; il y a un fil rouge entre les deux, c'est incontestable. Cela étant, puisque la question des réparations a été posée par certains, nous, nous disons ceci : identifier les victimes, les personnaliser, quantifier le dommage et le montant de la réparation, est susceptible de nourrir les cabinets d'expertises, des avocats internationaux qui ne demanderaient sans doute pas mieux d'avoir ce nouveau marché, si j'ose dire. Je ne suis pas sûr que ce soit la réponse. Nous pensons qu'il vaut mieux aller en direction d'un effort accru de la communauté internationale en direction du développement de la lutte contre la pauvreté, avec une raison particulière : c'est que la pauvreté nourrit la violence. L'inégalité également.
Q - Les pays du Sud envoient beaucoup de chefs d'Etat. Les pays du Nord envoient des ministres. N'est-ce pas dommage ?
R - Autorisez-moi cette observation : on peut tout de même faire quelque crédit aux ministres qui vont représenter leurs Etats. Ils auront pour certains d'entre eux, et j'en connais au moins un, étudié de manière très approfondie le dossier et, en ce qui me concerne, je l'ai fait, non seulement avec les fonctionnaires chargés de ces questions, mais aussi avec les ONG qui suivent de près ces dossiers.
Q - Mais vous auriez peut-être pu accompagner M. le chef du gouvernement, M. le chef d'Etat ?
R - On aurait pu souhaiter que le dialogue soit entre chefs d'Etat du Nord et du Sud. Ce n'est pas le cas. Mais j'espère que les ministres et les chefs d'Etat présents, qui sont assez nombreux à représenter les Etats du Sud, pourront faire du bon travail.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 août 2001)