Interview de M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, dans "El Pais" du 11 novembre 2012, sur les mesures gouvernementales pour réduire la dette de la France, améliorer sa compétitivité, et répondre aux demandes du FMI.

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Média : El Pais

Texte intégral

- Question. Le FMI exige de la France des réformes du marché du travail, des services, et une amélioration de sa compétitivité. Et il laisse entendre que, si cela n’est pas fait, vous serez la prochaine cible des marchés.
Réponse. Le rapport du FMI ne dit pas cela.
- Q. Mais il le suggère, et il évoque l’Italie et l’Espagne en qualité d’exemple….
R. Nous sommes très conscients que le monde attend que nous agissions. Nous l’avons fait en matière de sérieux budgétaire peu après notre arrivée au pouvoir. Et nous avons maintenant réagi avec un plan d’une grande envergure et avec détermination afin d’améliorer notre compétitivité. En rentrant du sommet du FMI et de la Banque mondiale à Tokyo, le fait que le monde attend trois choses de nous n’avait jamais été aussi clair pour moi : de la rigueur budgétaire, un agenda pour la croissance en Europe et l’amélioration de la compétitivité. Et nous travaillons sur ces trois points avec cohérence et courage.
- Q. Les symptômes de faiblesse de l’économie et de l’industrie française sont clairs. Craignez-vous que Moody’s rabaisse la qualification de la dette française ?
R. La France est un pays fort et puissant, nous restons la cinquième puissance dans le monde, nous avons de grands groupes qui sont des leaders mondiaux, une recherche que l’on admire et une image d’efficacité technologique. Mais il est vrai que nos chiffres de commerce extérieur sont mauvais, et que nous avons passé d’un excédent commercial (sans compter l’énergie) de 25 milliards il y a 10 ans à un déficit de 25 milliards cette année. Pendant ce temps, l’Allemagne, avec la même monnaie et la même crise, a des excédents. Il est évident que nous devions y réagir. Nous l’avons fait. Le Pacte de Compétitivité représente une avancée historique. J’ignore ce que fera Moody’s, mais nous avons confiance. Il est très important que la France continue de financer sa dette à de bons prix parce qu’un euro soustrait à la dette représente un euro pour l’emploi et pour l’investissement. Et nous sommes conscients que les taux n’ont pas bougé depuis des mois.
- Q. L’objectif de déficit de 3 % pour 2013 reste-t-il crédible ? Le FMI pense que la France ne connaîtra qu’une croissance de 0,4 % l’année prochaine, la moitié de ce que vous affirmez. Et la Commission pense la même chose.
R. Le Fonds affirme que notre sérieux en matière budgétaire n’est pas questionnable. Nous avons déjà coupé 7 milliards en 2012 et nous couperons 30 milliards en 2013, en partageant les efforts entre les entreprises, les foyers et l’Etat de façon équitable. Et même le récent rapport de Louis Gallois accepte que les entreprises collaborent à l’équilibre des comptes publics. Notre prévision de croissance de 0,8 % du PIB pour 2013 est la situation la plus réaliste parmi les optimistes. Il y a aussi des personnes qui pensent que nous entrerons en récession et ceux qui pensent que la croissance dépassera notre prévision. Nous maintenons ce chiffre, surtout si l’on tient compte des effets positifs que notre plan aura sur la croissance.
- Q. F. Hollande et vous-même parlez à la fois de croissance et de coupes. Sont-elles compatibles ?
R. Le chemin est étroit, mais nous devons avancer et nous le ferons. Nous voulons que le muscle de la croissance soit en Europe, et nous devons assurer en même temps notre crédibilité budgétaire afin de continuer de financer la dette au meilleur prix possible. Nous devons par ailleurs améliorer notre compétitivité pour renforcer notre tissu industriel.
- Q. Est-ce que vous le ferez à l’allemande ? Je dis cela parce que les critiques sont nombreuses de l’autre côté du Rhin.
R. Nous le ferons à la française. Nous avons avec l’Allemagne une relation où nous cherchons toujours à trouver des accords et, pour ce faire, la pondération et le respect sont nécessaires. Je n’ai toujours pas entendu de critique de la part de mon homologue allemand. Et moi-même, je ne commente pas ce qu’ils font de leur côté. Mais j’espère que dorénavant on ne dira plus que la France évite de faire des réformes structurelles, et que l’on acceptera que nous les fassions avec courage et ambition.
- Q. Certains pensent que l’axe franco-allemand connaît une crise. Est-ce vrai ?
R. De façon conjointe, depuis le mois de juin, nous avons ouvert une nouvelle voie pour l’Europe. Nous le faisons avec les institutions communes de l’Union européenne, avec tous nos partenaires, avec l’Espagne, avec l’Italie, avec l’Allemagne. Nous allons rester avec l’Allemagne sur le chemin de la réduction des déséquilibres budgétaires, et j’espère aussi, des déséquilibres macroéconomiques au sein de la zone euro, ainsi que dans la consolidation de la stabilité de la zone euro par le biais du plan de croissance et de l’union bancaire.
- Q. La France fera-t-elle une dévaluation interne de l’euro par le biais des salaires ?
R. La réforme du travail sera prête au début de l’année prochaine. C’est le sujet central d’une grande négociation sociale. Notre niveau d’ambition est élevé puisque nous avons décidé de faire face à toutes les causes de cette perte de compétitivité. Et nous attendons de la part des entreprises une attitude positive.
- Q. Terminons avec l’Espagne. Hollande et vous-même avez défendu pendant des mois la capitalisation directe des banques. Madrid est frustrée parce que l’Allemagne a freiné cette possibilité lors du dernier sommet. Que pouvez-vous dire aux Espagnols ?
R. Nous avons ouvert le chemin pour stabiliser la zone euro, cela est également dû aux efforts du peuple espagnol. En même temps, nous devons continuer d’ouvrir la voie de la croissance et de la solidarité. Nous y travaillons.
(Traduction : Ambassade de France en Espagne)
source http://ambafrance-es.org, le 15 novembre 2012