Interviews de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, à Europe 1 le 7 septembre 2001 et à France 2 le 10, sur la menace de dépôt de bilan chez Moulinex et la rentrée sociale.

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Média : Europe 1 - France 2 - Télévision

Texte intégral

Europe 1 Le 7 septembre 2001
- "Il faut se mettre à la place des gens que j'ai vus tout à l'heure ! Ils sont en colère, ils sont prêts à faire n'importe quoi parce qu'ils savent très bien qu'on ne peut pas demander à des gens qui ont 45 ans, qui travaillent depuis 15 ans dans cette entreprise - c'est-à-dire déjà quand elle avait des difficultés -, d'aller foutre le camp à 400 km d'ici ! Ce n'est pas vrai, ils n'accepteront plus !"
C. Pierret, le secrétaire d'Etat à l'Industrie, a cette semaine demandé aux entreprises française d'embaucher des salariés Moulinex. C'est quand même une démarche intéressante de la part du Gouvernement ?
- "Je croyais que c'était le rôle de l'ANPE. Ce qui est grave, c'est qu'à chaque fois qu'il y a un problème de cette nature, on ne mobilise pas tout ce qu'on peut de la part de l'Etat. Et tout naturellement, il aurait fallu, non pas simplement dire qu'on va essayer de reclasser les gens de Moulinex, mais dire qu'on va essayer de mettre en place une structure industrielle qui permettra encore de localiser et de maintenir une industrie à Alençon et une industrie au Mans."
Il y a quelques mois, FO a soutenu le rachat de Moulinex par Brandt. Vous avez donc une responsabilité dans cette catastrophe industrielle ?
- "Vous poussez un petit peu le ballon. Nous ne sommes pas en position de gestionnaires. Pour tout vous dire, quand nous sommes arrivés à ce point-là, demain, s'il y en a un autre qui se présente, il est fort probable que les copains diront qu'il vaut mieux ça que rien."
Qu'allez-vous faire ?
- "Ce que je vais faire ? Ca tombe parfaitement bien : à 15h00 cet après-midi, je vais voir madame Guigou. Je dois discuter avec elle, elle fait les consultations pour les heures supplémentaires pour les PME. Ma première question sera Moulinex. Que fait le Gouvernement avec Moulinex ?"
Il y a beaucoup de revendications...
- "Oui."
Il va falloir faire des priorités : Moulinex-Clermont, n'est-ce pas votre priorité ?
- "Mais Moulinex s'inscrit dans un problème qui est celui de l'emploi. C'est effectivement un moyen pour moi d'expliquer, de montrer les conséquences du libéralisme le plus absolu, de montrer qu'on ne respecte plus les salariés. C'est la raison pour laquelle nous lancerons quelque chose en septembre, vraisemblablement début octobre, et j'espère d'ailleurs que les autres organisations syndicales trouveront le moyen de nous rejoindre et que nous fassions quelque chose en commun. Il faut se faire entendre maintenant, parce que le débat politique va l'emporter sur tout le reste."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 11 septembre 2001)
France 2 - Le 10 septembre 2001
F. Laborde Nous allons parler rentrée sociale, une rentrée qui, pour l'instant, est plutôt calme. Cela va-t-il continuer ? Il y a quand même quelques sujets de préoccupation : d'abord l'affaire Moulinex, et puis aussi les discussions que vous avez eues, vendredi, avec E. Guigou sur les 35 heures. Sur ces deux dossiers, vous trouvez que cela ne va pas. C'est bien ce que vous avez dit au Gouvernement ?
- "C'est le dossier général du chômage. La tendance est mauvaise : elle se stabilise, ce n'est pas encore érodé, cela ne plonge pas encore, mais on craint que ce soit le cas. Trois mois, c'est une tendance marquée. Maintenant, on peut en tirer quelques analyses. Pour ma part, j'en tire plusieurs conclusions. La première est qu'il va falloir relancer la consommation pour soutenir la croissance ; la seconde est que les 35 heures n'ont pas donné le résultat escompté."
Vous faisiez partie de ceux qui, dès le début, ont été extrêmement sceptiques sur l'efficacité des 35 heures en termes de créations d'emplois ?
- "J'étais d'accord pour les 35 heures, mais je disais que cela ne créera pas automatiquement et arithmétiquement des emplois. Si on regarde un peu les choses maintenant, on se rend compte que sur les 7 millions de salariés qui bénéficient des 35 heures, il y a eu 360.000 créations d'emplois. Avec les PME-PMI, les 7 autres millions, on dit qu'on va faire des heures supplémentaires... Il n'y a pas d'autres solutions d'ailleurs, compte tenu que l'on gère à flux tendus. Quand il y a une activité qui fonctionne, on ne va quand même pas dire aux gens : "Ecoutez ! non, etc...." On est donc dans l'obligation de donner une respiration par des heures supplémentaires, mais cela n'aura pas d'effets sur l'emploi. Grosso modo, dans le privé, on va avoir 400.000 emplois qui vont être créés par les 35 heures. Et comme monsieur Jospin n'a pas caché que, pour la fonction publique, il fallait faire des gains de productivité, cela veut dire tout simplement que la situation de l'emploi, par des effets mécaniques, risque de s'essouffler. Il faut donc revenir sur un effet qui est un effet économique. L'effet économique est la relance de la consommation, c'est-à-dire l'augmentation des salaires. Et il y a moult raisons pour cela, d'autant plus que les 35 heures ont bloqué les salaires. Pour les 7 millions dont je parlais tout à l'heure, il y a eu modération salariale, d'autant plus que pour l'Etat, sauf erreur de ma part, monsieur Sapin a annoncé 1,3 pour 2002, 1,3 pour 2003 pour les fonctionnaires. Nous sommes déjà à 2,1 d'inflation avec l'arrivée de l'euro."
Qu'est-ce que cela veut dire ? Que vous allez demander aux fonctionnaires de se mobiliser ?
- "Mais c'est clair. Ce que j'essaye d'expliquer, morceau par morceau : c'est qu'il y a moult raisons de mobilisation. Vous ne fûtes pas de ceux qui ont vu le tract de F.O. "Prenez des forces pendant l'été" ? On a expliqué tout cela. Cela veut tout simplement dire que 2,1 d'inflation, si, comme nous le craignons et comme semblent le dire les associations de consommateurs, il y a déjà un effet de précaution en ce qui concerne l'euro, des gens qui se dépêchent en disant..."
Ils augmentent les prix en attendant...
- "...et puis qu'il va peut-être y avoir un effet mécanique avec les arrondis : on risque d'aller vers les 3 % d'inflation. On rentre dans les cycles dangereux. Là, ce n'est plus le cycle vertueux ! Cela veut dire qu'il va y avoir des problèmes énormes en matière salariale. Cela fait partie de mes préoccupations. En fait, elles sont multiples, les préoccupations à la rentrée, même si elles n'ont pas été complètement exposées. Avec les histoires comme Moulinex, on est bien obligé de dire qu'il faut que l'Etat reprenne en main - même si maintenant c'est plus difficile, parce qu'il y a de moins en moins de nationalisations, donc d'entreprises où l'Etat a de l'autorité - l'industrialisation des petites et moyennes localités. Ou alors, c'est une catastrophe."
Mais comment fait-on concrètement pour ré-industrialiser Alençon ?
- "Concrètement, on essaye de mettre une industrie de substitution. On aurait quand même eu le temps de s'y préparer. Chez Moulinex, cela fait 20 ans qu'on a des difficultés les unes sur les autres. Cela se réduisait comme une peau de chagrin. Il faut maintenir de l'industrie dans des petites et moyennes localités, ou c'est la désertification, ou demain, c'est la remise en cause de tout l'aménagement du territoire."
Mais comment fait-on ? On crée de la nouvelle technologie ?
- "Mais bien entendu, on essaye de la localiser. Il faut réveiller le CIRI - le Comité Interministériel pour les Restructurations Industrielles. Il ne faut pas simplement traiter le sujet comme a voulu le traiter monsieur Pierret. A posteriori, il fait de l'ANPE. Pardonnez-moi, il y a l'ANPE pour faire cela ! C'est avant qu'il faut traiter le sujet, c'est avant qu'il faut essayer de réveiller le CIRI, qu'il faut essayer de voir la DATAR. Il y a 20 ans, je suis intervenu à différentes reprises dans ce domaine. On a essayé de maintenir des activités. J'envisagerais volontiers - monsieur Fabius aurait pu le faire, puisqu'il avait un excédent budgétaire - de mettre de l'argent et un fonds d'investissement pour aider les entreprises industrielles à se localiser là où il y a des risques justement d'effritement. Un exemple type : Valéo, à Cahors - 320 personnes, deuxième entreprise du département du Lot. Il y a dix ans, on aurait dit à l'Aérospatiale : vous allez ouvrir un établissement à Cahors - 52 km de Toulouse - et on va essayer de reclasser ces gens-là, on va maintenir une industrie à Cahors."
Cela, on ne peut pas le faire à Alençon ?
- "Pourquoi ne peut-on pas le faire à Alençon ?"
On va demander à l'Aérospatiale de construire un centre à Alençon ?
- "Mais il faut regarder les possibilités industrielles. Sauf erreur de ma part, Laval est une ville qui s'est développée de manière très sensible sur les problèmes de haute technologie. Est-ce qu'il n'y avait pas des possibilités de sous-traitance ? Il fallait regarder les choses, étudier, ne pas attendre justement que cela devienne une catastrophe."
Le chômage a augmenté au cours des derniers mois. Est-ce que vous redoutez que ce soit une tendance lourde, en sachant que la croissance est moins importante que prévu ? Ou est-ce que vous pensez que cela peut se stabiliser ?
- "Je crains que nous nous stabilisions à une mauvaise donnée, c'est-à-dire qu'en fait, l'érosion du chômage, qui se faisait lentement mais progressivement, soit remise en cause. Je crains que d'ici peu, avec le chômage de septembre, on ne soit peut-être pas vers une remontée très importante, mais qu'il y ait une tendance, justement, où nous ne soyons plus à la descente, et cela, psychologiquement, peut être dramatique. C'est vrai à la fois pour les patrons et pour les demandeurs d'emploi. Et puis, peut-être faut-il faire une opération-vérité : on dit qu'il y a 2 millions et quelques demandeurs d'emploi. Moi je prétends qu'il y en a 4 ! Il y a 4 millions de personnes qui voudraient bien avoir un emploi permanent. Parce que qu'est-ce qu'il y a eu comme démultiplications d'emplois à temps partiel, de contrats à durée déterminée !"
Une toute dernière question : vous appelez à une journée nationale d'action, mais quand ?
- "Je vais à Besançon. Nous allons préparer cet après-midi les réunions pour demain, le 11 et le 12 septembre. C'est la réunion des unions départementales. J'ai un mandat de la commission exécutive pour proposer une action interprofessionnelle. J'espère que nous arriverons à la localiser au début du mois d'octobre. Je souhaite que les autres organisations qui sont d'accord avec nous sur les salaires, sur la retraite... Je vais vous dire l'objectif, symboliquement : obtenir de ceux qui vont être candidats aux élections des engagements sur lesquels ils ne pourront pas revenir. Exemple : que monsieur Chirac dise : "la retraite à 60 ans" ; que monsieur Jospin dise : "la retraite à 60 ans." Après, on fera tout pour la garder."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 11 septembre 2001)