Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Merci pour cette invitation. LAMF a choisi cette année de consacrer ses Entretiens au « financement de léconomie », un choix qui me paraît particulièrement judicieux à ce stade de la crise économique et financière très grave que traverse notre pays. Evidemment vous vous en doutez cest lun des axes clés de mon action à la tête du Ministère de lEconomie et des Finances, et cest aussi lun des leviers du Pacte de compétitivité et de croissance qui a été annoncé mardi 6 novembre par le Premier ministre et confirmé ce mardi 13 novembre par le Président de la République lors de sa conférence de presse. Le projet de loi de création de la Banque Publique dInvestissement, qui sera présenté au Parlement la semaine prochaine, et les réflexions en cours sur la fiscalité de lépargne, confiées aux parlementaires Karine Berger et Dominique Lefebvre, pour mieux orienter lépargne vers les financements à long terme, y contribueront également.
Mais je voudrais avant tout vous parler aujourdhui du projet de loi de réforme bancaire que je présenterai dans les prochaines semaines dont le Président de la République a souligné limportance lors de sa conférence de presse. Je le conçois comme un grand marqueur de laction gouvernementale en matière financière.
Jen prends lengagement ici, cela ne doit faire trembler personne et être un cap clair : il y aura bien un avant et un après la réforme. La retouche cosmétique, lajustement à la marge, les petits pas, ce nest pas ce que lon attend de nous : je souhaite que cette réforme imprime profondément le secteur, fasse référence en Europe - nous serons les premiers à agir après le rapport Liikanen - et refonde notre paysage financier pour les 20 prochaines années, en tout cas pour de nombreuses années, contre la spéculation et pour le financement de léconomie réelle.
Cette réforme obéira à lobjectif que jai toujours affiché, toujours poursuivi : restaurer une finance au service de léconomie, et non au service delle-même. Ce nest pas une mise en accusation, cest une perception que beaucoup peuvent avoir. A lissue dune phase très active de concertation, ce projet de loi sappuiera sur un diagnostic qui est simple, positif pour la profession et aussi lucide. Si le modèle de banque universelle a plutôt bien résisté, et même mieux résisté que dautres, la crise qui frappe la finance partout dans le monde depuis plusieurs années a mis en lumière trois carences fondamentales de nos systèmes financiers :
* une mauvaise appréciation des risques et je pense ici à la fois aux déficiences de certains établissement dans leur gestion des risques mais aussi aux difficultés pour les superviseurs didentifier, de comprendre et de prendre en compte lémergence de nouveaux risques. DEXIA - nous venons enfin de trouver une solution pour recapitaliser ce groupe - en est un parfait exemple;
* des procédures inefficaces de résolution des crises bancaires, au prix de difficultés qui ne se résument pas au fameux « too big to fail », puisque les problèmes ne sont pas venus de manière systématique des banques les plus grandes. Cest ce qui pousse la France à peser en Europe. De telles procédures auraient dailleurs été utiles dans le cas du CIF ;
* enfin une supervision très, trop axée sur le suivi du risque individuel de chaque établissement, et qui nappréhendait pas correctement les risques systémiques.
Pendant la campagne, François Hollande avait pris devant les Français lengagement de décourager la spéculation. La loi de réforme bancaire viendra matérialiser cette promesse, en apportant une réponse précise et exigeante à chacun des éléments du diagnostic que je viens dévoquer.
Elle poursuivra dans cette optique trois objectifs complémentaires, qui permettront dagir en amont, de manière préventive et structurelle, et en aval, en se donnant les moyens dintervenir efficacement dès quun problème surgit :
* le premier objectif est celui de la séparation des activités des banques utiles à linvestissement et à lemploi de leurs activités spéculatives. Il sagit de mettre en place une régulation a priori, qui permette de suivre les risques en temps réel et de réagir beaucoup plus rapidement ;
* le deuxième objectif est daméliorer les capacités des pouvoirs publics à intervenir dans la résolution des crises bancaires, tout en veillant à éviter que ce soit aux clients ou aux contribuables de payer pour les erreurs commises ici ou là et nous avons quelques exemples fameux ;
* le troisième objectif, enfin, est de répondre directement au besoin de régulation macro-prudentielle révélé par la crise, en dotant les pouvoirs publics des moyens de prendre des mesures pour limiter le développement de risques systémiques.
La loi de réforme bancaire mettra en loeuvre lengagement du Président de la République de séparer les activités spéculatives des activités utiles à léconomie.
Par un arsenal de normes sans précédent depuis la loi bancaire de 1984, elle mettra en oeuvre cet engagement de réformer la structure des banques, et donc dorganiser cette séparation. Elle comprendra par ailleurs plusieurs volets complémentaires en matière de surveillance des activités de marché, de gestion des crises bancaires et de renforcement des pouvoirs des autorités de supervision.
Sans entrer dès aujourdhui dans le détail des mesures, -elles sont encore en discussion et cest au Conseil des Ministres que nous en débâterons- je veux en restituer ici la philosophie et la cohérence.
1. Il sagit tout dabord de séparer les activités utiles à léconomie réelle des opérations spéculatives que les banques réalisent pour leur propre compte, à la fois pour circonscrire le risque, faciliter lintervention des pouvoirs publics en cas de crise et pour recentrer les banques sur ce qui doit être leur coeur de métier.
La loi de réforme bancaire prévoira une réforme de la structure des banques qui permettra didentifier, disoler et dencadrer strictement les activités spéculatives. Elle interdira donc aux banques de mener leurs activités de compte propre « pur », leur permettant de spéculer avec leur bilan, sauf à les cantonner ou les encadrer très sévèrement. Nous avons pris en compte toutes les législations similaires qui ont déjà pu être mises en chantier aux Etats-Unis, avec la règle de Volcker, et au Royaume-Uni, avec le rapport Vickers ; et notre projet reposera très largement sur une approche défendue par M. Erkki Liikanen, présent ce matin et que je tiens à saluer, dans un rapport récemment remis à la Commission européenne.
Concrètement, le projet de loi prévoit la constitution, au sein des groupes bancaires, dune filiale dédiée aux activités de marché qui ne sont pas nécessaires au financement de léconomie. Cette filiale sera soumise à une séparation stricte, et à des exigences prudentielles sévères. Elle se verra par ailleurs interdire de mener certaines activités spéculatives fortement critiquées, à juste titre, au premier rang desquelles la spéculation sur les dérivés de matières premières agricoles ou encore le trading à haute fréquence.
Ces réformes de structure saccompagneront dun renforcement de la surveillance des activités des marchés des banques dont lactivité sera strictement encadrée et soumise à lapprobation des autorités de supervision.
Comme je lai souvent dit, cette réforme exigeante ne portera pas atteinte, jy ai veillé et jy veillerai, ni au modèle français de banque universelle, qui a fait la démonstration de sa résistance face aux crises, ni aux activités qui sont nécessaires au financement de léconomie. Il ne faut de ce point de vue pas sous-estimer les besoins de plus en plus sophistiqués de nos entreprises en matière de financement et daccès aux marchés, mais tourner nos banques vers leurs clients, en particulier les PME et les ETI, pour leur offrir lensemble des services financiers dont ils ont besoin pour se développer, investir et embaucher. La large concertation menée par mes services, à ma demande expresse, et par les membres du conseil de régulation financière et du risque systémique (Corefris), ont fait apparaître certaines convergences de lensemble des acteurs mais ce sera a eux aussi de sexprimer - consommateurs, professionnels, syndicats - autour de ces principes. La loi bancaire les respectera, dans un esprit de consensus ; je men assurerai personnellement.
Ainsi, la réforme ne se veut pas « punitive » à lencontre des banques, mais elle doit les inciter à des changements, quelles ressentent elles-mêmes comme nécessaires, à faire ce quelles font de mieux, de plus utile, aussi : financer léconomie, toutes les entreprises comme tous les particuliers.
2. Cette réforme de structure ambitieuse sera complétée par un puissant régime de résolution bancaire, et par un renforcement de la surveillance du système financier dans son ensemble.
Je lai dit dans mon propos introductif : le rôle de lEtat et du contribuable nest pas de financer les banques en difficulté. Ce nest pas à lui de payer pour leur sauvetage. Les banques elles-mêmes doivent y contribuer. La loi de réforme bancaire proposera donc un puissant régime de résolution des crises bancaires, complément naturel de la réforme de structure dont je viens de parler : lun des principaux objectifs des réformes de structure, cest justement de faciliter lintervention des pouvoirs publics en cas de crise, et de permettre la distinction entre les activités utiles qui doivent être sauvées, le cas échéant, et celles pour lesquelles il ny a pas lieu de mobiliser largent du contribuable.
Ce régime de résolution, directement inspiré des recommandations du G20, reprendra lessentiel du projet de directive présenté par la Commission européenne en juin dernier. Il sappuiera sur trois dispositions :
* La mise en place de plans de résolution dans chaque banque, décrivant ex ante comment préparer lintervention des pouvoirs publics en cas durgence, pour organiser une résolution ordonnée.
* un renforcement des instruments et des compétences de lACP, qui sera désignée comme autorité de résolution.
* enfin, la loi dira, principe fondamental, que cest aux banques elles-mêmes de payer pour leurs erreurs lorsquelles se produisent et pas aux déposants ni aux contribuables.
La résolution des crises bancaires est lun des trois piliers de lunion bancaire européenne que la France pousse actuellement avec la plus grande force auprès de ses partenaires. Nous avons donc décidé de ne pas attendre que les textes européens soient adoptés pour nous doter de ces instruments utiles. Anticiper, cela peut être une bonne chose. Nous y sommes prêts et la France doit montrer la voie, lexemple. On peut rétrospectivement se dire que ces instruments auraient pu permettre de faciliter le traitement de certaines faillites bancaires dans notre propre pays, dont nous avons hérité, dont nous tirons encore les conséquences - y compris dans le PLFR que jai présenté hier et que le contribuable assume.
3. Enfin, au-delà des aspects naturellement complémentaires de la séparation des activités bancaires et de la résolution des crises, le projet de loi proposera un renforcement de la surveillance du système financier dans son ensemble. La loi de réforme bancaire proposera de créer une autorité macro- prudentielle dont la mission sera de suivre le développement des risques à léchelle du système bancaire, et non pas dun seul établissement. Elle sera elle aussi dotée de pouvoirs dintervention extensifs.
Nous préparons également un volet - parce que cest important - sur la banque de détail. La réforme bancaire visera aussi à faciliter laccès des Français, les entreprises et les particuliers, à des services financiers de qualité et au meilleur coût. Lattention des banques à légard du client - cest leur métier, cest ce quelles font de bien- et le souci des clientèles les plus fragiles - nous devons toujours garder en mémoire quil est fondamental - guideront ici les inflexions que je souhaite impulser, et sur lesquelles je reviendrai début décembre.
Voici, mesdames et messieurs, léquilibre du texte que le gouvernement entend présenter au Parlement à la fin de cette année. Il séparera les activités spéculatives des activités utiles au financement de léconomie réelle, il protégera les dépôts des épargnants, il facilitera les interventions publiques en cas de crise financière, et il préservera le modèle de banque universel auquel nous sommes attachés et qui a fait la preuve de ses performances. Il sagit de mettre en oeuvre lengagement pris par le Président de la République il y a quelques jours.
Jajoute quil faut bien sûr étendre et approfondir cet effort bien au-delà des banques et de leurs activités de marché pour réguler lensemble du secteur financier.
Outre la loi de réforme bancaire, une régulation effective des activités de marché et des nouveaux acteurs qui y interviennent est indispensable.
Je ferai preuve au niveau européen, et cest déjà le cas, de la même volonté en défendant une position très ferme sur la directive sur les Marchés dInstruments Financiers (MIF)
Nous assistons en effet, depuis le début des années 2000, à un recul très préjudiciable de la transparence et de lefficacité de la régulation des marchés de capitaux. L'ampleur des mutations technologiques, les aléas insuffisamment maîtrisés de linnovation financière, lessor despaces de négociation non transparents, le poids croissant dacteurs qui ne sont pas intéressés par le développement économique mais qui sont uniquement guidés par le profit immédiat quils peuvent retirer dun arbitrage entre lieux de négociation, affectent profondément la stabilité des marchés mais aussi limage du secteur financier dans son ensemble. Cette image, jy suis attaché tout comme vous. Je suis conscient que nous demandons là un effort, que des mutations se produisent. La crise a, jen ai la conviction, entraîné une défiance extrêmement profonde, voire sur un véritable divorce entre léconomie et la finance. Cest cela qui justifie dintervenir. Mais cela justifie que nous demandions un effort auquel des mutations sont attachées. Nous devons les produire ensemble. Pour nous tous nous devons reconstruire ce rapport entre léconomie et la finances et rétablir la confiance. Cest de cela dont il est question dans ce projet.
Cest pourquoi je défends auprès de nos partenaires européens, dans le cadre des négociations en cours, une position dune grande fermeté, prolongement logique du volontarisme dont nous faisons preuve en France. Je mimplique personnellement dans les négociations européennes difficiles pour que la régulation et la transparence sappliquent effectivement sur lensemble des marchés financiers. Leffort de régulation doit donc porter sur toutes les dimensions : les banques, bien sûr, qui interviennent sur les marchés obligataires et les marchés de dérivés, mais aussi les traders à haute fréquence et les acteurs sur les marchés des matières premières. Jen ai parlé tout à lheure. Je veillerai aussi à ce que les règles supportées par les banques ne soient pas contournées par de nouveaux acteurs. Vous avez débattu ce matin du shadow banking. Quelle que soit lintelligence et lambition des règles que nous élaborons pour les banques, elles échoueront à remplir leurs objectifs si elles laissent dautres acteurs prospérer à la marge en tirant profit des béances de la régulation. Vous ne le voulez pas, nous ne laccepteront pas ensemble.
La ligne que je défends sur ce point est dune limpidité absolue : partout où les négociations se déroulent je pense au G20, et surtout aux instances communautaires partout notre position sera la même : fixer des règles pour le système bancaire parallèle afin de colmater les brèches de la régulation existante.
Enfin, je ne vais pas développer ce point mais les réformes du secteur financier sont évidemment en lien étroit et direct avec les progrès que nous réalisons, avec nos partenaires européens, pour parvenir à sortir de la crise de la zone euro, qui suppose la création dune véritable union bancaire. Cest ce à quoi nous travaillons, cest sur quoi se sont penchés lEurogroupe et le dernier conseil Ecofin. Lobjectif de la France cest de faire en sorte que dici la fin de cette année, nous ayons pu résoudre définitivement la question grecque qui empoisonne la situation de lUnion européenne depuis deux ans. Avancer sur dautres situations nationales et jeter les bases dun texte ambitieux sur lunion bancaire.
Voilà, les dispositions clefs de ce projet en particulier en matière de résolution des crises bancaires, sur tous les sujets la France veut à sa place contribuer à trouver des solutions et quand elle le peut , ouvrir la voie, engager tous ses partenaires dans ce mouvement crucial pour lavenir de lEurope.
Voilà, Mesdames et Messieurs, les principaux axes suivant lesquels jentends déployer rapidement notre action en matière financière.
« Il faut oser ou se résigner à tout », nous avertissait Tite-Live. Avec la loi de réforme bancaire comme avec le Pacte pour la compétitivité qui en réalité nen nest pas disjoint car le financement de léconomie est essentiel à lamélioration de celle-ci. Je crois que nous avons clairement tranché pour laction, tranché pour la transformation de notre économie. Notre objectif, quil sagisse de léconomie réelle ou secteur financier cest de conforter nos points forts, cest de maîtriser les risques, cest de bâtir des règles qui soient acceptables par tous, qui puissent rassembler, qui puissent faire avancer. Pour ma part, je nentends pas faire dériver de la ligne qui est la mienne qui est celle de la régulation en même temps celle de la réconciliation de la finance avec léconomie. Cest la protection des déposants et des contribuables, cest le rôle du ministre. Nous devons le faire ensemble et il ne faut pas quil y ait de ce point de vue là un quelconque antagonisme.
Partout où ce sera possible, et ceux qui sont mes interlocuteurs le savent, ils connaissent la méthode que jai adopté, celle dune concertation et de lélaboration à travers le COREFRIS, partout je privilégierai le consensus, car mon rôle - et jy ai veillé en faisant en sorte quil sagisse dune séparation des activités et non pas dune remise en cause du modèle de banque universelle, - nest pas de déstabiliser le secteur dont jai la charge, cest de piloter avec leurs acteurs les mutations que je crois nécessaires, que les Français sentent nécessaires et qui sont par ailleurs impulsées à léchelle européenne. Jai déjà dit publiquement quil nétait pas question de remettre en cause les banques en tant que telles. Cela peut me valoir ici ou là quelques critiques. Mais je le redis ici, je noublie pas que la banque a une activité fondamentalement utile à léconomie et quil y a aussi là une industrie qui emploie et doit être soutenue et respectée. Les banques jouent un rôle essentiel pour les financements de notre économie. Cette recherche du consensus sincarnera, dans un cycle déchanges que jorganiserai dici fin décembre avec lensemble des acteurs concernés qui ont déjà eux-mêmes été consultés dans le cadre du COREFRIS, syndicats, banques, consommateurs et entreprises - pour présenter la réforme, et qui constituera un pendant naturel aux concertations intensives organisées en amont de la présentation ou de la préparation du texte.
Je compte sur votre participation et jespère que vous vous réunirez autour de cette loi bancaire. Elle implique des mutations, et toute mutation suscite forcément dabord un réflexe dinterrogation voire dinquiétude, cela est naturel. Cette reforme est faite dans lintérêt même du secteur financier, dans lintérêt de sa protection, dans lintérêt de son image, dans lintérêt également de cette réconciliation que je souhaite entre les banques et les Français. Elle vous permettra, je crois, cette loi bancaire, ambitieuse et rigoureuse, de redoubler deffort pour faire ce que vous savez admirablement faire, servir vos clients, tous vos clients et financer notre économie, à un moment crucial de son histoire. Cest lesprit même du Pacte pour la compétitivité que le gouvernement a proposé aux partenaires sociaux. Et jentends bien que le secteur financier, que vous représentez, et que moi je veux écouter, entendre, réformer aussi, y prenne toute sa place.
Je vous remercie.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 21 novembre 2012
Merci pour cette invitation. LAMF a choisi cette année de consacrer ses Entretiens au « financement de léconomie », un choix qui me paraît particulièrement judicieux à ce stade de la crise économique et financière très grave que traverse notre pays. Evidemment vous vous en doutez cest lun des axes clés de mon action à la tête du Ministère de lEconomie et des Finances, et cest aussi lun des leviers du Pacte de compétitivité et de croissance qui a été annoncé mardi 6 novembre par le Premier ministre et confirmé ce mardi 13 novembre par le Président de la République lors de sa conférence de presse. Le projet de loi de création de la Banque Publique dInvestissement, qui sera présenté au Parlement la semaine prochaine, et les réflexions en cours sur la fiscalité de lépargne, confiées aux parlementaires Karine Berger et Dominique Lefebvre, pour mieux orienter lépargne vers les financements à long terme, y contribueront également.
Mais je voudrais avant tout vous parler aujourdhui du projet de loi de réforme bancaire que je présenterai dans les prochaines semaines dont le Président de la République a souligné limportance lors de sa conférence de presse. Je le conçois comme un grand marqueur de laction gouvernementale en matière financière.
Jen prends lengagement ici, cela ne doit faire trembler personne et être un cap clair : il y aura bien un avant et un après la réforme. La retouche cosmétique, lajustement à la marge, les petits pas, ce nest pas ce que lon attend de nous : je souhaite que cette réforme imprime profondément le secteur, fasse référence en Europe - nous serons les premiers à agir après le rapport Liikanen - et refonde notre paysage financier pour les 20 prochaines années, en tout cas pour de nombreuses années, contre la spéculation et pour le financement de léconomie réelle.
Cette réforme obéira à lobjectif que jai toujours affiché, toujours poursuivi : restaurer une finance au service de léconomie, et non au service delle-même. Ce nest pas une mise en accusation, cest une perception que beaucoup peuvent avoir. A lissue dune phase très active de concertation, ce projet de loi sappuiera sur un diagnostic qui est simple, positif pour la profession et aussi lucide. Si le modèle de banque universelle a plutôt bien résisté, et même mieux résisté que dautres, la crise qui frappe la finance partout dans le monde depuis plusieurs années a mis en lumière trois carences fondamentales de nos systèmes financiers :
* une mauvaise appréciation des risques et je pense ici à la fois aux déficiences de certains établissement dans leur gestion des risques mais aussi aux difficultés pour les superviseurs didentifier, de comprendre et de prendre en compte lémergence de nouveaux risques. DEXIA - nous venons enfin de trouver une solution pour recapitaliser ce groupe - en est un parfait exemple;
* des procédures inefficaces de résolution des crises bancaires, au prix de difficultés qui ne se résument pas au fameux « too big to fail », puisque les problèmes ne sont pas venus de manière systématique des banques les plus grandes. Cest ce qui pousse la France à peser en Europe. De telles procédures auraient dailleurs été utiles dans le cas du CIF ;
* enfin une supervision très, trop axée sur le suivi du risque individuel de chaque établissement, et qui nappréhendait pas correctement les risques systémiques.
Pendant la campagne, François Hollande avait pris devant les Français lengagement de décourager la spéculation. La loi de réforme bancaire viendra matérialiser cette promesse, en apportant une réponse précise et exigeante à chacun des éléments du diagnostic que je viens dévoquer.
Elle poursuivra dans cette optique trois objectifs complémentaires, qui permettront dagir en amont, de manière préventive et structurelle, et en aval, en se donnant les moyens dintervenir efficacement dès quun problème surgit :
* le premier objectif est celui de la séparation des activités des banques utiles à linvestissement et à lemploi de leurs activités spéculatives. Il sagit de mettre en place une régulation a priori, qui permette de suivre les risques en temps réel et de réagir beaucoup plus rapidement ;
* le deuxième objectif est daméliorer les capacités des pouvoirs publics à intervenir dans la résolution des crises bancaires, tout en veillant à éviter que ce soit aux clients ou aux contribuables de payer pour les erreurs commises ici ou là et nous avons quelques exemples fameux ;
* le troisième objectif, enfin, est de répondre directement au besoin de régulation macro-prudentielle révélé par la crise, en dotant les pouvoirs publics des moyens de prendre des mesures pour limiter le développement de risques systémiques.
La loi de réforme bancaire mettra en loeuvre lengagement du Président de la République de séparer les activités spéculatives des activités utiles à léconomie.
Par un arsenal de normes sans précédent depuis la loi bancaire de 1984, elle mettra en oeuvre cet engagement de réformer la structure des banques, et donc dorganiser cette séparation. Elle comprendra par ailleurs plusieurs volets complémentaires en matière de surveillance des activités de marché, de gestion des crises bancaires et de renforcement des pouvoirs des autorités de supervision.
Sans entrer dès aujourdhui dans le détail des mesures, -elles sont encore en discussion et cest au Conseil des Ministres que nous en débâterons- je veux en restituer ici la philosophie et la cohérence.
1. Il sagit tout dabord de séparer les activités utiles à léconomie réelle des opérations spéculatives que les banques réalisent pour leur propre compte, à la fois pour circonscrire le risque, faciliter lintervention des pouvoirs publics en cas de crise et pour recentrer les banques sur ce qui doit être leur coeur de métier.
La loi de réforme bancaire prévoira une réforme de la structure des banques qui permettra didentifier, disoler et dencadrer strictement les activités spéculatives. Elle interdira donc aux banques de mener leurs activités de compte propre « pur », leur permettant de spéculer avec leur bilan, sauf à les cantonner ou les encadrer très sévèrement. Nous avons pris en compte toutes les législations similaires qui ont déjà pu être mises en chantier aux Etats-Unis, avec la règle de Volcker, et au Royaume-Uni, avec le rapport Vickers ; et notre projet reposera très largement sur une approche défendue par M. Erkki Liikanen, présent ce matin et que je tiens à saluer, dans un rapport récemment remis à la Commission européenne.
Concrètement, le projet de loi prévoit la constitution, au sein des groupes bancaires, dune filiale dédiée aux activités de marché qui ne sont pas nécessaires au financement de léconomie. Cette filiale sera soumise à une séparation stricte, et à des exigences prudentielles sévères. Elle se verra par ailleurs interdire de mener certaines activités spéculatives fortement critiquées, à juste titre, au premier rang desquelles la spéculation sur les dérivés de matières premières agricoles ou encore le trading à haute fréquence.
Ces réformes de structure saccompagneront dun renforcement de la surveillance des activités des marchés des banques dont lactivité sera strictement encadrée et soumise à lapprobation des autorités de supervision.
Comme je lai souvent dit, cette réforme exigeante ne portera pas atteinte, jy ai veillé et jy veillerai, ni au modèle français de banque universelle, qui a fait la démonstration de sa résistance face aux crises, ni aux activités qui sont nécessaires au financement de léconomie. Il ne faut de ce point de vue pas sous-estimer les besoins de plus en plus sophistiqués de nos entreprises en matière de financement et daccès aux marchés, mais tourner nos banques vers leurs clients, en particulier les PME et les ETI, pour leur offrir lensemble des services financiers dont ils ont besoin pour se développer, investir et embaucher. La large concertation menée par mes services, à ma demande expresse, et par les membres du conseil de régulation financière et du risque systémique (Corefris), ont fait apparaître certaines convergences de lensemble des acteurs mais ce sera a eux aussi de sexprimer - consommateurs, professionnels, syndicats - autour de ces principes. La loi bancaire les respectera, dans un esprit de consensus ; je men assurerai personnellement.
Ainsi, la réforme ne se veut pas « punitive » à lencontre des banques, mais elle doit les inciter à des changements, quelles ressentent elles-mêmes comme nécessaires, à faire ce quelles font de mieux, de plus utile, aussi : financer léconomie, toutes les entreprises comme tous les particuliers.
2. Cette réforme de structure ambitieuse sera complétée par un puissant régime de résolution bancaire, et par un renforcement de la surveillance du système financier dans son ensemble.
Je lai dit dans mon propos introductif : le rôle de lEtat et du contribuable nest pas de financer les banques en difficulté. Ce nest pas à lui de payer pour leur sauvetage. Les banques elles-mêmes doivent y contribuer. La loi de réforme bancaire proposera donc un puissant régime de résolution des crises bancaires, complément naturel de la réforme de structure dont je viens de parler : lun des principaux objectifs des réformes de structure, cest justement de faciliter lintervention des pouvoirs publics en cas de crise, et de permettre la distinction entre les activités utiles qui doivent être sauvées, le cas échéant, et celles pour lesquelles il ny a pas lieu de mobiliser largent du contribuable.
Ce régime de résolution, directement inspiré des recommandations du G20, reprendra lessentiel du projet de directive présenté par la Commission européenne en juin dernier. Il sappuiera sur trois dispositions :
* La mise en place de plans de résolution dans chaque banque, décrivant ex ante comment préparer lintervention des pouvoirs publics en cas durgence, pour organiser une résolution ordonnée.
* un renforcement des instruments et des compétences de lACP, qui sera désignée comme autorité de résolution.
* enfin, la loi dira, principe fondamental, que cest aux banques elles-mêmes de payer pour leurs erreurs lorsquelles se produisent et pas aux déposants ni aux contribuables.
La résolution des crises bancaires est lun des trois piliers de lunion bancaire européenne que la France pousse actuellement avec la plus grande force auprès de ses partenaires. Nous avons donc décidé de ne pas attendre que les textes européens soient adoptés pour nous doter de ces instruments utiles. Anticiper, cela peut être une bonne chose. Nous y sommes prêts et la France doit montrer la voie, lexemple. On peut rétrospectivement se dire que ces instruments auraient pu permettre de faciliter le traitement de certaines faillites bancaires dans notre propre pays, dont nous avons hérité, dont nous tirons encore les conséquences - y compris dans le PLFR que jai présenté hier et que le contribuable assume.
3. Enfin, au-delà des aspects naturellement complémentaires de la séparation des activités bancaires et de la résolution des crises, le projet de loi proposera un renforcement de la surveillance du système financier dans son ensemble. La loi de réforme bancaire proposera de créer une autorité macro- prudentielle dont la mission sera de suivre le développement des risques à léchelle du système bancaire, et non pas dun seul établissement. Elle sera elle aussi dotée de pouvoirs dintervention extensifs.
Nous préparons également un volet - parce que cest important - sur la banque de détail. La réforme bancaire visera aussi à faciliter laccès des Français, les entreprises et les particuliers, à des services financiers de qualité et au meilleur coût. Lattention des banques à légard du client - cest leur métier, cest ce quelles font de bien- et le souci des clientèles les plus fragiles - nous devons toujours garder en mémoire quil est fondamental - guideront ici les inflexions que je souhaite impulser, et sur lesquelles je reviendrai début décembre.
Voici, mesdames et messieurs, léquilibre du texte que le gouvernement entend présenter au Parlement à la fin de cette année. Il séparera les activités spéculatives des activités utiles au financement de léconomie réelle, il protégera les dépôts des épargnants, il facilitera les interventions publiques en cas de crise financière, et il préservera le modèle de banque universel auquel nous sommes attachés et qui a fait la preuve de ses performances. Il sagit de mettre en oeuvre lengagement pris par le Président de la République il y a quelques jours.
Jajoute quil faut bien sûr étendre et approfondir cet effort bien au-delà des banques et de leurs activités de marché pour réguler lensemble du secteur financier.
Outre la loi de réforme bancaire, une régulation effective des activités de marché et des nouveaux acteurs qui y interviennent est indispensable.
Je ferai preuve au niveau européen, et cest déjà le cas, de la même volonté en défendant une position très ferme sur la directive sur les Marchés dInstruments Financiers (MIF)
Nous assistons en effet, depuis le début des années 2000, à un recul très préjudiciable de la transparence et de lefficacité de la régulation des marchés de capitaux. L'ampleur des mutations technologiques, les aléas insuffisamment maîtrisés de linnovation financière, lessor despaces de négociation non transparents, le poids croissant dacteurs qui ne sont pas intéressés par le développement économique mais qui sont uniquement guidés par le profit immédiat quils peuvent retirer dun arbitrage entre lieux de négociation, affectent profondément la stabilité des marchés mais aussi limage du secteur financier dans son ensemble. Cette image, jy suis attaché tout comme vous. Je suis conscient que nous demandons là un effort, que des mutations se produisent. La crise a, jen ai la conviction, entraîné une défiance extrêmement profonde, voire sur un véritable divorce entre léconomie et la finance. Cest cela qui justifie dintervenir. Mais cela justifie que nous demandions un effort auquel des mutations sont attachées. Nous devons les produire ensemble. Pour nous tous nous devons reconstruire ce rapport entre léconomie et la finances et rétablir la confiance. Cest de cela dont il est question dans ce projet.
Cest pourquoi je défends auprès de nos partenaires européens, dans le cadre des négociations en cours, une position dune grande fermeté, prolongement logique du volontarisme dont nous faisons preuve en France. Je mimplique personnellement dans les négociations européennes difficiles pour que la régulation et la transparence sappliquent effectivement sur lensemble des marchés financiers. Leffort de régulation doit donc porter sur toutes les dimensions : les banques, bien sûr, qui interviennent sur les marchés obligataires et les marchés de dérivés, mais aussi les traders à haute fréquence et les acteurs sur les marchés des matières premières. Jen ai parlé tout à lheure. Je veillerai aussi à ce que les règles supportées par les banques ne soient pas contournées par de nouveaux acteurs. Vous avez débattu ce matin du shadow banking. Quelle que soit lintelligence et lambition des règles que nous élaborons pour les banques, elles échoueront à remplir leurs objectifs si elles laissent dautres acteurs prospérer à la marge en tirant profit des béances de la régulation. Vous ne le voulez pas, nous ne laccepteront pas ensemble.
La ligne que je défends sur ce point est dune limpidité absolue : partout où les négociations se déroulent je pense au G20, et surtout aux instances communautaires partout notre position sera la même : fixer des règles pour le système bancaire parallèle afin de colmater les brèches de la régulation existante.
Enfin, je ne vais pas développer ce point mais les réformes du secteur financier sont évidemment en lien étroit et direct avec les progrès que nous réalisons, avec nos partenaires européens, pour parvenir à sortir de la crise de la zone euro, qui suppose la création dune véritable union bancaire. Cest ce à quoi nous travaillons, cest sur quoi se sont penchés lEurogroupe et le dernier conseil Ecofin. Lobjectif de la France cest de faire en sorte que dici la fin de cette année, nous ayons pu résoudre définitivement la question grecque qui empoisonne la situation de lUnion européenne depuis deux ans. Avancer sur dautres situations nationales et jeter les bases dun texte ambitieux sur lunion bancaire.
Voilà, les dispositions clefs de ce projet en particulier en matière de résolution des crises bancaires, sur tous les sujets la France veut à sa place contribuer à trouver des solutions et quand elle le peut , ouvrir la voie, engager tous ses partenaires dans ce mouvement crucial pour lavenir de lEurope.
Voilà, Mesdames et Messieurs, les principaux axes suivant lesquels jentends déployer rapidement notre action en matière financière.
« Il faut oser ou se résigner à tout », nous avertissait Tite-Live. Avec la loi de réforme bancaire comme avec le Pacte pour la compétitivité qui en réalité nen nest pas disjoint car le financement de léconomie est essentiel à lamélioration de celle-ci. Je crois que nous avons clairement tranché pour laction, tranché pour la transformation de notre économie. Notre objectif, quil sagisse de léconomie réelle ou secteur financier cest de conforter nos points forts, cest de maîtriser les risques, cest de bâtir des règles qui soient acceptables par tous, qui puissent rassembler, qui puissent faire avancer. Pour ma part, je nentends pas faire dériver de la ligne qui est la mienne qui est celle de la régulation en même temps celle de la réconciliation de la finance avec léconomie. Cest la protection des déposants et des contribuables, cest le rôle du ministre. Nous devons le faire ensemble et il ne faut pas quil y ait de ce point de vue là un quelconque antagonisme.
Partout où ce sera possible, et ceux qui sont mes interlocuteurs le savent, ils connaissent la méthode que jai adopté, celle dune concertation et de lélaboration à travers le COREFRIS, partout je privilégierai le consensus, car mon rôle - et jy ai veillé en faisant en sorte quil sagisse dune séparation des activités et non pas dune remise en cause du modèle de banque universelle, - nest pas de déstabiliser le secteur dont jai la charge, cest de piloter avec leurs acteurs les mutations que je crois nécessaires, que les Français sentent nécessaires et qui sont par ailleurs impulsées à léchelle européenne. Jai déjà dit publiquement quil nétait pas question de remettre en cause les banques en tant que telles. Cela peut me valoir ici ou là quelques critiques. Mais je le redis ici, je noublie pas que la banque a une activité fondamentalement utile à léconomie et quil y a aussi là une industrie qui emploie et doit être soutenue et respectée. Les banques jouent un rôle essentiel pour les financements de notre économie. Cette recherche du consensus sincarnera, dans un cycle déchanges que jorganiserai dici fin décembre avec lensemble des acteurs concernés qui ont déjà eux-mêmes été consultés dans le cadre du COREFRIS, syndicats, banques, consommateurs et entreprises - pour présenter la réforme, et qui constituera un pendant naturel aux concertations intensives organisées en amont de la présentation ou de la préparation du texte.
Je compte sur votre participation et jespère que vous vous réunirez autour de cette loi bancaire. Elle implique des mutations, et toute mutation suscite forcément dabord un réflexe dinterrogation voire dinquiétude, cela est naturel. Cette reforme est faite dans lintérêt même du secteur financier, dans lintérêt de sa protection, dans lintérêt de son image, dans lintérêt également de cette réconciliation que je souhaite entre les banques et les Français. Elle vous permettra, je crois, cette loi bancaire, ambitieuse et rigoureuse, de redoubler deffort pour faire ce que vous savez admirablement faire, servir vos clients, tous vos clients et financer notre économie, à un moment crucial de son histoire. Cest lesprit même du Pacte pour la compétitivité que le gouvernement a proposé aux partenaires sociaux. Et jentends bien que le secteur financier, que vous représentez, et que moi je veux écouter, entendre, réformer aussi, y prenne toute sa place.
Je vous remercie.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 21 novembre 2012