Déclaration de Mme Yamina Benguigui, ministre de la francophonie, sur la Francophonie et sur les relations franco-tunisiennes, à Tunis le 19 novembre 2012.

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Circonstance : Déplacement à Tunis, les 19 et 20 novembre 2012

Texte intégral


Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Je suis très heureuse de me retrouver parmi vous ce soir et particulièrement honorée d’être là au nom de la France, alors que se dessine actuellement le visage de cette Tunisie nouvelle.
Je dis souvent qu’en tant que ministre de la Francophonie, je n’ai pas laissé mes combats contre les amalgames et les préjugées à la porte de mon Ministère. Pour moi, être ministre de la Francophonie, c’est défendre et promouvoir une langue qui a fait sa mutation. Débarrassée des oripeaux du colonialisme, elle est aujourd’hui égalitaire et elle transmet les valeurs universelles qui fondent les droits de l’Homme.
La langue française n’appartient plus à la France seulement. Elle appartient au monde francophone. C’est une langue solidaire. C’est une langue qui se parle à hauteur d’hommes. C’est une langue africaine, c’est une langue du Maghreb, et c’est une langue dont je suis fière aujourd’hui de porter les couleurs devant vous.
J’ai été honorée de l’invitation qui m’a été faite par M. Mohamed Mediouni, Directeur des 24ème Journées cinématographiques de Carthage que je salue avec amitié, d’assister à ce grand rendez-vous. Tout d’abord parce que c’est la première édition de ce festival – le plus vieux du continent africain - depuis la Révolution du 14 janvier 2011, mais aussi parce que cette rencontre témoigne, par sa programmation, de la force des cinématographies arabes et africaines et de leur ouverture aux cinémas du monde. Je crois en effet en la pluralité d’une création cinématographique qui ne reflète jamais mieux notre réalité contemporaine que lorsqu’elle s’ouvre et se confronte à la diversité des regards.
Ce soir je souhaite rendre hommage au cinéma tunisien, à ces réalisateurs de talent, à ces professionnels dont la réputation n’est plus à faire, à ces films qui ont marqué notre mémoire – je pense notamment à "L’Homme de cendres", à "Halfaouine, l’enfant des terrasses", aux "Silences du palais" et bien d’autres encore qui ont été des vecteurs de rêves, d’espoirs, capables de nous ouvrir les yeux et de nous faire entendre et voir, dans les équilibres si fragiles du monde, la nécessité de dialoguer, de bâtir des ponts.
Ce dialogue, ces ponts, c’est le sens de la Francophonie que je défends : une langue porteuse de valeurs, un espace de solidarité au-delà des frontières et dont la Tunisie est un membre fondateur.
On ne peut qu’être ému de la réalité de ce monde francophone si dynamique : 220 millions de locuteurs dans le monde aujourd’hui, 750 millions en 2050 et un apprentissage du français qui, contrairement à certaines idées reçues, progresse dans de nombreuses régions du monde, comme dans les pays du Golfe, en Amérique latine ou encore en Chine.
Qu’il me soit permis à cet égard de saluer ici tous les enseignants tunisiens, véritables passeurs de la langue et du savoir, notamment les professeurs de l’Association tunisienne pour la pédagogie du français (ATPF) qui, sans relâche, réfléchissent et travaillent à faire vivre notre langue en Tunisie ; les universitaires naturellement ; les professeurs du réseau scolaire français en Tunisie, le quatrième au monde ; les professeurs des cours de langue de l’Institut français, mais aussi ces hommes et ces femmes de la création artistique et littéraire, de l’édition, du journalisme, de la télévision, de la radio ou encore de la presse qui ont fait le choix de l’expression française et offrent ici, en Tunisie, un regard francophone.
À chacun d’entre eux, je veux dire qu’ils peuvent compter sur la France, sur notre ambassade, dont je sais qu’elle s’efforce d’être à leurs côtés de Bizerte, à Tozeur, en passant par Tunis, Kairouan, Sousse, Sfax ou Mateur.
Comme j’ai pu le constater à de nombreuses reprises sur le terrain, au Liban ou à Kinshasa, mais aussi aujourd’hui dans les rues tunisiennes, les échos de la francophonie sont bien vivants et le désir de français bien ardent. C’est sans doute parce que ce désir répond à un plaisir, le plaisir de l’imagination, de la parole, de l’écriture, dont témoignent ce soir les artistes qui nous font le bonheur d’être là. C’est cette générosité en laquelle je crois, une francophonie qui se bat pour préserver la diversité culturelle, une francophonie qui, tel un fleuve nourricier, irrigue chaque pays, chaque culture.
Si je suis à Tunis aujourd’hui c’est également pour redire aux autorités tunisiennes l’engagement résolu de la France aux côtés de la Tunisie. Depuis la révolution du 14 janvier 2011, tout au long de cette période de transition porteuse de tant d’espoirs, le soutien et l’amitié de la France ne se sont jamais démentis.
Et en ces temps historiques, la France est déterminée à appuyer la volonté, clairement exprimée par les autorités tunisiennes, d’avancer sur la voie du renforcement de la démocratie et de l’État de droit, mais aussi du développement économique et social. Ces deux volets se nourrissent mutuellement. Alors que la Tunisie construit une nouvelle page de son histoire, la France entend poursuivre son engagement, avec amitié et responsabilité, au nom des liens qui unissent nos deux pays.
J’ai rencontré aujourd’hui le président Marzouki, le Premier ministre Jebali, le ministre de la Culture et le ministre du Tourisme. Tous m’ont dit leur volonté de voir la Tunisie et la France travailler ensemble. À tous, j’ai répondu que la France est plus qu’un partenaire, elle est une amie de la Tunisie et les liens qui unissent nos deux peuples sont indélébiles.
Demain, je me rendrai dans la cité d’Etthadhamen pour y rencontrer des femmes courageuses. J’aurais également un entretien avec la ministre de la Femme et, avant de rentrer vers Paris, j’échangerai avec d’autres femmes engagées, des femmes de culture, des femmes journalistes. Que ce soit hier derrière la caméra ou aujourd’hui aux côtés des Tunisiennes, le combat est le même ! C’est celui de la liberté, c’est celui du respect de l’égalité et de la dignité ! Défendre la Francophonie c’est aussi cela. C’est défendre les droits des femmes partout où cela est nécessaire. C’est dénoncer haut et fort les exactions qui font d’elles des victimes silencieuses, comme c’est le cas à l’Est de la RDC, à Goma où je me suis rendue le mois dernier et où femmes et enfants s’entassent dans des camps de fortune, fuyant les exactions du M23 qui, aujourd’hui même, est rentré dans la ville. J’ai promis de donner un visage à ce conflit pour que cessent les violences. Les femmes y sont des butins de guerre. La France a demandé une réunion urgente du Conseil de sécurité pour mettre fin à ce carnage et condamner fermement le M23.
Je m’y étais engagée à Goma le 15 octobre dernier. Depuis, je n’ai cessé d’oeuvrer contre cette situation. Aujourd’hui, il est temps de faire cesser ces viols massifs, ses exactions d’un autre temps. La Francophonie, c’est aussi cela. Lutter pour des causes justes et se montrer solidaire de toutes les femmes dans l’espace francophone.
Pour toutes ces raisons, j’ai décidé de lancer un Forum mondial des femmes francophones qui se tiendra à Paris en 2013 et qui réunira des femmes du monde entier. Ce forum sera un lieu de débat, pour accroître la visibilité des femmes, mais sera aussi un lieu de transmission des valeurs d’égalité et de solidarité dont elles peuvent être injustement privées. J’invite toutes celles qui veulent rejoindre cette initiative à le faire. C’est en unissant nos voix que nous serons entendues. Je sais combien les voix des Tunisiennes portent bien au-delà des frontières. Je sais combien ces voix sont fortes, combien elles sonnent juste. Elles sont un modèle pour toutes les femmes arabes et toutes les femmes du monde. Je vous remercie et vous souhaite à toutes et à tous une excellente soirée.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 décembre 2012