Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, sur la politique de la France en faveur du développement notamment le rôle de l'Agence française de développement, à Paris le 8 janvier 2013.

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Circonstance : Intervention à l'occasion des Journées du réseau Agence française de développement, à Paris le 8 janvier 2013

Texte intégral

Monsieur le Ministre délégué,
Monsieur le Président du Conseil d'administration,
Monsieur le Directeur général,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux de m'adresser à vous pour ce rendez-vous annuel de la «semaine du réseau» de l'AFD, opérateur pivot de notre politique de développement. Je vous adresse à tous mes voeux chaleureux pour l'année 2013.
Ces rencontres sont l'occasion d'apprécier ensemble le bilan de l'année écoulée et de préparer l'avenir en fixant les priorités qui doivent guider notre action. Une politique de développement doit se fixer des objectifs précis, dont les résultats doivent pouvoir être évalués, faute de risquer le saupoudrage. Je profiterai de mon intervention aujourd'hui pour définir quelques unes des grandes lignes de notre action internationale en matière de développement, celles qui devront orienter votre action dans vos pays d'intervention.
Notre politique de développement prend place dans un monde en changement rapide et elle doit être en phase avec ces évolutions. Quelques mots rapides sur ce point.
Nous vivons - c'est une évidence - l'émergence d'un monde nouveau qui se caractérise à la fois par la vitalité des puissances asiatiques, l'énergie de l'Amérique Latine, les trajectoires de croissance de l'Afrique, les soubresauts du monde arabe et le recul de l'Europe. Le monde est en mouvement, c'est un monde éclaté et les grands équilibres de la fin du XXème siècle se trouvent dépassés.
Ces recompositions comportent des effets divers. Des millions de personnes sortent de la pauvreté, l'amélioration des conditions de vie s'accompagne d'aspirations à plus de liberté. Elles sont également porteuses de risques, avec de nouveaux déséquilibres, une fragmentation de la puissance qui rend plus difficile la gestion collective de nos intérêts et des biens publics mondiaux et des remises en cause quelquefois douloureuses, notamment dans les pays développés.
Sous l'angle du développement, ce monde nouveau présente au moins deux grands défis.
Le premier est celui de l'égalité. Le développement économique, réel à l'échelle de la planète, s'accompagne du maintien et du renforcement de fortes inégalités. Inégalités avec les pays les plus pauvres, qui ne parviendront pas à atteindre les OMD et qui cumulent les risques de basculer dans des conflits ; inégalités pour des millions d'individus prisonniers de trappes à pauvreté et d'écarts qui se creusent entre les plus riches et les populations exclues de la croissance. Le rapport entre la richesse moyenne par individu des pays les plus riches et celle des pays les plus pauvres est passé de 28 en 1960 à 84 en 2009. Le poids des inégalités de développement au sein des pays à revenus intermédiaires et des économies émergentes est lui aussi croissant. Contribuer à enrayer le décrochage d'une partie de l'humanité qui n'a pas accès aux progrès économiques et sociaux constitue pour la France un devoir de solidarité et un investissement dans notre avenir commun, car ces fragilités constituent sans doute la principale menace à la stabilité et à la croissance mondiales.
Un autre défi majeur est celui de la durabilité, qui nous impose de promouvoir des modèles de croissance soutenables aux plans social et environnemental. C'est un axe essentiel de la politique choisie par le gouvernement français, aux niveaux national, européen et international. Je salue à cet égard le travail de Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement. La population mondiale devrait atteindre 9 milliards en 2050. Chacun sait désormais que pour offrir, avec le même modèle de croissance, un revenu par habitant équivalent à celui des Américains d'aujourd'hui, l'équivalent des ressources naturelles de trois planètes n'y suffirait pas. J'ajoute que les pays les plus pauvres sont les premières victimes des atteintes à l'environnement et de la rareté énergétique, susceptibles de remettre en cause les progrès accomplis depuis les dernières décennies. Pour eux, la prise en compte de l'exigence de durabilité n'est pas un objectif de long terme, qui pourrait intervenir une fois leur développement engagé, mais une condition même de ce développement.
Nous devons donc intégrer les trois piliers du développement durable - économique, socio-culturel et environnemental - dans toutes nos approches. L'Agence, dont je salue les équipes qui accomplissent un travail remarquable, a raison de mettre l'accent sur les questions de développement durable : c'est un avantage comparatif qu'il faut cultiver et renforcer.
J'en viens, sur la base de ce schématique tour d'horizon, à notre action en matière de développement.
Notre politique de développement doit s'inscrire dans le cadre de notre action diplomatique d'ensemble. Elle n'est pas un domaine autonome qui pourrait fonctionner selon une logique indépendante. Elle participe notamment au statut de «puissance d'influence» qui est celui de la France et elle doit être mise en oeuvre dans cette perspective.
Notre politique de développement s'inscrit, en effet, dans un réseau de partenariats de long terme qu'elle permet de consolider. Elle véhicule les valeurs fondamentales promues par la France sur la scène internationale - au sein des Nations unies, du G20, du G8, de l'OCDE, des Institutions financières internationales, de l'OMC - et au sein de l'Union européenne. Elle incarne les responsabilités assumées par notre pays, quatrième donateur d'aide dans le monde avec plus de 9 milliards d'euros en 2011. Elle contribue à assurer le rayonnement et l'influence de la France auprès de multiples partenaires et dans les enceintes multilatérales où la France joue un rôle actif et souvent pionnier dans son approche des enjeux et ses propositions de solutions. Elle nous permet de peser dans l'invention d'un nouveau modèle de croissance plus durable et plus juste.
C'est ce qui constitue une des spécificités de la France et une de ses forces : la volonté de solidarité, la promotion de nos valeurs de liberté et de justice sont une dimension de notre politique d'influence. L'aide au développement ne se justifie pas seulement par sa dimension de solidarité, principe auquel nous sommes fondamentalement attachés ; elle fait partie d'un ensemble d'objectifs au coeur des grands enjeux de la mondialisation pour notre pays : investissement pour la croissance, levier de réduction des déséquilibres économiques, développement des mécanismes de régulation notamment sociaux et environnementaux, instrument de stabilité, outil de soutien à l'expertise et aux entreprises françaises. C'est dans cette perspective que je vous demande de travailler, dans un contexte où l'utilisation de l'argent public doit faire l'objet d'une gestion rigoureuse et d'une justification précise auprès des Français.
L'AFD doit ainsi être pleinement engagée dans la promotion des entreprises et de l'expertise française à l'étranger. L'étendue de son réseau, la qualité de ses services et de ses interventions, sa présence active sur le terrain, les relations qu'elle sait tisser, les partenariats qu'elle promeut - bientôt facilités par la création, cette année, d'un fonds d'expertise technique qui devra être coordonné avec les autres outils existants - constituent un levier considérable pour notre pays et pour nos entreprises. Celles-ci ont un rôle important à jouer dans les pays partenaires, en y apportant leur savoir faire, en participant à la diffusion des connaissances et au développement de projets. Le soutien au secteur privé du sud, notamment via la filiale Proparco, doit s'inscrire dans cette dynamique partenariale. Au ministère des affaires étrangères, au sein de la DGM, j'ai créé, vous le savez, une direction des entreprises dont la vocation est notamment de promouvoir les opportunités de développement international des entreprises françaises. Cette direction travaillera en concertation avec l'Agence dont la présence sur le terrain constituera un appui important. Le périmètre géographique du réseau de l'AFD devra être réexaminé à l'aune de ces critères économiques et d'influence. En application de nos engagements en matière d'attribution de l'aide, l'Agence devra promouvoir activement les normes de responsabilité sociale et environnementale des entreprises dans ses appels d'offre, permettant à nos entreprises de concourir à armes plus égales avec leurs concurrentes des pays émergents.
Conçu ainsi comme une politique de solidarité, de rayonnement et de croissance, le développement justifie pleinement l'engagement budgétaire du gouvernement. Malgré un environnement budgétaire très contraint, la France est, je l'évoquais, un donateur majeur sur la scène internationale : 4ème donateur mondial en 2011, elle contribue à 10% de l'aide mondiale alors qu'elle ne pèse que 4% de la richesse mondiale. Pour sa part, l'Europe, qui est le premier bailleur d'aide au développement du monde, fournit deux tiers de l'aide mondiale alors qu'elle ne pèse qu'un tiers de la richesse mondiale. Et la France est l'un des États membres les plus actifs et les plus influents dans le cadre de la politique européenne de développement, compte tenu de son niveau d'aide bilatérale et de sa contribution au budget de l'aide européenne, via le FED en particulier, dont nous finançons 19.5% et via le budget général. Au total, près de 20% de notre aide est véhiculée par les canaux européens.
Au cours des dernières années, l'Agence a considérablement augmenté ses volumes d'engagements en prêts. Afin de répondre à la pluralité des enjeux, nous devons conserver une palette équilibrée d'instruments, parmi lesquels les dons et les financements plus concessionnels doivent tenir une bonne place, au profit des pays les moins avancés en particulier. C'est l'objectif que le gouvernement a affiché dans le cadre du budget 2013. Malgré le contexte, nous avons choisi de maintenir les crédits de l'aide au développement. Les dons bilatéraux ont été stabilisés. Afin de retrouver des marges de manoeuvre pour notre aide bilatérale, nous avons décidé, conformément au souhait du président de la République, d'affecter 10% de la taxe sur les transactions financières française au financement du développement. Le combat pour que le secteur financier contribue au financement des enjeux de la mondialisation ne s'arrête pas à nos frontières. Nous avons obtenu qu'une taxe européenne sur les transactions financières soit mise en place dans le cadre d'une coopération renforcée avec dix autres États membres, dont une partie devra aller au développement.
Je veux ajouter que le développement est un champ de notre action dans lequel le rôle du secteur privé est essentiel. Compte tenu des enjeux et des besoins de financement, les budgets d'aide publique au développement ne constituent qu'une part des contributions, certes indispensable, mais non suffisante pour répondre aux besoins de financement. La mobilisation des acteurs privés - société civile, ONG, fondations, entreprises - devra jouer un rôle de premier plan. Dans le même esprit, il est important de mieux prendre en compte les coopérations décentralisées - je parlerai plutôt «d'action extérieure des collectivités territoriales» - dans la mise en place et la gestion des programmes de l'AFD, en raison notamment de la compétence avérée de nos collectivités dans le domaine du conseil à la maîtrise d'ouvrage, de la gouvernance des services publics et de la gestion participative.
Dans ce contexte budgétaire et face aux défis que j'ai décrits, notre politique de développement doit veiller à renforcer son efficacité, ce qui passe par une concentration de nos efforts et une vision stratégique claire de nos objectifs.
Je les passerai rapidement en revue et Pascal Canfin, qui interviendra en conclusion de cette journée, y reviendra.
La lutte contre la pauvreté constitue le premier objectif de l'aide. Elle a produit des résultats importants depuis 2000 : comme le montre le bilan en cours des Objectifs du Millénaire pour le développement, la scolarisation et l'accès à l'eau ont progressé, les nouvelles infections au VIH ont chuté, la pauvreté a été divisée par deux depuis l'adoption de ces objectifs. Mais l'extrême pauvreté concerne toujours 900 millions de personnes dans le monde. Dans les années qui viennent, la communauté internationale devra porter une attention croissante à l'Afrique subsaharienne et aux pays fragiles. Malgré un décollage économique réel, l'Afrique subsaharienne est désormais le seul continent où la pauvreté reste un problème généralisé, qui touche près d'une personne sur deux. Selon des études récentes, la part des populations pauvres vivant dans les pays fragiles devrait passer de 20%, en 2005, à plus de 50%, en 2014. La gestion de la transition démographique est l'un des défis majeurs qu'il nous faut relever sur ce continent. La population africaine pourrait doubler ou tripler en quarante ans, en fonction de l'évolution de la fécondité. La pression sur les ressources économiques et naturelles se traduira par d'importants flux migratoires Sud-Sud, dans le cadre d'une urbanisation massive, nécessairement explosive si elle continue d'être anarchique, et par des flux Sud-Nord accrus. La lutte contre la pauvreté est et restera donc essentielle.
La lutte contre la fragilité des États, cause et conséquence de graves dérives, dont le terrorisme, nécessite en particulier de renforcer leur gouvernance et leurs capacités institutionnelles, défi de long terme auquel la France est attachée. La lutte contre les fragilités individuelles, contre les inégalités et la réduction des principaux déséquilibres au sein des pays passe notamment par le développement de socles de protection sociale. Cet objectif est constamment rappelé par la France dans toutes les enceintes internationales, s'agissant de l'un des défis majeurs du développement avec le renforcement des capacités fiscales domestiques.
La lutte contre la pauvreté n'a de sens que si elle s'inscrit dans une stratégie globale, soucieuse - c'est une autre priorité - de la durabilité du modèle de développement. La force de notre politique de développement est de ne pas céder au court terme. C'est pourquoi nous défendons sur la scène internationale au moins quatre volets essentiels qui structurent notre approche : la lutte contre la pauvreté et les inégalités ; la recherche d'une croissance «inclusive» ; la protection des biens publics mondiaux, la promotion de la stabilité et de l'État de droit.
Notre stratégie prend acte de la différenciation des trajectoires économiques des pays en développement. En 1960, la Corée du Sud présentait un revenu par habitant inférieur au revenu par habitant du Ghana. Aujourd'hui, elle figure au 15ème rang mondial en termes de puissance économique. L'adaptation de nos outils et de nos modes d'intervention aux caractéristiques de nos partenaires est au coeur du concept de «partenariats différenciés» promu par la France et désormais repris par de nombreux donateurs, au premier rang desquels l'Union européenne. Ce concept doit être central dans la stratégie de l'AFD.
La montée en puissance des grands émergents sur la scène internationale, notamment la Chine, mais aussi l'Afrique du Sud, le Brésil ou l'Inde, a évidemment un impact majeur sur nos relations avec eux en matière de développement. Il est nécessaire d'y déployer notre action, afin de développer des relations solides et pérennes avec eux et d'y promouvoir nos objectifs tels que la lutte contre le réchauffement climatique, le développement social et le progrès humain. Conformément aux grandes orientations du gouvernement et aux priorités que j'ai assignées au Quai d'Orsay, les interventions de l'AFD dans les grands émergents devront respecter trois principes simples : ne pas entraîner de coûts pour l'État ; cibler les thématiques environnementales, de développement durable et de biens publics mondiaux, la diplomatie du développement devant être une diplomatie écologique ; contribuer, c'est le troisième critère et il n'est pas le moins important, au développement d'un réel partenariat économique et d'expertise. La qualité des projets ou des partenariats qui y seront promus nous permettra de renforcer notre présence économique et la qualité de notre dialogue en matière de gouvernance mondiale.
L'année 2013 devrait également être une année très active sur le front européen pour l'Agence. Comme vous le savez, les premières expériences de programmation conjointe européenne seront suivies cette année de la généralisation progressive de cet exercice, qui se traduira par des délégations de gestion plus fréquentes et potentiellement plus importantes. Il sera donc décisif que l'Agence conserve un contact étroit avec la Commission européenne et avec les délégations de l'UE sur le terrain pour susciter et saisir les opportunités en la matière.
Ces objectifs seront exposés dans la feuille de route de l'Agence que constitue le contrat d'objectifs et de moyens, qui sera revu au cours de l'année 2013 afin de refléter les évolutions de notre politique. Il s'agira notamment de redéfinir les nouvelles géographies d'intervention de l'AFD, en particulier dans les grands pays émergents et face à l'évolution de la situation internationale, qui affecte directement le cours des activités de l'Agence dans de nombreux pays. Je pense aux pays du Maghreb, du proche et du Moyen-Orient, d'Asie, ou d'Afrique subsaharienne, dans laquelle, outre la zone sahélienne et la corne de l'Afrique, certains pays sont confrontés à de graves crises politiques, comme c'est le cas en RDC, pouvant potentiellement déstabiliser tout leur environnement régional.
Mesdames et Messieurs,
Ces orientations assignées par le gouvernement à notre politique de développement constituent votre feuille de route, ainsi que celle de l'ensemble des agents de notre diplomatie et de notre présence à l'étranger, dont vous êtes des acteurs essentiels.
Je tiens à saluer votre mobilisation et votre implication sur le terrain, dans vos pays de résidence. Je pense en particulier à celles et ceux qui font face aux situations les plus troublées : la qualité de vos contacts avec les populations et avec l'ambassade constitue un aspect essentiel de votre mission et joue un rôle majeur pour l'efficacité collective de notre action.
Je veux rendre hommage à votre engagement au service des valeurs et des principes qui animent notre politique de développement. On ne travaille pas dans le domaine du développement par hasard : on y vient par engagement, par vocation et toujours avec une forte idée de ses missions. Cette implication, qui est la vôtre, à quelque niveau de la hiérarchie qui vous soyez, mérite estime et reconnaissance. Le gouvernement, qui accorde au développement la place essentielle que je viens de décrire, aura à coeur de vous soutenir et de vous épauler.
C'est dans cet esprit que je vous remercie de votre contribution primordiale au rayonnement de notre pays et que je vous renouvelle mes voeux chaleureux pour 2013.
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 janvier 2013