Interview de Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur, dans "Le Figaro" le 28 janvier 2013, sur le déficit commercial de la France et la nécessité d'une meilleure compétitivité de son économie, sur les relations économiques franco-chinoises.

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Q - Le déficit commercial de la France est le reflet du manque de compétitivité de la France. En tant que ministre du Commerce extérieur, comment allez-vous contribuer à la restaurer ?
R - Mon objectif, c'est que la France trouve sa place dans la mondialisation. Le premier ministre a présenté un pacte de compétitivité qui nous en donne les moyens. J'ai pour ma part des priorités très claires: d'abord mettre à disposition des entreprises un bon dispositif de financement à l'export. L'Inspection générale des finances vient de me rendre un rapport sur le sujet, qui confirme que nous avons besoin de simplifier les dispositifs et concentrer l'offre. Car aujourd'hui les entreprises ne s'y retrouvent pas. La nouvelle Banque publique d'investissement a un rôle stratégique pour cela.
En outre, la mobilisation de tous les acteurs - État, régions, chambres de commerce, entreprises, partenaires de l'export - doit être totale. D'ici à trois ans, ce sont 1 000 PME et ETI qui doivent avoir été accompagnées de manière personnalisée par Ubifrance sur les marchés internationaux.
Q - Mais comment rendre l'offre française plus attractive ?
R - En la faisant correspondre à la demande ! Il faut miser sur les secteurs pour lesquels la demande mondiale sera forte, et où la France dispose d'un avantage compétitif en matière de qualité de l'offre et de prix. J'ai défini quatre familles prioritaires, associant biens d'équipements, produits destinés aux consommateurs et services: «mieux se nourrir», «mieux se soigner», «mieux vivre en ville» et «mieux communiquer». Je vous donne un exemple: la Chine est de loin le pays avec le plus fort potentiel d'importations de produits agroalimentaires sur les cinq prochaines années avec une augmentation estimée à plus de 32 milliards d'euros. Nous devons être davantage présents sur ce marché.
Q - Et tout cela permettra d'équilibrer la balance commerciale d'ici à la fin du quinquennat (hors facture énergétique), l'objectif fixé par François Hollande ?
R - C'est un objectif tenable. Mais il faut agir ! Pour y parvenir, il faut que nos exportations augmentent de 2 % de plus par an que nos importations.
Q - Le déficit commercial pour 2012, dont les résultats seront connus le 7 février, sera-t-il moins mauvais que l'année précédente ?
R - Oui. L'année 2011 avait été marquée par un déficit record de plus de 73 milliards d'euros. En 2012, nos exportations ont été principalement soutenues par l'agroalimentaire (qui perd des parts de marché mais continue de résister), l'aéronautique, la pharmacie et le luxe. Même si notre marché de proximité reste l'Europe, qui représente 60 % de nos échanges, c'est principalement en dehors de la zone euro que nous devons aller chercher des relais de croissance.
Q - Le niveau de l'euro vous inquiète-t-il ?
R - Un euro qui monte trop peut effectivement être pénalisant pour nos entreprises, mais cela ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt. Nous devons avant tout résoudre nos problèmes de compétitivité.
Q - Vous revenez de Chine, où vous avez constaté que l'équipe de France du nucléaire ne jouait pas vraiment collectif, EDF ayant signé un préaccord avec l'électricien chinois CGNPC sans avertir l'État et en court-circuitant Areva...
R - L'État était informé de l'accord que vous mentionnez, et EDF et Areva ont bien compris la nécessité de coopérer pour remporter des marchés. Et puis le jeu collectif existe : je vous rappelle que 85 entreprises françaises participent à la construction de l'EPR de Taïshan emmenées par EDF. C'est une formidable vitrine de l'excellence française et j'ai d'ailleurs indiqué aux autorités chinoises que nous voulions être dans la course pour les deux prochains EPR. Je note aussi que, pour obtenir des marchés, il faut accepter certains transferts de compétences et de technologies à condition qu'ils soient parfaitement encadrés et maîtrisés par les entreprises et par l'État.
Q - Les discussions commencent sur l'accord de libre-échange entre l'Europe et les États-Unis. Quels sont les enjeux ?
R - Je lance la consultation des entreprises cette semaine - comme je l'avais fait pour l'accord de libre-échange avec le Japon - sur le site du ministère. Avec les États-Unis, nous avons quelques sujets qui ne vont pas être faciles, notamment la question de l'exception culturelle française dans l'audiovisuel, qui n'est pas reconnue par les Américains. Un autre exemple: sur les produits agricoles, ils ne reconnaissent pas nos indications géographiques. Et puis leurs marchés publics restent très fermés... Avant de se lancer dans la négociation, il faut nous assurer que les États-Unis ont une véritable volonté d'ouverture.
Q - Croyez-vous que la Grande-Bretagne puisse quitter un jour l'Union européenne ?
R - Ils vont y réfléchir à deux fois ! Si, dans le court terme, ils peuvent penser que ce n'est pas gênant, dans le moyen terme, ils ne participeront plus aux décisions et ne pourront plus exercer leur influence. C'est un risque pour les investisseurs et les milieux d'affaires. Je parie que la Grande-Bretagne ne le fera pas.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 janvier 2013