Texte intégral
Mme Nicole Bricq
Nos politiques commerciales se décident aujourd'hui, pour beaucoup, au niveau des vingt-sept partenaires de l'Union européenne. Le 17 janvier, le commissaire européen pour le commerce extérieur, M. De Gucht, est venu prendre la parole devant la commission des affaires européennes de votre assemblée. J'étais en Turquie mais j'ai lu le compte rendu ainsi que la dépêche qui s'en sont suivis, et je partage certains points de son intervention. Le commerce contribue indéniablement à la croissance et à l'emploi. C'est évidemment vrai en Allemagne, et cela doit être pour nous une priorité. Je rappelle que 1 milliard réalisé à l'export représente 10 000 emplois en France, et qu'en 2012, le commerce extérieur a contribué à la croissance française à hauteur de 0,6 point.
Dans les années à venir, la croissance mondiale sera concentrée à 90 % en dehors de l'Europe. Il faut avoir ce chiffre en tête. J'ai publié à ce sujet une tribune dans un journal économique, la semaine dernière : le protectionnisme est une impasse historique, et il faut trouver notre place dans la mondialisation ; c'est mon travail et celui de tout le gouvernement.
Dans dix ans, quarante-sept pays, dont j'ai fait la priorité de mon action, concentreront 80 % de la demande mondiale. Parmi eux se trouvent de nouvelles terres de croissance : je pense aux grands émergents, regroupés sous l'acronyme BRICS, aux émergents intermédiaires, les CIVETS, mais aussi à d'autres qui émergent à peine, en Asie du sud-est comme en Afrique, terre de toutes les potentialités. Ma mission, au commerce extérieur, est d'aider les entreprises qui ont l'esprit de conquête à gagner dans la mondialisation, à faire progresser leur place dans un monde ouvert.
Le commissaire De Gucht évoquait devant vous la réciprocité positive, une réciprocité qui amènerait nos partenaires à notre niveau d'ouverture. Dès lors que l'on qualifie un substantif, il faut regarder de quoi il retourne, dans la volonté exprimée par le commissaire européen.
Ce matin, je suis rentrée de Chine, premier exportateur et deuxième puissance mondiale. La Chine est un partenaire stratégique dans deux de nos domaines d'excellence, l'aéronautique et le nucléaire. Ces grands contrats, comme on les appelle, ne sont pas déterminants dans le commerce extérieur de la France, en valeur absolue - ils représentaient en 2011 une trentaine de milliards sur les 430 milliards de l'ensemble du commerce extérieur français -, mais ils assurent beaucoup d'activité et revêtent une grande importance en termes d'image pour la marque France.
Nous devons aussi nous occuper du commerce courant. En Chine, où les besoins agroalimentaires sont phénoménaux, en tout cas exponentiels, j'étais accompagnée d'entreprises de ce secteur, du champ à l'assiette. C'est une de mes familles prioritaires : nous avons de belles espérances dans ce secteur, comme nous en avons, dans tous les grands émergents, autour du concept de ville durable, une autre de mes priorités.
Je veux dire un mot de la réciprocité. Il faut comprendre que l'accès à ces marchés porteurs a sa contrepartie, à savoir l'internationalisation des entreprises françaises, ce qui nécessite des implantations dans les pays d'accueil.
L'Union européenne, ces dernières années, a beaucoup, et peut-être trop rapidement, ouvert ses marchés, sans suffisamment s'appuyer dans la négociation sur la force qu'elle représente. J'ai l'habitude de le dire et je vous le redis, mesdames et messieurs les députés : l'Europe est le premier marché du monde, le deuxième étant les États-Unis, la Chine ne venant qu'ensuite.
Le traité de Rome comportait l'objectif de contribuer, grâce à une politique commerciale commune, à la suppression progressive des restrictions aux échanges mondiaux. Où en est-on au terme de cinquante ans d'abaissement de nos barrières tarifaires ? Le marché européen est plus ouvert que celui des autres pays, dont certains, lorsqu'ils ont adhéré à l'OMC, n'ont pas pris sur l'ouverture les mêmes engagements que l'Union européenne.
Surtout, nous n'avons pas, au niveau européen, suffisamment veillé, dans la négociation des accords de libre-échange, à la suppression en parallèle des barrières non tarifaires. Quand, sur les accords de libre-échange récents ou en cours de négociation, nous avons donné mandat au commissaire De Gucht, nous avons réussi à obtenir que la discussion de la baisse des tarifs douaniers s'accompagne des «prérequis» de la baisse des barrières non tarifaires. J'y reviendrai.
Le système multilatéral, qui a connu son heure de gloire au début des années quatre-vingt-dix, s'étant aujourd'hui enlisé, les accords bilatéraux de libre-échange se sont multipliés dans la dernière période. Ces négociations bilatérales, il fallait bien sûr en être, mais en étant plus vigilant quant au mandat de négociation donné à la Commission européenne. Le traité de Lisbonne, entré en vigueur fin 2010-début 2011, donne des moyens au Parlement européen, lequel se révèle, comme nous l'avons vu avec le Japon, un précieux allié des États, dans leurs demandes.
L'Europe, je l'ai dit, est le premier marché du monde - 500 millions de consommateurs -, le premier importateur, mais aussi le premier exportateur. Si elle se fait respecter dans les négociations, personne ne s'en étonnera donc : c'est la première puissance commerciale du monde. Tous les pays veulent un accord de libre-échange avec elle. Il faut s'appuyer sur cette force ; c'est un levier dans les négociations, et c'est pourquoi j'ai entamé une tournée des capitales européennes pour trouver des alliés de la réciprocité. J'ai envoyé à certains de mes collègues un courrier à signer en commun pour l'adresser à la Commission, au nom de cette réciprocité.
La France n'est pas seule : elle ne peut pas tout, mais c'est un pays qui compte en Europe. Sa voix est entendue, mais nous devons convaincre, car rien n'est pire que l'isolement dans une négociation. Des échéances nous attendent, et il ne faut pas les manquer.
Nous nous battons pour voir adopter rapidement le projet de règlement sur l'accès aux marchés publics dans les pays tiers, qui devront s'ouvrir sous peine des mesures restrictives dont seront victimes leurs entreprises dans nos propres marchés. Un progrès est visible, puisque, le 18 décembre 2012, grâce au travail accompli au sein du Conseil de compétitivité, la commission marché intérieur du Parlement européen a réintroduit, dans le paquet de révisions des directives de 2004, le principe de réciprocité. S'agissant du paquet de modernisation des marchés publics, actuellement en discussion au Parlement, nous sommes en bonne voie. Nous pourrons ainsi obtenir ce que nous n'avons pas encore obtenu dans le domaine du règlement, en raison d'un blocage de l'Allemagne. Le vote en séance plénière est prévu pour avril 2013 : ce sera un pas important. Je remercie à ce propos Mmes les députées Seybah Dagoma et Marie-Louise Fort, qui ont fait voter mardi par la commission des affaires européennes une résolution en faveur de l'adoption rapide du projet de règlement - la commission des affaires européennes du Sénat avait adopté une proposition de résolution avant la fin de l'année dernière.
Par ailleurs, tous les pays ne sont pas identiques du point de vue de la politique commerciale. Notre approche des négociations avec le Japon ou les États-Unis ne peut pas être la même qu'avec le Maroc, l'Algérie, le Kenya ou la Côte d'Ivoire. Entre l'Union européenne et les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, des accords de partenariat économique sont en cours de négociation. Le président de la République a plaidé pour que leur signature, d'abord prévue en 2014, soit repoussée, et que ces accords soient renégociés. Tel est également le voeu du Parlement européen. Ce délai est nécessaire pour consolider la confiance et reprendre la négociation sur d'autres bases. Ces pays en effet sont fragiles - l'intervention au Mali nous le rappelle : ils doivent être soutenus et accompagnés.
S'agissant des marchés développés comparables aux nôtres, nous devons parvenir à trouver des compromis qui soient bénéfiques à l'emploi et à la croissance dans notre pays. Tel est le sens de mon action lors du conseil des affaires étrangères européen en format Commerce, qui a décidé de l'ouverture des négociations avec le Japon. J'ai obtenu des avancées, avec l'appui des alliés que j'avais su trouver au sein de ce conseil. Ainsi le mandat de négociation exige que le Japon abaisse aussi ses barrières non tarifaires et le secteur automobile est classé comme secteur sensible.
La négociation relative à cette clause de surveillance sera suivie de très près. La fermeté a porté ses fruits, puisque, après douze années de fermeture, le marché japonais va enfin s'ouvrir à notre viande bovine - la décision devrait être prise officiellement la semaine prochaine. Les marchés publics japonais également sont particulièrement fermés, notamment le marché ferroviaire - j'en veux pour preuve que nous n'avons pas obtenu un seul contrat depuis 1999 et qu'en Europe, seule l'entreprise Siemens en a bénéficié -, mais il devrait s'ouvrir bientôt.
Les exigences que j'ai vis-à-vis du Japon seront les mêmes vis-à-vis des États-Unis, notamment au sujet de l'exception culturelle. À cet égard, la présidence irlandaise a donné son calendrier : elle veut aller vite et souhaite qu'en juin 2013, le mandat de négociation soit donné à la Commission. Les discussions avec le Canada ne sont pas terminées : la Commission a repoussé la date de conclusion au mois de février, alors qu'elle devait avoir lieu en décembre. Son approche est très ferme : je la soutiens, car un accord en l'état nous affaiblirait dans le cadre de nos négociations avec les États-Unis. Or, je prête une attention particulière au secteur agricole et aux services de l'audiovisuel.
Nous avons avec ces pays, comme avec d'autres États, des intérêts à la fois offensifs et défensifs. Cela nous interdit les postures de refus, les déclarations péremptoires ou les positions de principe : il faut trouver des compromis favorables à nos intérêts, tout en comprenant ceux de nos partenaires. Voilà qui exige un patient travail de conviction. Le bon point de compromis n'est pas facile à trouver, mais nous pouvons bâtir des échanges commerciaux plus justes et favoriser le développement de nos entreprises dans le monde. Celles-ci ont des cartes à jouer, elles ont des atouts, mais elles ont également besoin de disposer d'armes égales - notamment en matière de financement à l'exportation - et d'organisations plus performantes. Tels sont mes objectifs et ceux du gouvernement.
M. Bernard Cazeneuve
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Députés, je serai bref, de façon à nous laisser le temps de débattre de la politique industrielle et commerciale de l'Union européenne. Par souci de complémentarité avec Madame la Ministre, je vais insister sur les aspects de politique industrielle.
D'abord, quand on évoque le rôle des institutions européennes en matière de politique industrielle, on ne peut se dispenser de constater qu'il y a quelque temps encore, évoquer ce sujet au sein de l'Union européenne était incongru. Il a en effet fallu attendre octobre 2010 pour entendre une véritable communication sur les politiques industrielles portées par l'Union européenne, qui témoigne de la volonté de celle-ci de se doter d'outils et d'orientations claires en la matière.
J'insisterai sur les outils qui peuvent et doivent être mobilisés, selon le souhait du gouvernement. Si nous voulons atteindre les objectifs que s'est assignés la Commission - à savoir que l'industrie représente 20 % du PIB de l'Union européenne dans les années qui viennent -, nous ne devons, en effet, rien négliger et mobiliser toutes les ressources qui sont à notre disposition.
Le premier outil dont nous disposons, ce sont les budgets dont l'Union européenne se dote en vue de la croissance et de l'emploi. Je ne reviens pas sur le pacte de 120 milliards : il peut être utilisé en faveur de l'industrie, grâce notamment à trois dispositifs. Le premier correspond aux fonds structurels : une enveloppe de 55 milliards avait été budgétée à l'occasion du précédent cadre financier sans être mobilisée. Elle peut l'être désormais, et ce au service d'outils qui, sur les territoires, peuvent accompagner l'innovation, les transferts de technologies et le développement d'un certain nombre d'entreprises organisées au sein de filières. De plus, l'organisation elle-même des filières industrielles portées par les régions peut faire l'objet d'un accompagnement au titre de la mobilisation des fonds structurels. Il en est de même pour le FSE, qui peut accompagner la modernisation des ressources humaines des entreprises des filières concernées. Il faudra donc utiliser cette enveloppe de 120 milliards dans les territoires.
S'agissant de la France, 2,5 milliards de fonds structurels sont d'ores et déjà garantis et nous escomptons 7 à 8 milliards d'euros de retour des prêts de la BEI. Nous savons également qu'au titre des obligations de projets, le secrétariat général pour les affaires européennes s'est mobilisé pour que des projets industriels puissent s'inscrire dans ces perspectives.
Deuxième outil : le projet de budget de l'Union européenne pour la période 2014-2020. Les 120 milliards du pacte ne sont pas pour solde de tous comptes : il doit y avoir une suite. Le budget de l'Union européenne, qui sera acté, nous l'espérons, à l'occasion du Conseil européen des 7 et 8 février, doit permettre de mobiliser des moyens significatifs au profit de la politique industrielle.
Au titre de la rubrique 1A de ce budget, nous disposons, selon les propositions de la Commission, de 139 milliards d'euros qui peuvent être mobilisés au service des objectifs de l'Europe 2020 : développement des PME-PMI sur les territoires et soutien de la politique industrielle. Sur ces 139 milliards d'euros, un certain nombre de moyens seront affectés plus particulièrement au développement des PME-PMI notamment les 2,5 milliards du programme COSME consacrés à l'accompagnement de celles qui souhaitent se développer sur les territoires.
Il m'arrive d'entendre dire que le budget consacré par l'Union européenne à la croissance serait en diminution. Or il est passé de 90 milliards à 139 milliards, augmentant de 50 %, en complète cohérence avec la déclaration de l'Union européenne d'octobre 2010. Si aucune coupe supplémentaire n'est imposée à l'occasion des négociations du mois de février, l'augmentation des moyens alloués à la politique industrielle sera donc bel et bien significative.
En outre, le programme Connecting Europe voit ses budgets augmenter de 400 % : le plancher, très bas dans ses débuts, est passé de 8 milliards à 40 milliards. On constate donc que, dans le domaine de l'équipement numérique des territoires, qui n'est pas neutre en matière de compétitivité industrielle et économique, de transition énergétique et de développement des transports propres, les enveloppes sont fortement dopées.
Par ailleurs, je veux insister sur la nécessité d'organiser une réflexion par filières. La politique industrielle ne peut pas se réduire à une articulation de budgets alloués à des politiques. Encore faut-il que ces politiques soient cohérentes. Sur ce sujet aussi, nous pouvons observer un progrès, certes moins rapide que nous aurions pu l'espérer.
L'Union européenne a décidé d'organiser une réflexion sur les filières stratégiques et sur celles qui appellent des décisions et des orientations particulières. Prenons l'exemple de la sidérurgie, qui représente plus de 350 000 emplois en Europe, répartis dans 23 pays : les interrogations portent sur les surcapacités et sur la nécessité de moderniser l'appareil industriel sidérurgique - notamment via le dispositif ULCOS, souvent évoqué à propos de Florange, qui permettrait de contenir le CO2 produit par les hauts-fourneaux - de manière à pouvoir développer l'activité sidérurgique en Europe, dans des conditions davantage respectueuses de l'environnement.
Un groupe de travail, associant les États, les industriels et les organisations syndicales, a été mis en place par le commissaire Tajani, dont les objectifs sont de réfléchir à ce que pourrait être une politique européenne de la sidérurgie. Nous soutenons cette initiative. J'ai proposé à Arnaud Montebourg d'examiner dans quelles conditions nous pourrions accueillir ce groupe de travail au mois de mars ou d'avril en France, afin de voir comment se déclinent ces réflexions et comment nous pourrions les articuler à nos politiques nationales - qu'il s'agisse du plan de compétitivité de croissance et d'emploi ou de l'accompagnement par la BPI d'un certain nombre d'entreprises qui souhaitent se moderniser.
Il en va de même pour l'automobile, avec le groupe Cars 2020, qui développe une réflexion de filières, dans le domaine de l'industrie automobile, notamment celui de l'électro-mobilité. La lettre signée par Arnaud Montebourg et le ministre luxembourgeois, envoyée à tous les ministres de l'industrie, a suscité l'intérêt d'une dizaine de pays européens, autour des orientations de politique industrielle que la France se proposait de porter au sein de l'Union.
Il convient donc de bien utiliser les budgets, de bien intégrer les orientations annoncées par la Commission dans sa communication d'octobre 2010, de commencer à développer une activité de filières et, enfin, d'essayer de faire en sorte que nos industries se protègent.
Il ne s'agit pas de les protéger du libre-échange : nous sommes libre-échangistes, nous croyons à la nécessité de développer le commerce international. Lorsque nous rappelons la nécessité de mettre en place le juste échange, Nicole Bricq, moi-même et les autres ministres français concernés entendons souligner qu'il est indispensable d'élaborer des règles, de les faire vivre et de les mettre en oeuvre pour permettre au commerce international de se développer dans un contexte qui soit juste et qui garantisse les intérêts de nos industries.
Je vais donner un exemple très concret de sujets sur lesquels les choses ont progressé : les directives relatives aux marchés publics et aux concessions. Le gouvernement français a obtenu des résultats tangibles au cours de la négociation. Celle-ci n'est pas encore achevée, mais ils sont intégrés dans les textes, on voit que les autres pays de l'Union et les institutions européennes ont manifesté de l'intérêt à nos propositions. Qu'avons-nous obtenu ? Tout d'abord, que les offres anormalement basses puissent être écartées dès lors qu'elles reposent sur des conditions de chiffrage ou des distorsions de concurrence entre États qui pénalisent notre industrie. Deuxièmement, nous avons obtenu que quand les industries d'un pays candidates à un marché public présentent dans leur offre 50 % de matières, de produits ou de contributions émanant d'États tiers auxquels ne nous lient pas des accords, et que manifestement ces 50 % résultent de la mise en oeuvre de clauses sociales ou environnementales qui ne correspondent pas aux standards européens, il puisse en être tenu compte pour écarter l'offre. Nous allons ainsi progresser, notamment à travers cette disposition, dans la prise en compte des conditions sociales et environnementales qui président, aux frontières de l'Europe, à l'élaboration d'un certain nombre de produits susceptibles de venir sur le marché européen et d'y créer une situation de distorsion de concurrence complète du fait de notre haut standard de protection sociale et environnementale.
Je veux également indiquer qu'il a été acté que quand les États n'ont pas ouvert leurs marchés publics à nos propres entreprises, nous aurons la possibilité de faire de même à leur égard. Cela préside de plus en plus à nos réflexions dans la négociation des accords de libre-échange. Il doit y avoir un parallélisme des formes dans les conditions dans lesquelles s'effectuent l'ouverture des marchés publics et des barrières douanières, qu'elles soient ou non tarifaires, si nous voulons éviter d'exposer nos industries et que les efforts que nous faisons pour structurer une politique industrielle ne soient ruinés par des distorsions de concurrence dues au fait que nous n'aurions pas veillé à l'élaboration de règles pour un commerce juste et équitable.
Dernier point : la nécessité de bien faire comprendre quelle est notre position sur de tels sujets. Nous voyons que les choses progressent, et la meilleure manière de les faire progresser plus encore, c'est d'acter ce qui a été engrangé et d'avoir, avec l'Union européenne, la volonté d'aller plus loin. Ce n'est pas en remettant en cause le libre-échange, les relations avec l'Union ou même avec l'OMC de façon déclaratoire et unilatérale que la France parviendra à consolider davantage encore ce qu'elle obtenu. C'est pourquoi il faut être attentif à la manière dont nous gérons les mesures antidumping, mesures auxquelles nous sommes attachés : nous devons être extrêmement vigilants à ce qu'elles s'appliquent lorsque c'est nécessaire - car il est arrivé que nous ayons des difficultés à cet égard - tout en devant absolument comprendre qu'elles ne peuvent pas s'appliquer en dehors du respect des procédures européennes. Ainsi, avant d'enclencher une procédure de sauvegarde, il y a une période d'observation au terme de laquelle l'on voit quel est l'impact de la fin des mesures de protection, des mesures antidumping, sur l'industrie concernée, et s'il y en a effectivement un, on est en droit d'utiliser ladite procédure. Mais ces étapes doivent être respectées, il est impossible de les brûler. On ne peut pas non plus demander l'application de ces procédures sans discernement ni sans s'être assuré que nous sommes légitimes à les évoquer. Il faut les évoquer systématiquement mais seulement à ces conditions, sinon nous perdons de la crédibilité. C'est dans une telle stratégie, qui doit être à la fois maîtrisée, mesurée et équilibrée, que réside une grande partie de l'efficacité des démarches que la France engage.
Voilà ce que je voulais dire des sujets qui relèvent de la politique industrielle et des progrès qui ont été accomplis au sein de l'Union européenne.
(Interventions des parlementaires)
Mme Nicole Bricq
Il faut être bien au clair en ce qui concerne la définition de la réciprocité dans le règlement intérieur. C'est pourquoi le commissaire européen a rappelé qu'il n'y en a qu'une : que le principe de réciprocité, c'est l'ouverture. Cela est bien inscrit dans le règlement dont la France préconise l'adoption par les États. Mais, évidemment, il y a des exceptions, des mesures de défense commerciale pour lesquelles nous, Français, nous battons - et nous ne sommes pas les seuls. La mise en oeuvre de ce règlement intérieur sera essentielle pour accéder aux marchés publics des pays tiers, mais le problème est politique, il se situe au niveau des États. C'est pour cette raison que je fais le tour des capitales européennes - je serai encore à Berlin la semaine prochaine et au Danemark en février -, parce que la France est relativement isolée. Le blocage essentiel vient de l'Allemagne qui, après nous avoir soutenus est revenue en arrière depuis juillet dernier. Il faut savoir que le concept de réciprocité n'est pas spontanément admis, y compris à l'intérieur de l'Union européenne. Certains pays me disent clairement qu'ils considèrent que c'est un mécanisme protectionniste. Il faut donc absolument les convaincre. C'est aussi pour cette raison que j'ai adressé une lettre à la présidence irlandaise, au commissaire au marché intérieur, Michel Barnier, et au commissaire au commerce, Karel de Gucht, avec copie à mes partenaires européens pour qu'ils la cosignent. Il faut vraiment que la France trouve des alliés. Pour l'instant, notre position n'est pas majoritaire : seule une petite dizaine d'États membres font leur la nécessité de se doter de ce règlement intérieur. Il en reste donc à convaincre parmi les vingt-six.
Vous avez évoqué aussi l'accord de libre-échange avec les États-Unis qui pointe à l'horizon des années 2013-2015. La présidence irlandaise, je l'ai dit, veut aller vite. J'ai rencontré le représentant irlandais à Bruxelles, à la fin du mois de novembre, et il m'a présenté son calendrier : donner un mandat de négociation à l'Union européenne à la fin de sa présidence, au mois de juin. On aura de gros problèmes avec les États-Unis, et c'est un partenaire d'importance. Nous sommes très vigilants sur cette négociation car si nous n'avons pas les mêmes problèmes qu'avec d'autres pays tiers, ils sont très lourds, qu'il s'agisse des indications géographiques, que les États-Unis ne reconnaissent pas et auxquelles nous, Français, tenons beaucoup ; qu'il s'agisse de la libéralisation des services, dont nous n'avons pas du tout la même conception ; qu'il s'agisse encore de l'exception culturelle. Je rappelle que nous avions obtenu celle-ci dans les années 1990 dans le cadre d'un mandat européen. Il y avait alors une position européenne sur le sujet, mais l'Europe de 2013 n'est pas la même qu'à l'époque. C'est un gros sujet et ma collègue Aurélie Filippetti y est particulièrement attentive.
Vous avez dit qu'avec de gros pays émergents tels que la Chine, l'Inde, le Brésil, on ne pouvait avoir la même position qu'avec d'autres pays. Je m'arrête sur la Chine : il ne faut pas que les Européens en fassent le bouc émissaire de leurs propres difficultés. Nos pays ont un problème global de compétitivité et un problème de croissance. Vous avez vu les chiffres : en ce moment, même l'Allemagne tousse, et quand l'Europe s'enrhume, le monde va tout de même très mal. Mais il faut bien voir que la Chine devient certes une grande puissance, qui n'a pas du reste pris encore conscience des responsabilités que cela entraîne, mais que le PIB par habitant est cinq fois inférieur à celui de la France : il y a beaucoup de pauvres en Chine, ne l'oublions pas, et il y a de très graves déséquilibres.
Notre place sur le marché chinois est très insuffisante et nous ne devons pas utiliser la politique monétaire de l'Union européenne pour masquer nos difficultés : la part de marché de l'Allemagne est cinq fois supérieure à celle de la France alors que nous avons la même monnaie, l'euro. Nous devons nous poser des questions sur notre compétitivité et notre présence sur le marché international.
Parmi les grands pays émergents, citons aussi le Brésil. C'est une grande puissance, riche de potentialités extraordinaires, mais qui a un problème comme le montre sa croissance en 2012 : avec un taux inférieur à 2 %, ce pays ne peut nourrir la totalité de sa population.
S'ils sont puissants, ces grands pays émergents ont des faiblesses structurelles et doivent faire des choix douloureux, ce dont ils se servent lors des négociations : «nous sommes encore des pays en développement», arguent-ils pour jouer sur les deux tableaux. Nous leur répondons qu'ils sont tout de même de grandes puissances qui ont émergé.
La Chine a utilisé la faiblesse de sa monnaie durant les premières années de sa croissance et, actuellement, le yuan ne correspond pas à ce qu'elle est devenue dans le jeu mondial.
(Intervention des parlementaires)
M. Bernard Cazeneuve
Sans m'attarder sur la TVA antidélocalisation, je vais simplement rappeler qu'en matière de commerce extérieur, la France accuse un déficit de 70 milliards d'euros tandis que l'Allemagne enregistre un excédent de 150 milliards. Si les mesures prises au cours des dix dernières années avaient été efficaces, nous ne serions pas dans cette situation.
Si nous voulons aborder ce débat de façon méthodique, sérieuse, sans polémique, il vaut mieux que nous essayions, toutes tendances politiques confondues, d'aller au-delà des arguties échangées pendant la campagne présidentielle pour regarder ce que nous pouvons faire concrètement pour conduire le redressement industriel. Il s'agit d'adopter des mesures nationales susceptibles d'amplifier l'effet des politiques de l'Union afin de permettre des relocalisations industrielles en Europe car, vous l'avez dit très justement, la désindustrialisation touche toute l'Europe à l'exception de l'Allemagne.
Si nous voulons procéder à des relocalisations industrielles, il faut utiliser plusieurs outils déjà cités : moyens de l'Europe 2020 prévus à la rubrique 1A du budget de l'Union, sur lesquels nous devons parvenir à un compromis au mois de février, programme pour la compétitivité des entreprises et des PME, programmes cadre de recherche et développement, Fonds social européen pour former et moderniser les ressources humaines de nos entreprises. Si nous parvenons à mobiliser toutes ces ressources, nous serons en mesure de favoriser les implantations industrielles en Europe.
Par ailleurs, nous devons absolument parvenir à mieux accompagner les PME au sein de l'Union européenne, en facilitant leur accès aux moyens de financement de l'innovation car, y compris dans le secteur industriel, ce sont celles qui sont les plus innovantes, qui accompagnent le plus le transfert de technologies et qui ont le plus besoin de financement. L'intelligence et les capacités des ingénieurs ne doivent pas buter sur les difficultés de financement.
Au-delà du programme COSME, tous les pays doivent mieux articuler leurs dispositifs de financement de l'innovation. À l'occasion de ses voeux, le président de la République a indiqué qu'il entendait favoriser l'investissement public et privé. Il a souhaité que nous réfléchissions à une meilleure coordination entre les régions, les industriels et les apporteurs de moyens de financement tels que la Banque publique d'investissement, la Caisse des dépôts et consignation et les sociétés de capital-risque, de manière à favoriser l'innovation et la réindustrialisation dans notre pays.
Il faut également alléger les formalités administratives qui pèsent sur les PME-PMI et qui handicapent parfois leur dynamique d'innovation. L'Union européenne s'était engagée à réduire de 25 % la charge administrative des entreprises entre 2007 et 2012 ; elle doit poursuivre cet effort. À travers les tests PME, nous devons bien veiller à l'impact des réglementations européenne et nationale sur l'alourdissement des charges administratives qui pèsent sur les entreprises.
Enfin, nous devons avoir des guichets uniques pour les PME-PMI qui veulent avoir accès aux financements européens et nationaux, afin qu'elles n'aient qu'un interlocuteur. Le dispositif «Dites-le nous en une seule fois», étudié conjointement par l'Union européenne, les États et les régions devrait permettre d'atteindre cet objectif, les entreprises n'ayant plus à fournir à plusieurs reprises les mêmes informations à différentes administrations lorsqu'elles veulent investir et innover.
Par ailleurs, il y a toutes les mesures dont j'ai dressé la liste et qui sont destinées à protéger l'industrie des concurrences déloyales. Les réformes des directives marchés publics et concessions doivent permettre d'aller dans cette direction.
(Interventions des parlementaires)
Mme Nicole Bricq
Votre question est à tiroirs puisque vous êtes parti des briquets pour arriver à la responsabilité sociale et environnementale. De même, en partant de Bic et en passant par le granit, je vais m'attacher à parler de la responsabilité sociale et environnementale.
La Commission européenne n'a pas reconduit les droits antidumping dont Bic bénéficiait depuis 1991. Avec Arnaud Montebourg, j'étais intervenue au mois de novembre auprès du commissaire de Gucht. J'avais pu voir le commissaire en aparté à l'occasion du conseil des ministres européens du commerce, le 29 novembre. J'étais intervenue sur le sujet devant mes collègues, du reste, pas pendant le conseil puisque ce n'était pas à l'ordre du jour, mais lors d'une réunion informelle avec l'ensemble des ministres.
Ces interventions n'ont pas été infructueuses. Alors que le commissaire ne voulait rien entendre, la direction de Bic discute désormais avec les membres de la direction du commerce de la Commission européenne.
L'entreprise fait passer des messages dans les journaux et à l'État français. Elle défend sa position. Je crois que le fait que cette discussion ait lieu est en soi positif.
Vous avez utilisé l'expression «fragmentation de la production», je n'emploierai pas ces termes.
Je veux vous rappeler aussi qu'il faut toujours s'inquiéter, comme le fait notamment l'OMC, du lieu où se crée la valeur ajoutée. Dans le cas d'Airbus par exemple, je sais que les commandes de la Chine vont être importantes et porter désormais sur les gros-porteurs. D'abord, Airbus est européen. Il faut aussi savoir que des composants sont fabriqués dans les pays auxquels nous vendons des Airbus parce qu'ils veulent se doter à terme d'une industrie aéronautique. Pour obtenir des pays d'accueil que leurs marchés soient moins fermés, il faut accepter aujourd'hui - je l'ai dit précédemment - qu'ils deviennent, s'ils en ont la capacité, des concurrents alors qu'ils sont des partenaires industriels. C'est le cas de la Chine dans l'aéronautique : elle deviendra notre concurrent parce qu'elle voudra elle-même se doter d'une industrie aéronautique. J'étais en Turquie la semaine dernière, les Turcs nous disent : «on vous achète des Airbus mais à un moment donné on voudra avoir aussi notre propre avion». Cela n'arrivera pas tout de suite parce qu'avant de fabriquer un très gros porteur, un A380 par exemple, il faut quelques années... L'essentiel est de conserver une avance en matière de création de valeur ajoutée. Si on introduisait le critère de la valeur ajoutée dans notre commerce extérieur, nous n'aurions pas tout à fait les mêmes résultats qu'avec la simple balance des produits.
Vous avez évoqué un sujet extrêmement important, la loyauté des échanges au travers des critères sociaux et environnementaux. C'est essentiel. Je l'ai dit, c'est l'une des exigences de la France que de fixer certains critères pour accepter la signature d'accords au niveau européen. Parmi ces critères, figure la haute exigence environnementale et sociale dans le commerce international. Aujourd'hui, la Banque mondiale est en train de réviser les critères fixés dans son code des marchés publics. Il s'agit d'un enjeu important parce que le taux de retour des seuls marchés publics passés par la Banque mondiale est faible et que ce code sert de modèle à de nombreux pays en voie de développement. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé à Pierre Moscovici qui représente la France au board de la Banque mondiale de faire en sorte que les marchés passés par elle intègrent les critères d'exigence environnementale et sociale.
Je veux dire que la responsabilité sociale et environnementale que nous commençons à prendre en compte fortement en Europe, particulièrement en France qui en a été à l'initiative, est un atout en matière de compétitivité plutôt qu'un handicap. C'est aussi un moyen d'obtenir dans les pays tiers, je pense à l'Afrique, que les marchés d'infrastructures passés grâce à l'aide publique au développement ne soient pas systématiquement attribués à ceux qui disposent de la puissance de feu financière - je ne citerai pas d'États - sans qu'ils subissent les contraintes que représente le contrôle des aides d'État pour l'Union européenne. Cela leur permet d'être le moins disant et d'utiliser des critères environnementaux et sociaux qui ne correspondent pas aux standards européens. La prise en compte de la dimension sociale et environnementale dans les financements à l'export doit vraiment retenir notre attention. C'est déjà le cas dans la garantie qu'apporte la COFACE, dans le FASEP, le fonds d'étude et d'aide au secteur privé, c'est-à-dire les aides aux projets fournies par la direction du Trésor à Bercy, et dans le mécanisme de réserve pour les pays émergents. Ce dernier est une aide liée : en contrepartie de l'accès pour un pays à cette réserve, une offre française doit obtenir 70 % du marché passé. Là aussi, nous introduisons petit à petit les critères sociaux et environnementaux. Nous ne sommes donc pas dépourvus.
Je me rendrai bientôt au Danemark. Ce pays est très libéral, donc rarement de notre côté dans les négociations de libre-échange. En revanche, il est très attaché aux critères environnementaux. J'aurai donc un allié qui ne sera pour une fois ni un pays d'Europe du Sud ni un pays d'Europe orientale. L'Angleterre, qui est aussi très libérale mais très allante sur la question environnementale, sera également un allié. Je disais précédemment qu'il faut savoir trouver des alliés en fonction des situations, donc savoir avancer avec eux pour faire basculer les autres : on n'est jamais majoritaire tout seul.
(Interventions des parlementaires)
Mme Nicole Bricq
Je persiste et je signe. Le protectionnisme est une impasse et une impasse historique. C'est une impasse car tous les pays peuvent tenir ce raisonnement, et c'est une impasse historique, parce que c'est ce qui s'est passé pendant les années trente. Et on sait que cela finit toujours très mal, c'est pourquoi j'ai utilisé ces termes qui peuvent paraître forts.
Cela étant, si l'ouverture est le principe, je l'ai dit aussi, chaque fois que nous pouvons faire valoir des intérêts défensifs, il faut le faire. Pour être majoritaire, il faut convaincre les autres. Nous avons déjà su le faire, j'ai cité le cas du Japon avec lequel nous avons des difficultés dans l'automobile. Nous avons l'exemple de ce qui s'est passé en Corée. Nous avons demandé à la Commission de mettre en place la clause de sauvegarde. Celle-ci a considéré que ce n'était pas justifié. Je suis allé à Bruxelles pour défendre notre décision sur la Corée. Je ne veux pas que cela recommence avec le Japon. Nous avons un secteur en difficulté, il faut faire valoir la mise en place d'un mécanisme défensif. C'est pourquoi j'ai demandé et obtenu l'application d'une clause de surveillance régulière dans la négociation et après, quand l'accord sera conclu. Nous pourrons alors regarder quand nous arriverons au terme de cette négociation qui sera longue et difficile avec un pays comme le Japon, qui est traditionnellement fermé.
Dans le même temps, je dois faire valoir nos intérêts offensifs. Il est évident que l'agroalimentaire français a un intérêt à l'accord de libre-échange. Il faut donc faire la part entre nos intérêts défensifs et offensifs, il faut faire le compte : le compromis est possible si le compte est positif. Il faut qu'il soit positif pour l'emploi en France, positif pour les exigences environnementales et positif pour les exigences sociales. C'est là que la réciprocité trouve vraiment à s'exercer, c'est-à-dire qu'il faut que les barrières non tarifaires soient abaissées. Il n'est pas normal - je prends encore l'exemple du Japon - sans me focaliser sur ce pays - que depuis la crise de la vache folle, alors que nous répondons à toutes les exigences sanitaires, le Japon ait traîné des pieds pour envoyer ses inspecteurs vérifier, douze ans après, que la viande bovine était exportable. J'espère que cela servira d'exemple à la Chine qui a le même réflexe de refuser d'importer nos bovins. On le voit, il faut se battre pied à pied. Il faut dans ce cas faire valoir nos intérêts défensifs mais regarder aussi ce que cela peut nous rapporter.
Avec la Corée, il est vrai qu'il y a eu une explosion relative du nombre de voitures coréennes en Europe. Mais cela s'est produit l'année où, pour la première fois dans l'exécution de l'accord de libre-échange, le solde était positif : jusque-là, nous avions toujours été en solde négatif.
Il faut manier l'un et l'autre et c'est ce que je m'efforce modestement, à la place qui est la mienne, de faire.
J'ai répondu tout à l'heure à la question que vous avez posée, monsieur de Rugy, qui, je le sais, correspond à vos préoccupations pour les normes sociales et environnementales. Je n'y reviens donc pas.
J'ai évoqué les États-Unis, je pourrais citer aussi le Canada avec qui nous avons des négociations sur le feu. Il est évident que nous avons à son égard des intérêts défensifs, notamment dans tout le secteur agricole. Il n'est pas question de céder. C'est pourquoi nous avons renforcé le mandat que nous avons donné à la Commission européenne, laquelle a entendu notre message puisqu'elle a reculé la date de conclusion de l'accord. Si nous cédons sur certains points avec le Canada, nous nous retrouverons en position de faiblesse vis-à-vis des États-Unis car ce que nous accepterons de céder au Canada, les États-Unis, deuxième puissance commerciale du monde, ne manqueront pas de le demander à leur tour. Il faut donc faire très attention.
M. Bernard Cazeneuve
Monsieur de Rugy, lorsque vous évoquez les raisons qui vous poussent à sauter sur votre chaise, je n'en vois aucune qui justifierait une condamnation de notre action au sein de l'Union européenne. Je n'ai aucune raison de m'indigner de ce que vous venez de dire et vous n'avez aucune raison de sauter sur votre chaise lorsque nous exprimons ce que nous avons à exprimer.
Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas un État au monde qui préconise le protectionnisme aujourd'hui ; parce qu'il n'y a pas un entrepreneur, fût-il adepte du commerce équitable, qui réclame la fermeture de toutes les frontières. Nous avons besoin de vendre et d'acheter : les industriels mourraient s'ils n'avaient pas la possibilité d'acheter des matières premières et des composants produits hors de nos frontières pour pouvoir eux-mêmes produire.
La question du protectionnisme et du libre-échange ne se pose pas de façon aussi théologique qu'au XIXème siècle. Nous avons besoin d'acheter et de vendre, je le répète, et la question est de savoir quelles règles élaborer au sein de l'Union européenne pour faire en sorte que l'Europe ne se désindustrialise pas massivement, ne perde pas d'emplois et que la préoccupation que votre groupe exprime souvent pour les conditions sociales et environnementales soit prise en compte.
Telle est notre préoccupation lorsque nous demandons que puissent être rejetées les offres anormalement basses soumises pour un marché public par les pays qui ne respectent pas nos clauses sociales et environnementales.
Je préfère voir l'Europe avancer dans cette voie - lorsqu'elle modifie ses directives, lorsqu'elle prend en compte nos préoccupations en matière de régulation du commerce international - plutôt que de déclarer de façon idéologique un grand soir européen qui va produire des antagonismes, affaiblir notre position au sein de l'Union européenne et nous conduire à ne plus rien obtenir de ce que nous souhaitons voir prévaloir.
Je n'ai pas de désaccord de fond avec vous, Mme Bricq non plus, je crois. Je ne suis même pas sûr que nous ayons un désaccord de méthode parce que je suis absolument convaincu que vous vous rallierez assez facilement à l'idée que l'on ne pourrait plus obtenir de l'Union européenne ce que nous souhaitons si nous créions des conditions politiques telles qu'elle se ferme totalement à nos demandes. Nous ne pouvons pas non plus, lorsque nous commençons à obtenir ce que nous souhaitons, ne pas vouloir aller plus loin en continuant à discuter, à dialoguer et à porter notre parole.
Mme Bricq l'a dit tout à l'heure avec raison, lorsque nous sommes autour de la table des Vingt-sept, des pays comme le Danemark ou la Suède n'ont pas nécessairement la même approche que nous du juste échange. Mais malgré cela, nous parvenons à faire avancer nos thèses. Nous proposons donc très pragmatiquement que nous nous adossions à ce que nous avons déjà engrangé pour aller plus loin.
Quand je vous dis qu'il ne me paraît pas souhaitable de remettre en cause les institutions et les politiques européennes de façon unilatérale et déclaratoire, c'est parce que j'ai pu constater, notamment au cours des derniers mois, qu'il est possible au sein de l'Union d'avancer très concrètement dans le sens de ce qui nous paraît souhaitable afin que le juste échange, le mieux-disant social, le mieux-disant environnemental et l'harmonisation fiscale progressent. Telle est notre politique.
Mme Nicole Bricq
J'aimerais revenir quelques instants, Monsieur de Rugy, sur l'exemple que vous donniez des verres de lunettes. Comme le souligne Bernard Cazeneuve, il faut avoir une approche pragmatique.
Il peut y avoir, il doit y avoir des relocalisations. Les entreprises se livrent à des arbitrages économiques. Elles prennent en compte le fait qu'aujourd'hui, en Chine, notamment dans le Sud, les salaires augmentent de façon très rapide. Dans la province du Guangdong, extraordinaire plateforme du développement économique du pays où je me suis rendue, un ingénieur est désormais payé au même niveau que les standards européens. Elles prennent aussi en considération les coûts de transport. Leurs calculs faits, certaines se rendent compte qu'elles n'ont plus intérêt à produire dans ces pays et se relocalisent.
La Chine, qui polarise décidément beaucoup de nos débats, est concurrencée par des pays comme le Vietnam et elle est copiée : elle s'intéresse elle-même à la protection de ses intérêts et cherche à s'approcher des standards européens.
Nous sommes face à des mécanismes dynamiques. Il ne faut pas en rester à des visions statiques : un pays qui émerge est confronté très vite à ses propres contradictions, du fait que d'autres pays le concurrencent et le copient.
(Interventions des parlementaires)
M. Bernard Cazeneuve
J'aimerais vous remercier, Monsieur Chassaigne, pour votre clarté, votre sincérité et la passion que vous mettez dans vos questions, qui rejoignent certains échanges que nous avons pu avoir lors de la ratification du TSCG.
Vous entendez montrer qu'il n'y a pas de réponse unique aux problématiques du libre-échange, du juste échange et que les ministres apportent des réponses techniques et technocratiques quand il faudrait faire de la politique.
Ainsi, lorsque vous intervenez lors des débats de l'Assemblée nationale pour dire qu'il faudrait un autre ordre économique mondial et une réorientation de l'Union européenne, lorsque vous appelez de vos voeux un renforcement de la protection sociale et environnementale, vous feriez de la politique et nous, lorsque nous sommes autour de la table des Vingt-sept pour faire en sorte que ces préoccupations se traduisent concrètement dans le droit européen, nous ferions de la technocratie. C'est un peu facile, Monsieur le Député !
Lorsque nous nous battons, afin de maintenir un haut niveau de protection sociale en Europe, pour qu'il soit possible d'empêcher, dans les directives européennes, les offres anormalement basses provenant de pays ne respectant en aucun cas les normes sociales et environnementales, donnant dans le moins-disant social et le moins-disant environnemental et n'assurant aucune protection sociale, nous ferions de la technocratie là où vous feriez de la politique. Non, nous faisons de la politique sérieusement. Nous faisons de politique en faisant en sorte que les principes auxquels nous tenons - le mieux-disant social, le mieux-disant environnemental, la protection de notre industrie, la préservation de notre système de protection social - soient garantis.
Certes, avec Mme Bricq, nous nous employons à dire ce que nous faisons le plus précisément possible parce que c'est pour nous une manière de manifester le respect que nous devons à la représentation nationale, mais, rassurez-vous, cela ne traduit en aucun cas une incapacité de notre part à approcher ces questions autrement que sous forme technocratique.
Cette précision me paraît utile car tous les sujets que nous avons évoqués - la directive sur les marchés publics, la directive sur les concessions, la mise en place d'une politique industrielle assortie d'une réflexion sur la sidérurgie à laquelle les organisations syndicales sont associées - relèvent de préoccupations politiques que nous exprimons autour de la table des Vingt-sept.
Il nous arrive, autour de cette table, de nous sentir plus seuls que nous ne le souhaiterions, et de devoir par conséquent mettre davantage d'énergie que d'autres à convaincre que nos thèses sont justes. En dépit de cela, nous y parvenons, moins vite que nous ne le souhaiterions, mais nous y parvenons.
Ensuite, vous nous interrogez - c'est une préoccupation très juste - sur les conditions dans lesquelles ces 60 milliards de prêts seront utilisés afin de promouvoir de bonnes politiques, qui préservent l'environnement, aident notre industrie et favorisent la croissance.
C'est cette cohérence européenne, à laquelle nous tenons beaucoup même si elle ne va pas de soi, que nous tentons de faire prévaloir. Nous avons tout d'abord clairement indiqué que les projets que nous porterions, au titre des prêts de la Banque européenne d'investissement comme des obligations de projets, devaient concerner l'équipement numérique des territoires, le développement des transports de demain et le développement de la transition énergétique.
Ainsi, et cela vous intéressera directement, Monsieur Chassaigne, nous considérons qu'avec les prêts de la Banque européenne d'investissement et les obligations de projets, nous pourrions accompagner le projet de la numérisation du département du Puy-de-Dôme, de la région Auvergne, qui nous a présenté un projet de numérisation du territoire pouvant aider au développement des PME-PMI.
Ce projet peut être pris en compte - je ne dis pas qu'il sera retenu par les instances européennes car je ne veux pas «griller» nos chances de l'obtenir en donnant le sentiment que c'est déjà fait, alors que nous présentons le dossier ; mais nous le soutenons.
Nous allons aussi intervenir dans le domaine du développement des énergies renouvelables, et nous serons d'autant plus en situation de le faire que, concernant l'utilisation des fonds structurels européens, il a été décidé de faire émerger une «convergence thématique» plutôt que de procéder à un saupoudrage entre de multiples projets n'ayant pas de cohérence en termes de politique européenne.
Nous faisons désormais en sorte que soient davantage aidés, au titre de la mobilisation de fonds européens, des projets qui entrent dans le cadre des préoccupations de l'Europe 2020, telles que le numérique, le transport propre et le développement des énergies renouvelables. Nous oeuvrons ainsi pour que les fonds structurels, les prêts de la Banque européenne d'investissement et les obligations de projets s'articulent dans le financement des projets de l'Union. Telle est la perspective dans laquelle nous nous inscrivons.
Nous cherchons par ailleurs, dans la négociation du budget de l'Union européenne, à obtenir les sommes nécessaires, ainsi que des textes législatifs suffisamment précis pour définir leurs conditions d'allocation. Tel est, en effet, le rôle du Parlement européen, de la Commission et du Conseil, dans le cadre du trilogue, afin que nos objectifs de convergence thématique, c'est-à-dire de cohérence de nos politiques de financement, soient bien prévalents.
Mme Nicole Bricq
Monsieur Chassaigne, la prochaine fois que je rencontrerai un haut responsable, je m'interrogerai ; je ne sais pas si je faisais hier de la politique ou de la technocratie lorsque je rencontrais le secrétaire général du parti communiste chinois de la province la plus dynamique de Chine, qui représente à elle seule 100 millions d'habitants.
Ledit responsable faisant en outre partie des 25 membres du bureau politique, je lui ai évidemment vanté les mérites de nos entreprises et de nos produits. Je ne sais pas si c'est faire de la politique ou de la technique, mais il n'empêche... Je m'arrête là, parce que c'est une boutade !
Vous avez posé des questions dynamiques et intéressantes, en évoquant notamment la propriété intellectuelle à propos des indications géographiques. Sachez que dans tous les accords de libre-échange que nous sommes amenés à négocier, que ce soit avec Singapour, le Canada ou le Japon, ce sujet fait à chaque fois partie de nos discussions.
Je citerai quelques exemples. Ainsi, concernant la Corée, voyez tout ce que nous avons réussi à intégrer, pour les produits agro-alimentaires, dans l'accord avec ce pays : le cognac, le comté, le roquefort, le camembert de Normandie, le brie de Meaux, les pruneaux d'Agen, le jambon de Bayonne, les huîtres de Marennes Oléron... Il y a de quoi faire un très bon repas !
Vous avez également évoqué les couteaux laguiole. Votre exemple était bien choisi, car nous voulons que l'indication géographique soit étendue aux produits non alimentaires. Cette disposition sera intégrée dans le projet de loi sur la consommation que défendra notre collègue Benoît Hamon, en collaboration avec Sylvia Pinel. Ce projet de loi sera déposé en Conseil des ministres en mars ou en avril, de manière à ce que le Parlement - qui, lui, fait de la politique - en soit saisi avant l'été. J'espère donc que vous serez là pour vous battre afin que cela soit bien précisé ! Quoi qu'il en soit, nous avançons sur ce sujet, et nous obtiendrons cette disposition.
Quant aux marchés publics, sujet encore une fois très politique, nous disposons d'outils, comme le règlement concernant l'accès des pays tiers aux marchés publics de l'Union européenne. La Commission, qui en a élaboré le projet, est pour, tout comme le Parlement européen ; mais les États bloquent. C'est donc à ce niveau que je me bats pour faire avancer la situation.
C'est l'Allemagne qui aujourd'hui fait basculer la décision des États. Deux conseils européens de suite ont inscrit cette priorité dans la déclaration finale. Et pourtant, rien n'avance, parce que l'Allemagne bloque : elle ne souhaite pas en effet prendre une position, afin de ne pas subir de mesures de rétorsion de la part de pays tiers où elle exporte beaucoup. Il faut donc la convaincre, en même temps que les autres.
De plus, il existe un projet de révision de la directive 2004 sur les marchés publics ; nous en avons déjà parlé tous les deux. Bernard Cazeneuve vous a expliqué que nous avions obtenu des avancées. Cette révision, qui intègre donc ces avancées très positives pour les marchés publics, sera soumise en avril 2013 au Parlement européen, celui-ci ayant en effet son mot à dire.
Ainsi, la commission et le Parlement sont d'accord ; il reste à obtenir l'accord des États. C'est ce que l'on appelle le trilogue. La directive devra ensuite être transposée dans le droit français, contrairement au règlement qui est d'application immédiate dans les États. Tels sont les deux outils à la disposition des parlementaires, qu'ils soient européens ou nationaux.
(Interventions des parlementaires)
Mme Nicole Bricq
Vous avez dit une chose tout à fait juste, mais qu'on peut retourner : l'Allemagne fait les trois quarts de son commerce extérieur avec l'Union européenne, mais le commerce extérieur des États-membres est intra-européen à plus de 60 %. Les deux tiers du commerce se font à l'intérieur de l'Europe, ne l'oublions pas, et l'Europe, pour nous Français, est notre premier marché : c'est notre marché de proximité. Ce n'est pas un problème lié à l'euro : tout à l'heure Bernard Cazeneuve a cité les chiffres qui nous différencient de l'Allemagne.
Il est vrai que la Chine a utilisé la monnaie pour accompagner sa croissance et son rattrapage industriel, mais maintenant elle pourrait faire mieux. J'observe tout de même que ce débat a été très prégnant aux États-Unis mais que les Américains ne parlent plus du réalignement du yuan, parce qu'ils ont retrouvé eux-mêmes un dynamisme peut-être fragile mais que l'Europe n'a pas retrouvé. Je crois qu'il faut se battre pour que la croissance revienne en Europe : c'est la priorité n° 1 du président de la République et de nous tous dans les discussions que nous avons avec nos partenaires.
Monsieur Liebgott, vous avez parlé du projet Terra Lorraine. Il est connu, je sais que le président du conseil général de votre département y est favorable mais, vous l'avez rappelé avec insistance, c'est un projet privé. Il pose le problème des investissements chinois en France. Moi je préfère un projet que j'ai eu l'honneur de découvrir quand je suis allée en Bretagne il y a quinze jours : quand une grande entreprise chinoise, Sinutra, vient en Bretagne pour faire une unité de production de lait en poudre, parce qu'elle sait qu'en France elle aura une qualité sanitaire exceptionnelle et reconnue au plan international, qu'elle investit 100 millions et crée cent soixante emplois, là je dis oui. J'ai passé deux journées en Chine et je suis rentrée ce matin : j'ai appelé à des investissements chinois dans le secteur industriel.
J'observe aussi une chose : les Chinois veulent absolument entrer en Europe au niveau des télécommunications. Officiellement - je ne sais s'il faut que ce soit inscrit au compte rendu - l'Allemagne a comme nous une position défensive. Mais c'est là qu'on retrouve le principe de réalité, Madame Bechtel. Il y a deux grands groupes chinois dans les télécoms, Huawei qui est connu internationalement et ZTE. L'un est très ouvertement un groupe d'État, l'autre est quasiment un groupe d'État. L'Allemagne dit des choses, mais dans la réalité ZTE est très présent en Allemagne. Faisons attention, parce que la réalité quelquefois nous éloigne du discours et qu'il y a une compétition féroce dans ce domaine entre le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne. Moi je préfère des investissements dont je connais l'objet, c'est l'économie réelle. Je n'en dirai pas plus là-dessus. Les collectivités locales sont libres de fournir des facilités à des entreprises : c'est leur liberté.
Mme Rabin m'a dit que j'étais souvent seule, mais je n'ai pas dit cela : j'ai dit qu'on pouvait partir d'une position minoritaire et arriver à une position majoritaire, c'est-à-dire bâtir des compromis avec nos partenaires européens. Ce n'est pas spectaculaire, cela ne se fait pas à coup de déclarations mais dans les enceintes communautaires et par les contacts bilatéraux que nous avons. On peut y arriver, même si c'est difficile.
Vous avez évoqué le recours à des instruments défensifs : il faut bien sûr le faire chaque fois que c'est possible, mais à bon escient, car il peut y avoir des représailles.
En Chine, il y a un otage tout trouvé : c'est le vin. Nous sommes très performants, nous pouvons avoir des problèmes un jour, il faut savoir dire que des pratiques ne vont pas, mais à bon escient. Nous, nous le faisons, ce que ne font pas tous nos partenaires...
Pour terminer, Monsieur Lassalle vous posez, à travers Total, le problème des grands groupes.
Il est vrai que les grands groupes, tous ceux du CAC40, se sont beaucoup internationalisés. Cette internationalisation a été réussie, parce que derrière les grands groupes, il y a aussi des petites et moyennes entreprises, ainsi que des entreprises de taille intermédiaire. Hier, j'étais sur le chantier nucléaire de Taishan, avec l'ensemble de la famille du nucléaire : grâce à EDF, AREVA et Alstom - les trois majors -, quatre-vingt-cinq entreprises ont maintenant une projection sur le marché chinois. Je prends l'exemple d'une entreprise qui fait de la robinetterie pour le nucléaire. Sachant faire de la robinetterie pour le nucléaire, elle sait en faire dans bien d'autres domaines, et elle peut se développer de manière autonome.
Mais ces grands groupes, en s'internationalisant, se sont parfois éloignés, c'est vrai, de certains territoires. Ils ont souvent réussi leur internationalisation grâce à l'aide de la puissance publique, qu'il s'agisse des régions, des départements, des collectivités en général, ou de l'État. Je ne leur fais pas la morale, mais je leur demande, puisque la puissance publique les a aidés, d'aider eux aussi les petites et moyennes entreprises à pouvoir un jour devenir de grands groupes. Et c'est tout le pari du gouvernement que de faire en sorte que nous puissions préparer les grands groupes de demain, parce que, comme vous le savez, les PME qui réussissent leur croissance rencontrent, à un moment donné, un plafond de verre : elles ne peuvent plus progresser. Elles se font racheter, ou elles disparaissent. Et cela, ce n'est pas possible ! C'est tout le pari industriel que la France est en train de relever avec le plan de compétitivité et d'attractivité du gouvernement.
M. Bernard Cazeneuve
J'ajouterai quelques précisions pour répondre à des questions qui avaient un caractère technique.
Dans le cadre de la révision des dispositifs relatifs aux aides d'État au sein de l'Union européenne, nous sommes très attentifs à la question des seuils de minimis, qui a été posée par Mme Rabin. C'est un sujet extrêmement important, et sur lequel nous avons la possibilité d'agir, puisque ce cadre des aides d'État est en cours de modernisation, de refonte. Votre question, madame la députée, tombe donc à point nommé. Nous avons là une possibilité d'intervenir très concrètement.
Nous, nous considérons - et nous l'avons déjà fait savoir - que le contrôle doit porter désormais sur les aides d'État les plus importantes, attribuées aux industries les plus importantes, c'est-à-dire là où il y a une véritable possibilité qu'elles affectent le bon fonctionnement du marché intérieur. C'est la raison pour laquelle nous sommes favorables à un relèvement des seuils de minimis. Nous avons réussi, il y a de cela quelque temps, à faire en sorte que cela soit envisagé et rendu possible pour les services publics locaux.
Une question m'a été posée par Mme Marietta Karamanli au sujet de la mobilisation des moyens du capital-risque en faveur des entreprises européennes. Que fait l'Europe pour accompagner les capital-risqueurs, ou en tout cas favoriser la création de capital-risqueurs qui viennent en soutien des PME, des PMI, ou des entreprises les plus innovantes ?
Le sujet a un peu progressé sous la présidence chypriote. Un accord a été trouvé pour permettre aux fonds de capital-risque nationaux d'investir plus facilement dans les autres États membres de l'Union européenne, afin d'assurer le financement des PME-PMI innovantes. Cela n'était pas possible jusqu'à présent. Cela l'est devenu. Et d'ailleurs, cela renforce la dynamique propre au marché intérieur.
Des questions énergétiques ont été évoquées par Mme Guittet. Vous savez l'engagement de la France sur le plan climat. Nous avons d'ailleurs décidé d'accueillir, en 2015, la conférence sur le climat, ce qui fait l'objet d'une très forte mobilisation des ministres concernés, Laurent Fabius, Pascal Canfin et Delphine Batho. Comme nous allons accueillir cette conférence, par-delà ce qui nous mobilise en termes de convictions, de politiques publiques, nous sommes bien entendu très désireux de voir ces sujets progresser.
S'agissant de la taxation de l'énergie, les négociations sont toujours en cours sur la révision de la directive de 2003. L'idée est d'ajouter une composante CO2 à la taxe actuelle, puisque celle-ci ne porte aujourd'hui que sur la part énergétique. Mais les négociations sont très difficiles, parce qu'elles ne peuvent aboutir, comme vous le savez, que si l'on a réussi à recueillir l'unanimité. La France s'emploie à essayer de faire en sorte qu'un môle de pays convaincus de la nécessité d'aller dans le sens d'une véritable fiscalité énergétique harmonisée puisse se mobiliser à nos côtés.
Pour ce qui concerne la définition d'une politique énergétique européenne en faveur du renouvelable, outre le fait que nous sommes liés par les objectifs du plan climat, vous avez remarqué qu'hier, à Berlin, ont été rendus publics des objectifs franco-allemands dans trois domaines.
Le premier, ce sont des programmes communs de développement des énergies renouvelables, ce qui appelle des coopérations industrielles, qui seront d'autant plus faciles à mettre en oeuvre que ce sont des filiales françaises qui ont pour partie développé l'offshore maritime en Allemagne. Je pense notamment à l'implantation à Bremerhaven d'AREVA Wind, filiale d'AREVA. Par conséquent, il existe aujourd'hui la possibilité de coopérations industrielles, en raison de ce qui a déjà été initié.
Nous avons aussi la volonté de nous engager ensemble dans l'utilisation optimale du MIE dans son volet énergétique - l'interconnexion énergétique.
Nous avons enfin la volonté de nous engager ensemble dans l'amélioration du bilan thermique des bâtiments, qui est un facteur considérable de croissance et qui peut permettre d'améliorer sensiblement nos résultats au titre du plan climat.
Voilà, Mesdames et Messieurs les Députés, ce que je voulais dire en complément des propos de Mme Bricq.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 janvier 2013
Nos politiques commerciales se décident aujourd'hui, pour beaucoup, au niveau des vingt-sept partenaires de l'Union européenne. Le 17 janvier, le commissaire européen pour le commerce extérieur, M. De Gucht, est venu prendre la parole devant la commission des affaires européennes de votre assemblée. J'étais en Turquie mais j'ai lu le compte rendu ainsi que la dépêche qui s'en sont suivis, et je partage certains points de son intervention. Le commerce contribue indéniablement à la croissance et à l'emploi. C'est évidemment vrai en Allemagne, et cela doit être pour nous une priorité. Je rappelle que 1 milliard réalisé à l'export représente 10 000 emplois en France, et qu'en 2012, le commerce extérieur a contribué à la croissance française à hauteur de 0,6 point.
Dans les années à venir, la croissance mondiale sera concentrée à 90 % en dehors de l'Europe. Il faut avoir ce chiffre en tête. J'ai publié à ce sujet une tribune dans un journal économique, la semaine dernière : le protectionnisme est une impasse historique, et il faut trouver notre place dans la mondialisation ; c'est mon travail et celui de tout le gouvernement.
Dans dix ans, quarante-sept pays, dont j'ai fait la priorité de mon action, concentreront 80 % de la demande mondiale. Parmi eux se trouvent de nouvelles terres de croissance : je pense aux grands émergents, regroupés sous l'acronyme BRICS, aux émergents intermédiaires, les CIVETS, mais aussi à d'autres qui émergent à peine, en Asie du sud-est comme en Afrique, terre de toutes les potentialités. Ma mission, au commerce extérieur, est d'aider les entreprises qui ont l'esprit de conquête à gagner dans la mondialisation, à faire progresser leur place dans un monde ouvert.
Le commissaire De Gucht évoquait devant vous la réciprocité positive, une réciprocité qui amènerait nos partenaires à notre niveau d'ouverture. Dès lors que l'on qualifie un substantif, il faut regarder de quoi il retourne, dans la volonté exprimée par le commissaire européen.
Ce matin, je suis rentrée de Chine, premier exportateur et deuxième puissance mondiale. La Chine est un partenaire stratégique dans deux de nos domaines d'excellence, l'aéronautique et le nucléaire. Ces grands contrats, comme on les appelle, ne sont pas déterminants dans le commerce extérieur de la France, en valeur absolue - ils représentaient en 2011 une trentaine de milliards sur les 430 milliards de l'ensemble du commerce extérieur français -, mais ils assurent beaucoup d'activité et revêtent une grande importance en termes d'image pour la marque France.
Nous devons aussi nous occuper du commerce courant. En Chine, où les besoins agroalimentaires sont phénoménaux, en tout cas exponentiels, j'étais accompagnée d'entreprises de ce secteur, du champ à l'assiette. C'est une de mes familles prioritaires : nous avons de belles espérances dans ce secteur, comme nous en avons, dans tous les grands émergents, autour du concept de ville durable, une autre de mes priorités.
Je veux dire un mot de la réciprocité. Il faut comprendre que l'accès à ces marchés porteurs a sa contrepartie, à savoir l'internationalisation des entreprises françaises, ce qui nécessite des implantations dans les pays d'accueil.
L'Union européenne, ces dernières années, a beaucoup, et peut-être trop rapidement, ouvert ses marchés, sans suffisamment s'appuyer dans la négociation sur la force qu'elle représente. J'ai l'habitude de le dire et je vous le redis, mesdames et messieurs les députés : l'Europe est le premier marché du monde, le deuxième étant les États-Unis, la Chine ne venant qu'ensuite.
Le traité de Rome comportait l'objectif de contribuer, grâce à une politique commerciale commune, à la suppression progressive des restrictions aux échanges mondiaux. Où en est-on au terme de cinquante ans d'abaissement de nos barrières tarifaires ? Le marché européen est plus ouvert que celui des autres pays, dont certains, lorsqu'ils ont adhéré à l'OMC, n'ont pas pris sur l'ouverture les mêmes engagements que l'Union européenne.
Surtout, nous n'avons pas, au niveau européen, suffisamment veillé, dans la négociation des accords de libre-échange, à la suppression en parallèle des barrières non tarifaires. Quand, sur les accords de libre-échange récents ou en cours de négociation, nous avons donné mandat au commissaire De Gucht, nous avons réussi à obtenir que la discussion de la baisse des tarifs douaniers s'accompagne des «prérequis» de la baisse des barrières non tarifaires. J'y reviendrai.
Le système multilatéral, qui a connu son heure de gloire au début des années quatre-vingt-dix, s'étant aujourd'hui enlisé, les accords bilatéraux de libre-échange se sont multipliés dans la dernière période. Ces négociations bilatérales, il fallait bien sûr en être, mais en étant plus vigilant quant au mandat de négociation donné à la Commission européenne. Le traité de Lisbonne, entré en vigueur fin 2010-début 2011, donne des moyens au Parlement européen, lequel se révèle, comme nous l'avons vu avec le Japon, un précieux allié des États, dans leurs demandes.
L'Europe, je l'ai dit, est le premier marché du monde - 500 millions de consommateurs -, le premier importateur, mais aussi le premier exportateur. Si elle se fait respecter dans les négociations, personne ne s'en étonnera donc : c'est la première puissance commerciale du monde. Tous les pays veulent un accord de libre-échange avec elle. Il faut s'appuyer sur cette force ; c'est un levier dans les négociations, et c'est pourquoi j'ai entamé une tournée des capitales européennes pour trouver des alliés de la réciprocité. J'ai envoyé à certains de mes collègues un courrier à signer en commun pour l'adresser à la Commission, au nom de cette réciprocité.
La France n'est pas seule : elle ne peut pas tout, mais c'est un pays qui compte en Europe. Sa voix est entendue, mais nous devons convaincre, car rien n'est pire que l'isolement dans une négociation. Des échéances nous attendent, et il ne faut pas les manquer.
Nous nous battons pour voir adopter rapidement le projet de règlement sur l'accès aux marchés publics dans les pays tiers, qui devront s'ouvrir sous peine des mesures restrictives dont seront victimes leurs entreprises dans nos propres marchés. Un progrès est visible, puisque, le 18 décembre 2012, grâce au travail accompli au sein du Conseil de compétitivité, la commission marché intérieur du Parlement européen a réintroduit, dans le paquet de révisions des directives de 2004, le principe de réciprocité. S'agissant du paquet de modernisation des marchés publics, actuellement en discussion au Parlement, nous sommes en bonne voie. Nous pourrons ainsi obtenir ce que nous n'avons pas encore obtenu dans le domaine du règlement, en raison d'un blocage de l'Allemagne. Le vote en séance plénière est prévu pour avril 2013 : ce sera un pas important. Je remercie à ce propos Mmes les députées Seybah Dagoma et Marie-Louise Fort, qui ont fait voter mardi par la commission des affaires européennes une résolution en faveur de l'adoption rapide du projet de règlement - la commission des affaires européennes du Sénat avait adopté une proposition de résolution avant la fin de l'année dernière.
Par ailleurs, tous les pays ne sont pas identiques du point de vue de la politique commerciale. Notre approche des négociations avec le Japon ou les États-Unis ne peut pas être la même qu'avec le Maroc, l'Algérie, le Kenya ou la Côte d'Ivoire. Entre l'Union européenne et les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, des accords de partenariat économique sont en cours de négociation. Le président de la République a plaidé pour que leur signature, d'abord prévue en 2014, soit repoussée, et que ces accords soient renégociés. Tel est également le voeu du Parlement européen. Ce délai est nécessaire pour consolider la confiance et reprendre la négociation sur d'autres bases. Ces pays en effet sont fragiles - l'intervention au Mali nous le rappelle : ils doivent être soutenus et accompagnés.
S'agissant des marchés développés comparables aux nôtres, nous devons parvenir à trouver des compromis qui soient bénéfiques à l'emploi et à la croissance dans notre pays. Tel est le sens de mon action lors du conseil des affaires étrangères européen en format Commerce, qui a décidé de l'ouverture des négociations avec le Japon. J'ai obtenu des avancées, avec l'appui des alliés que j'avais su trouver au sein de ce conseil. Ainsi le mandat de négociation exige que le Japon abaisse aussi ses barrières non tarifaires et le secteur automobile est classé comme secteur sensible.
La négociation relative à cette clause de surveillance sera suivie de très près. La fermeté a porté ses fruits, puisque, après douze années de fermeture, le marché japonais va enfin s'ouvrir à notre viande bovine - la décision devrait être prise officiellement la semaine prochaine. Les marchés publics japonais également sont particulièrement fermés, notamment le marché ferroviaire - j'en veux pour preuve que nous n'avons pas obtenu un seul contrat depuis 1999 et qu'en Europe, seule l'entreprise Siemens en a bénéficié -, mais il devrait s'ouvrir bientôt.
Les exigences que j'ai vis-à-vis du Japon seront les mêmes vis-à-vis des États-Unis, notamment au sujet de l'exception culturelle. À cet égard, la présidence irlandaise a donné son calendrier : elle veut aller vite et souhaite qu'en juin 2013, le mandat de négociation soit donné à la Commission. Les discussions avec le Canada ne sont pas terminées : la Commission a repoussé la date de conclusion au mois de février, alors qu'elle devait avoir lieu en décembre. Son approche est très ferme : je la soutiens, car un accord en l'état nous affaiblirait dans le cadre de nos négociations avec les États-Unis. Or, je prête une attention particulière au secteur agricole et aux services de l'audiovisuel.
Nous avons avec ces pays, comme avec d'autres États, des intérêts à la fois offensifs et défensifs. Cela nous interdit les postures de refus, les déclarations péremptoires ou les positions de principe : il faut trouver des compromis favorables à nos intérêts, tout en comprenant ceux de nos partenaires. Voilà qui exige un patient travail de conviction. Le bon point de compromis n'est pas facile à trouver, mais nous pouvons bâtir des échanges commerciaux plus justes et favoriser le développement de nos entreprises dans le monde. Celles-ci ont des cartes à jouer, elles ont des atouts, mais elles ont également besoin de disposer d'armes égales - notamment en matière de financement à l'exportation - et d'organisations plus performantes. Tels sont mes objectifs et ceux du gouvernement.
M. Bernard Cazeneuve
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Députés, je serai bref, de façon à nous laisser le temps de débattre de la politique industrielle et commerciale de l'Union européenne. Par souci de complémentarité avec Madame la Ministre, je vais insister sur les aspects de politique industrielle.
D'abord, quand on évoque le rôle des institutions européennes en matière de politique industrielle, on ne peut se dispenser de constater qu'il y a quelque temps encore, évoquer ce sujet au sein de l'Union européenne était incongru. Il a en effet fallu attendre octobre 2010 pour entendre une véritable communication sur les politiques industrielles portées par l'Union européenne, qui témoigne de la volonté de celle-ci de se doter d'outils et d'orientations claires en la matière.
J'insisterai sur les outils qui peuvent et doivent être mobilisés, selon le souhait du gouvernement. Si nous voulons atteindre les objectifs que s'est assignés la Commission - à savoir que l'industrie représente 20 % du PIB de l'Union européenne dans les années qui viennent -, nous ne devons, en effet, rien négliger et mobiliser toutes les ressources qui sont à notre disposition.
Le premier outil dont nous disposons, ce sont les budgets dont l'Union européenne se dote en vue de la croissance et de l'emploi. Je ne reviens pas sur le pacte de 120 milliards : il peut être utilisé en faveur de l'industrie, grâce notamment à trois dispositifs. Le premier correspond aux fonds structurels : une enveloppe de 55 milliards avait été budgétée à l'occasion du précédent cadre financier sans être mobilisée. Elle peut l'être désormais, et ce au service d'outils qui, sur les territoires, peuvent accompagner l'innovation, les transferts de technologies et le développement d'un certain nombre d'entreprises organisées au sein de filières. De plus, l'organisation elle-même des filières industrielles portées par les régions peut faire l'objet d'un accompagnement au titre de la mobilisation des fonds structurels. Il en est de même pour le FSE, qui peut accompagner la modernisation des ressources humaines des entreprises des filières concernées. Il faudra donc utiliser cette enveloppe de 120 milliards dans les territoires.
S'agissant de la France, 2,5 milliards de fonds structurels sont d'ores et déjà garantis et nous escomptons 7 à 8 milliards d'euros de retour des prêts de la BEI. Nous savons également qu'au titre des obligations de projets, le secrétariat général pour les affaires européennes s'est mobilisé pour que des projets industriels puissent s'inscrire dans ces perspectives.
Deuxième outil : le projet de budget de l'Union européenne pour la période 2014-2020. Les 120 milliards du pacte ne sont pas pour solde de tous comptes : il doit y avoir une suite. Le budget de l'Union européenne, qui sera acté, nous l'espérons, à l'occasion du Conseil européen des 7 et 8 février, doit permettre de mobiliser des moyens significatifs au profit de la politique industrielle.
Au titre de la rubrique 1A de ce budget, nous disposons, selon les propositions de la Commission, de 139 milliards d'euros qui peuvent être mobilisés au service des objectifs de l'Europe 2020 : développement des PME-PMI sur les territoires et soutien de la politique industrielle. Sur ces 139 milliards d'euros, un certain nombre de moyens seront affectés plus particulièrement au développement des PME-PMI notamment les 2,5 milliards du programme COSME consacrés à l'accompagnement de celles qui souhaitent se développer sur les territoires.
Il m'arrive d'entendre dire que le budget consacré par l'Union européenne à la croissance serait en diminution. Or il est passé de 90 milliards à 139 milliards, augmentant de 50 %, en complète cohérence avec la déclaration de l'Union européenne d'octobre 2010. Si aucune coupe supplémentaire n'est imposée à l'occasion des négociations du mois de février, l'augmentation des moyens alloués à la politique industrielle sera donc bel et bien significative.
En outre, le programme Connecting Europe voit ses budgets augmenter de 400 % : le plancher, très bas dans ses débuts, est passé de 8 milliards à 40 milliards. On constate donc que, dans le domaine de l'équipement numérique des territoires, qui n'est pas neutre en matière de compétitivité industrielle et économique, de transition énergétique et de développement des transports propres, les enveloppes sont fortement dopées.
Par ailleurs, je veux insister sur la nécessité d'organiser une réflexion par filières. La politique industrielle ne peut pas se réduire à une articulation de budgets alloués à des politiques. Encore faut-il que ces politiques soient cohérentes. Sur ce sujet aussi, nous pouvons observer un progrès, certes moins rapide que nous aurions pu l'espérer.
L'Union européenne a décidé d'organiser une réflexion sur les filières stratégiques et sur celles qui appellent des décisions et des orientations particulières. Prenons l'exemple de la sidérurgie, qui représente plus de 350 000 emplois en Europe, répartis dans 23 pays : les interrogations portent sur les surcapacités et sur la nécessité de moderniser l'appareil industriel sidérurgique - notamment via le dispositif ULCOS, souvent évoqué à propos de Florange, qui permettrait de contenir le CO2 produit par les hauts-fourneaux - de manière à pouvoir développer l'activité sidérurgique en Europe, dans des conditions davantage respectueuses de l'environnement.
Un groupe de travail, associant les États, les industriels et les organisations syndicales, a été mis en place par le commissaire Tajani, dont les objectifs sont de réfléchir à ce que pourrait être une politique européenne de la sidérurgie. Nous soutenons cette initiative. J'ai proposé à Arnaud Montebourg d'examiner dans quelles conditions nous pourrions accueillir ce groupe de travail au mois de mars ou d'avril en France, afin de voir comment se déclinent ces réflexions et comment nous pourrions les articuler à nos politiques nationales - qu'il s'agisse du plan de compétitivité de croissance et d'emploi ou de l'accompagnement par la BPI d'un certain nombre d'entreprises qui souhaitent se moderniser.
Il en va de même pour l'automobile, avec le groupe Cars 2020, qui développe une réflexion de filières, dans le domaine de l'industrie automobile, notamment celui de l'électro-mobilité. La lettre signée par Arnaud Montebourg et le ministre luxembourgeois, envoyée à tous les ministres de l'industrie, a suscité l'intérêt d'une dizaine de pays européens, autour des orientations de politique industrielle que la France se proposait de porter au sein de l'Union.
Il convient donc de bien utiliser les budgets, de bien intégrer les orientations annoncées par la Commission dans sa communication d'octobre 2010, de commencer à développer une activité de filières et, enfin, d'essayer de faire en sorte que nos industries se protègent.
Il ne s'agit pas de les protéger du libre-échange : nous sommes libre-échangistes, nous croyons à la nécessité de développer le commerce international. Lorsque nous rappelons la nécessité de mettre en place le juste échange, Nicole Bricq, moi-même et les autres ministres français concernés entendons souligner qu'il est indispensable d'élaborer des règles, de les faire vivre et de les mettre en oeuvre pour permettre au commerce international de se développer dans un contexte qui soit juste et qui garantisse les intérêts de nos industries.
Je vais donner un exemple très concret de sujets sur lesquels les choses ont progressé : les directives relatives aux marchés publics et aux concessions. Le gouvernement français a obtenu des résultats tangibles au cours de la négociation. Celle-ci n'est pas encore achevée, mais ils sont intégrés dans les textes, on voit que les autres pays de l'Union et les institutions européennes ont manifesté de l'intérêt à nos propositions. Qu'avons-nous obtenu ? Tout d'abord, que les offres anormalement basses puissent être écartées dès lors qu'elles reposent sur des conditions de chiffrage ou des distorsions de concurrence entre États qui pénalisent notre industrie. Deuxièmement, nous avons obtenu que quand les industries d'un pays candidates à un marché public présentent dans leur offre 50 % de matières, de produits ou de contributions émanant d'États tiers auxquels ne nous lient pas des accords, et que manifestement ces 50 % résultent de la mise en oeuvre de clauses sociales ou environnementales qui ne correspondent pas aux standards européens, il puisse en être tenu compte pour écarter l'offre. Nous allons ainsi progresser, notamment à travers cette disposition, dans la prise en compte des conditions sociales et environnementales qui président, aux frontières de l'Europe, à l'élaboration d'un certain nombre de produits susceptibles de venir sur le marché européen et d'y créer une situation de distorsion de concurrence complète du fait de notre haut standard de protection sociale et environnementale.
Je veux également indiquer qu'il a été acté que quand les États n'ont pas ouvert leurs marchés publics à nos propres entreprises, nous aurons la possibilité de faire de même à leur égard. Cela préside de plus en plus à nos réflexions dans la négociation des accords de libre-échange. Il doit y avoir un parallélisme des formes dans les conditions dans lesquelles s'effectuent l'ouverture des marchés publics et des barrières douanières, qu'elles soient ou non tarifaires, si nous voulons éviter d'exposer nos industries et que les efforts que nous faisons pour structurer une politique industrielle ne soient ruinés par des distorsions de concurrence dues au fait que nous n'aurions pas veillé à l'élaboration de règles pour un commerce juste et équitable.
Dernier point : la nécessité de bien faire comprendre quelle est notre position sur de tels sujets. Nous voyons que les choses progressent, et la meilleure manière de les faire progresser plus encore, c'est d'acter ce qui a été engrangé et d'avoir, avec l'Union européenne, la volonté d'aller plus loin. Ce n'est pas en remettant en cause le libre-échange, les relations avec l'Union ou même avec l'OMC de façon déclaratoire et unilatérale que la France parviendra à consolider davantage encore ce qu'elle obtenu. C'est pourquoi il faut être attentif à la manière dont nous gérons les mesures antidumping, mesures auxquelles nous sommes attachés : nous devons être extrêmement vigilants à ce qu'elles s'appliquent lorsque c'est nécessaire - car il est arrivé que nous ayons des difficultés à cet égard - tout en devant absolument comprendre qu'elles ne peuvent pas s'appliquer en dehors du respect des procédures européennes. Ainsi, avant d'enclencher une procédure de sauvegarde, il y a une période d'observation au terme de laquelle l'on voit quel est l'impact de la fin des mesures de protection, des mesures antidumping, sur l'industrie concernée, et s'il y en a effectivement un, on est en droit d'utiliser ladite procédure. Mais ces étapes doivent être respectées, il est impossible de les brûler. On ne peut pas non plus demander l'application de ces procédures sans discernement ni sans s'être assuré que nous sommes légitimes à les évoquer. Il faut les évoquer systématiquement mais seulement à ces conditions, sinon nous perdons de la crédibilité. C'est dans une telle stratégie, qui doit être à la fois maîtrisée, mesurée et équilibrée, que réside une grande partie de l'efficacité des démarches que la France engage.
Voilà ce que je voulais dire des sujets qui relèvent de la politique industrielle et des progrès qui ont été accomplis au sein de l'Union européenne.
(Interventions des parlementaires)
Mme Nicole Bricq
Il faut être bien au clair en ce qui concerne la définition de la réciprocité dans le règlement intérieur. C'est pourquoi le commissaire européen a rappelé qu'il n'y en a qu'une : que le principe de réciprocité, c'est l'ouverture. Cela est bien inscrit dans le règlement dont la France préconise l'adoption par les États. Mais, évidemment, il y a des exceptions, des mesures de défense commerciale pour lesquelles nous, Français, nous battons - et nous ne sommes pas les seuls. La mise en oeuvre de ce règlement intérieur sera essentielle pour accéder aux marchés publics des pays tiers, mais le problème est politique, il se situe au niveau des États. C'est pour cette raison que je fais le tour des capitales européennes - je serai encore à Berlin la semaine prochaine et au Danemark en février -, parce que la France est relativement isolée. Le blocage essentiel vient de l'Allemagne qui, après nous avoir soutenus est revenue en arrière depuis juillet dernier. Il faut savoir que le concept de réciprocité n'est pas spontanément admis, y compris à l'intérieur de l'Union européenne. Certains pays me disent clairement qu'ils considèrent que c'est un mécanisme protectionniste. Il faut donc absolument les convaincre. C'est aussi pour cette raison que j'ai adressé une lettre à la présidence irlandaise, au commissaire au marché intérieur, Michel Barnier, et au commissaire au commerce, Karel de Gucht, avec copie à mes partenaires européens pour qu'ils la cosignent. Il faut vraiment que la France trouve des alliés. Pour l'instant, notre position n'est pas majoritaire : seule une petite dizaine d'États membres font leur la nécessité de se doter de ce règlement intérieur. Il en reste donc à convaincre parmi les vingt-six.
Vous avez évoqué aussi l'accord de libre-échange avec les États-Unis qui pointe à l'horizon des années 2013-2015. La présidence irlandaise, je l'ai dit, veut aller vite. J'ai rencontré le représentant irlandais à Bruxelles, à la fin du mois de novembre, et il m'a présenté son calendrier : donner un mandat de négociation à l'Union européenne à la fin de sa présidence, au mois de juin. On aura de gros problèmes avec les États-Unis, et c'est un partenaire d'importance. Nous sommes très vigilants sur cette négociation car si nous n'avons pas les mêmes problèmes qu'avec d'autres pays tiers, ils sont très lourds, qu'il s'agisse des indications géographiques, que les États-Unis ne reconnaissent pas et auxquelles nous, Français, tenons beaucoup ; qu'il s'agisse de la libéralisation des services, dont nous n'avons pas du tout la même conception ; qu'il s'agisse encore de l'exception culturelle. Je rappelle que nous avions obtenu celle-ci dans les années 1990 dans le cadre d'un mandat européen. Il y avait alors une position européenne sur le sujet, mais l'Europe de 2013 n'est pas la même qu'à l'époque. C'est un gros sujet et ma collègue Aurélie Filippetti y est particulièrement attentive.
Vous avez dit qu'avec de gros pays émergents tels que la Chine, l'Inde, le Brésil, on ne pouvait avoir la même position qu'avec d'autres pays. Je m'arrête sur la Chine : il ne faut pas que les Européens en fassent le bouc émissaire de leurs propres difficultés. Nos pays ont un problème global de compétitivité et un problème de croissance. Vous avez vu les chiffres : en ce moment, même l'Allemagne tousse, et quand l'Europe s'enrhume, le monde va tout de même très mal. Mais il faut bien voir que la Chine devient certes une grande puissance, qui n'a pas du reste pris encore conscience des responsabilités que cela entraîne, mais que le PIB par habitant est cinq fois inférieur à celui de la France : il y a beaucoup de pauvres en Chine, ne l'oublions pas, et il y a de très graves déséquilibres.
Notre place sur le marché chinois est très insuffisante et nous ne devons pas utiliser la politique monétaire de l'Union européenne pour masquer nos difficultés : la part de marché de l'Allemagne est cinq fois supérieure à celle de la France alors que nous avons la même monnaie, l'euro. Nous devons nous poser des questions sur notre compétitivité et notre présence sur le marché international.
Parmi les grands pays émergents, citons aussi le Brésil. C'est une grande puissance, riche de potentialités extraordinaires, mais qui a un problème comme le montre sa croissance en 2012 : avec un taux inférieur à 2 %, ce pays ne peut nourrir la totalité de sa population.
S'ils sont puissants, ces grands pays émergents ont des faiblesses structurelles et doivent faire des choix douloureux, ce dont ils se servent lors des négociations : «nous sommes encore des pays en développement», arguent-ils pour jouer sur les deux tableaux. Nous leur répondons qu'ils sont tout de même de grandes puissances qui ont émergé.
La Chine a utilisé la faiblesse de sa monnaie durant les premières années de sa croissance et, actuellement, le yuan ne correspond pas à ce qu'elle est devenue dans le jeu mondial.
(Intervention des parlementaires)
M. Bernard Cazeneuve
Sans m'attarder sur la TVA antidélocalisation, je vais simplement rappeler qu'en matière de commerce extérieur, la France accuse un déficit de 70 milliards d'euros tandis que l'Allemagne enregistre un excédent de 150 milliards. Si les mesures prises au cours des dix dernières années avaient été efficaces, nous ne serions pas dans cette situation.
Si nous voulons aborder ce débat de façon méthodique, sérieuse, sans polémique, il vaut mieux que nous essayions, toutes tendances politiques confondues, d'aller au-delà des arguties échangées pendant la campagne présidentielle pour regarder ce que nous pouvons faire concrètement pour conduire le redressement industriel. Il s'agit d'adopter des mesures nationales susceptibles d'amplifier l'effet des politiques de l'Union afin de permettre des relocalisations industrielles en Europe car, vous l'avez dit très justement, la désindustrialisation touche toute l'Europe à l'exception de l'Allemagne.
Si nous voulons procéder à des relocalisations industrielles, il faut utiliser plusieurs outils déjà cités : moyens de l'Europe 2020 prévus à la rubrique 1A du budget de l'Union, sur lesquels nous devons parvenir à un compromis au mois de février, programme pour la compétitivité des entreprises et des PME, programmes cadre de recherche et développement, Fonds social européen pour former et moderniser les ressources humaines de nos entreprises. Si nous parvenons à mobiliser toutes ces ressources, nous serons en mesure de favoriser les implantations industrielles en Europe.
Par ailleurs, nous devons absolument parvenir à mieux accompagner les PME au sein de l'Union européenne, en facilitant leur accès aux moyens de financement de l'innovation car, y compris dans le secteur industriel, ce sont celles qui sont les plus innovantes, qui accompagnent le plus le transfert de technologies et qui ont le plus besoin de financement. L'intelligence et les capacités des ingénieurs ne doivent pas buter sur les difficultés de financement.
Au-delà du programme COSME, tous les pays doivent mieux articuler leurs dispositifs de financement de l'innovation. À l'occasion de ses voeux, le président de la République a indiqué qu'il entendait favoriser l'investissement public et privé. Il a souhaité que nous réfléchissions à une meilleure coordination entre les régions, les industriels et les apporteurs de moyens de financement tels que la Banque publique d'investissement, la Caisse des dépôts et consignation et les sociétés de capital-risque, de manière à favoriser l'innovation et la réindustrialisation dans notre pays.
Il faut également alléger les formalités administratives qui pèsent sur les PME-PMI et qui handicapent parfois leur dynamique d'innovation. L'Union européenne s'était engagée à réduire de 25 % la charge administrative des entreprises entre 2007 et 2012 ; elle doit poursuivre cet effort. À travers les tests PME, nous devons bien veiller à l'impact des réglementations européenne et nationale sur l'alourdissement des charges administratives qui pèsent sur les entreprises.
Enfin, nous devons avoir des guichets uniques pour les PME-PMI qui veulent avoir accès aux financements européens et nationaux, afin qu'elles n'aient qu'un interlocuteur. Le dispositif «Dites-le nous en une seule fois», étudié conjointement par l'Union européenne, les États et les régions devrait permettre d'atteindre cet objectif, les entreprises n'ayant plus à fournir à plusieurs reprises les mêmes informations à différentes administrations lorsqu'elles veulent investir et innover.
Par ailleurs, il y a toutes les mesures dont j'ai dressé la liste et qui sont destinées à protéger l'industrie des concurrences déloyales. Les réformes des directives marchés publics et concessions doivent permettre d'aller dans cette direction.
(Interventions des parlementaires)
Mme Nicole Bricq
Votre question est à tiroirs puisque vous êtes parti des briquets pour arriver à la responsabilité sociale et environnementale. De même, en partant de Bic et en passant par le granit, je vais m'attacher à parler de la responsabilité sociale et environnementale.
La Commission européenne n'a pas reconduit les droits antidumping dont Bic bénéficiait depuis 1991. Avec Arnaud Montebourg, j'étais intervenue au mois de novembre auprès du commissaire de Gucht. J'avais pu voir le commissaire en aparté à l'occasion du conseil des ministres européens du commerce, le 29 novembre. J'étais intervenue sur le sujet devant mes collègues, du reste, pas pendant le conseil puisque ce n'était pas à l'ordre du jour, mais lors d'une réunion informelle avec l'ensemble des ministres.
Ces interventions n'ont pas été infructueuses. Alors que le commissaire ne voulait rien entendre, la direction de Bic discute désormais avec les membres de la direction du commerce de la Commission européenne.
L'entreprise fait passer des messages dans les journaux et à l'État français. Elle défend sa position. Je crois que le fait que cette discussion ait lieu est en soi positif.
Vous avez utilisé l'expression «fragmentation de la production», je n'emploierai pas ces termes.
Je veux vous rappeler aussi qu'il faut toujours s'inquiéter, comme le fait notamment l'OMC, du lieu où se crée la valeur ajoutée. Dans le cas d'Airbus par exemple, je sais que les commandes de la Chine vont être importantes et porter désormais sur les gros-porteurs. D'abord, Airbus est européen. Il faut aussi savoir que des composants sont fabriqués dans les pays auxquels nous vendons des Airbus parce qu'ils veulent se doter à terme d'une industrie aéronautique. Pour obtenir des pays d'accueil que leurs marchés soient moins fermés, il faut accepter aujourd'hui - je l'ai dit précédemment - qu'ils deviennent, s'ils en ont la capacité, des concurrents alors qu'ils sont des partenaires industriels. C'est le cas de la Chine dans l'aéronautique : elle deviendra notre concurrent parce qu'elle voudra elle-même se doter d'une industrie aéronautique. J'étais en Turquie la semaine dernière, les Turcs nous disent : «on vous achète des Airbus mais à un moment donné on voudra avoir aussi notre propre avion». Cela n'arrivera pas tout de suite parce qu'avant de fabriquer un très gros porteur, un A380 par exemple, il faut quelques années... L'essentiel est de conserver une avance en matière de création de valeur ajoutée. Si on introduisait le critère de la valeur ajoutée dans notre commerce extérieur, nous n'aurions pas tout à fait les mêmes résultats qu'avec la simple balance des produits.
Vous avez évoqué un sujet extrêmement important, la loyauté des échanges au travers des critères sociaux et environnementaux. C'est essentiel. Je l'ai dit, c'est l'une des exigences de la France que de fixer certains critères pour accepter la signature d'accords au niveau européen. Parmi ces critères, figure la haute exigence environnementale et sociale dans le commerce international. Aujourd'hui, la Banque mondiale est en train de réviser les critères fixés dans son code des marchés publics. Il s'agit d'un enjeu important parce que le taux de retour des seuls marchés publics passés par la Banque mondiale est faible et que ce code sert de modèle à de nombreux pays en voie de développement. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé à Pierre Moscovici qui représente la France au board de la Banque mondiale de faire en sorte que les marchés passés par elle intègrent les critères d'exigence environnementale et sociale.
Je veux dire que la responsabilité sociale et environnementale que nous commençons à prendre en compte fortement en Europe, particulièrement en France qui en a été à l'initiative, est un atout en matière de compétitivité plutôt qu'un handicap. C'est aussi un moyen d'obtenir dans les pays tiers, je pense à l'Afrique, que les marchés d'infrastructures passés grâce à l'aide publique au développement ne soient pas systématiquement attribués à ceux qui disposent de la puissance de feu financière - je ne citerai pas d'États - sans qu'ils subissent les contraintes que représente le contrôle des aides d'État pour l'Union européenne. Cela leur permet d'être le moins disant et d'utiliser des critères environnementaux et sociaux qui ne correspondent pas aux standards européens. La prise en compte de la dimension sociale et environnementale dans les financements à l'export doit vraiment retenir notre attention. C'est déjà le cas dans la garantie qu'apporte la COFACE, dans le FASEP, le fonds d'étude et d'aide au secteur privé, c'est-à-dire les aides aux projets fournies par la direction du Trésor à Bercy, et dans le mécanisme de réserve pour les pays émergents. Ce dernier est une aide liée : en contrepartie de l'accès pour un pays à cette réserve, une offre française doit obtenir 70 % du marché passé. Là aussi, nous introduisons petit à petit les critères sociaux et environnementaux. Nous ne sommes donc pas dépourvus.
Je me rendrai bientôt au Danemark. Ce pays est très libéral, donc rarement de notre côté dans les négociations de libre-échange. En revanche, il est très attaché aux critères environnementaux. J'aurai donc un allié qui ne sera pour une fois ni un pays d'Europe du Sud ni un pays d'Europe orientale. L'Angleterre, qui est aussi très libérale mais très allante sur la question environnementale, sera également un allié. Je disais précédemment qu'il faut savoir trouver des alliés en fonction des situations, donc savoir avancer avec eux pour faire basculer les autres : on n'est jamais majoritaire tout seul.
(Interventions des parlementaires)
Mme Nicole Bricq
Je persiste et je signe. Le protectionnisme est une impasse et une impasse historique. C'est une impasse car tous les pays peuvent tenir ce raisonnement, et c'est une impasse historique, parce que c'est ce qui s'est passé pendant les années trente. Et on sait que cela finit toujours très mal, c'est pourquoi j'ai utilisé ces termes qui peuvent paraître forts.
Cela étant, si l'ouverture est le principe, je l'ai dit aussi, chaque fois que nous pouvons faire valoir des intérêts défensifs, il faut le faire. Pour être majoritaire, il faut convaincre les autres. Nous avons déjà su le faire, j'ai cité le cas du Japon avec lequel nous avons des difficultés dans l'automobile. Nous avons l'exemple de ce qui s'est passé en Corée. Nous avons demandé à la Commission de mettre en place la clause de sauvegarde. Celle-ci a considéré que ce n'était pas justifié. Je suis allé à Bruxelles pour défendre notre décision sur la Corée. Je ne veux pas que cela recommence avec le Japon. Nous avons un secteur en difficulté, il faut faire valoir la mise en place d'un mécanisme défensif. C'est pourquoi j'ai demandé et obtenu l'application d'une clause de surveillance régulière dans la négociation et après, quand l'accord sera conclu. Nous pourrons alors regarder quand nous arriverons au terme de cette négociation qui sera longue et difficile avec un pays comme le Japon, qui est traditionnellement fermé.
Dans le même temps, je dois faire valoir nos intérêts offensifs. Il est évident que l'agroalimentaire français a un intérêt à l'accord de libre-échange. Il faut donc faire la part entre nos intérêts défensifs et offensifs, il faut faire le compte : le compromis est possible si le compte est positif. Il faut qu'il soit positif pour l'emploi en France, positif pour les exigences environnementales et positif pour les exigences sociales. C'est là que la réciprocité trouve vraiment à s'exercer, c'est-à-dire qu'il faut que les barrières non tarifaires soient abaissées. Il n'est pas normal - je prends encore l'exemple du Japon - sans me focaliser sur ce pays - que depuis la crise de la vache folle, alors que nous répondons à toutes les exigences sanitaires, le Japon ait traîné des pieds pour envoyer ses inspecteurs vérifier, douze ans après, que la viande bovine était exportable. J'espère que cela servira d'exemple à la Chine qui a le même réflexe de refuser d'importer nos bovins. On le voit, il faut se battre pied à pied. Il faut dans ce cas faire valoir nos intérêts défensifs mais regarder aussi ce que cela peut nous rapporter.
Avec la Corée, il est vrai qu'il y a eu une explosion relative du nombre de voitures coréennes en Europe. Mais cela s'est produit l'année où, pour la première fois dans l'exécution de l'accord de libre-échange, le solde était positif : jusque-là, nous avions toujours été en solde négatif.
Il faut manier l'un et l'autre et c'est ce que je m'efforce modestement, à la place qui est la mienne, de faire.
J'ai répondu tout à l'heure à la question que vous avez posée, monsieur de Rugy, qui, je le sais, correspond à vos préoccupations pour les normes sociales et environnementales. Je n'y reviens donc pas.
J'ai évoqué les États-Unis, je pourrais citer aussi le Canada avec qui nous avons des négociations sur le feu. Il est évident que nous avons à son égard des intérêts défensifs, notamment dans tout le secteur agricole. Il n'est pas question de céder. C'est pourquoi nous avons renforcé le mandat que nous avons donné à la Commission européenne, laquelle a entendu notre message puisqu'elle a reculé la date de conclusion de l'accord. Si nous cédons sur certains points avec le Canada, nous nous retrouverons en position de faiblesse vis-à-vis des États-Unis car ce que nous accepterons de céder au Canada, les États-Unis, deuxième puissance commerciale du monde, ne manqueront pas de le demander à leur tour. Il faut donc faire très attention.
M. Bernard Cazeneuve
Monsieur de Rugy, lorsque vous évoquez les raisons qui vous poussent à sauter sur votre chaise, je n'en vois aucune qui justifierait une condamnation de notre action au sein de l'Union européenne. Je n'ai aucune raison de m'indigner de ce que vous venez de dire et vous n'avez aucune raison de sauter sur votre chaise lorsque nous exprimons ce que nous avons à exprimer.
Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas un État au monde qui préconise le protectionnisme aujourd'hui ; parce qu'il n'y a pas un entrepreneur, fût-il adepte du commerce équitable, qui réclame la fermeture de toutes les frontières. Nous avons besoin de vendre et d'acheter : les industriels mourraient s'ils n'avaient pas la possibilité d'acheter des matières premières et des composants produits hors de nos frontières pour pouvoir eux-mêmes produire.
La question du protectionnisme et du libre-échange ne se pose pas de façon aussi théologique qu'au XIXème siècle. Nous avons besoin d'acheter et de vendre, je le répète, et la question est de savoir quelles règles élaborer au sein de l'Union européenne pour faire en sorte que l'Europe ne se désindustrialise pas massivement, ne perde pas d'emplois et que la préoccupation que votre groupe exprime souvent pour les conditions sociales et environnementales soit prise en compte.
Telle est notre préoccupation lorsque nous demandons que puissent être rejetées les offres anormalement basses soumises pour un marché public par les pays qui ne respectent pas nos clauses sociales et environnementales.
Je préfère voir l'Europe avancer dans cette voie - lorsqu'elle modifie ses directives, lorsqu'elle prend en compte nos préoccupations en matière de régulation du commerce international - plutôt que de déclarer de façon idéologique un grand soir européen qui va produire des antagonismes, affaiblir notre position au sein de l'Union européenne et nous conduire à ne plus rien obtenir de ce que nous souhaitons voir prévaloir.
Je n'ai pas de désaccord de fond avec vous, Mme Bricq non plus, je crois. Je ne suis même pas sûr que nous ayons un désaccord de méthode parce que je suis absolument convaincu que vous vous rallierez assez facilement à l'idée que l'on ne pourrait plus obtenir de l'Union européenne ce que nous souhaitons si nous créions des conditions politiques telles qu'elle se ferme totalement à nos demandes. Nous ne pouvons pas non plus, lorsque nous commençons à obtenir ce que nous souhaitons, ne pas vouloir aller plus loin en continuant à discuter, à dialoguer et à porter notre parole.
Mme Bricq l'a dit tout à l'heure avec raison, lorsque nous sommes autour de la table des Vingt-sept, des pays comme le Danemark ou la Suède n'ont pas nécessairement la même approche que nous du juste échange. Mais malgré cela, nous parvenons à faire avancer nos thèses. Nous proposons donc très pragmatiquement que nous nous adossions à ce que nous avons déjà engrangé pour aller plus loin.
Quand je vous dis qu'il ne me paraît pas souhaitable de remettre en cause les institutions et les politiques européennes de façon unilatérale et déclaratoire, c'est parce que j'ai pu constater, notamment au cours des derniers mois, qu'il est possible au sein de l'Union d'avancer très concrètement dans le sens de ce qui nous paraît souhaitable afin que le juste échange, le mieux-disant social, le mieux-disant environnemental et l'harmonisation fiscale progressent. Telle est notre politique.
Mme Nicole Bricq
J'aimerais revenir quelques instants, Monsieur de Rugy, sur l'exemple que vous donniez des verres de lunettes. Comme le souligne Bernard Cazeneuve, il faut avoir une approche pragmatique.
Il peut y avoir, il doit y avoir des relocalisations. Les entreprises se livrent à des arbitrages économiques. Elles prennent en compte le fait qu'aujourd'hui, en Chine, notamment dans le Sud, les salaires augmentent de façon très rapide. Dans la province du Guangdong, extraordinaire plateforme du développement économique du pays où je me suis rendue, un ingénieur est désormais payé au même niveau que les standards européens. Elles prennent aussi en considération les coûts de transport. Leurs calculs faits, certaines se rendent compte qu'elles n'ont plus intérêt à produire dans ces pays et se relocalisent.
La Chine, qui polarise décidément beaucoup de nos débats, est concurrencée par des pays comme le Vietnam et elle est copiée : elle s'intéresse elle-même à la protection de ses intérêts et cherche à s'approcher des standards européens.
Nous sommes face à des mécanismes dynamiques. Il ne faut pas en rester à des visions statiques : un pays qui émerge est confronté très vite à ses propres contradictions, du fait que d'autres pays le concurrencent et le copient.
(Interventions des parlementaires)
M. Bernard Cazeneuve
J'aimerais vous remercier, Monsieur Chassaigne, pour votre clarté, votre sincérité et la passion que vous mettez dans vos questions, qui rejoignent certains échanges que nous avons pu avoir lors de la ratification du TSCG.
Vous entendez montrer qu'il n'y a pas de réponse unique aux problématiques du libre-échange, du juste échange et que les ministres apportent des réponses techniques et technocratiques quand il faudrait faire de la politique.
Ainsi, lorsque vous intervenez lors des débats de l'Assemblée nationale pour dire qu'il faudrait un autre ordre économique mondial et une réorientation de l'Union européenne, lorsque vous appelez de vos voeux un renforcement de la protection sociale et environnementale, vous feriez de la politique et nous, lorsque nous sommes autour de la table des Vingt-sept pour faire en sorte que ces préoccupations se traduisent concrètement dans le droit européen, nous ferions de la technocratie. C'est un peu facile, Monsieur le Député !
Lorsque nous nous battons, afin de maintenir un haut niveau de protection sociale en Europe, pour qu'il soit possible d'empêcher, dans les directives européennes, les offres anormalement basses provenant de pays ne respectant en aucun cas les normes sociales et environnementales, donnant dans le moins-disant social et le moins-disant environnemental et n'assurant aucune protection sociale, nous ferions de la technocratie là où vous feriez de la politique. Non, nous faisons de la politique sérieusement. Nous faisons de politique en faisant en sorte que les principes auxquels nous tenons - le mieux-disant social, le mieux-disant environnemental, la protection de notre industrie, la préservation de notre système de protection social - soient garantis.
Certes, avec Mme Bricq, nous nous employons à dire ce que nous faisons le plus précisément possible parce que c'est pour nous une manière de manifester le respect que nous devons à la représentation nationale, mais, rassurez-vous, cela ne traduit en aucun cas une incapacité de notre part à approcher ces questions autrement que sous forme technocratique.
Cette précision me paraît utile car tous les sujets que nous avons évoqués - la directive sur les marchés publics, la directive sur les concessions, la mise en place d'une politique industrielle assortie d'une réflexion sur la sidérurgie à laquelle les organisations syndicales sont associées - relèvent de préoccupations politiques que nous exprimons autour de la table des Vingt-sept.
Il nous arrive, autour de cette table, de nous sentir plus seuls que nous ne le souhaiterions, et de devoir par conséquent mettre davantage d'énergie que d'autres à convaincre que nos thèses sont justes. En dépit de cela, nous y parvenons, moins vite que nous ne le souhaiterions, mais nous y parvenons.
Ensuite, vous nous interrogez - c'est une préoccupation très juste - sur les conditions dans lesquelles ces 60 milliards de prêts seront utilisés afin de promouvoir de bonnes politiques, qui préservent l'environnement, aident notre industrie et favorisent la croissance.
C'est cette cohérence européenne, à laquelle nous tenons beaucoup même si elle ne va pas de soi, que nous tentons de faire prévaloir. Nous avons tout d'abord clairement indiqué que les projets que nous porterions, au titre des prêts de la Banque européenne d'investissement comme des obligations de projets, devaient concerner l'équipement numérique des territoires, le développement des transports de demain et le développement de la transition énergétique.
Ainsi, et cela vous intéressera directement, Monsieur Chassaigne, nous considérons qu'avec les prêts de la Banque européenne d'investissement et les obligations de projets, nous pourrions accompagner le projet de la numérisation du département du Puy-de-Dôme, de la région Auvergne, qui nous a présenté un projet de numérisation du territoire pouvant aider au développement des PME-PMI.
Ce projet peut être pris en compte - je ne dis pas qu'il sera retenu par les instances européennes car je ne veux pas «griller» nos chances de l'obtenir en donnant le sentiment que c'est déjà fait, alors que nous présentons le dossier ; mais nous le soutenons.
Nous allons aussi intervenir dans le domaine du développement des énergies renouvelables, et nous serons d'autant plus en situation de le faire que, concernant l'utilisation des fonds structurels européens, il a été décidé de faire émerger une «convergence thématique» plutôt que de procéder à un saupoudrage entre de multiples projets n'ayant pas de cohérence en termes de politique européenne.
Nous faisons désormais en sorte que soient davantage aidés, au titre de la mobilisation de fonds européens, des projets qui entrent dans le cadre des préoccupations de l'Europe 2020, telles que le numérique, le transport propre et le développement des énergies renouvelables. Nous oeuvrons ainsi pour que les fonds structurels, les prêts de la Banque européenne d'investissement et les obligations de projets s'articulent dans le financement des projets de l'Union. Telle est la perspective dans laquelle nous nous inscrivons.
Nous cherchons par ailleurs, dans la négociation du budget de l'Union européenne, à obtenir les sommes nécessaires, ainsi que des textes législatifs suffisamment précis pour définir leurs conditions d'allocation. Tel est, en effet, le rôle du Parlement européen, de la Commission et du Conseil, dans le cadre du trilogue, afin que nos objectifs de convergence thématique, c'est-à-dire de cohérence de nos politiques de financement, soient bien prévalents.
Mme Nicole Bricq
Monsieur Chassaigne, la prochaine fois que je rencontrerai un haut responsable, je m'interrogerai ; je ne sais pas si je faisais hier de la politique ou de la technocratie lorsque je rencontrais le secrétaire général du parti communiste chinois de la province la plus dynamique de Chine, qui représente à elle seule 100 millions d'habitants.
Ledit responsable faisant en outre partie des 25 membres du bureau politique, je lui ai évidemment vanté les mérites de nos entreprises et de nos produits. Je ne sais pas si c'est faire de la politique ou de la technique, mais il n'empêche... Je m'arrête là, parce que c'est une boutade !
Vous avez posé des questions dynamiques et intéressantes, en évoquant notamment la propriété intellectuelle à propos des indications géographiques. Sachez que dans tous les accords de libre-échange que nous sommes amenés à négocier, que ce soit avec Singapour, le Canada ou le Japon, ce sujet fait à chaque fois partie de nos discussions.
Je citerai quelques exemples. Ainsi, concernant la Corée, voyez tout ce que nous avons réussi à intégrer, pour les produits agro-alimentaires, dans l'accord avec ce pays : le cognac, le comté, le roquefort, le camembert de Normandie, le brie de Meaux, les pruneaux d'Agen, le jambon de Bayonne, les huîtres de Marennes Oléron... Il y a de quoi faire un très bon repas !
Vous avez également évoqué les couteaux laguiole. Votre exemple était bien choisi, car nous voulons que l'indication géographique soit étendue aux produits non alimentaires. Cette disposition sera intégrée dans le projet de loi sur la consommation que défendra notre collègue Benoît Hamon, en collaboration avec Sylvia Pinel. Ce projet de loi sera déposé en Conseil des ministres en mars ou en avril, de manière à ce que le Parlement - qui, lui, fait de la politique - en soit saisi avant l'été. J'espère donc que vous serez là pour vous battre afin que cela soit bien précisé ! Quoi qu'il en soit, nous avançons sur ce sujet, et nous obtiendrons cette disposition.
Quant aux marchés publics, sujet encore une fois très politique, nous disposons d'outils, comme le règlement concernant l'accès des pays tiers aux marchés publics de l'Union européenne. La Commission, qui en a élaboré le projet, est pour, tout comme le Parlement européen ; mais les États bloquent. C'est donc à ce niveau que je me bats pour faire avancer la situation.
C'est l'Allemagne qui aujourd'hui fait basculer la décision des États. Deux conseils européens de suite ont inscrit cette priorité dans la déclaration finale. Et pourtant, rien n'avance, parce que l'Allemagne bloque : elle ne souhaite pas en effet prendre une position, afin de ne pas subir de mesures de rétorsion de la part de pays tiers où elle exporte beaucoup. Il faut donc la convaincre, en même temps que les autres.
De plus, il existe un projet de révision de la directive 2004 sur les marchés publics ; nous en avons déjà parlé tous les deux. Bernard Cazeneuve vous a expliqué que nous avions obtenu des avancées. Cette révision, qui intègre donc ces avancées très positives pour les marchés publics, sera soumise en avril 2013 au Parlement européen, celui-ci ayant en effet son mot à dire.
Ainsi, la commission et le Parlement sont d'accord ; il reste à obtenir l'accord des États. C'est ce que l'on appelle le trilogue. La directive devra ensuite être transposée dans le droit français, contrairement au règlement qui est d'application immédiate dans les États. Tels sont les deux outils à la disposition des parlementaires, qu'ils soient européens ou nationaux.
(Interventions des parlementaires)
Mme Nicole Bricq
Vous avez dit une chose tout à fait juste, mais qu'on peut retourner : l'Allemagne fait les trois quarts de son commerce extérieur avec l'Union européenne, mais le commerce extérieur des États-membres est intra-européen à plus de 60 %. Les deux tiers du commerce se font à l'intérieur de l'Europe, ne l'oublions pas, et l'Europe, pour nous Français, est notre premier marché : c'est notre marché de proximité. Ce n'est pas un problème lié à l'euro : tout à l'heure Bernard Cazeneuve a cité les chiffres qui nous différencient de l'Allemagne.
Il est vrai que la Chine a utilisé la monnaie pour accompagner sa croissance et son rattrapage industriel, mais maintenant elle pourrait faire mieux. J'observe tout de même que ce débat a été très prégnant aux États-Unis mais que les Américains ne parlent plus du réalignement du yuan, parce qu'ils ont retrouvé eux-mêmes un dynamisme peut-être fragile mais que l'Europe n'a pas retrouvé. Je crois qu'il faut se battre pour que la croissance revienne en Europe : c'est la priorité n° 1 du président de la République et de nous tous dans les discussions que nous avons avec nos partenaires.
Monsieur Liebgott, vous avez parlé du projet Terra Lorraine. Il est connu, je sais que le président du conseil général de votre département y est favorable mais, vous l'avez rappelé avec insistance, c'est un projet privé. Il pose le problème des investissements chinois en France. Moi je préfère un projet que j'ai eu l'honneur de découvrir quand je suis allée en Bretagne il y a quinze jours : quand une grande entreprise chinoise, Sinutra, vient en Bretagne pour faire une unité de production de lait en poudre, parce qu'elle sait qu'en France elle aura une qualité sanitaire exceptionnelle et reconnue au plan international, qu'elle investit 100 millions et crée cent soixante emplois, là je dis oui. J'ai passé deux journées en Chine et je suis rentrée ce matin : j'ai appelé à des investissements chinois dans le secteur industriel.
J'observe aussi une chose : les Chinois veulent absolument entrer en Europe au niveau des télécommunications. Officiellement - je ne sais s'il faut que ce soit inscrit au compte rendu - l'Allemagne a comme nous une position défensive. Mais c'est là qu'on retrouve le principe de réalité, Madame Bechtel. Il y a deux grands groupes chinois dans les télécoms, Huawei qui est connu internationalement et ZTE. L'un est très ouvertement un groupe d'État, l'autre est quasiment un groupe d'État. L'Allemagne dit des choses, mais dans la réalité ZTE est très présent en Allemagne. Faisons attention, parce que la réalité quelquefois nous éloigne du discours et qu'il y a une compétition féroce dans ce domaine entre le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne. Moi je préfère des investissements dont je connais l'objet, c'est l'économie réelle. Je n'en dirai pas plus là-dessus. Les collectivités locales sont libres de fournir des facilités à des entreprises : c'est leur liberté.
Mme Rabin m'a dit que j'étais souvent seule, mais je n'ai pas dit cela : j'ai dit qu'on pouvait partir d'une position minoritaire et arriver à une position majoritaire, c'est-à-dire bâtir des compromis avec nos partenaires européens. Ce n'est pas spectaculaire, cela ne se fait pas à coup de déclarations mais dans les enceintes communautaires et par les contacts bilatéraux que nous avons. On peut y arriver, même si c'est difficile.
Vous avez évoqué le recours à des instruments défensifs : il faut bien sûr le faire chaque fois que c'est possible, mais à bon escient, car il peut y avoir des représailles.
En Chine, il y a un otage tout trouvé : c'est le vin. Nous sommes très performants, nous pouvons avoir des problèmes un jour, il faut savoir dire que des pratiques ne vont pas, mais à bon escient. Nous, nous le faisons, ce que ne font pas tous nos partenaires...
Pour terminer, Monsieur Lassalle vous posez, à travers Total, le problème des grands groupes.
Il est vrai que les grands groupes, tous ceux du CAC40, se sont beaucoup internationalisés. Cette internationalisation a été réussie, parce que derrière les grands groupes, il y a aussi des petites et moyennes entreprises, ainsi que des entreprises de taille intermédiaire. Hier, j'étais sur le chantier nucléaire de Taishan, avec l'ensemble de la famille du nucléaire : grâce à EDF, AREVA et Alstom - les trois majors -, quatre-vingt-cinq entreprises ont maintenant une projection sur le marché chinois. Je prends l'exemple d'une entreprise qui fait de la robinetterie pour le nucléaire. Sachant faire de la robinetterie pour le nucléaire, elle sait en faire dans bien d'autres domaines, et elle peut se développer de manière autonome.
Mais ces grands groupes, en s'internationalisant, se sont parfois éloignés, c'est vrai, de certains territoires. Ils ont souvent réussi leur internationalisation grâce à l'aide de la puissance publique, qu'il s'agisse des régions, des départements, des collectivités en général, ou de l'État. Je ne leur fais pas la morale, mais je leur demande, puisque la puissance publique les a aidés, d'aider eux aussi les petites et moyennes entreprises à pouvoir un jour devenir de grands groupes. Et c'est tout le pari du gouvernement que de faire en sorte que nous puissions préparer les grands groupes de demain, parce que, comme vous le savez, les PME qui réussissent leur croissance rencontrent, à un moment donné, un plafond de verre : elles ne peuvent plus progresser. Elles se font racheter, ou elles disparaissent. Et cela, ce n'est pas possible ! C'est tout le pari industriel que la France est en train de relever avec le plan de compétitivité et d'attractivité du gouvernement.
M. Bernard Cazeneuve
J'ajouterai quelques précisions pour répondre à des questions qui avaient un caractère technique.
Dans le cadre de la révision des dispositifs relatifs aux aides d'État au sein de l'Union européenne, nous sommes très attentifs à la question des seuils de minimis, qui a été posée par Mme Rabin. C'est un sujet extrêmement important, et sur lequel nous avons la possibilité d'agir, puisque ce cadre des aides d'État est en cours de modernisation, de refonte. Votre question, madame la députée, tombe donc à point nommé. Nous avons là une possibilité d'intervenir très concrètement.
Nous, nous considérons - et nous l'avons déjà fait savoir - que le contrôle doit porter désormais sur les aides d'État les plus importantes, attribuées aux industries les plus importantes, c'est-à-dire là où il y a une véritable possibilité qu'elles affectent le bon fonctionnement du marché intérieur. C'est la raison pour laquelle nous sommes favorables à un relèvement des seuils de minimis. Nous avons réussi, il y a de cela quelque temps, à faire en sorte que cela soit envisagé et rendu possible pour les services publics locaux.
Une question m'a été posée par Mme Marietta Karamanli au sujet de la mobilisation des moyens du capital-risque en faveur des entreprises européennes. Que fait l'Europe pour accompagner les capital-risqueurs, ou en tout cas favoriser la création de capital-risqueurs qui viennent en soutien des PME, des PMI, ou des entreprises les plus innovantes ?
Le sujet a un peu progressé sous la présidence chypriote. Un accord a été trouvé pour permettre aux fonds de capital-risque nationaux d'investir plus facilement dans les autres États membres de l'Union européenne, afin d'assurer le financement des PME-PMI innovantes. Cela n'était pas possible jusqu'à présent. Cela l'est devenu. Et d'ailleurs, cela renforce la dynamique propre au marché intérieur.
Des questions énergétiques ont été évoquées par Mme Guittet. Vous savez l'engagement de la France sur le plan climat. Nous avons d'ailleurs décidé d'accueillir, en 2015, la conférence sur le climat, ce qui fait l'objet d'une très forte mobilisation des ministres concernés, Laurent Fabius, Pascal Canfin et Delphine Batho. Comme nous allons accueillir cette conférence, par-delà ce qui nous mobilise en termes de convictions, de politiques publiques, nous sommes bien entendu très désireux de voir ces sujets progresser.
S'agissant de la taxation de l'énergie, les négociations sont toujours en cours sur la révision de la directive de 2003. L'idée est d'ajouter une composante CO2 à la taxe actuelle, puisque celle-ci ne porte aujourd'hui que sur la part énergétique. Mais les négociations sont très difficiles, parce qu'elles ne peuvent aboutir, comme vous le savez, que si l'on a réussi à recueillir l'unanimité. La France s'emploie à essayer de faire en sorte qu'un môle de pays convaincus de la nécessité d'aller dans le sens d'une véritable fiscalité énergétique harmonisée puisse se mobiliser à nos côtés.
Pour ce qui concerne la définition d'une politique énergétique européenne en faveur du renouvelable, outre le fait que nous sommes liés par les objectifs du plan climat, vous avez remarqué qu'hier, à Berlin, ont été rendus publics des objectifs franco-allemands dans trois domaines.
Le premier, ce sont des programmes communs de développement des énergies renouvelables, ce qui appelle des coopérations industrielles, qui seront d'autant plus faciles à mettre en oeuvre que ce sont des filiales françaises qui ont pour partie développé l'offshore maritime en Allemagne. Je pense notamment à l'implantation à Bremerhaven d'AREVA Wind, filiale d'AREVA. Par conséquent, il existe aujourd'hui la possibilité de coopérations industrielles, en raison de ce qui a déjà été initié.
Nous avons aussi la volonté de nous engager ensemble dans l'utilisation optimale du MIE dans son volet énergétique - l'interconnexion énergétique.
Nous avons enfin la volonté de nous engager ensemble dans l'amélioration du bilan thermique des bâtiments, qui est un facteur considérable de croissance et qui peut permettre d'améliorer sensiblement nos résultats au titre du plan climat.
Voilà, Mesdames et Messieurs les Députés, ce que je voulais dire en complément des propos de Mme Bricq.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 janvier 2013