Interview de M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale à France-Info le 20 février 2013, sur la réforme des rythmes scolaires, notamment le passage à la semaine de quatre jours et demi.

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Média : France Info

Texte intégral


ERSIN LEIBOWITCH
Un mot d’abord sur la prise d’otages d’hier au Cameroun, il y a beaucoup d’expatriés dans l’Education nationale, avez-vous adressé des consignes particulières, des consignes de sécurité à ceux qui sont en poste dans cette région ?
VINCENT PEILLON
Il ne m’appartient pas de le faire, mais il faut aujourd’hui faire très attention, on le voit, et donc je recommande aux expatriés de l’Education nationale, mais à l’ensemble de ceux qui sont là – on voit ce qui arrive à cette famille, on en est tous affectés et inquiets – la plus grande prudence.
ERSIN LEIBOWITCH
Est-ce que vous pensez, Vincent PEILLON, que l’intervention française au Mali a fait de notre pays une cible pour les djihadistes, les terroristes islamistes ?
VINCENT PEILLON
Il y a longtemps que la France – parce qu’elle défend un certain nombre de valeurs, elle a été présente en Afghanistan, elle a dit un certain nombre de choses dans différents conflits – elle ne se laisse pas impressionner par le terrorisme, est souvent désignée par certains, mais je ne crois pas que ce que nous avons fait au Mali… qui est d’ailleurs couvert par l’ordre international et qui est à l’honneur des valeurs qui sont les nôtres, qui était demandé par les Maliens, peuple qui veut disposer de lui-même et pas être sous la férule de gens qui sont à la fois des terroristes et des gens d’une extrême violence, on l’a vu, à l’égard des populations, non, je crois qu’il faut continuer.
ERSIN LEIBOWITCH
Enlever des Français est devenu un sport national pour les djihadistes, c’est ce que disait tout à l’heure, sur FRANCE INFO, le député UMP Alain MARSAUD, vous le pensez aussi, est-ce que ce danger a été accentué ces dernières semaines ?
VINCENT PEILLON
Il y a des dangers pour les ressortissants français, c’est clair, et donc c’est pour ça qu’on donne depuis déjà longtemps des consignes de prudence, il n’y a quand même pas que des Français dans ces affaires d’otages, vous le savez, en Somalie ou ailleurs, mais il faut aujourd’hui faire extrêmement attention, parce qu’il y a, d’une part, ce qui est de l’ordre de la revendication, et puis, il y a d’autre part, tout simplement, un trafic sur les personnes, qui est un trafic financier. On l’a vu dans un certain nombre d’endroits.
ERSIN LEIBOWITCH
Vincent PEILLON, on en vient maintenant à la réforme des rythmes scolaires, le passage à la semaine de quatre jours et demi. Aujourd’hui, les animateurs des centres de loisirs à Paris sont en grève, après les protestations des instituteurs, aussi des parents d’élèves, pourquoi cette contestation très forte, selon vous ?
VINCENT PEILLON
Vous savez, c’est la mauvaise pente dans laquelle la France s’est engagée depuis quelques années qui explique – parce que les gens ne le savent peut-être pas – que les résultats de nos élèves sont très mauvais, et de plus en plus mauvais. Et puis, dans une certaine indifférence. Et on a encore empiré les choses ces dernières années, 80.000 suppressions de postes, plus de formation pour les enseignants, la semaine de quatre jours, unique au monde, ça n’a que quatre ans ! Et ça, ça pèse très fortement sur nos élèves et nos enfants. Alors, il faut faire un effort, il faut se reprendre, il y a un effort qui est l’effort national, créer 60.000 postes, remettre en place une formation des enseignants, un service public du numérique, changer notre système de formation, aller chercher nos décrocheurs, c’est ce que nous faisons, nous…
ERSIN LEIBOWITCH
Quand vous dites : se reprendre, c’est remettre les écoliers au travail en quelque sorte ?
VINCENT PEILLON
Mais leur donner ce qu’on a eu nous-mêmes ! Du temps pour apprendre. Aucun d’entre nous, les adultes d’aujourd’hui, n’a eu des professeurs pas formés ou seulement huit demi-journées, aucun autre enfant du monde, et on est en train de faire ça à nos enfants. Donc on leur fait d’abord du mal, et ça se voit dans les enquêtes internationales, notre niveau régresse, nous accroissons les inégalités sur notre territoire, et nous ne préparons pas l’avenir de notre pays. Donc oui, il faut un effort. Alors, cette réforme, parmi toutes les réformes qui ont conduit la refondation, c’est un aspect les rythmes scolaires, mais là encore, c’est celui qui mobilise le plus, pourquoi, parce que c’est un endroit où on demande un effort à chacun, c’est difficile, ça change les habitudes des parents, c’est difficile pour les professeurs, il faut revenir le mercredi matin, c’est difficile…
ERSIN LEIBOWITCH
On n’a plus l’habitude de faire des efforts…
VINCENT PEILLON
Pour les élèves, c’est ça le but de cette réforme et de mon action. L’Education nationale doit faire réussir les élèves. Mon problème n’est pas celui des ministres, des collectivités locales, des… j’entends tout, mais tous, nous devons nous rassembler, collectivités locales, professeurs, animateurs, parents, autour de l’intérêt des élèves. Et là, personne ne le conteste d’ailleurs, il faut bien revenir aux quatre jours et demi.
ERSIN LEIBOWITCH
Alors, est-ce qu’il faut expliquer davantage ce que vous venez nous dire là pour justement calmer un peu cette contestation ou passer en force, quoi qu’il arrive ?
VINCENT PEILLON
Jamais passer en force, nous expliquons et nous nous concertons depuis des mois, contrairement à ce que j’entends. Vous savez que l’Académie de médecine s’est prononcée. Le gouvernement précédent avait fait une consultation de plusieurs mois sur les rythmes scolaires qui était arrivée à l’unanimité, gauche/droite confondues, maintenant, on voit bien l’instrumentalisation politique. Et nous avons repris nous-mêmes la concertation pendant plusieurs mois. Je n’ai écrit qu’une lettre aux enseignants depuis que je suis ministre, c’est pour leur dire : entrez dans cette concertation sur cette réforme. Et maintenant, la concertation, qui a été d’abord nationale pendant plusieurs mois, et c’est comme ça que nous avons rédigé ce décret, elle arrive sur le terrain, laissons-lui du temps, et puis, ceux qui ne peuvent pas passer en 2013, que le maximum passe en 2013, c’est l’intérêt des enfants, ils passeront en 2014…
ERSIN LEIBOWITCH
Vous avez une idée de la proportion de ceux qui vont y arriver à passer en 2013 ?
VINCENT PEILLON
Moi, je veux qu’on respecte les rythmes pour les enfants, donc aussi pour les adultes, ça fait simplement quinze jours que la concertation commence, tout le monde dit : on manquait de concertation, eh bien, ça y est, on y est ! Et on a plusieurs mois pour la mener. Donc il y a en ce moment partout en France, et d’ailleurs, c’est déjà une vertu de cette réforme, on parle de l’école, on parle des enfants, on parle de leur intérêt dans chaque ville, dans chaque village, et ça doit se poursuivre jusqu’à fin mars.
ERSIN LEIBOWITCH
Vous parliez d’instrumentalisation politique de la part de la droite, on sent quand même des hésitations dans certaines grandes mairies socialistes, à Lyon, ce sera en 2014, et pas en 2013, hésitation à Lille, hésitation à Paris aussi, où la contestation est très virulente.
VINCENT PEILLON
Il n’y a aucune hésitation, c’est sur 2013 ou 2014, Gérard COLLOMB a bien dit qu’il pensait que cette réforme était essentielle, et d’ailleurs, vous savez, son adjoint à l’Education était celui qui a entraîné les autres maires pour la semaine des quatre jours et demi, Yves FOURNEL. Donc il n’y a pas de contradiction…
ERSIN LEIBOWITCH
Mais si c’est essentiel, pourquoi ne pas le faire le plus vite possible dans ce cas ?
VINCENT PEILLON
Parce qu’il dit : pour bien le faire – et c’est aussi mon souci – il nous faut quelques mois de plus. Et moi, je préfère – et c’est l’intérêt des élèves – qu’on le fasse bien. On verra ce que fait Martine AUBRY, il y en a qui passent en 2013, parce qu’ils savent construire déjà ce qu’il y a de meilleur pour nos enfants. D’autres disent : il nous faut un peu plus de temps. Mais il y a une certitude, puisque vous me demandez… c’est qu’en 2014, tous les enfants de France sont aux quatre jours et demi. Donc il faut se calmer, il faut trouver de la sérénité, il ne faut pas vouloir en faire un objet de polémique, parce que c’est encore sur le dos des enfants. Il faut faire le mieux possible, si on le peut en 2013, sinon, en 2014.
ERSIN LEIBOWITCH
Encore un mot, Vincent PEILLON, quatre jours et demi avec en contrepartie des journées qui sont censées être moins longues pour les enfants, le seront-elles vraiment, on évoque parfois une pause déjeuner rallongée, dans ce cas-là, ça veut dire que les enfants passeront le même nombre d’heures à l’école.
VINCENT PEILLON
Mais la question n’est pas de passer plus ou moins d’heures à l’école, c’est du temps scolaire, il y aura cinq heures et demie… et quart de cours au lieu de six heures, c’est trois quarts d’heure de moins. Et vous savez, pour apprendre des mathématiques, du français, de la grammaire, la cinquième heure et demie, elle n’est pas bonne. Or, quand vous revenez le mercredi matin, à 10h du matin, c’est mieux qu’à 16h15, après cinq heures de cours. Donc moi, je redonne trois heures de cerveau disponibles, non pas pour COCA-COLA, mais pour apprendre aux écoliers de France, le reste, si vous vous reposez, vous allez au coin lecture, vous allez au centre aéré, ça n’est pas la même chose, vous voyez où on en est, à confondre un temps qui est un temps d’activité, avec un temps scolaire. Cette réforme, portée par l’Education nationale, elle vise à faire que nos enfants réussissent mieux à quoi ? Lire, écrire, compter, puisque 25% d’entre eux n’y arrivent pas aujourd’hui, quand ils sont au collège, 40 dans les zones d’enseignement sensibles d’éducation prioritaire. Et donc quand même, voilà l’essentiel, et nous, de ce point de vue-là, nous distinguons très nettement entre les deux temps, et puis, la volonté, c’est de faire aussi que tous les enfants de France, parce que ce n’est pas le cas aujourd’hui, les inégalités vont de 1 à 10 dans les collectivités locales sur les activités périscolaires, que tous les enfants puissent avoir accès, en dehors du temps scolaire, à de nouvelles activités. Et c’est ça qui bloque aussi, parce qu’il faut les créer, les inventer…
source : Service d'information du Gouvernement, le 22 février 2013