Déclaration de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur les politiques actives du marché du travail et l'évaluation des politiques publiques en la matière, Paris le 14 février 2013.

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Circonstance : Colloque sur les politiques actives du marché du travail à Paris le 14 février 2013

Texte intégral


Laissez-moi tout d’abord vous féliciter d’avoir organisé ce colloque d’envergure internationale sur un sujet majeur pour nos sociétés.
Nous sommes heureux et fiers d’accueillir d’éminents spécialistes du monde entier et de pouvoir avec eux penser, analyser, débattre des politiques actives du marché du travail.
Naturellement, un ministre est d’abord tourné vers l’action et non pas vers l’étude. C’est le cas également d’un grand nombre d’entre vous qui, sur le terrain, dans les DIRECCTE, à Pôle Emploi, à la DGEFP, avez en charge la conduite de la politique de l’emploi.
Mais l’expertise des chercheurs, des hommes et des femmes d’études ou de statistiques, est utile -et même indispensable- à l’action.
Indispensable avant d’agir, pour nourrir la conception, ouvrir ou suggérer des pistes nouvelles aux acteurs sociaux, éclairer la décision politique.
Indispensable après d’agir en amont mais aussi en aval, pour évaluer les politiques conduites, capitaliser les expériences pour mieux progresser et ne pas réinventer en permanence les mêmes solutions ou les mêmes « fausses pistes ».
Ma présence ici est donc naturelle : ce colloque sera une source précieuse d’inspiration et d’analyse critique.
Vous allez parler tout au long de ces deux jours des politiques actives du marché du travail, que je traduis pour ma part comme les politiques actives de lutte contre le chômage –mais je ne doute pas que cette distinction sémantique pourrait à elle seule alimenter une table ronde du colloque !
Et donc permettez-moi de commencer par parler de l’enjeu de ces politiques, cette donnée à la fois centrale et brutale : l’existence d’un chômage de masse en France, comme presque partout en Europe, depuis de nombreuses années.
Dans la crise que nous affrontons, mon ministère est celui de la lutte contre le chômage, celui qui est en première ligne dans la bataille de l’inversion de la courbe du chômage, bataille engagée derrière le Président de la République.
Le chômage apparait aujourd’hui comme une formulation contemporaine de la question sociale, après la pauvreté dans la société d’Ancien Régime – dont les figures étaient les mendiants et les vagabonds – et le paupérisme du XIXe siècle, représenté sous les traits de l’ouvrier dont le maigre salaire permettait à peine de « reproduire la force de travail ». La question sociale contemporaine a désormais, d’abord, le visage du chômeur.
La construction de la catégorie « chômage » -qui a intéressé plusieurs des chercheurs ici présents- est le fait des réformateurs du début du XXe siècle, férus de statistiques, de données sociologiques, économiques ou même médicales. Dans leur optique, la question sociale ne se réduit pas au traitement de la misère, mais soulève les problèmes causés par le système économique lui-même, incapable de maintenir la cohésion de la société, au moment même où la classe ouvrière grossit dans les faubourgs des grandes villes et fait planer sa « menace » sur la société toute entière.
Mais, phénomène nouveau de ces dernières années, le chômage s’est extrêmement diversifié : chômage des jeunes, des femmes, de longue durée, des peu qualifiés, des diplômés, induisant des réponses nécessairement spécifiques, c’est-à-dire des politiques plus actives, qui appuient exactement là où c’est nécessaire et qui sont capables de faire du sur-mesure.
Dans la diversité des parcours professionnels, nous avons besoin de voir plus clair, de nous appuyer sur des études économiques et sociales plus fines pour mettre en œuvre des politiques à la fois plus actives et plus efficaces.
Je demeure persuadé qu’en dépit de contraintes macro-économiques fortes – et même d’autant plus que le contexte est difficile – un ensemble bien conçu de politiques visant le marché du travail contribue à stimuler la création d’emplois, à lutter contre le chômage ou pourrait-on dire « les » chômages. Je pense notamment à celui des jeunes – particulièrement ces 500 000 jeunes qui sont sans diplôme, sans formation et donc sans solution.
Les emplois d’avenir destinés aux jeunes les moins qualifiés, les contrats de génération pour tous les jeunes, sont des politiques actives, conséquence d’un choix politique et démocratique, fruit d’une négociation interprofessionnelle pour le contrat de génération, mais aussi politiques instruites par l’éclairage académique lui-même : des contrats plus ciblés, plus longs et avec un haut niveau d’exigence en termes d’accompagnement et de formation pendant l’emploi, c’est aussi ce que nous ont enseigné vos travaux.
Je dois donc vous dire tout l’intérêt que je porte aux études et recherches dans le domaine du travail et de l’emploi, et au développement de travaux d’évaluation des politiques actives du marché du travail. Je ne le dis pas seulement parce que la circonstance s’y prête : je le dis parce que nous nous appuyons sur un certain nombre d’études économiques et sociales pour conduire nos politiques.
Je parlais à l’instant du contrat de génération : les évaluations des politiques du marché du travail ont montré clairement les limites et les effets pervers des politiques pour faire sortir les seniors du marché du travail pour faire entrer des jeunes. Au contraire, vous le savez tous ici, taux de chômage des jeunes et taux d’activité des seniors sont généralement corrélés. Nous avons donc conçu le contrat de génération en partant de ce constat que vous aviez, comme experts du marché du travail, bien établi.
Mais une politique active du marché du travail, ce ne sont pas seulement des outils. C’est aussi une méthode.
Et nous vivons un moment important où la France –je le dis particulièrement à l’attention de nos collègues étrangers- s’engage dans un nouveau modèle de relations sociales, celui de l’adaptation anticipée et négociée. Je parle naturellement de l’accord du 11 janvier et de loi sur la sécurisation de l’emploi qui en découle.
C’est une perspective innovante d’anticiper davantage, d’améliorer les politiques de l’emploi non pas après la cassure du chômage, mais avant, au cœur des entreprises, tant qu’il est encore temps d’éviter le pire.
C’est une perspective audacieuse de faire confiance et de développer dans notre pays une véritable culture du dialogue social en faveur de l’emploi.
C’est au cœur de la loi de sécurisation de l’emploi bientôt débattue au Parlement. Il appartiendra à chacun de s’en saisir dans les entreprises, dans les branches professionnelles, et il vous appartiendra de mesurer les effets de cet accord majeur du 11 janvier et de cette future loi sur les comportements des acteurs. Je suis certain qu’il y a là la matière pour de futurs colloques que la DARES saura bâtir.
Vous l’avez compris, je suis convaincu de l’utilité et de la nécessité de vos travaux, tant dans la sphère universitaire qu’en lien avec les administrations du Ministère du Travail et de l’Emploi, via la DARES, le Centre d’Etudes de l’Emploi, le CEREQ, mais aussi via Pôle emploi qui a développé un réel savoir-faire dans ce domaine et qui veut renforcer ses interactions avec la communauté des chercheurs de la sphère académique.
Beaucoup reste à faire pour mieux apprécier l’effet différencié des politiques actives du marché du travail selon les différents publics, les effets à long terme, le rapport coût/efficacité, les meilleures pratiques européennes. Vous avez encore largement de quoi faire !
En conclusion, je vous souhaite des échanges fructueux et instructifs tout au long de ces trois demi-journées de débat.
Je veux remercier les équipes de la DARES pour l’organisation de ce colloque et plus largement –je saisi cette occasion- pour les travaux qu’elles mènent et la contribution qu’elle apporte à notre ministère, seules ou en collaboration avec d’autres organismes et des équipes de chercheurs. Une fois encore, soyez certains de l’utilité de cette tâche pour participer au débat mais aussi à l’action publics.
Avant de céder la parole aux intervenants, je veux saluer tout particulièrement John Martin qui prendra bientôt une retraite méritée, un acquis de nos modèles sociaux qu’il faut réformer et défendre, réformer pour défendre.
Je vous remercie.
Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 20 février 2013