Interview de M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, à "France 2" le 14 février 2013, sur les chiffres de la croissance économique.

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Média : France 2

Texte intégral

ROLAND SICARD
Les chiffres de la croissance pour le dernier trimestre de 2012, viennent de tomber, ils sont mauvais, - 0,3 %. Est-ce que l’on peut parler d’un début de récession ?
PIERRE MOSCOVICI
Ecoutez, techniquement, la récession c'est quand un pays connait deux trimestres de suite, de croissance négative, c'est d’ailleurs ce qui s’était passé au premier semestre 2012, ce n'est pas ce qui s'est passé au second, puisque nous avons eu + 0,1 au troisième, et c'est vrai, -0,32 au quatrième. Alors, bon, je ne veux pas jouer avec les mots, la situation n'est pas bonne, la situation économique est… ce sont des chiffres préoccupants, des chiffres négatifs, ils le sont d’ailleurs dans l’ensemble de l’Europe, puisque si je regarde ailleurs, je vois - 0,7 en Espagne, je vois - 0,3 en Grande Bretagne, et je pense que l’Allemagne sera autour de - 0,5 %. Et ça nous pose d’ailleurs une question collective, c'est comment pouvons-nous faire en sorte, que, alors que nous avons sauvé la zone euro, parce que nous avons sauvé la zone euro, la question de savoir si l’euro va exister ou pas, dans les mois, dans les années qui viennent, n’est plus posée. Comment pouvons-nous faire en sorte que nous nous retrouvions dans cet espace européen, comme c'est le cas en Chine, comme c'est le cas aux Etats-Unis, comme c'est le cas au Japon, des perspectives de croissance et donc des perspectives d’emploi. C’est ça le combat du gouvernement, c'est-à-dire à la fois comment maitriser les déficits, parce que c'est nécessaire, réduire l’endettement, parce que c'est indispensable, créer de la croissance en emploi.
ROLAND SICARD
Mais quand même, de la rigueur dans tous les pays d’Europe, ça veut dire de la récession dans tous les pays d’Europe, c'est ce que l’on voit en ce moment. Est-ce qu’il ne faut pas changer ?
PIERRE MOSCOVICI
Ecoutez, d’abord, première chose, ce gouvernement, sous l’égide du président de la République, François HOLLANDE, avec Jean-Marc AYRAULT, a pris un cap, c'est celui de la réduction de l’endettement des Français. Un pays qui s’endette, c'est un pays qui s’appauvrit.
ROLAND SICARD
Est-ce qu’on n’y est pas allé un peu trop fort ?
PIERRE MOSCOVICI
Alors, parfois on nous reproche de ne pas y être allé assez fort, donc il faut, je crois, voir que nous avons fait ce qui était nécessaire. Le cap que nous avons fixé, c'est de revenir à l’équilibre des finances publiques, à la fin de ce mandat, c'est-à-dire en 2017. Et nous avons fait pour ça, nous avons demandé aux Français, des efforts exceptionnels. Quand nous sommes arrivés, le déficit était à 5,2 % du PIB, alors que les engagements pris par la France étaient de 3 % à la fin 2013, et nous sommes aujourd'hui autour de 4,5 %…
ROLAND SICARD
Et on ne les retrouvera pas.
PIERRE MOSCOVICI
Et nous avons demandé, ce que l’on appelle un effort structurel, c'est-à-dire indépendamment des variations, justement, de l’activité économique ou de la croissance, de 1 % en 2012 et de 2 % en 2013, ce qui n’avait jamais été fait. Nous le faisons, parce que, en effet, 1 € de plus pour la dette, c'est 1 € de moins pour l’Education nationale, pour la police, pour les services publics, pour l’hôpital. Il faut le faire, mais la question qui est posée, effectivement, c'est celle du rythme, c'est-à-dire comment équilibrer la réduction des déficits qui reste nécessaire, le sérieux, le sérieux de gauche, car dans la justice, et en même temps comment créer de la croissance.
ROLAND SICARD
Est-ce que…
PIERRE MOSCOVICI
Et ce débat, il aura lieu à l’échelle européenne, en effet, puisque…
ROLAND SICARD
Justement…
PIERRE MOSCOVICI
… nous constatons que le chiffre de la croissance n'est pas bon pour l’année 2012, c'est autour de 0 %, et donc, nous savons aussi que la croissance 2013 devra être repensée, dans le cadre des procédures qui existent.
ROLAND SICARD
Vous estimez cette croissance à combien, pour 2013 ?
PIERRE MOSCOVICI
Ce n'est pas comme ça que les choses vont se faire.
ROLAND SICARD
A l’automne, justement, Bruxelles disait, pour la France, ça sera 0,4 en 2013. Est-ce que c'est crédible ?
PIERRE MOSCOVICI
Ecoutez, nous allons avoir ce débat à deux niveaux. Le premier niveau, ça va être le débat européen, puisqu’il se trouve que la Commission européenne, le 22 février, c’est dans peu de temps, c'est dans une semaine, va publier ses propres prévisions et nous allons entamer un dialogue avec elle. Deuxième procédure, c'est une procédure nationale, c'est ce que l’on appelle le programme national de stabilité, qui d’ailleurs lui aussi est discuté avec Bruxelles, et c'est à ce moment-là que nous allons dire ce qu’est notre prévision de croissance, et nous allons l’articuler avec un nouvel organisme, qui s’appelle le Haut conseil des finances publiques.
ROLAND SICARD
Mais ça ne sera pas les 0,8 que l’on avait envisagés.
PIERRE MOSCOVICI
Vraisemblablement pas. Mais, encore une fois, faisons les choses en bon ordre, en bonne méthode, et c'est à ce moment-là que nous allons caler, de manière précise, et pour la première fois, de manière totalement rigoureuse, puisque la loi nous y oblige, avec ce Haut conseil, à la fois nos prévisions de croissance et notre trajectoire de retour à l’équilibre des finances publiques. Et ce débat aura lieu. Ce que je sais, c'est que ce que la Commission européenne attend, et ce qu’elle est en droit de demander d’un pays comme la France, c'est le sérieux, il est là. C’est de vérifier que l’effort structurel est là, et il est fait de manière plus puissante, considérable, sans précédent, ça n’avait pas été fait par les gouvernements précédents, nous réparons, au fond, là des dégâts qui avaient été commis. Et en même temps, après, la commission européenne peut décider de nous accorder un délai.
ROLAND SICARD
Est-ce que vous le lui demandez ?
PIERRE MOSCOVICI
Ecoutez, le jour où je le demanderai, je le demanderai à la Commission européenne, mais ce que je veux dire surtout, c'est qu’il faut que l’on ait une vraie réflexion, une réflexion européenne sur quel est l’équilibre de réduction des déficits et recherche de la croissance, et réaction ou réflexion, en France aussi, moi je ne souhaite pas, j’ai dit sérieux, je suis sérieux, la politique que nous menons est sérieuse, c'est une politique de réduction des déficits, mais je ne souhaite pas, en même temps, qu’elle condamne le pays à la récession, et je suis comptable, avec d’autres, dans ce gouvernement, de l’engagement qui a été pris par François HOLLANDE, d’aller vers la réduction du chômage, d’ici à la fin 2013. C’est là-dessus que doivent porter tous nos efforts, et, non, je pense qu’il ne faut pas ajouter de l’austérité à la difficulté d’aujourd'hui. Mais il faut en même temps continuer l’effort.
ROLAND SICARD
Ça veut dire qu’il n’y aura pas de nouveaux impôts pour réduire les déficits ?
PIERRE MOSCOVICI
Ça veut dire que nous allons engager, dans les conditions que j’ai dit, les discussions que je viens d’évoquer, faisons-le sereinement, faisons-le avec en même temps la conscience que nous avons fait les efforts nécessaires, avec le maintien du cap, c'est ce qu’a dit hier le Premier ministre, Jean-Marc AYRAULT, 0 % de réduction… 0 % de déficit en 2017, mais avec, aussi, le rythme et l’équilibre qui est souhaitable.
ROLAND SICARD
Mais, cette glissade de la croissance, est-ce que ça ne vous fait pas dire : il faut changer, modifier la politique en cours ?
PIERRE MOSCOVICI
Non, je pense qu’il faut simplement travailler sur le rythme et sur les équilibres, c'est ce que j’ai dit. Le sérieux, c'est une obligation, l’endettement est une facilité qui ne nous mènerait à rien. Le relâchement de la discipline ne nous mènerait à rien, mais en même temps, aggraver la récession n'est pas une issue, et c'est cela que nous allons calibrer très précisément, en notant quand même un point, qui est un point positif, sur les chiffres de croissance que j’évoquais, c'est vrai que l’investissement ne va pas fort, que les exportations ne sont pas comme elles devaient l’être, que le logement que nous voulons soutenir, doit être relancé, mais il y a un chiffre qui tient, c'est la consommation, 0,2 au quatrième trimestre, après 0,3 au troisième. Pourquoi ? Parce que nous avons mené justement une politique de justice, nous ne voulons pas, encore une fois, imposer l’austérité aux Français, ça n'est pas l’issue, et il faut avoir une politique qui encourage le pouvoir d’achat, parce que, encore une fois, notre objectif c'est une croissance qui repart dans le courant de l’année 2013, notamment au second semestre, et toujours, toujours, toujours, l’inversion de la courbe du chômage.
ROLAND SICARD
Alors justement, cette glissade de la croissance, ça veut dire plus de chômage, vous pensez vraiment qu’il peut y avoir une inversion de la courbe en 2013 ?
PIERRE MOSCOVICI
Ce que j’observe, c’est que l’économie française recommence à créer plus d’emploi dans la fin d’année que ce ne fut le cas, parce que nous avons des cercles qui, à cet égard, sont encourageants. Deuxièmement, nous mettons aussi en oeuvre, des politiques qui sont des politiques sérieuses, crédibles, je pense aux emplois d’avenir, 150 000, je pense au contrat de génération, qui permettra de garder un sénior dans l’entreprise, tout en embauchant un jeune, et nous avons cette politique d’accompagnement. Et puis il y a la réforme du marché du travail, qui a été négociée par les partenaires sociaux, qui donne à la fois plus de prévisibilité sur les marchés et plus de sécurité, et enfin, je citerais ce que j’ai présenté hier à l’Assemblée nationale, la compétitivité, le crédit d’impôts compétitivité emploi, disponible désormais pour les entreprises, qui leur donne de l’argent, pour baisser le coût du travail et donc embaucher et investir. Oui, la cause de l’emploi est notre grande cause, et je continue, comme le président de la République, comme le Premier ministre, à dire que nous inverserons, que nous nous sommes engagés à inverser la courbe du chômage en 2013. Oui, c'est possible, mais gardons, encore une fois, le bon cap, le bon équilibre, entre le sérieux de la politique, la justice nécessaire, le soutien du pouvoir d’achat, et l’emploi.
ROLAND SICARD
L’opposition dit que ces mauvais chiffres, c'est la responsabilité du gouvernement, d’ailleurs elle va déposer une motion de censure. Qu'est-ce que vous lui répondez ?
PIERRE MOSCOVICI
Je l’attends, vraiment, de pieds fermes, parce que je sais dans quel état nous avons trouvé le pays. Ils ont accru la dette publique, de 600 milliards d’euros, et si nous faisons cet effort de réduction, c'est parce qu’ils ont fait cela. Le chômage a crû depuis plus de 20 mois, notre commerce extérieur était en berne, il s’est amélioré de 9 milliards d’euros au cours de l’année 2012. Quant au déficit, je suis bien placé pour savoir, comme ministre de l’Economie et des Finances, que c’était 5,2 %, vous m’entendez, 5,2 %, avec une dégradation de l’effort structurel au cours du dernier quinquennat, donc ils n’ont aucune leçon à donner. Nous faisons le travail, nous redressons la France, mais si nous avons à la redresser de cette façon-là, c'est bien parce qu’il y a eu une dégradation. Alors, j’attends ce débat, je l’attends en souhaitant qu’il soit décent, parce que, honnêtement, la tâche du redressement, elle doit dépasser les clivages politiques, c'est un gouvernement de combat, que mène Jean-Marc AYRAULT, un gouvernement d’intérêt général, et la tâche que nous avons est une tâche historique, pour le pays, pour le redresser.
ROLAND SICARD
Juste un mot de la réforme bancaire que vous menez, certains la trouvent timide.
PIERRE MOSCOVICI
C'est une réforme qui est unique en Europe, nous sommes les précurseurs, nous sommes le premier pays à réformer notre système bancaire pour le moraliser, le réguler, le contrôler et faire en sorte que désormais ça ne soit plus les contribuables ou les déposant, qui paient, lorsque des dirigeants mènent des politiques qui aboutissent à la faillite, mais bel et bien les actionnaires et les créanciers. C'est une réforme de très grande ampleur, qui est en train d’être examinée par l’Assemblée nationale, j’y étais jusqu’à 02h30 ce matin, j’y retourne tout à l'heure, et dans une ambiance formidable. Oui, il y a des réformes importantes, c'est un engagement de campagne, fort, de François HOLLANDE, que nous tenons, de séparer les activités qui sont utiles à l’économie, car il faut que l’économie soit financée, des activités spéculatives, qui elles, doivent être bien contrôlées et le cas échéant, moralisées. Oui, belle réforme.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 20 février 2013