Entretien de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, avec RTL le 26 février 2013, sur l'enlévement de Français au Cameroun et sur l'intervention militaire française au Mali.

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Q - Une vidéo diffusée hier montrait pour la première fois la famille française, trois adultes et quatre enfants, pris en otages il y a exactement une semaine au Cameroun. Savez-vous quel jour cette vidéo a-t-elle été tournée, Jean-Yves Le Drian ?
R - Non, à l'instant, je ne peux pas vous le dire, on mène les analyses pour savoir exactement dans quelles conditions cela a été tourné. Mais il n'empêche que l'horreur s'ajoute à l'effroyable, je pense à ces enfants, c'est la première fois qu'il y a des otages enfants...
Q - Entre 5 et 12 ans pour les enfants concernés...
R - Et ça, c'est épouvantable. Je pense beaucoup à eux, là, aux enfants, aux parents qui doivent être dans l'angoisse eux-mêmes qui sont prisonniers, et puis à leurs proches. C'est une situation inacceptable. C'est le terrorisme dans tous ses états et dans toutes ses prolongations. Parce que la vidéo devient un instrument du terrorisme, pour utiliser l'opinion publique à des fins de développement de ces groupes djihadistes, qu'ils soient au Mali ou qu'ils soient au Nigeria ou qu'ils interviennent au Cameroun, c'est la même chose finalement ; depuis la Guinée-Bissao jusqu'au Soudan, en traversant le Mali, le Nigeria et toutes ces zones, le sud libyen, on a un grand espace qui est un espace de non-droit, où fleurissent les groupes terroristes, qui sont à la fois des djihadistes fondamentalistes, mais aussi, pour une part, des grands trafiquants de drogue, de trafiquants d'otages et de trafiquants d'armes...
Q - Et tout un espace et un vaste espace dangereux aujourd'hui pour les Français...
R - Un vaste espace très dangereux pour les Français et pour les Européens, le groupe...
Q - Puisque nous sommes engagés dans la guerre au Mali...
R - Mais pas uniquement. Boko Haram, dont on parle, qui est le groupe qui revendique l'enlèvement au Cameroun, maintenant, au Nigeria, une semaine avant qu'ils aient ravi la famille française, ils ont pris d'autres otages d'autres pays, des Grecs, des Libanais, bref, c'est un commerce ! Et ce n'est pas parce que la France a été au Mali ; ils sont dans des systèmes qui sont tout à fait condamnables et qui aboutissent à cette situation de non-droit et de grandes violences qui est inacceptable. Alors, il fallait pour cela aussi que l'on éradique la situation au Mali, parce que le Mali allait devenir le sanctuaire.
Q - On va reparler du Mali, mais restons un instant sur la famille, savez-vous si elle a été séparée, après le tournage de cette vidéo, puisque le président de la République, jeudi soir dernier, avait dit : probablement...
R - On est dans l'incertitude...
Q - La famille a-t-elle été séparée...
R - Là, à l'heure actuelle, même si nous avons une collaboration de grande qualité avec les autorités du Cameroun et les autorités du Nigeria, mais je ne peux pas vous dire tout ce qui se passe évidemment, parce que la question...
Q - Disons que la question est de savoir si la famille est séparée ou pas...
R - La question principale...
Q - Vous ne le savez pas ou vous ne souhaitez pas répondre ?
R - Je ne souhaite pas répondre, parce que là, la question principale dans cette situation difficile, c'est la discrétion, y compris parce que votre émission est très écoutée et y compris par tous ceux qui ne devraient peut-être pas l'écouter, en tout cas, je ne dirai rien...
Q - Les otages, avez-vous localisé les otages ?
R - Je n'en dirai pas plus, je suis désolé.
Q - Non, non, mais je peux comprendre, mais il y a tout de même des questions à poser...
R - Oui, il y a des questions qu'on se pose, nous, mais...
Q - Le groupe que vous citiez demande la libération de prisonniers au Cameroun et au Nigeria. Est-ce une demande sur laquelle la France peut peser ou elle ne peut pas peser ?
R - On ne négocie pas sur ces bases-là, avec ces groupes-là. Donc, nous utiliserons tous les moyens possibles pour assurer la libération des otages, que ce soit ceux-là ou les autres, c'est ce que nous faisons, mais on ne joue pas à ce jeu de surenchère, parce que ça, c'est le terrorisme.
Q - On a longtemps dit que ce groupe, Boko Haram, qui donc revendique la prise d'otages, n'intervenait généralement pas pour des raisons politiques. Or, dans leur message, les ravisseurs disent... s'adressent directement au président français et font référence à l'intervention française au Mali.
R - Il y a déjà eu une intervention de ce groupe qui a kidnappé un industriel français il y a maintenant quelques semaines, avant l'intervention au Mali...
Q - C'était en décembre.
R - Boko Haram aurait des tensions avec un autre groupe issu de lui-même, qui s'appelle Ansaru, et il y aurait une compétition idéologique ; tout cela, ce sont des hypothèses de travail ; la réalité, c'est que le terrorisme est le même, que vous soyez en Somalie avec des chebabs ou que vous soyez au Mali avec Ansar Dine ou Mujao ou au Nigeria avec Boko Haram ou Ansaru, ce sont les mêmes systèmes, ce sont les mêmes méthodes, et ce sont des méthodes qui nous menacent, nous, ici, en Europe. Et il faut donc les éradiquer.
Q - Quelle est la situation ce matin au Mali, Jean-Yves Le Drian ? Où interviennent les forces françaises ?
R - Au Mali, on est en train de toucher au dur, puisque dans ce que l'on appelle l'Adrar des Ifoghas, vous entendrez beaucoup parler de ces montagnes-là, qui sont un peu - grand comme le Massif Central - un peu moins élevées, qui est un secteur où nous pensions que les groupes terroristes les plus radicaux s'étaient réfugiés ; nous n'en étions pas sûrs, maintenant, nous en sommes certains. Donc, les combats sont violents, ils se poursuivent, y compris au moment où nous parlons.
Notre objectif, c'est évidemment de permettre au Mali de retrouver sa totale intégrité, y compris dans cette zone, qui est le repère de ces groupes depuis longtemps. Nous sommes chez eux, nous sommes rentrés dans leurs maisons, puisque, depuis dix ans de la fin de la guerre civile algérienne, une partie de ces groupes s'était réfugiée dans cette zone qui est parfois un peu inaccessible et qui est géologiquement, géographiquement, très complexe, et qui nécessite de notre part une action très méticuleuse. Mais ils sont là, et comme ils se battent fort, c'est qu'ils ont des choses à défendre.
Q - Les combats se déroulent actuellement...
R - Oui, absolument, il y en a eu avant-hier, il y en a en ce moment.
Q - Il y a les otages, huit otages français retenus au Nord Mali, ils sont là, dans ces montagnes ?
R - C'est une hypothèse de travail.
Q - Pas de certitude ?
R - Hypothèse.
Q - Vous ne voulez pas répondre plutôt que...
R - Hypothèse.
Q - Hypothèse. Donc nous allons en rester-là. L'intervention militaire française va durer encore longtemps, parce que les combats sont ceux que vous décrivez, les combats...
R - L'intervention a été très rapide, elle a permis de libérer la quasi-totalité du territoire en quarante-cinq jours, parce que nous sommes à quarante-cinq jours, là, maintenant du 11 janvier. Il reste la partie la plus dure, on savait que c'était là, et là, c'est plus compliqué, parce qu'il faut passer au sol, au peigne fin, doucement, mètre après mètre quasiment, sur un territoire qui est quand même assez vaste, mais c'est là que se trouve le réduit des terroristes...
Q - Cela peut durer longtemps ?
R - On ira jusqu'au bout.
Q - C'est quoi aller jusqu'au bout ?
R - Eh bien, quand on aura fini, c'est-à-dire quand l'ensemble de ce secteur-là sera libéré complètement...
Q - Vous faites des prisonniers ?
R - Très peu.
Q - Beaucoup de morts ?
R - Oui. Des morts tous les jours.
Q - Parmi les soldats français ?
R - ... Il y a eu deux morts français, qui ont été très héroïques et qui ont reçu l'hommage solennel de la Nation, y compris la semaine dernière, deux morts français, beaucoup, beaucoup de morts djihadistes.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 février 2013