Texte intégral
Monsieur le Président,
Madame le Commissaire,
Monsieur le Directeur général,
Mes chers Collègues,
Je remercie M. YLIEFF et le Directeur général de laccueil et de lorganisation de la conférence.
Les motivations fondamentales des activités spatiales restent constantes depuis le début de laventure spatiale : économiques, scientifiques et stratégiques - y compris la défense - . Nos gouvernements partagent pour ces raisons un intérêt constant à la fois politique et économique pour consolider et développer les compétences scientifiques, technologiques et industrielles de lEurope spatiale. Les applications issues du secteur spatial offrent aujourdhui à lEurope des perspectives favorables de créations demploi, à travers les activités dérivées commerciales ou les services publics, les différentes évaluations parlent de 400 000 emplois. Si lEurope ne maîtrisait plus le segment spatial, elle ne maîtriserait plus les services associés ; lérosion de lindépendance européenne et des emplois qui en résulterait dépasserait très largement le seul secteur spatial.
Cette expansion des applications du spatial conduit à un nouveau contexte international ; fin de guerre froide, changement des motivations (VS) mêlant étroitement compétition et coopération. Lindustrie spatiale européenne a mûri et sadapte à ce contexte. Pour autant, une politique publique solide, coordonnée, élaborée au plus haut niveau des responsables politiques en Europe reste absolument indispensable pour préparer lavenir, indiquer les priorités, donner à laction des agences sa légitimité publique.
Nous avons, mes chers collègues, cette responsabilité politique délaborer les nouveaux équilibres entre enjeux scientifiques, économiques, sociétaux. Cest pourquoi, selon moi, les grandes orientations de la politique spatiale européenne que nous sommes appelés à dessiner ici dépassent aujourdhui la simple mise en place de programmes spatiaux européens, aussi importants soient-ils, aussi urgent soient-ils.
Je répète pour éviter toute ambiguïté que la France a fortement agi pour la création de lESA en 1973, que notre contribution a toujours été largement supérieure à ce qui correspondrait à notre PNB, et reste aujourdhui au premier rang. Cest donc notre intérêt que lESA soit forte et efficace au sein dune Europe spatiale forte et efficace, dont tous les pays doivent bénéficier.
Et si je me loue de bon nombre de succès de lESA.
Mais nous devons nous poser, sans tabous, la question de lefficacité de notre action. Je rends hommage à ce qui a été fait jusquà présent, mais je suis convaincu quune évolution plus significative encore est nécessaire pour répondre aux défis que nous devons affronter. Je voudrais dans ce qui suit en indiquer les orientations prioritaires selon moi.
1-Privilégier les cadres de coopération multilatéraux « à géométrie variable » ; permettre la participation de nouveaux contributeurs aux programmes de lESA.
Lélargissement est aujourdhui dactualité pour lUnion Européenne et le sera aussi, inéluctablement, pour lESA. Nous aurons à accueillir bientôt des pays comme la Hongrie, la Pologne, la République Tchèque et dautres. Je me réjouis de cette évolution, mais je nen méconnais pas les difficultés.
Certains grands programmes auront aussi dautres participants que les Etats membres : des industriels dans le cadre daccords public/privé, lUnion européenne, des agences internationales opérationnelles domaine par domaine. Plus lespace étend ses domaines dapplication, plus les participants seront nombreux.
Par ailleurs, la Commission européenne souhaite simpliquer dans les activités spatiales comme nous venons de lentendre. Jy suis favorable dans le principe, si tant est que cette implication préserve lindépendance de lESA.
Lélargissement, comme le partenariat avec lUnion Européenne ou le monde industriel pose la question de la façon dont les décisions sont prises, et du cadre juridique dans lequel elles sappliquent. Il faut étudier ces questions rapidement.
Je suis convaincu que la plus grande souplesse doit être donnée dans la configuration des partenariats, projet par projet, si nous voulons être efficaces et continuer à construire lEurope spatiale. Cest même la condition indispensable du développement de lESA : sinon, au fur et à mesure de laccroissement du nombre de participants aux programmes, les pays grands contributeurs, la Commission Européenne, auront tendance à sisoler et à bâtir des programmes nationaux ou multilatéraux hors de lESA.
Les pistes possibles sont nombreuses pour adapter lESA, comme en témoignent les dispositions retenues dans les différentes organisations internationales. Mais il me paraît en toute hypothèse impératif dexaminer lopportunité dune modification des dispositions actuelles.
Pour ma part, je crois que lidée de décisions prises à la majorité qualifiée entre participants, projet par projet, devra simposer peu à peu à lESA, de même que dans dautres structures européennes hors du domaine spatial. Dès lors que les compétences techniques seront animées en réseau au profit de lensemble des Etats membres, cette évolution paraîtra naturelle, simplificatrice, et dans lintérêt de tous. Elle traduirait simplement une plus grande maturité de lESA, et finalement une plus grande confiance mutuelle entre ses membres.
Elle permettrait à lESA de définir des programmes plus concentrés, plus ambitieux.
2- Améliorer les règles de gestion de lESA, évoluer vers une approche de type « contrat dobjectif » en donnant une forte priorité à la réduction des coûts des programmes.
Les contraintes qui pèsent sur nos Etats imposent de moderniser nos règles de gestion. Nous mettons ainsi en place en France, avec les universités et avec les organismes de recherche dont jai la tutelle, dont le CNES, des « contrats dobjectifs » sur 3 ou 4 ans. Une démarche similaire pourrait être étudiée pour lESA. Il en résulterait une plus grande clarté des priorités, la suppression de groupes dexperts qui alourdissent parfois les prises de décision. Il en résulterait aussi une exigence accrue des Etats pour une maîtrise stricte par lESA du déroulement et du coût des programmes, et une responsabilisation accrue de lexécutif. Tout le monde pourrait y gagner. Peut-être suis-je en train de rejoindre une démarche que le Directeur Général a déjà proposée ? Pourquoi ne pas mettre en route cette réforme dès 1999 ?
En effet ce serait un bien mauvais service à rendre aux entreprises et aux utilisateurs européens que de ne pas tout faire sans tarder pour adopter à lESA une culture de missions à coût vraiment réduit. Cest indispensable car nos budgets publics en Europe ne sont pas en expansion, cest impératif en matière dapplications, pour des raisons évidentes de compétitivité.
Dans le secteur des lanceurs la concurrence, et je le dis avec une certaine gravité, impose une réduction des coûts récurrents dAriane 5 de lordre de 50 % avant 2006, en complément daméliorations de performances. A cet égard le site de Kourou représente un atout pour toute lEurope ; nous devons tout faire pour maintenir cet avantage. Le Gouvernement français a confirmé récemment sa volonté de maintenir la compétitivité dArianespace comme opérateur de service de transport spatial pour lEurope, qui devra disposer à terme dune gamme cohérente de lanceurs dans des conditions économiques viables.
Plus généralement, les grands industriels seront appelés à partager les risques en prenant une part plus active dans le financement des programmes qui leur ouvrent des perspectives de marchés. En parallèle le rôle des PME-PMI doit faire lobjet dune attention particulière. Pourquoi ne pas lancer par exemple un concours de création dentreprises innovantes utilisant les systèmes spatiaux, ouvert aux candidats de tous les Etats membres de lESA ?
Je sais que le Directeur Général progresse : mise en place dindicateurs de gestion, limitation du coût à achèvement des programmes à 100% du devis initial (alors que la convention lie les Etats membres jusquà 120% , ce qui est curieux!), meilleures procédures de compte-rendu ; Mais en dépit de sa bonne volonté, de son courage, de son dynamisme, je doute que les règles de fonctionnement actuelles de lAgence soient compatibles avec nos exigences.
3- Evoluer vers un réseau des centres techniques en Europe
LESA possède ses propres centres techniques, et cest très bien ! La fonction quils remplissent répond notamment aux besoins des pays de plus petite taille. Il faut que lespace constitue pour eux comme pour les plus grands une source de développement économique et scientifique. La priorité aux PME-PMI innovantes dont je viens de souligner la nécessité va dans le même sens.
Par ailleurs, plusieurs Etats membres, dont la France, ont leurs propres agences spatiales, leurs centres techniques, leurs compétences spécifiques.
Lensemble doit constituer une richesse pour lEurope. Progressivement les centres de lESA et ceux des grandes agences nationales, complémentaires, devront fonctionner en réseau au profit de lensemble des Etats membres. Les missions à coût réduit représentent une réelle opportunité dans ce sens, permettant à chacun de développer des activités innovantes et porteuses.
En pratique, je pense que sur ce chantier important nous pourrions attendre du Directeur Général, dès 1999 :
- de définir les orientations stratégiques de chacun des centres de lESA. Je mengage, pour ce qui nous concerne, à faire progresser le même exercice stratégique pour les centres du CNES. Ainsi, vous savez que le Gouvernement français est très attaché à conserver au CNES à Evry un rôle central danimation de la Recherche et Développement pour lEurope sur les lanceurs futurs. Nous avons réussi ensemble le programme Ariane, il nous faut poursuivre ensemble, en préparant dans le cadre de lESA les technologies des lanceurs futurs.
- de favoriser la mobilité des personnes entre les centres, mais aussi avec lindustrie et dans les deux sens. La mobilité est très insuffisante en Europe spatiale. Pourquoi ? Elle constitue un élément clé de fertilisation croisée et en fin de compte de réussite : la compétence ne senrichit que dans le mouvement ! Les barrières, les freins à cette mobilité doivent être levés, quil sagisse de problèmes statutaires, contractuels, ou, il faut bien le dire, de disparités salariales excessives. Augmenter laccueil dingénieurs européens dans les établissements des agences nationales en fonction de leurs compétences spécifiques sera un premier pas que jai demandé au CNES de franchir dès à présent.
4- Jen viens pour terminer à la question de la science, et notamment à lobservation de la Terre.
A loccasion des explorations lunaires, une des grandes avancée réalisée par la NASA, cest que la science était au cur du projet. Les conséquences sur le plan technologique ont également été très importantes. Au cours des quinze prochaines années, on verra revenir sur Terre des échantillons de Mars, peut-être de Vénus, de Mercure, peut-être dAstéroïdes ou de Comètes. Je suis certain que notre vision du monde, du système solaire, de sa formation, de nos origines, sen trouvera complètement transformée. Nous devons être audacieux dans la conception de telles missions, poser dabord les questions scientifiques, examiner ensuite les possibilités techniques. Je crois que cest là la grande aventure de lexploration spatiale.
Jinsiste sur ce point devant vous comme jai déjà eu loccasion de le faire devant des auditoires scientifiques. Nous devons certes développer des recherches technologiques, mais sans jamais oublier la motivation fondamentale qui doit rester ; soit celle de la science , soit celle de lintérêt pour la société soit celle de léconomique. Ensemble, nous trouverons des compromis avec la technologie.
LEurope doit être leader dans les sciences qui utilisent lespace, à légal des Etats Unis. Jentends, bien sûr, dans toutes les sciences, y compris les sciences de la planète Terre et de son environnement. Jusquà présent les spécialistes les plus éminents en Europe, ont a peine effleuré les possibilités des techniques spatiales dobservation de la Terre.
Quelques expériences merveilleuses ont ouvert la voie : linterférométrie radar ; ou Topex-Poséidon en océanographie bien que lexploitation des résultats ait pu être amélioré. Mais lobservation de la Terre depuis lespace offre de nouveaux champs dinvestigation scientifique pour lécologie, lobservation de lévolution quantitative des espèces vivantes, leur influence sur notre environnement, leur développement avec les saisons et les latitudes. Aucune méthode ne peut fournir aussi bien à la fois une vision globale et des données précises locales régulièrement mises à jour. Je pense ainsi quune partie importante de ce quon appelle aujourdhui la géologie se fera demain à partir dobservations spatiales y compris la prospection minérale. Le concept de missions à coût réduit sappliquera bien entendu à lobservation de la Terre, grâce aux progrès des petits satellites que lEurope ne doit pas tarder à maîtriser..
LEurope doit être leader dans les sciences et le faire savoir, mieux que par le passé : sur ce plan, comme sur celui de linformation scientifique et technique pour le grand public, nous avons beaucoup à apprendre de la NASA !
Conclusions
Avec le Directeur Général de lESA, avec mes collègues avec lesquels jai eu loccasion dapprofondir ces sujets, notamment allemand et italien et britannique, je sais que la convergence est grande : nous partageons lambition dune Europe spatiale dynamique et efficace, préparant lavenir, à lécoute des besoins de nos concitoyens de tous les pays membres.
Les agences spatiales, notamment lESA dans son rôle central pour la politique spatiale en Europe, doivent en effet faciliter la mise à disposition des systèmes spatiaux pour tous : communautés scientifiques, services publics (par exemple celui de léducation grâce à la diffusion par satellite de programmes pédagogiques vers des établissements scolaires dans les régions faiblement équipées ou vers des pays du Tiers Monde), industriels des transports, de lenvironnement, de lagro-alimentaire Mon ministère, appuyé par le CNES, a lancé en France dans ce but linitiative « Espace et société » dont les résultats sont très encourageants.
Il sagit dattirer vers les technologies spatiales des industriels qui nont jamais utilisés les techniques spatiales.
Je viens de citer quatre axes de réflexion qui doivent selon moi conduire lESA à des chantiers de réformes, dont certains seront complexes et difficiles nous le savons:
1. Privilégier les cadres de coopération multilatéraux « à géométrie variable » permettre la participation de nouveaux contributeurs aux programmes de lESA ;
2. Améliorer les règles de gestion de lESA, évoluer vers une approche de type « contrat dobjectif » en donnant une forte priorité à la réduction des coûts des programmes ; besoin absolu de faire savoir aux industriels en Europe quil faut baisser les coûts ;
3. Evoluer vers un réseau des centres techniques en Europe
4. Développer les sciences de lobservation de la Terre, y compris à des fins militaires.
Je sais que les réformes prennent du temps. Je vous propose aujourdhui de demander au Directeur Général de nous présenter avant la fin de lannée 1999 une analyse la plus complète possible des questions posées, notamment en tenant compte des pistes que je viens dévoquer.
Encore une fois, devant vous, je confirme donc le « oui à lESA » de la France pour lEurope spatiale, mais à une ESA qui pour être efficace devra se rénover.
Je vous remercie.
(Source http://www.education.gouv.fr, le 12 mai 1999)
Madame le Commissaire,
Monsieur le Directeur général,
Mes chers Collègues,
Je remercie M. YLIEFF et le Directeur général de laccueil et de lorganisation de la conférence.
Les motivations fondamentales des activités spatiales restent constantes depuis le début de laventure spatiale : économiques, scientifiques et stratégiques - y compris la défense - . Nos gouvernements partagent pour ces raisons un intérêt constant à la fois politique et économique pour consolider et développer les compétences scientifiques, technologiques et industrielles de lEurope spatiale. Les applications issues du secteur spatial offrent aujourdhui à lEurope des perspectives favorables de créations demploi, à travers les activités dérivées commerciales ou les services publics, les différentes évaluations parlent de 400 000 emplois. Si lEurope ne maîtrisait plus le segment spatial, elle ne maîtriserait plus les services associés ; lérosion de lindépendance européenne et des emplois qui en résulterait dépasserait très largement le seul secteur spatial.
Cette expansion des applications du spatial conduit à un nouveau contexte international ; fin de guerre froide, changement des motivations (VS) mêlant étroitement compétition et coopération. Lindustrie spatiale européenne a mûri et sadapte à ce contexte. Pour autant, une politique publique solide, coordonnée, élaborée au plus haut niveau des responsables politiques en Europe reste absolument indispensable pour préparer lavenir, indiquer les priorités, donner à laction des agences sa légitimité publique.
Nous avons, mes chers collègues, cette responsabilité politique délaborer les nouveaux équilibres entre enjeux scientifiques, économiques, sociétaux. Cest pourquoi, selon moi, les grandes orientations de la politique spatiale européenne que nous sommes appelés à dessiner ici dépassent aujourdhui la simple mise en place de programmes spatiaux européens, aussi importants soient-ils, aussi urgent soient-ils.
Je répète pour éviter toute ambiguïté que la France a fortement agi pour la création de lESA en 1973, que notre contribution a toujours été largement supérieure à ce qui correspondrait à notre PNB, et reste aujourdhui au premier rang. Cest donc notre intérêt que lESA soit forte et efficace au sein dune Europe spatiale forte et efficace, dont tous les pays doivent bénéficier.
Et si je me loue de bon nombre de succès de lESA.
Mais nous devons nous poser, sans tabous, la question de lefficacité de notre action. Je rends hommage à ce qui a été fait jusquà présent, mais je suis convaincu quune évolution plus significative encore est nécessaire pour répondre aux défis que nous devons affronter. Je voudrais dans ce qui suit en indiquer les orientations prioritaires selon moi.
1-Privilégier les cadres de coopération multilatéraux « à géométrie variable » ; permettre la participation de nouveaux contributeurs aux programmes de lESA.
Lélargissement est aujourdhui dactualité pour lUnion Européenne et le sera aussi, inéluctablement, pour lESA. Nous aurons à accueillir bientôt des pays comme la Hongrie, la Pologne, la République Tchèque et dautres. Je me réjouis de cette évolution, mais je nen méconnais pas les difficultés.
Certains grands programmes auront aussi dautres participants que les Etats membres : des industriels dans le cadre daccords public/privé, lUnion européenne, des agences internationales opérationnelles domaine par domaine. Plus lespace étend ses domaines dapplication, plus les participants seront nombreux.
Par ailleurs, la Commission européenne souhaite simpliquer dans les activités spatiales comme nous venons de lentendre. Jy suis favorable dans le principe, si tant est que cette implication préserve lindépendance de lESA.
Lélargissement, comme le partenariat avec lUnion Européenne ou le monde industriel pose la question de la façon dont les décisions sont prises, et du cadre juridique dans lequel elles sappliquent. Il faut étudier ces questions rapidement.
Je suis convaincu que la plus grande souplesse doit être donnée dans la configuration des partenariats, projet par projet, si nous voulons être efficaces et continuer à construire lEurope spatiale. Cest même la condition indispensable du développement de lESA : sinon, au fur et à mesure de laccroissement du nombre de participants aux programmes, les pays grands contributeurs, la Commission Européenne, auront tendance à sisoler et à bâtir des programmes nationaux ou multilatéraux hors de lESA.
Les pistes possibles sont nombreuses pour adapter lESA, comme en témoignent les dispositions retenues dans les différentes organisations internationales. Mais il me paraît en toute hypothèse impératif dexaminer lopportunité dune modification des dispositions actuelles.
Pour ma part, je crois que lidée de décisions prises à la majorité qualifiée entre participants, projet par projet, devra simposer peu à peu à lESA, de même que dans dautres structures européennes hors du domaine spatial. Dès lors que les compétences techniques seront animées en réseau au profit de lensemble des Etats membres, cette évolution paraîtra naturelle, simplificatrice, et dans lintérêt de tous. Elle traduirait simplement une plus grande maturité de lESA, et finalement une plus grande confiance mutuelle entre ses membres.
Elle permettrait à lESA de définir des programmes plus concentrés, plus ambitieux.
2- Améliorer les règles de gestion de lESA, évoluer vers une approche de type « contrat dobjectif » en donnant une forte priorité à la réduction des coûts des programmes.
Les contraintes qui pèsent sur nos Etats imposent de moderniser nos règles de gestion. Nous mettons ainsi en place en France, avec les universités et avec les organismes de recherche dont jai la tutelle, dont le CNES, des « contrats dobjectifs » sur 3 ou 4 ans. Une démarche similaire pourrait être étudiée pour lESA. Il en résulterait une plus grande clarté des priorités, la suppression de groupes dexperts qui alourdissent parfois les prises de décision. Il en résulterait aussi une exigence accrue des Etats pour une maîtrise stricte par lESA du déroulement et du coût des programmes, et une responsabilisation accrue de lexécutif. Tout le monde pourrait y gagner. Peut-être suis-je en train de rejoindre une démarche que le Directeur Général a déjà proposée ? Pourquoi ne pas mettre en route cette réforme dès 1999 ?
En effet ce serait un bien mauvais service à rendre aux entreprises et aux utilisateurs européens que de ne pas tout faire sans tarder pour adopter à lESA une culture de missions à coût vraiment réduit. Cest indispensable car nos budgets publics en Europe ne sont pas en expansion, cest impératif en matière dapplications, pour des raisons évidentes de compétitivité.
Dans le secteur des lanceurs la concurrence, et je le dis avec une certaine gravité, impose une réduction des coûts récurrents dAriane 5 de lordre de 50 % avant 2006, en complément daméliorations de performances. A cet égard le site de Kourou représente un atout pour toute lEurope ; nous devons tout faire pour maintenir cet avantage. Le Gouvernement français a confirmé récemment sa volonté de maintenir la compétitivité dArianespace comme opérateur de service de transport spatial pour lEurope, qui devra disposer à terme dune gamme cohérente de lanceurs dans des conditions économiques viables.
Plus généralement, les grands industriels seront appelés à partager les risques en prenant une part plus active dans le financement des programmes qui leur ouvrent des perspectives de marchés. En parallèle le rôle des PME-PMI doit faire lobjet dune attention particulière. Pourquoi ne pas lancer par exemple un concours de création dentreprises innovantes utilisant les systèmes spatiaux, ouvert aux candidats de tous les Etats membres de lESA ?
Je sais que le Directeur Général progresse : mise en place dindicateurs de gestion, limitation du coût à achèvement des programmes à 100% du devis initial (alors que la convention lie les Etats membres jusquà 120% , ce qui est curieux!), meilleures procédures de compte-rendu ; Mais en dépit de sa bonne volonté, de son courage, de son dynamisme, je doute que les règles de fonctionnement actuelles de lAgence soient compatibles avec nos exigences.
3- Evoluer vers un réseau des centres techniques en Europe
LESA possède ses propres centres techniques, et cest très bien ! La fonction quils remplissent répond notamment aux besoins des pays de plus petite taille. Il faut que lespace constitue pour eux comme pour les plus grands une source de développement économique et scientifique. La priorité aux PME-PMI innovantes dont je viens de souligner la nécessité va dans le même sens.
Par ailleurs, plusieurs Etats membres, dont la France, ont leurs propres agences spatiales, leurs centres techniques, leurs compétences spécifiques.
Lensemble doit constituer une richesse pour lEurope. Progressivement les centres de lESA et ceux des grandes agences nationales, complémentaires, devront fonctionner en réseau au profit de lensemble des Etats membres. Les missions à coût réduit représentent une réelle opportunité dans ce sens, permettant à chacun de développer des activités innovantes et porteuses.
En pratique, je pense que sur ce chantier important nous pourrions attendre du Directeur Général, dès 1999 :
- de définir les orientations stratégiques de chacun des centres de lESA. Je mengage, pour ce qui nous concerne, à faire progresser le même exercice stratégique pour les centres du CNES. Ainsi, vous savez que le Gouvernement français est très attaché à conserver au CNES à Evry un rôle central danimation de la Recherche et Développement pour lEurope sur les lanceurs futurs. Nous avons réussi ensemble le programme Ariane, il nous faut poursuivre ensemble, en préparant dans le cadre de lESA les technologies des lanceurs futurs.
- de favoriser la mobilité des personnes entre les centres, mais aussi avec lindustrie et dans les deux sens. La mobilité est très insuffisante en Europe spatiale. Pourquoi ? Elle constitue un élément clé de fertilisation croisée et en fin de compte de réussite : la compétence ne senrichit que dans le mouvement ! Les barrières, les freins à cette mobilité doivent être levés, quil sagisse de problèmes statutaires, contractuels, ou, il faut bien le dire, de disparités salariales excessives. Augmenter laccueil dingénieurs européens dans les établissements des agences nationales en fonction de leurs compétences spécifiques sera un premier pas que jai demandé au CNES de franchir dès à présent.
4- Jen viens pour terminer à la question de la science, et notamment à lobservation de la Terre.
A loccasion des explorations lunaires, une des grandes avancée réalisée par la NASA, cest que la science était au cur du projet. Les conséquences sur le plan technologique ont également été très importantes. Au cours des quinze prochaines années, on verra revenir sur Terre des échantillons de Mars, peut-être de Vénus, de Mercure, peut-être dAstéroïdes ou de Comètes. Je suis certain que notre vision du monde, du système solaire, de sa formation, de nos origines, sen trouvera complètement transformée. Nous devons être audacieux dans la conception de telles missions, poser dabord les questions scientifiques, examiner ensuite les possibilités techniques. Je crois que cest là la grande aventure de lexploration spatiale.
Jinsiste sur ce point devant vous comme jai déjà eu loccasion de le faire devant des auditoires scientifiques. Nous devons certes développer des recherches technologiques, mais sans jamais oublier la motivation fondamentale qui doit rester ; soit celle de la science , soit celle de lintérêt pour la société soit celle de léconomique. Ensemble, nous trouverons des compromis avec la technologie.
LEurope doit être leader dans les sciences qui utilisent lespace, à légal des Etats Unis. Jentends, bien sûr, dans toutes les sciences, y compris les sciences de la planète Terre et de son environnement. Jusquà présent les spécialistes les plus éminents en Europe, ont a peine effleuré les possibilités des techniques spatiales dobservation de la Terre.
Quelques expériences merveilleuses ont ouvert la voie : linterférométrie radar ; ou Topex-Poséidon en océanographie bien que lexploitation des résultats ait pu être amélioré. Mais lobservation de la Terre depuis lespace offre de nouveaux champs dinvestigation scientifique pour lécologie, lobservation de lévolution quantitative des espèces vivantes, leur influence sur notre environnement, leur développement avec les saisons et les latitudes. Aucune méthode ne peut fournir aussi bien à la fois une vision globale et des données précises locales régulièrement mises à jour. Je pense ainsi quune partie importante de ce quon appelle aujourdhui la géologie se fera demain à partir dobservations spatiales y compris la prospection minérale. Le concept de missions à coût réduit sappliquera bien entendu à lobservation de la Terre, grâce aux progrès des petits satellites que lEurope ne doit pas tarder à maîtriser..
LEurope doit être leader dans les sciences et le faire savoir, mieux que par le passé : sur ce plan, comme sur celui de linformation scientifique et technique pour le grand public, nous avons beaucoup à apprendre de la NASA !
Conclusions
Avec le Directeur Général de lESA, avec mes collègues avec lesquels jai eu loccasion dapprofondir ces sujets, notamment allemand et italien et britannique, je sais que la convergence est grande : nous partageons lambition dune Europe spatiale dynamique et efficace, préparant lavenir, à lécoute des besoins de nos concitoyens de tous les pays membres.
Les agences spatiales, notamment lESA dans son rôle central pour la politique spatiale en Europe, doivent en effet faciliter la mise à disposition des systèmes spatiaux pour tous : communautés scientifiques, services publics (par exemple celui de léducation grâce à la diffusion par satellite de programmes pédagogiques vers des établissements scolaires dans les régions faiblement équipées ou vers des pays du Tiers Monde), industriels des transports, de lenvironnement, de lagro-alimentaire Mon ministère, appuyé par le CNES, a lancé en France dans ce but linitiative « Espace et société » dont les résultats sont très encourageants.
Il sagit dattirer vers les technologies spatiales des industriels qui nont jamais utilisés les techniques spatiales.
Je viens de citer quatre axes de réflexion qui doivent selon moi conduire lESA à des chantiers de réformes, dont certains seront complexes et difficiles nous le savons:
1. Privilégier les cadres de coopération multilatéraux « à géométrie variable » permettre la participation de nouveaux contributeurs aux programmes de lESA ;
2. Améliorer les règles de gestion de lESA, évoluer vers une approche de type « contrat dobjectif » en donnant une forte priorité à la réduction des coûts des programmes ; besoin absolu de faire savoir aux industriels en Europe quil faut baisser les coûts ;
3. Evoluer vers un réseau des centres techniques en Europe
4. Développer les sciences de lobservation de la Terre, y compris à des fins militaires.
Je sais que les réformes prennent du temps. Je vous propose aujourdhui de demander au Directeur Général de nous présenter avant la fin de lannée 1999 une analyse la plus complète possible des questions posées, notamment en tenant compte des pistes que je viens dévoquer.
Encore une fois, devant vous, je confirme donc le « oui à lESA » de la France pour lEurope spatiale, mais à une ESA qui pour être efficace devra se rénover.
Je vous remercie.
(Source http://www.education.gouv.fr, le 12 mai 1999)